(9) Moi, Jean, votre frère et votre compagnon dans l’épreuve, la royauté et la constance, en Jésus. Je me trouvais dans l’île de Patmos, à cause de la Parole de Dieu et du témoignage de Jésus. (10) Je tombai en extase, le jour du Seigneur, et j’entendis derrière moi une voix clamer, comme une trompette :
(11) « Ce que tu vois, écris-le dans un livre pour l’envoyer aux sept Églises : à Éphèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicée. »
(12) Je me retournai pour regarder la voix qui me parlait ; et m’étant retourné, je vis sept candélabres d’or, (13) et, au milieu des candélabres, comme un Fils d’homme revêtu d’une longue robe serrée à la taille par une ceinture en or. (13) Sa tête, avec ses cheveux blancs, est comme de la laine blanche, comme de la neige, ses yeux comme une flamme ardente, (15) ses pieds pareils à de l’airain précieux que l’on aurait purifié au creuset, sa voix comme la voix des grandes eaux. (16) Dans sa main droite il a sept étoiles, et de sa bouche sort une épée acérée, à double tranchant ; et son visage, c’est comme le soleil qui brille dans tout son éclat.
(17) À sa vue, je tombai à ses pieds, comme mort ; mais il posa sur moi sa main droite en disant :
« Ne crains pas, je suis le Premier et le Dernier, (18) le Vivant ; je fus mort, et me voici vivant pour les siècles des siècles, détenant la clef de la Mort et de l’Hadès.
(19) Écris donc ce que tu as vu : le présent et ce qui doit arriver plus tard.
(20) Quant au mystère des sept étoiles que tu as vues dans ma main droite et des sept candélabres d’or, le voici : les sept étoiles sont les Anges des sept Églises; et les sept candélabres sont les sept Églises ».
Nous sommes « le Jour du Seigneur », c’est-à-dire le Dimanche, le lendemain du Sabbat, ce « premier jour de la semaine » où les femmes découvrirent le tombeau vide (Lc 24,1-8 ; Mc 16,1-8 ; Mt 28,1-8 ; Jn 20,1-2). Et depuis, chaque Dimanche, la communauté chrétienne se rassemble, à l’invitation de son Seigneur, pour faire mémoire de sa Mort et de sa Résurrection et pour en accueillir tous les fruits dans l’aujourd’hui de sa foi : « Les Paroles que je vous ai dites sont Esprit et elles ont Vie. En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit » en ces Paroles « a la Vie éternelle… Ceci est mon corps donné pour vous. Faites cela en mémoire de moi. Ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés… Qui mange ma chair et boit mon sang a la Vie éternelle » (Jn 6,63.47 ; Lc 22,19 ; Mt 26,28 ; 1Co 11,23-26). Toute la communauté chrétienne est alors invitée, comme les deux disciples d’Emmaüs, à « avoir le cœur tout brûlant » en laissant le Ressuscité lui « ouvrir l’esprit à l’intelligence des Ecritures ». Comme nous le verrons, c’est bien ce que vivra ici St Jean en contemplant le Mystère du Christ à la lumière de très nombreux passages de l’Ancien Testament.
En ce jour du Seigneur, les croyants sont aussi invités à reconnaître la Présence Vivante du Christ Ressuscité venu les rejoindre sous les apparences du pain et du vin. C’est l’expérience que vécurent les deux disciples d’Emmaüs. Tandis que le Christ marchait avec eux sur la route, « leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître ». Mais quand le soir fut venu, il répondit à leur invitation de rester avec eux. « Et il advint, comme ils étaient à table, qu’il prit le pain, dit la bénédiction, puis le rompit et le leur donna. Alors, leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent… mais il avait disparu de devant eux » (Lc 24,13-35 ; 24,44-48). Ainsi, à la fraction du pain, les yeux du cœur se sont ouverts… Dans la foi, ils ont reconnu le Ressuscité qui, aussitôt, a disparu à leurs yeux de chair… L’important en effet, ici-bas, n’est pas la vision mais la foi qui permet, en Esprit, de vivre dès maintenant une relation vivante avec « le Vivant » et d’accueillir au plus profond de soi-même le Mystère de sa Vie. C’est l’expérience que fera aussi St Jean en ce « Jour du Seigneur », puisqu’il lui sera donné « en Esprit »[1] de voir le Christ Ressuscité et de vivre un moment d’une particulière intensité avec Lui. Les circonstances mêmes de cette manifestation sont donc un appel lancé à toute l’Eglise pour qu’elle reste fidèle à ce rendez-vous du Dimanche que le Ressuscité ne cesse de lui adresser. Si elle répond à son invitation, « en Esprit », dans l’invisible de la foi, « les yeux illuminés du cœur » reconnaîtront la Présence du Vivant venu offrir sa Vie à tous ceux et celles qu’il aime appeler « ses frères » (Ep 1,17-18 ; Jn 10,10 ; 5,40 ; 1,12‑13 ; 20,17 ; Hb 2,11)…
Jean entend donc une voix « derrière lui ». Pour « regarder cette voix qui lui parlait », il doit « se retourner », un verbe qui évoque la notion de repentir (Ac 3,19 ; 9,35 ; 11,21 ; 14,15 ; 15,19 ; 26,17-18). En effet, pour regarder Celui qui est le Bien et la Source de tout Bien, il faut se détourner du mal, crucifier son égoïsme, choisir le Bien et « se retourner » vers Lui. Cet appel à la conversion est donc suggéré par cette manifestation du Christ « derrière » St Jean qui, librement, doit « se retourner » pour rencontrer Celui, qui, le premier, est venu le rejoindre… Et c’est ce même mouvement que nous avons tous à faire si nous désirons rencontrer le Christ à notre tour et recevoir le don de sa Vie (Ga 2,19-20 ; 2Co 4,10-12 ; Ph 3,10-11)… C’est pourquoi, l’Eglise nous invite au début de chaque Eucharistie, à nous reconnaître pécheurs, à nous détourner du mal pour nous tourner de tout cœur vers le Christ Ressuscité Présent au milieu de l’Assemblée : « Si deux ou trois sont réunis en mon Nom, je suis là au milieu d’eux » (Mt 18,20)…
C’est ce que vit ici St Jean « en Esprit » et par l’Esprit. Ce travail de l’Esprit est encore suggéré par la notion de « voix ». En effet, Jésus est ce Fils que le Père a envoyé dans le monde pour nous donner sa Parole (Jn 17,7-8 ; 12,50). Et quand le Fils dit aux hommes ce qu’il a entendu auprès de son Père (Jn 8,26), l’Esprit, silencieusement, joint « sa voix » à la sienne pour lui rendre témoignage (Jn 15,26). Jésus disait ainsi à Nicodème : « L’Esprit (ou « le vent », même mot grec) souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va » (Jn 3,8). « En Esprit », St Jean entend ici « la voix » de l’Esprit, et lorsqu’il se retourne « pour regarder la voix qui lui parlait », qui voit-il ? Non pas l’Esprit, mais le Christ Jésus, celui qui « prononce les Paroles de Dieu et donne ainsi l’Esprit sans mesure » (Jn 3,34)… Cette « voix » est donc celle de Dieu Lui-même qui parle par son Fils et par l’Esprit (Mc 9,37 ; Jn 8,42-47). L’image de « la trompette » le souligne encore en renvoyant par exemple à l’épisode de Moïse montant au sommet de la montagne du Sinaï : « Dès le matin, il y eut des coups de tonnerre, des éclairs et une épaisse nuée sur la montagne, ainsi qu’un très puissant son de trompe et, dans le camp, tout le peuple trembla. Moïse fit sortir le peuple du camp, à la rencontre de Dieu, et ils se tinrent au bas de la montagne. Or la montagne du Sinaï était toute fumante, parce que le Seigneur y était descendu dans le feu ; la fumée s’en élevait comme d’une fournaise et toute la montagne tremblait violemment. Le son de trompe allait en s’amplifiant ; Moïse parlait et Dieu lui répondait dans le tonnerre » (Ex 19,16-19)… Mais maintenant, ce n’est plus Dieu qui parle à Moïse pour lui donner les Dix Paroles de l’Alliance, mais le Christ qui vient révéler les Mystères de l’Alliance Nouvelle et Eternelle qu’il est venu conclure avec tous les hommes en s’offrant pour eux sur le bois de la Croix (Mc 14,23-24). Et c’est cette même « trompette » qui annoncera son retour au dernier jour (1Th 4,16-17 ; Mt 24,30-31 ; 1Co 15,52)…
Si St Jean reçoit cette Révélation, il en est certes le premier bénéficiaire… Mais il ne doit pas la garder pour lui-même. Comme St Paul, il est appelé à devenir « le serviteur et le témoin de la vision » dans laquelle il vient de voir le Christ (Ac 26,16). Jésus l’invite donc à écrire « ce qu’il voit dans un livre pour l’envoyer aux sept Eglises ». Tous les noms cités renvoient à l’Asie Mineure, l’actuelle Turquie. Mais le chiffre « sept », symbole de perfection, n’a pas été choisi au hasard : c’est toute l’Eglise Universelle qui est invitée à recevoir le témoignage de Jean…
Dès qu’il se retourne, St Jean vit « sept candélabres d’or »… La description fait aussitôt penser au Temple de Jérusalem où « dix candélabres d’or » était disposés dans la première pièce où seuls les prêtres pouvaient entrer, « le Saint » ou « le Hékal », « cinq à droite et cinq à gauche ». Ils devaient ainsi briller devant « le Saint des Saints », « le Débir », cette seconde pièce carrée où Dieu, pensait-on, habitait (2Ch 4,7.20). Mais ici « les sept candélabres d’or » sont « les sept Eglises », qui, elles-mêmes renvoient à l’Eglise Universelle. Et c’est « au milieu » des « sept candélabres d’or » que St Jean verra « comme un Fils d’Homme ». Le Temple Nouveau de l’Alliance Nouvelle n’est donc pas un Temple fait de pierres et de bois précieux ; il est l’Eglise elle-même, la communauté des croyants. Et c’est au milieu d’elle que se tient le Christ Ressuscité. Et dans l’Evangile de Jean, le Christ est lui-même présenté comme le Temple de Dieu. « Détruisez ce Temple, et en trois jours, je le relèverai », disait-il. Et si ses interlocuteurs pensaient au Temple de Jérusalem, St Jean précise : « Mais lui parlait du Sanctuaire de son Corps » (Jean 2,18-21). Jésus est en effet « le Temple de Dieu », car « le Père demeure en lui », « Il est en lui » ; « qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14,5-11 ; 17,21 ; cf. Col 2,9). Et la communauté chrétienne rassemblée dans l’Esprit est elle-même le Temple du Christ, « la demeure de Dieu » : « La construction que vous êtes a pour fondations les apôtres et les prophètes, et pour pierre d’angle le Christ Jésus lui-même. En lui toute construction s’ajuste et grandit en un temple saint, dans le Seigneur ; en lui, vous aussi, vous êtes intégrés à la construction pour devenir une demeure de Dieu, dans l’Esprit » (Ep 2,20‑22 ; 2Co 6,16). Et le Christ présent au milieu d’elle rejoint chaque croyant en son cœur, des croyants que St Paul appelle des « Temples de Dieu », car « l’Esprit de Dieu », « l’Esprit du Christ », « habite en eux » (1Co 3,16-17 ; 6,19 ; Rm 8,9.11 ; Ep 3,17).
Dans ce Mystère de Communion mis en œuvre par le Christ, grâce à son Amour de Miséricorde, son Pardon continuellement offert, les chrétiens participent donc dès maintenant aux arrhes du Royaume par le don de « l’Esprit de la Promesse » : « Dieu l’a ressuscité, ce Jésus ; nous en sommes tous témoins. Et maintenant, exalté par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit Saint, objet de la promesse, et l’a répandu ». Ce don de l’Esprit accomplit en effet toutes les Promesses faites par Dieu dans l’Ancienne Alliance (Ac 2,32-33 ; 2,38-39 ; Ga 3,13‑14 ; Ep 1,13-14 ; 2Co 1,22). Or, « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), sa nature divine est Esprit. Ainsi, par le Christ, « les précieuses, les plus grandes promesses nous ont été données, afin que vous deveniez ainsi participants de la divine nature, vous étant arrachés à la corruption qui est dans le monde, dans la convoitise » (2P 1,4). Or, dans le Livre de l’Apocalypse, tout ce qui touche à Dieu, à son « insondable richesse » (Ep 3,8), est présenté avec l’image de l’or : « la ceinture en or » du Christ (Ap 1,13) et celle des Anges (Ap 15,6), « les coupes d’or pleines de parfums » utilisées dans la liturgie céleste (Ap 5,8 ; cf. 15,7), « la pelle en or » de l’Ange qui offre les parfums « sur l’autel d’or placé devant le trône » de Dieu (Ap 8,3-5 ; 9,13), « le roseau d’or » qui sert à mesurer la Jérusalem céleste (Ap 21,15), une ville qui elle-même est en « or pur » (Ap 21,18.21). Ainsi, cet « or » renvoie quelque part à ce que Dieu Est en Lui‑même, à sa nature divine « Esprit », un Esprit qu’il désire communiquer à tous les hommes pour leur donner d’avoir part à ce qu’Il Est (Ap 3,18)… Et c’est là, dans l’Esprit, qu’ils trouveront leur Plénitude (Ep 5,18). Les « vieillards », c’est-à-dire tous les croyants, tous les hommes de bonne volonté des générations précédentes, sont représentés au ciel avec des « couronnes d’or » sur la tête, tout comme le Fils de l’Homme Lui-même (Ap 4,4 ; 14,14). Ils participent donc à sa Lumière qui règne sur les ténèbres (Jn 1,4-5), à sa Vie qui règne sur la mort, et donc à cette Royauté divine du seul Dieu et Roi de l’univers (Mt 19,28 ; Ap 1,5 ; 5,10)… C’est ainsi que, déjà, dans la foi et par sa foi, les Eglises sont associées à la Plénitude de Dieu et du Christ (Col 2,9-10). C’est pourquoi, si celle-ci est évoquée avec l’image de l’or, les Eglises sont-elles mêmes présentées comme étant « des candélabres d’or »…
De plus, « l’or » de cette nature divine qui est « Esprit » peut aussi être décrit en terme de « Lumière », car si « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), il est aussi « Lumière » (1Jn 1,5). C’est pourquoi, tous ceux et celles qui autrefois étaient ténèbres par suite de leurs fautes sont maintenant, par la grâce du baptême et le don de l’Esprit Saint, « Lumière dans le Seigneur »[2]. « En se conduisant en enfants de Lumière », « leur Lumière brillera devant les hommes qui rendront gloire à votre Père qui est dans les cieux » (Ep 5,8-9 ; Mt 5,14-16). Ces « candélabres d’or » doivent donc porter dans le monde la Lumière de Celui-là seul qui est « Lumière du Monde » (Jn 1,4-5.9 ; 8,12 ; 9,5 ; 12,35-36.46 ; Mt 17,2 ; Lc 1,76-79 ; 2,25-32 ; Ac 9,3‑5 ; 2Co 4,6), Celui qui est venu appeler tous les hommes à participer le plus pleinement possible à « la Lumière de sa Vie »… S’ils acceptent de se convertir pour la recevoir, heureux seront-ils (Col 1,12-14 ; Lc 6,20-23 ; Mt 5,1‑12 ; Lc 2,10-11 ; 19,6 ; 10,21 avec Jn 15,11 et 1Th 1,6 ; Ga 5,22 ; Rm 14,17)…
« Au milieu » des « sept candélabres d’or », au cœur de l’Eglise, St Jean voit maintenant « comme un Fils d’homme » : le Christ. Et s’il est décrit « comme » un Fils d’homme, c’est à la fois parce qu’il est vrai homme, mais aussi beaucoup plus qu’un homme : il est vrai Dieu, « engendré non pas créé, de même nature que le Père » (Crédo). « Engendré » de toute éternité par le Père, il est ce Fils Unique qui se reçoit entièrement du Père par l’Esprit Saint (Jn 5,26 et 6,57 avec 6,63). Son humanité n’échappe donc pas à cette dynamique : il l’a bien reçue de son Père par l’action de l’Esprit Saint en Marie (Lc 1,35). Ainsi, il est bien « vrai homme », et quiconque le voyait pensait tout naturellement que Joseph était son père : « Il était, à ce qu’on croyait, fils de Joseph » (Lc 3,23)… Mais non, Jésus vrai homme est tout entier le Fils du Père, et il est en même temps vrai Dieu, une Personne divine qui existe depuis toujours et pour toujours… « Au commencement était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu » (Jn 1,1 ; 8,24.27.58 ; 20,28 ; Ph 2,6.9 ; Col 2,9 ; Tt 2,11‑13 ; 2P 1,1).
La figure du « Fils de l’Homme » vient du Livre de Daniel. En effet, si St Jean a écrit : « je vis… comme un Fils d’homme revêtu d’une longue robe serrée à la taille par une ceinture en or », on peut lire en Daniel 10,5 : « Je levai les yeux pour regarder. Voici : Un homme vêtu de lin, les reins ceints d’or pur ». Et en Daniel 7,9-14, il avait eu la vision d’un Ancien (Dieu le Père), assis sur son Trône : « Tandis que je contemplais : Des trônes furent placés et un Ancien s’assit. Son vêtement, blanc comme la neige ; les cheveux de sa tête, purs comme la laine. Son trône était flammes de feu, aux roues de feu ardent. Un fleuve de feu coulait, issu de devant lui. Mille milliers le servaient, myriade de myriades, debout devant lui. Le tribunal était assis, les livres étaient ouverts… Je contemplais, dans les visions de la nuit : Voici, venant sur les nuées du ciel, comme un Fils d’homme. Il s’avança jusqu’à l’Ancien et fut conduit en sa présence. À lui fut conféré empire, honneur et royaume, et tous les peuples, nations et langues le servirent. Son empire est un empire éternel qui ne passera point, et son royaume ne sera point détruit ».
Dieu est donc présenté comme le Roi de l’Univers visible et invisible… Le « blanc » de son vêtement comme celui des cheveux de sa tête, « purs comme la laine », renvoie au Mystère de sa Nature divine, car dans la Bible, les vêtements, tout comme les attributs d’une personne, disent quelque chose de ce qu’elle est… Ainsi lorsque Jonathan, le fils du roi Saül, donne à David le berger « son manteau, sa tenue, son arc, son épée, son ceinturon », il l’élève à son rang de prince (1Sm 18,1‑4)… Or dans le Livre de Daniel, c’est l’Ancien, c’est-à-dire Dieu le Père, qui a les cheveux comme de la laine blanche. Mais dans le Livre de l’Apocalypse, c’est ce que St Jean dit du Fils de l’Homme, de Jésus ! Ce transfert de l’Ancien au Fils de l’Homme suggère que le Fils de l’Homme « Est » ce que l’Ancien « Est »… Ainsi, Jésus est « Dieu » comme son Père est « Dieu »…
On peut tirer la même conclusion à partir des « yeux » du Christ qui sont « comme une flamme ardente ». En effet, « le feu » exprime souvent dans l’Ancien Testament le Mystère de Dieu. Dans le Livre de Daniel, « son trône était flammes de feu, aux roues de feu ardent. Un fleuve de feu coulait, issu de devant lui » (Dn 7,9-10), issu de lui en fait car « le Seigneur Dieu est un feu dévorant » (Dt 4,24), le feu de l’Amour (1Jn 4,8.16). Le Fils de l’Homme participe donc à ce Feu qui caractérise le Mystère de Dieu (cf. Jn 4,24 avec Mt 3,11 ; Ac 2,1-4 ; Lc 12,49 ; 24,32 ; Gn 15,17‑18 ; Ex 3,2.13‑15; 19,18 ; Dt 4,12; 5,4.22.24 ; 9,10).
De même, St Jean nous dit que la voix du Christ « était comme la voix des grandes eaux » (Ap 1,15). Et dans le Livre d’Ezéchiel, c’est Dieu, sous-entendu le Père, qui parle ainsi : « comme le bruit des grandes eaux, comme la voix de Shaddaï » (Ez 1,24 ; 43,2). Le Fils de l’Homme parle ainsi comme le Père, car il est Dieu comme le Père est Dieu…
Et encore lorsque nous lisons que « son visage » est « comme le soleil qui brille dans tout son éclat » (Ap 1,16), c’est Dieu qui dans les Psaumes est présenté comme un Soleil : « Le Seigneur Dieu est un Soleil, il est un Bouclier ; le Seigneur donne la grâce, il donne la Gloire » (Ps 84(83),12). Nous avons donc ici une nouvelle affirmation indirecte de la divinité du Fils de l’Homme, qui de fait, sera présenté dans les Evangiles comme « la Lumière du monde » (Jn 1,4-5.9 ; 8,12 ; 9,5 ; 12,35-36.46 ; Mt 17,2 ; Lc 1,76-79 ; 2,25-32 ; Ac 9,3‑5 ; 2Co 4,6), et « Dieu seul est Lumière » (1Jn 1,5)…
La même conclusion pourrait encore être tirée de Dn 7,9-14, où Dieu le Roi de l’Univers « confère » au Fils de l’Homme « empire, honneur et royaume », et « son empire est un empire éternel ». Or Dieu seul est éternel…
Notons enfin que dans le Livre de Daniel, ce Royaume sera aussi conféré « aux saints du Très Haut », et telle est bien l’œuvre du Christ Roi qui est venu élever à sa dignité royale tous ceux et celles qui accepteront de l’accueillir… « Ceux qui recevront le royaume sont les saints du Très-Haut, et ils posséderont le royaume pour l’éternité, et d’éternité en éternité… Le temps vint et les saints possédèrent le royaume » (Dn 7,18-22). Et Jésus dira à ses disciples : « Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père s’est complu à vous donner le Royaume ». En effet, de par la volonté du Père, « je dispose pour vous du Royaume, comme mon Père en a disposé pour moi : vous mangerez et boirez à ma table en mon Royaume, et vous siégerez sur des trônes pour juger les douze tribus d’Israël » (Lc 12,32 ; 22,29-30). Les disciples de Jésus seront donc rois comme Jésus est Roi. Ils participeront pleinement à sa Royauté. Et la Royauté du Christ est une Royauté de Service. « Je suis au milieu de vous comme Celui qui sert » (Lc 22,27), agenouillé aux pieds des hommes pour les purifier (Jn 13,1-5), portant leurs péchés sur le bois de la Croix (1P 2,24), et mourant de leur mort pour qu’ils puissent vivre de sa Vie (Rm 6,1-11)…
La « longue robe » de Jésus suggère aussi qu’il est Grand Prêtre (Ex 28,4 ; 29,5 ; Za 3,4), un honneur qu’il ne s’est pas donné à Lui-même, mais qu’il a, une fois de plus, reçu de son Père (Hb 5,5)… Le Fils reçoit tout du Père… Et « il est devenu en tout semblable à ses frères, afin de devenir dans leurs rapports avec Dieu un Grand Prêtre miséricordieux et fidèle, pour expier les péchés » du monde entier (Hb 2,17 ; 4,15-16). En effet, en « s’offrant lui-même » sur la Croix (Hb 7,26-27), il a offert pour les péchés « un unique sacrifice » (Hb 10,11-12), le sien, par lequel il nous sauve et nous associe au Mystère de sa Dignité en faisant de nous « une Royauté de Prêtres » (Ap 1,6 ; 5,10)…
« Dans sa main droite », la main de la force et de la puissance, celle qui tient l’épée au combat (Ex 15,6.12 ; Ps 17(16),7 ; 18(17),36 ; 21(20),9 ; 44(43),2-4 ; 60(59),7 ; 63(62),7-9 ; 108(107),7 ; 138(137),7-8), « il a sept étoiles », et ces étoiles sont « les Anges des sept Eglises ». Aucune précision supplémentaire ne nous est donnée… Qui sont ces Anges ? Certains pensent aux Evêques, ministres responsables des communautés chrétiennes. D’autres rappellent certaines croyances de l’époque qui croyaient qu’un Ange particulier avait pour mission de protéger chaque cité. A travers la figure de l’Ange, ce serait donc toute la communauté chrétienne qui serait concernée. Cette interprétation rejoint la précédente au sens où l’Evêque a reçu la charge de veiller sur la communauté qui lui a été confiée… Ainsi donc, toute l’Eglise vue dans son ensemble ou considérée à travers ses Pasteurs, est « dans la main droite » du Christ qui la protège et veille sur elle avec la Puissance de l’Esprit Saint. Cette présentation rejoint la promesse de Jésus à St Pierre : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les Portes de l’Hadès ne tiendront pas contre elle » (Mt 16,18). Ainsi quelles que soient ses épreuves, quelles que soient les persécutions qu’elle subit, les disciples du Christ Ressuscité sont invités à vivre dans la confiance. Leur sort, leur vie est « dans sa main droite », et le Christ va veiller sur eux avec la Toute Puissance de son Esprit. Si les vagues se soulèvent, si la tempête fait rage, le Ressuscité est toujours au cœur de sa communauté, Lui qui a reçu tout pouvoir de son Père, Lui qui a été élevé par le Père au plus haut des Cieux et qui domine ainsi toute Puissance et toute Principauté (Jn 6,16‑21 ; Mt 14,22-33 ; 28,18-20 ; Ph 2,9-11 ; Ep 1,22-23)… Rien ne pourra l’empêcher d’agir selon sa volonté et d’atteindre le but qu’il s’est fixé… Sa Lumière brille dans les ténèbres et celles-ci ne peuvent pas la saisir (Jn 1,4-5). Sur Lui le démon n’a aucun pouvoir (Jn 14,30). Sa Vie triomphe de toute forme de mort… Unis à Lui par la grâce de notre baptême et par la prière, nous pouvons compter en toute confiance sur son Amour de Miséricorde et nous appuyer sur la Force de son Esprit… Il nous suffit de veiller à « demeurer en Lui », « dans sa main droite », car « hors de Lui, nous ne pouvons rien faire » (Jn 15,4-5)… Et si par malheur nous venions à nous égarer, laissons nous vite reprendre par le Bon Pasteur qui cherche sa brebis perdue jusqu’à ce qu’il la retrouve (Lc 15,4-7)… Et sa Miséricorde nous ramènera vite « en Lui » (1Jn 2,1‑2 ; 3,19-20 ; Rm 9,16)…
« De la bouche » du Fils de l’Homme « sort une épée acérée à double tranchant », la Parole de Dieu (Hb 4,12). Elle est à double tranchant car tous sont égaux devant elle, aussi bien celui qui la prononce que celui qui l’écoute. L’important, en effet, n’est pas de proclamer la Parole de Dieu, mais de la vivre (Mt 7,21-27). Et cette Parole nous presse tous à nous convertir, à nous détourner vraiment du mal, à mourir par la grâce de Dieu à tous nos égoïsmes (Tt 2,11-14), pour recevoir le Pardon de toutes nos fautes (Lc 5,20 ; 1,76-79 ; 24,46-48) et être ainsi comblé de toutes les richesses de grâce dont le péché nous avait privées (Rm 3,23 avec Jn 17,22‑23 ; Rm 6,23). Et ces richesses sont Vie (Jn 10,10 ; 6,47 ; 1Jn 5,13), Lumière (Jn 12,46 ; 8,12), Paix (Jn 14,27), Joie (Jn 15,11)… en un mot participation à l’Etre de Celui là seul qui s’appelle « Je Suis » (Ex 3,14 ; Col 2,9-10)… Et la Parole de Dieu sera aussi l’arme qui nous permettra de sortir victorieux du combat contre le mal, grâce à la Puissance de l’Esprit Saint qui se joint sans cesse à elle (Lc 4,1-13 ; Ep 6,17).
Face à la Révélation de ce Mystère de Dieu en Jésus Christ, l’homme ne peut que faire l’expérience de sa faiblesse et de sa misère, car la Lumière de Vérité l’éclaire jusqu’au plus profond de son être blessé par le péché. Et « le salaire du péché, c’est la mort ». Aussi, St Jean commence-t-il, en Présence du Christ, par « tomber à ses pieds, comme mort » (Ap 1,17). St Paul vivra la même expérience lorsqu’il verra le Christ Ressuscité sur la route de Damas : il tombera à terre (Ac 9,3-6 ; 22,6-11 ; 26,12-18)… Mais le Fils est venu dans le monde, non pas pour le condamner mais pour le sauver et lui donner d’avoir part à sa Vie éternelle (Jn 3,16-17 ; 10,10). « Le don gratuit de Dieu », écrit en effet St Paul, « c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus » (Rm 6,23). Aussi le Christ va-t-il poser sur lui sa main, comme il le fit autrefois pour la belle-même de Simon Pierre. Elle était au lit avec la fièvre, couchée comme une morte, symbole de cette humanité souffrante blessée par le péché. Mais « s’approchant, il la fit se lever en la prenant par la main. Et la fièvre la quitta » (Mc 1,29-31). Ici, le Christ fait de même pour Jean : « il posa sur moi sa main droite », la main de la force, de la puissance. Par ce geste, il manifeste de façon visible ce qu’il fait dans l’invisible des cœurs : il s’approche, communique la Puissance de l’Esprit Saint, et les pécheurs blessés se lèvent pour une vie nouvelle soutenue et rendue possible par le Mystère de cet Esprit qui purifie et Vivifie…
Et de nouveau, la Parole du Christ va nous suggérer le Mystère de sa Divinité. « Ne crains pas » commence-t-il par dire. Il parle comme Dieu Lui-même dans l’Ancien Testament lorsqu’il se manifeste aux hommes (Gn 15,1 ; Nb 21,34 ; Is 41,10.13.14 ; 43,1.5 ; 44,2 ; Jr 30,10 ; 46,28 ; So 3,16-17 ; Mt 1,20 ; Lc 1,30). « Ne crains pas »… Comme Dieu son Père, le Fils de l’Homme ne recherche que notre Bien, notre Vie et notre Salut. Avec Lui, « l’Emmanuel, Dieu-avec-nous » (Mt 1,23), c’est d’ailleurs Dieu Lui-même qui nous rejoint pour nous sauver : « Je Suis le Premier et le Dernier ». Avec cette affirmation, nous avons en effet à nouveau, et par deux fois, une affirmation de la divinité du Christ. En effet, « le Premier et le Dernier » ou « l’Alpha et l’Oméga », première et dernière lettre de l’alphabet grec, sont des noms divins dans l’Ancien Testament (Is 41,4 ; 44,6), et d’ailleurs en Ap 1,8, Dieu Lui-même s’était ainsi présenté : « Je Suis l’Alpha et l’Oméga ». Et à la fin du Livre, il dira encore : « Je Suis l’Alpha et l’Oméga, le Principe et la Fin ; celui qui a soif, moi, je lui donnerai de la source de vie, gratuitement. Telle sera la part du vainqueur ; et je serai son Dieu, et lui sera mon fils » (Ap 21,6-7)[3]. De plus, en Ap 1,8 comme ici en Ap 1,17, « Je Suis » est écrit avec cette forme particulière que l’on retrouve en Ex 3,14 lorsque Dieu révèle son Nom à Moïse : « Je Suis »… Ainsi, Jésus peut dire, comme Dieu son Père, non seulement « Je Suis », mais aussi, « Je Suis le Premier et le dernier » (cf. Ap 2,8 ; 22,13)… Et cela, Dieu seul peut le dire… Il est donc Dieu comme son Père est Dieu…
Mais avec le Fils, c’est Dieu qui va se faire homme et vivre notre vie. Et par amour, il prendra sur Lui le péché du monde, il sera blessé de nos blessures, il mourra de notre mort, « je fus mort »… « Père, en tes mains je remets mon esprit » (Lc 23,46)… Et le Père répondra à la confiance de son Fils : il le ressuscitera d’entre les morts par la Puissance de l’Esprit Saint. « Me voici vivant pour les siècles des siècles »… « Et maintenant, exalté par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit Saint, objet de la promesse, et l’a répandu » (Rm 1,1‑7 ; 8,11 ; Ac 2,22-24.32-33 ; 3,14-15.26 ; 4,10 ; 5,30-31). Et cet Esprit de Vie a la puissance d’arracher à toutes nos morts tous ceux et celles qui se confient en lui… C’est ainsi que, dès maintenant, dans la foi, et pour toujours, le Christ « détient la clé de la mort et du séjour des morts, l’Hadès » (Ap 1,18). Il est « la Résurrection et la Vie » (Jn 11,25), « le Prince de la Vie » (Ac 3,15) et l’amoureux de la vie. Aussi, Ressuscité, ne cesse-t-il pas de frapper à la porte de tous les cœurs de bonne volonté (Ap 3,20) pour leur proposer gratuitement cette Vie victorieuse de la mort (Jn 5,24-25) qui fera d’eux des vivants et les entraînera sur les chemins de la Vie en Plénitude et donc du Bonheur… Heureux alors tous ceux et celles qui oseront lui ouvrir la porte, car il est venu pour que nous ayons la Vie et que nous l’ayons en surabondance (Jn 10,10)…
D. Jacques Fournier
[1] Traduction littérale du début du verset 10 : « Il advint en Esprit, le Jour du Seigneur »…
[2] Noter le singulier employé par St Paul. Chaque croyant reçoit le même baptême, le même don de l’Esprit, la même Lumière (Ep 4,4-6)… Et tous ensemble « dans le Seigneur », unis au Christ dans la Communion d’un même Esprit, ils sont « Lumière »… L’Eglise est ainsi « le Corps du Christ » (1Co 12,12‑13.27), ce Christ qui est « Lumière du Monde » (Jn 8,12)…
[3] Et Jésus parlera de même en Jn 7,37-39 : « Le dernier jour de la fête, le grand jour, Jésus, debout, s’écria : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et il boira, celui qui croit en moi! » selon le mot de l’Écriture : De son sein couleront des fleuves d’eau vive. Il parlait de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui avaient cru en lui »… On perçoit par ces exemples l’unité du Père et du Fils (Jn 10,30), qui, bien que différents, disent la même chose et accomplissent la même œuvre de Salut…