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L’aridiré spirituelle – P. Matta El Maskine

Le jour, j’appelle, et tu ne réponds pas, mon Dieu, la nuit, et je ne trouve pas le repos…

Ma vigueur est comme un tesson, la langue me colle aux mâchoires (Ps 22, 3.16).

L’âme qui fait pour la première fois l’expérience de l’aridité spirituelle se trouble profondément, surtout quand elle s’applique à l’adoration avec assiduité, dévouement et fidélité. Déconcertée de ce qui lui arrive, elle en cherche la raison en fouillant ses défauts.

Mais en réalité, l’aridité spirituelle ne signifie nullement que l’on ait perdu quoi que ce soit de notre bonne relation avec Dieu. C’est une étape importante et nécessaire, pour éduquer l’âme et la préparer à une vie spirituelle plus avancée qui ne soit plus tributaire des facteurs psychologiques ou des satisfactions subjectives.

C’est, en quelque sorte, une nourriture un peu difficile à digérer, mais d’une grande utilité. Ainsi, si nous acceptons de bon gré, avec lucidité et patience, de nous soumettre à cette expérience, si nos âmes ne s’étiolent pas en l’absence de consolations et d’encouragements, mais qu’elles mettent tout leur espoir dans la véracité des promesses divines, alors cette expérience nous fera accéder à la stature des fils parfaits, dignes de cet amour supérieur qui « ne cherche pas son intérêt » (I Co 13, 5), ne se soucie pas de recevoir, mais se contente de donner et de se dépenser.

Si nous examinons cette expérience attentivement, nous trouvons qu’elle ne comporte aucun trouble et qu’elle ne frappe le cœur d’aucune gêne. L’aridité atteint l’âme en ses sentiments et ses émotions sans toucher à la paix, et au calme intérieur ; mais c’est une paix sans chaleur émotive, un calme sans attrait ni satisfaction.

C’est pour cela que cette expérience de l’aridité n’est durement ressentie que par ceux dont l’âme choyée a été habituée aux consolations et aux encouragements, ceux dont la piété se fonde sur le « recevoir » et qui ne considèrent comme preuve de progrès spirituel que les manifestations sensibles.

Le danger de cette étape est que l’homme, commençant à douter et à s’imaginer que sa relation avec Dieu est interrompue, s’arrête finalement de prier ; pourtant cette expérience, dans ses propres limites – c’est-à-dire, l’aridité spirituelle provoquée par la grâce – permet à l’homme de continuer la prière car elle ne le prive pas de la capacité de prier et d’y persévérer ; elle le prive uniquement des consolations secondaires sur lesquelles il s’appuyait.

Si l’homme arrête la prière sous prétexte d’aridité spirituelle et de perte des consolations, il régresse spirituellement et s’expose sans raison à une épreuve néfaste et dangereuse, celle de murmurer contre Dieu.

On se trompe donc si on se trouble en passant par l’étape de l’aridité ; de même qu’il est dangereux d’arrêter de prier sous prétexte de ne plus y trouver de satisfaction. L’aridité est une expérience inhérente à la nature même de la prière, capable, si nous l’accueillons lucidement et de bonne grâce, de nous porter à un degré supérieur, celui de la prière pure qui ne s’appuie pas sur les sentiments, les sensations et les encouragements.

L’homme pourra bien avoir le sentiment que la grâce apparemment l’abandonne, qui lui suffise l’action intérieure et secrète de cette grâce ; qu’il s’appuie alors sur l’impulsion acquise dans sa vie passée avec Dieu. Il s’en contentera pour traverser les premières étapes de cette expérience, jusqu’à ce que son âme apprenne à se fixer en Dieu, sans intermédiaires ni encouragements.

De même, pendant cette expérience, que celui qui chemine sur cette route s’appuie sur les conseils d’un père spirituel dont il suivra avec une grande fidélité les directives. Celles-ci sont, à ce stade, d’une valeur fondamentale. Mais peut-être la recommandation la plus importante et la plus utile est-elle d’accepter avec humilité l’aridité spirituelle, d’accepter d’être traité comme le dernier des hommes, inapte à recevoir les consolations, et même si l’on devait considérer l’aridité comme une correction, cette attitude ne serait pas dépourvue de bienfaits (alors qu’en réalité l’aridité n’est pas une correction, mais une éducation).

A celui qui traverse cette étape, il ne sert à rien de s’arrêter pour analyser sa situation, d’en rechercher les raisons et les causes, et d’essayer de faire des plans pour en sortir en multipliant les veilles, les prières et les jeûnes ; cela est peine perdue et risque de la sortir du champ de la grâce. Par contre, ce qu’il peut faire de mieux, c’est d’accepter l’aridité et de persévérer, attentif et pondéré, dans son œuvre spirituelle, ne ménageant pas ses efforts et sa peine pour poursuivre sa route au même rythme, tel le voyageur sur les pistes du désert que la disparition des plaisirs de la ville ne détourne pas de sa marche dans les profondeurs arides du désert, jusqu’au bout.

L’attitude essentielle en toute expérience spirituelle est de l’accepter comme telle sans aucune arrière-pensée. L’aridité spirituelle est une épreuve spirituelle proposée comme telle, comme une contingence incontournable du chemin étroit.

Si nous acceptons les épreuves spirituelles de façon générale, ce n’est pas poussés par un désir de parvenir à la perfection, cela comporterait une certaine exaltation du moi ; nous nous soumettons plutôt au plan de Dieu en vue d’accomplir sa volonté ; notre soumission à Dieu conditionne notre communion avec lui ; et celle-ci seule peut nous conduire à la perfection.

                                                             P. Matta el-Maskîne

                                                        Extrait de « L’expérience de Dieu dans la vie de prière »

                                                               (Abbaye de Bellefontaine – Editions du Cerf)