Le baptême du Seigneur (10 janvier ; P. Claude Tassin)
Isaïe 40, 1-11 (« La gloire du Seigneur se révélera, et tout être de chair verra »)
Consolez, consolez mon peuple, – dit votre Dieu – parlez au cœur de Jérusalem. Proclamez que son service est accompli, que son crime est expié, qu’elle a reçu de la main du Seigneur le double pour toutes ses fautes.
Une voix proclame : « Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur ; tracez droit, dans les terres arides, une route pour notre Dieu. Que tout ravin soit comblé, toute montagne et toute colline abaissées ! que les escarpements se changent en plaine, et les sommets, en large vallée ! Alors se révélera la gloire du Seigneur, et tout être de chair verra que la bouche du Seigneur a parlé. »
Une voix dit : « Proclame ! » Et je dis : « Que vais-je proclamer ? » Toute chair est comme l’herbe, toute sa grâce, comme la fleur des champs : l’herbe se dessèche et la fleur se fane quand passe sur elle le souffle du Seigneur. Oui, le peuple est comme l’herbe : l’herbe se dessèche et la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu demeure pour toujours.
Monte sur une haute montagne, toi qui portes la bonne nouvelle à Sion. Élève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem. Élève la voix, ne crains pas. Dis aux villes de Juda : « Voici votre Dieu ! » Voici le Seigneur Dieu ! Il vient avec puissance ; son bras lui soumet tout. Voici le fruit de son travail avec lui, et devant lui, son ouvrage. Comme un berger, il fait paître son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur, il mène les brebis qui allaitent.
« Consolez mon peuple ». À partir de cette expression, on appelle Livre de la consolation d’Israël les chapitres 40 à 55 du livre d’Isaïe dans lesquels un prophète anonyme, vers l’an 540 avant notre ère, annonce que l’exil des Israélites à Babylone touche à sa fin. Ils vont revenir. Mieux, Dieu va revenir en triomphe à la tête des rapatriés. Ce début du Livre de la consolation se déploie en trois parties.
Un décret royal
C’est un décret d’amnistie promulgué par Dieu : le peuple élu est absous des fautes pour lesquelles il a connu la déportation. Il a payé sa peine lourdement (« le double ») ; ses travaux forcés (« son service ») sont terminés. Le mot français « consoler » ne rend pas la richesse du texte biblique qui, dans ce verbe, implique l’idée de réconforter ceux qui sont dans l’épreuve, de les inviter, de les exhorter à se remettre debout. Dans le grec moderne, ce verbe, parakalô, signifie « s’il vous plaît ».
Une voix…
Non, ce n’est pas une voix qui prêche dans le désert ! C’est une voix disant aux amnistiés qu’ils doivent préparer à travers le désert le chemin de leur retour. Cette voix n’est sans doute que celle du prophète se proclamant porte-parole du Seigneur, de son projet libérateur, un rôle que s’attribuera Jean le Baptiste (Luc 3, 4-6). Pour l’heure, le retour se fera à travers le désert dans lequel les rapatriés devront aplanir, niveler tout escarpement incommode, comme une route préparée pour un souverain qui prendra la tête de leur cortège. Avec raison, les commentaires spirituels lisent ici une dimension morale : pour préparer la venue du Seigneur, c’est en nous qu’il faut aplanir tout excès et redresser ce qui est tortueux.
… pour un évangile
C’est sans doute encore le prophète, héraut de Dieu, qui s’imagine posté sur une haute montagne pour proclamer cet *évangile : Dieu, à la tête des rapatriés, revient en vainqueur pour régner sur Jérusalem et sur la province de Juda. Il s’avance en roi et en berger attentif aux faibles, ces deux titres étant liés dans la culture antique. Autrefois, Israël libéré de l’Égypte avait traversé le désert. Maintenant s’ouvre un nouvel exode, de Babylone à Sion.
Le nouvel Exode
Tout chemin spirituel est un exode, des ténèbres à la lumière, de la servitude à la liberté. Selon saint Luc, Jésus est venu pour nous ouvrir un nouvel Exode, non seulement par l’enseignement qui jalonne sa route « exodale » vers Jérusalem (Luc 9, 51 – 19, 45), mais par son Ascension (Luc 9, 31) qui fait basculer notre vie terrestre en un exode « vertical », vers la gloire du Père. Le passage du Jourdain avait marqué l’entrée en Terre promise (Josué 3, 14-17) ; de même le baptême de Jésus dans le Jourdain inaugure une ère de liberté et de « consolation », de réconfort, d’exhortation.
*L’Évangile. Ce mot décalque un vocable grec signifiant « bonne nouvelle ». À l’origine, c’était un terme profane, la joyeuse annonce d’une victoire militaire ou de l’avènement d’un souverain. C’est l’auteur d’Isaïe 40 – 55 qui a fait passer le mot dans le domaine théologique. Telle est la Bonne Nouvelle : Dieu en personne vient régner au sein de son peuple. Au début de son ministère, Jésus s’est inspiré de ce prophète pour résumer sa propre mission : « Le Règne de Dieu a fini son approche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Marc 1, 15).
Psaume 103 (« Tu renouvelles la face de la terre »)
Ce long hymne chante le Dieu créateur et le souci de celui-ci pour ses créatures. Le texte trouve des traits parallèles dans d’autres psaumes (8 ; 19A ; 144 ; 145) et semble antérieur à la composition de Genèse 1. Surtout, il s’inspire, par le biais de relectures phéniciennes, d’un poème égyptien à la gloire du dieu soleil, Aton, hymne composé, pense-ton, par le pharaon Akhénaton vers 1350 avant notre ère.
La majesté du Créateur
Des cinq strophes du psaume aujourd’hui retenues par la liturgie, les deux premières évoquent la majesté du Seigneur. Il a établi son palais au-dessus du ciel visible, au-delà des perturbations météorologies, vents et pluies. Il n’est pourtant pas immobile, mais vivant. Son char royal se déplace au-dessus du vent et les humains devinent son mouvement à travers les orages impressionnants. Akhénaton s’adressait à son dieu en ces termes : « Tu te lèves, beau dans l’horizon du ciel, soleil vivant qui vis depuis l’origine. »
La providence du Créateur
De ce monde mythique d’en-haut, les trois strophes suivantes se tournent vers l’en-bas, vers la profusion des œuvres produites avec art, avec sagesse, par le Créateur. C’est la mer redoutable et la multitude des êtres vivants à qui le Seigneur offre la nourriture, continuellement, « au temps voulu ». Le pharaon disait à Aton : « Quand l’enfant sort du sein (…), tu ouvres sa bouche et tu pourvois à ses besoins (…). Tu as mis chaque homme à sa place et tu pourvois à leurs besoins. »
Le souffle du Dieu créateur
La dernière strophe retenue évoque le souffle divin créateur, continu, sans lequel les créatures ne peuvent vivre et subsister. Akhénaton louait son dieu par ces mots : « Tu donnes à ce que tu crées le souffle qui l’anime. » Ce souffle, pour notre psalmiste, n’est pas encore l’Esprit Saint (comparer Genèse 1, 1) ; mais son image l’annonce, et nous lisons ce psaume au jour de la Pentecôte.
La nouvelle création et l’Esprit du baptême de Jésus
Au premier abord, ce poème sur le Créateur et la création n’a qu’un lâche rapport avec les lectures du jour. Sauf à nous rappeler ceci : d’une part, le retour d’exil (1ère lecture) est envisagé par le prophète comme une nouvelle création (voir Isaïe 44, 1-5 ; 49, 8-13) ; d’autre part, en annonçant le Christ, Jean Baptiste s’est inscrit dans cette perspective. L’entrée en scène de Jésus est une nouvelle création, notamment dans l’épisode de son baptême où se manifeste l’Esprit Saint, le souffle du monde nouveau (cf. Genèse 1, 1).
Tite 2, 11-14 ; 3, 4-7 (« Par le bain du baptême, Dieu nous a fait renaître »)
La première partie du texte se lit la nuit de Noël. L’adjonction liturgique de la seconde partie est quelque peu artificielle, mais on en saisitt le but : établir un lien entre le baptême de Jésus par Jean et le sacrement du baptême chrétien.
La double manifestation du Christ
La première section a pour centre une double « manifestation » (en grec, une épiphanie). Celle d’abord de « la grâce de Dieu » visant « notre salut ». Elle correspond à la mission terrestre du Christ et à son « enseignement » (littéralement, une éducation) résumé en termes simples et forts : renier le péché et les passions pour vivre dans la justice et la piété. De fait, en se soumettant au baptême, Jésus signifiait qu’il se ralliait aux appels du Baptiste à la conversion (Luc 3, 7-18) et les approuvait. La seconde épiphanie sera celle du Christ glorieux quand il paraîtra, à la fin, comme « notre grand Dieu et notre Sauveur », après qu’il se soit manifesté dans l’humiliation de la croix (« il s’est donné pour nous »).
Le baptême chrétien
À cette double manifestation, début et terme de notre histoire, l’auteur de l’épître adosse l’expérience du *baptême chrétien conçu comme une renaissance et un renouvellement dû à l’Esprit Saint, but décisif du sacrement et signe d’une troisième « manifestation », celle, aujourd’hui, de la bonté et de la tendresse d’un Dieu Sauveur qui fait des baptisés des « justes », ajustés à son projet et qui suscite en eux l’espérance de l’inouï, « l’héritage de la vie éternelle ».
*Le baptême chrétien. En toute religion, les rites se transmettent, mais leur sens se modifie au long des âges. De leurs racines baptistes, les premières Églises ont reçu ce rite, mais elles ont dû en « christianiser » le sens. Pour Paul, le baptême nous plonge dans la mort du Christ pour accéder à une vie nouvelle (Romains 6, 1-4). Pour Luc, le baptême vise le don de l’Esprit Saint qui fait des baptisés un peuple de prophètes (Actes 2, 38). Pour Matthieu, le rite signe l’appartenance des disciples au Dieu Trinité (Matthieu 28, 19). Richesses de perspectives qui alimentent aujourd’hui encore la catéchèse baptismale !