L’appel de Dieu, avec l’exemple de Nathanaël (Jn 2,43-51) – D. Jacques Fournier

Dans l’Evangile selon St Jean, l’appel de Nathanaël conclut, à la fin du premier chapitre, l’épisode où Jésus appelle ses cinq premiers disciples (Jn 1,35-51).

Et cet épisode avait commencé par la répétition d’une déclaration de Jean Baptiste, qui, « regardant Jésus qui passait, déclara : « Voici l’Agneau de Dieu » » (Jn 1,36). Quelques versets auparavant, il avait en effet déjà dit au moment où Jésus apparaît pour la première fois dans l’Evangile : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29).

Cette déclaration est donc tout spécialement importante car elle donne le contexte général non seulement de l’appel des cinq premiers disciples qui suit immédiatement, mais encore de tout l’Evangile. Jésus est « l’Agneau de Dieu », une image toute de douceur, de délicatesse, de fraicheur, de fragilité, de tendresse… « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur », dira-t-il en St Matthieu (Mt 11,29). Mais cette image de l’agneau renvoie aussi à la figure du Serviteur souffrant en Isaïe, qui, « comme l’agneau, se laisse conduire à l’abattoir, offrant sa vie en sacrifice pour justifier les multitudes ; il s’est ainsi livré lui-même à la mort, il a été compté parmi les criminels, alors qu’il portait le péché des multitudes et qu’il intercédait pour les criminels » (Is 52,13-53,12). Ainsi, Jésus « est l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » en le prenant sur lui. Alors « qu’il n’avait pas commis de faute et que l’on n’avait trouvé dans ses paroles aucun mal, il a porté lui-même nos fautes en son corps » (1P 2,21-25) pour nous sauver : par amour pour chacun d’entre nous, il s’est uni à nos ténèbres pour que, si nous l’acceptons, nous puissions être unis à sa Lumière. Il est mort de notre mort pour que nous puissions vivre de sa vie. Jour après jour, il nous offre le pardon de tous nos péchés, dont le salaire est « la mort », nous dit St Paul, pour que nous puissions vivre de sa vie : « Le salaire du péché, c’est la mort; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 6,23). Jésus est vraiment cet « Astre d’en Haut qui nous a visités dans les entrailles de miséricorde de notre Dieu pour nous donner de connaître le salut par la rémission de nos péchés » (Lc 1,76-79)…

Et nous sommes tous des pécheurs, d’une manière ou d’une autre… « Juifs et Grecs, tous sont soumis au péché… Il n’est pas de juste, pas un seul » (Rm 3,9). C’est pourquoi Jésus déclare en St Luc : « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, au repentir » (Lc 5,31-32). L’appel de Jésus est donc avant tout une expérience de Miséricorde, et il n’y a pas, me semble-t-il, de plus grand bonheur que de vivre ce « je t’aime » au cœur même de notre misère…

C’est ce que déclare St Paul dans la première Lettre à Timothée : « Moi qui étais naguère un blasphémateur, un persécuteur, un insulteur, il m’a été fait miséricorde… Elle est sûre cette parole, et digne d’une entière confiance : le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis, moi, le premier… Et s’il m’a été fait miséricorde, c’est pour qu’en moi, le premier, Jésus Christ manifestât toute sa patience faisant de moi un exemple pour celles et ceux qui doivent croire en lui en vue de la vie éternelle » (1Tm 1,12-17).

 

Telle fut aussi l’expérience de Pierre, au jour de la pêche miraculeuse, lorsqu’il commença à pressentir « qui » était Jésus : « Eloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur » (Lc 5,1-11). Mais c’est surtout ce que Jésus ne fera pas… Bien au contraire, c’est en ce moment précis qu’il va le conforter dans sa vocation : « Désormais, ce sont des hommes que tu prendras » en étant, pour eux, un témoin de « la Miséricorde Toute Puissante » de Dieu (Lc 1,49-50). On se souvient de la première phrase du Pape François lorsqu’on lui annonça son élection : « Je suis un homme pécheur. Vous m’avez élu, ou plutôt Dieu m’a choisi : j’accepte ». Ste Thérèse de Lisieux, quant à elle, commence son livre, « Histoire d’une âme » en déclarant : « Je ne vais faire qu’une seule chose : Commencer à chanter ce que je dois redire éternellement,  «Les Miséricordes du Seigneur !!! »

Voilà ce que Ste Thérèse de Lisieux a avant tout découvert avec « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde »… Quelques années plus tard, au Carmel de Dijon, Ste Elisabeth de la Trinité écrira : « Il n’y a qu’un mouvement au cœur du Christ : effacer le péché et emmener l’âme à Dieu ». C’est exactement ce qu’ont vécu les deux premiers disciples de Jésus en St Jean : « Maître, où demeures-tu ? » lui demandent-ils. « Venez et vous verrez », répond Jésus. « Ils allèrent donc, ils virent où il demeurait et ils restèrent auprès de lui ce jour-là ». Or, ce verbe « venir » a un double sens en St Jean. Il nous est donné par le parallèle employé en Jn 6,35 : « Je suis le Pain de Vie », dit Jésus. « Qui vient à moi n’aura jamais faim, qui croit en moi n’aura jamais soif ». Autrement dit, « venir à » Jésus, en St Jean, c’est « croire en lui ». De plus, où Jésus « demeure-t-il » ? Certes, dans la maison de Pierre, à Capharnaüm, mais aussi, pour reprendre une de ses expressions « dans la maison de mon Père » (Jn 14,2) ; « je suis dans le Père et le Père est en moi » (Jn 14,11), autrement dit, je suis uni au Père dans la communion d’un même Esprit, d’une même Lumière, d’une même Vie… Alors, « venez et vous verrez », « croyez et vous verrez ». Et ce « voir » est le fruit de sa Miséricorde agissant en nous… « Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris » (Lc 7,22). Alors, tout comme « l’Astre d’en Haut nous a visités dans les entrailles de miséricorde de notre Dieu », jour après jour, aujourd’hui encore, il continue de le faire : « Je ne vous laisserai pas orphelins », nous promet-il, « je viendrai vers vous. Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus. Mais vous, vous verrez que je vis et vous vivrez vous aussi. Ce jour là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, et vous en moi et moi en vous » (Jn 14,18‑20). Autrement dit, vous serez vous aussi avec moi dans la Maison du Père… « Je ne vois pas bien ce que j’aurai de plus après la mort que je n’ai déjà en cette vie. Je verrai le Bon Dieu, c’est vrai ! Mais pour être avec Lui, j’y suis déjà tout à fait sur la terre » (Ste Thérèse de Lisieux).

« Etre avec Jésus », tel est bien le grand cadeau qu’il nous est possible de vivre grâce à celui qui ne cesse de venir à nous et de frapper à la porte de nos cœurs (Ap 3,20), gratuitement, par amour… St Marc le dit également lorsqu’il nous raconte l’appel des Douze : « Jésus gravit la montagne et il appelle à lui ceux qu’il voulait. Ils vinrent à lui, et il en institua Douze pour être ses compagnons et pour les envoyer prêcher » (Mc 3,13-14).

Dans l’évangile de Jean, cet appel se fait ou bien directement, ou par l’intermédiaire d’autres disciples… Ainsi, André et très certainement St Jean lui-même s’étaient mis à suivre Jésus après avoir entendu Jean Baptiste déclarer à son sujet : « Voici l’Agneau de Dieu »… André avait ensuite « trouvé Simon, son propre frère » et il l’avait « emmené à Jésus ». Et avant même que les présentations ne soient faites, « Jésus posa son regard sur lui et dit : « Tu es Simon, fils de Jean ; tu t’appelleras Képhas » – ce qui veut dire Pierre. » Puis, Jésus avait « trouvé » directement Philippe, et lui avait dit : « Suis-moi. » Et juste après, c’est au tour de Philippe de « trouver » Nathanaël, et alors même qu’il n’était pas présent quand Jésus avait appelé ses deux premiers disciples et qu’il leur avait dit « Venez, et vous verrez », Philippe dit à Nathanaël exactement les mêmes paroles que Jésus : « Viens et vois ! ». « Qui vous écoute m’écoute », dit Jésus en St Luc (Lc 10,16). Autrement dit, Nathanaël, avec Philippe, vit exactement la même chose qu’André et Jean avec Jésus, et dans les deux cas, c’est en fait le Père lui-même qui agit dans les cœurs : « Nul ne peut venir à moi, dit Jésus, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire » (Jn 6,44). Et cette expérience se poursuit aujourd’hui lorsque l’Eglise « Corps du Christ » nous appelle à le suivre nous aussi…

Enfin, Jésus déclare à Nathanaël : « Je te dis que je t’ai vu sous le figuier, et c’est pour cela que tu crois ! Tu verras des choses plus grandes encore. » Or, juste après, Nathanaël sera présent à ces Noces de Cana où il verra Jésus, à l’invitation de la Vierge Marie, transformer plus de 700 litres d’eau en « bon vin », un « bon vin » qui symbolise en St Jean le Don de l’Esprit Saint… Alors, c’est ce « bon vin » que nous pouvons nous souhaiter les uns aux autres, un « bon vin » qui est donné « sans modération » et qui, déjà, dans la foi, nous donne de pressentir « quelque chose » de ce vrai Bonheur auquel Dieu nous appelle tous…

                                                                                                                              D. Jacques Fournier

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