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Le choix des Douze, l’appel à l’Amour et au Bonheur (Lc 6,12-49)

En Luc 5,27-6,11, Jésus s’est heurté à l’opposition des scribes et des Pharisiens qui n’arrivent pas à s’ouvrir à ce vin nouveau qu’Il est venu nous offrir. « C’est le vieux qui est bon », disent-ils avant même de l’avoir goûté (Luc 5,37-39). Il est vrai que le Christ est venu accomplir l’Ancienne Alliance, ce qui suppose pour les institutions et les hommes, des changements radicaux… Certains les accepteront, d’autres s’y refuseront. Jésus va maintenant construire l’avenir avec ceux qui lui ont ouvert leur cœur en se choisissant parmi eux « Douze apôtres ». Ce sont eux qui, après sa mort et sa résurrection, recevront la charge de poursuivre son œuvre, avec l’aide et la collaboration active de tous les autres disciples…

Le choix des Douze (Luc 6,12-16)

Les épisodes précédents nous ont montré Jésus appelant à lui ses disciples : Simon, et les deux fils de Zébédée, Jacques et Jean (Luc 5,1-11), Lévi (Luc 5,27-29) appelé aussi Matthieu en Matthieu 9,9. Puis nous le voyons manger chez Lévi avec « une foule nombreuse de publicains et d’autres gens », et à la fin de cet épisode, Jésus déclare de manière générale : « Je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs pour qu’ils se convertissent » (Luc 5,32) et qu’ils vivent (Ezéchiel 3,18 ; 33,11). Tout un groupe de disciples « suit » donc maintenant Jésus sur les routes de Palestine (Luc 5,11)… Ce verbe « suivre » est d’ailleurs typique de la vie chrétienne qui commence toujours par une rencontre avec le Christ et c’est lui qui a l’initiative (Jean 9,35-38) : Il vient à nous (Jean 14,18), Il nous attire à Lui (Jean 12,32), Il frappe à la porte de notre cœur (Apocalypse 3,20), il nous touche intérieurement (Luc 24,32), et il nous donne de percevoir quelque chose de son mystère (Jean 14,21), de son Amour, de sa Lumière, de sa Vie (1Jean 1,1-4)… Nous comprenons alors, dans la foi, que nous ne sommes pas seuls : Jésus accomplit sa promesse « d’être avec nous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Matthieu 28,20) pour être notre « Bon Pasteur » (Jean 10,14-15), Celui qui ne cesse de nous conduire sur des chemins de Vie (Jean 14,6) et de Paix, les siennes (Jean 6,57 ; 1,4 ; 14,27)…

BonPasteur

Psaume 23 (22)

(1) Le Seigneur est mon berger :

je ne manque de rien.

(2) Sur des prés d’herbe fraîche,

il me fait reposer.

Il me mène vers les eaux tranquilles

(3) et me fait revivre ;

il me conduit par le juste chemin

pour l’honneur de son nom.

(4) Si je traverse les ravins de la mort,

je ne crains aucun mal,

car tu es avec moi :

ton bâton me guide et me rassure.

(5) Tu prépares la table pour moi devant mes ennemis ;

tu répands le parfum sur ma tête, ma coupe est débordante.

(6) Grâce et bonheur m’accompagnent tous les jours de ma vie ;

j’habiterai la maison du Seigneur pour la durée de mes jours.

jésus enseignant 2

Le Christ Bon Pasteur, Prince de la Vie et Source de Vie (Jean 19,33-34 avec 4,10-14 et 7,37-39) est donc tout proche de chacun d’entre nous pour nous communiquer sa Vie et sa Paix, nous conduire, nous guider, nous encourager au cœur de nos vies. Et chacun a son chemin, unique… L’essentiel, là où nous sommes, sera de « le suivre » (Luc 5,27-28 ; 9,23 ; 9,59-60 ; 18,22 ; 18,43 ; Jean 1,43 ; 10,1-5 ; 10,27-30 ; 21,18-19 ; 21,22 ; Marc 2,15 ; 15,40-41 ; Matthieu 19,27-30) avec sa Paix comme lumière intérieure pour guider nos choix. En effet, « si quelqu’un me sert », dit Jésus, « qu’il me suive, et où je suis, là aussi sera mon serviteur » (Jean 12,26). Or, dans l’Evangile selon St Jean, Jésus nous révèle qu’il est « dans le Père » (Jean 14,10-11 ; 17,20-23), « dans son amour » (Jean 15,10), uni au Père dans la communion d’un même Esprit (Jean 10,30), et cet Esprit est tout en même temps « amour, joie, paix » (Galates 5,22-23)… Voilà donc «  » Jésus veut nous conduire, au plus profond de notre cœur, pour que nous puissions vivre notre vie avec Lui, dans sa Vie (cf Jean 14,1-3).

ElisabethSte Elisabeth de la Trinité écrivait : « Je vais vous donner mon secret. Pensez à ce Dieu qui habite en vous, dont vous êtes le Temple. C’est Saint Paul qui parle ainsi (cf. 1Corinthiens 3,16-17 ; 6,19), nous pouvons le croire. Petit à petit, l’âme s’habitue à vivre en sa douce compagnie, elle comprend qu’elle porte en elle un petit ciel où le Dieu d’Amour a fixé son séjour. Alors, c’est comme une atmosphère divine en laquelle elle respire »…

Parmi donc tous ces disciples qui commencent à le suivre, Jésus va en choisir Douze. Autrefois, le Peuple d’Israël était structuré en Douze tribus, chacune s’étant constituée autour d’un des douze fils de Jacob (Genèse 35,22b-26 ; 49,1-28). Maintenant, le Peuple de Dieu, ouvert à la fois aux Israélites et aux païens, se construira à partir de ces Douze disciples : plus tard, Simon sera « la Pierre » sur laquelle le Christ bâtira son Eglise (Matthieu 16,18-19), et tous les autres, à l’exception de Judas remplacé par Matthias (Actes 1,15-26), en seront « les colonnes » (Galates 2,7-9 ; 1Corinthiens 3,9 ; Ephésiens 2,19-22)…

Mais avant de faire ce choix, Jésus « va aller dans la montagne pour prier, et il passera toute la nuit à prier Dieu » (Luc 6,12). Cette insistance nous permet de percevoir l’importance de l’instant : l’Eglise, telle que nous la connaissons aujourd’hui est en train de naître. Et pour cette œuvre, comme pour toutes les autres, Jésus n’a qu’un seul désir : que la volonté du Père s’accomplisse (Jean 6,38) ! Aussi va-t-il passer la nuit à se consacrer entièrement à Lui, et le Père, au matin, accomplira son œuvre (Jean 4,34 ; 14,10) : avec son Fils et par Lui, Il se choisira Douze disciples … St Luc aime d’ailleurs nous présenter Jésus en prière, à la fois pour nous l’offrir en exemple, mais aussi pour bien montrer qu’avec Lui, c’est le Père Lui-même qui est à l’œuvre dans le monde, pour le salut des hommes… Nous le voyons ainsi « en prière » au jour de son baptême par Jean-Baptiste (Luc 3,21), dans l’exercice quotidien de son ministère (Luc 5,15-16), juste avant sa Transfiguration (9,29) et le don de la prière du Notre Père (11,1), et enfin dans le combat de l’acceptation de sa mort prochaine sur la Croix (22,39-46)…

Visage de Jésus

Les Douze sont appelés ici « apôtres », un mot qui vient du grec épost°llv (apostéllô), un verbe qui signifie « envoyer ». Jésus Lui-même est le Fils Unique que le Père a « envoyé » (Jean 5,36-37 ; 6,44 ; 8,18) dans le monde pour le sauver (Jean 3,17 ; 6,38-39) en lui communiquant les Paroles de la vie éternelle (Jean 8,26 ; 14,24 ; 6,67-69 ; 6,47), des Paroles qui viennent du Père lui-même (Jean 12,49-50). Et Jésus « enverra » ses disciples dans le monde (Jean 17,18 ; 20,21) pour qu’ils transmettent à leur tour ces Paroles qu’ils auront reçues de Lui (Jean 17,6-8 ; 17,20-21). Et si le Père était toujours avec ce Fils qu’il avait envoyé (Jean 8,28-29), agissant avec Lui et par Lui (Jean 14,10), le Christ ressuscité a promis à ses disciples d’être toujours avec eux (Matthieu 28,20), agissant avec eux et par eux (Romains 15,18-19 ; 2Corinthiens 3,3) pour que la Bonne Nouvelle du salut soit accueillie. Tous les baptisés sont ainsi appelés à être eux aussi, là où ils vivent et travaillent, des apôtres « envoyés » par le Christ pour rendre témoignage à cette Vie qu’il est venu nous donner (1Jean 1,1-4). Dans le Nouveau Testament, le mot « apôtre » n’est d’ailleurs pas réservé uniquement aux Douze ou à St Paul (Romains 1,1 ; 11,13 ; 1Corinthiens 1,1 ; 9,1‑2 ; 15,9 ; 2Corintthiens 1,1 ; Tite 1,1). Sylvain, Timothée et Barnabé, les collaborateurs de St Paul, sont eux aussi appelés « apôtres »[1]. Mais si nous sommes tous invités à être « apôtres de Jésus Christ » en lui rendant témoignage, le Seigneur a choisi quelques uns de ses disciples pour organiser avec eux l’Eglise missionnaire (Ephésiens 4,7-13; Jean 15,16), veiller sur elle et sur la rectitude du message qu’elle annonce (2Timothée 1,14). Simon Pierre reçut ainsi la charge de l’Eglise Universelle, et les autres membres du groupe des Douze furent appelés à l’assister. Maintenant, notre Pape a succédé à St Pierre, et nos Evêques aux Douze… Avec eux et par eux, le Christ envoie toujours son Eglise jusqu’aux extrémités du monde (Luc 24,44-49) pour porter à tous les hommes, avec le secours du St Esprit (Actes 1,8), la Bonne Nouvelle de ce Dieu d’Amour qui nous invite tous à sa Vie…

Et maintenant que ce Groupe des Douze est constitué, Jésus va aller avec eux à la rencontre des foules pour leur annoncer l’Evangile, ces Paroles de Vérité (Ephésiens 1,13-14) qu’ils proclameront eux aussi plus tard…

Les Béatitudes

L’Eglise vient de naître… Le Christ est là, entouré des Douze. Puis vient « la grande foule de ses disciples » (Luc 6,17), qui ont déjà entendu la Bonne Nouvelle et cru en elle. Enfin, intervient « une grande multitude de gens » que les signes accomplis par Jésus attirent : ils viennent pour « l’entendre et se faire guérir de leurs maladies » ou « être libérés des esprits impurs » qui les oppriment (Luc 6,18). Eux sont au tout début de leur cheminement de foi qui les conduira petit à petit des signes à Celui qui les accomplit : le Christ, le Fils Unique de Dieu envoyé par le Père pour que notre vie soit remplie de l’intérieur par sa Vie, dans la foi (Galates 2,20) …

foulePour St Luc, cette « multitude » représente l’humanité tout entière appelée à recevoir en Plénitude la Vie de Dieu : elle est constituée des Juifs qui viennent de « toute la Judée », au sud de la Palestine, et notamment de Jérusalem, leur capitale, et aussi des païens originaires de « Tyr et de Sidon », au nord… Le monde entier se rassemble autour de Jésus pour l’écouter…

Luc 6,19 est comme un résumé en actes de toute la vie chrétienne : l’important est la relation avec le Christ, le contact avec Lui, symbolisé ici par l’action de « toucher ». Et le geste des mains traduit le désir du cœur… Si nous cherchons vraiment « le contact » avec Jésus, il est inconcevable que nous puissions être déçus (Psaume 9,11 ; 22(21),4-6). Le Christ en effet nous désire bien plus que nous ne pouvons le désirer Lui-même. Avant même que nous pensions à Lui, Il est là, car en fait, Il ne nous a jamais quittés (Sagesse 6,12-14). Lui nous cherche (Luc 19,10), et il est hors de question qu’il s’arrête avant de nous avoir trouvés (Luc 15,4-7). C’est vrai, nous sommes dans la foi : nous ne voyons rien, nous n’entendons rien, et la Présence de Dieu est si discrète en nos vies… Mais grâce à sa Parole, nous sommes sûrs qu’Il fait vraiment ce qu’Il dit, qu’il en est vraiment comme il le dit… Au delà de tout ce que nous pouvons percevoir, il est donc là, présent à nos côtés, faisant ce qu’il y a de mieux pour nous selon les circonstances de nos vies… Il ne nous reste plus qu’à nous abandonner avec confiance entre ses mains, recevant notre cœur comme ce qu’Il veut nous donner aujourd’hui, maintenant… Alors, quelques soient les événements, heureux ou malheureux, nous trouverons la Paix… « Mon cœur est plein de la volonté du Bon Dieu », écrivait Ste Thérèse de Lisieux ; « aussi, quand on verse quelque chose par dessus, cela ne pénètre pas à l’intérieur ; c’est un rien qui glisse facilement, comme l’huile qui ne peut se mélanger avec l’eau. Je reste toujours au fond dans une paix profonde que rien ne peut troubler ». Et encore, dans son poème « Ma Joie » :

Therese novice

« Lorsque le ciel bleu devient sombre

et qu’il semble me délaisser,

ma joie c’est de rester dans l’ombre,

de me cacher, de m’abaisser.

Ma joie, c’est la volonté sainte,

de Jésus, mon unique amour.

Aussi, je vis sans nulle crainte :

j’aime autant la nuit que le jour ».

Les foules cherchaient donc à toucher Jésus… Et Lui, de son côté, cherchait à « toucher » leur cœur, pour établir un lien vital de cœur à cœur avec chacun d’entre eux… Que ces deux désirs se rencontrent, et la Vie de Dieu pourra enfin couler du cœur de Jésus vers le nôtre… Cette Vie sera en même temps « une force qui sortira de Lui » et viendra nous soutenir dans les circonstances si souvent difficiles de nos vies (Luc 6,19 ; Romains 1,16-17). Elle nous apportera aussi « la guérison profonde » dont nous avons besoin, une guérison dont le premier fruit sera le repos intérieur et la Paix (Matthieu 11,28-30 ; Philippiens 4,6-7).

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« Je sens tant d’amour sur mon âme ! C’est comme un océan en lequel je me plonge, je me perds ; c’est ma vision sur la terre, en attendant le Face à Face en la Lumière. Il est en moi, je suis en Lui, je n’ai qu’à l’aimer, qu’à me laisser aimer et cela tout le temps, à travers toutes choses, s’éveiller dans l’amour, se mouvoir dans l’amour, s’endormir dans l’amour, l’âme en son âme, le cœur en son cœur, afin que par son contact Il me purifie, me délivre de ma misère » (Ste Elisabeth de la Trinité).

Au désert, Moïse était montée au sommet de la montagne du Sinaï (Exode 19,20). Il avait reçu de Dieu les Dix Paroles, cœur de la Loi en vigueur dans le cadre de l’Ancienne Alliance (Exode 20,1-17), puis il était redescendu pour transmettre au Peuple d’Israël « toutes les Paroles du Seigneur et toutes les Lois » (Exode 24,3). Ils avaient alors promis solennellement : « Tout ce que le Seigneur a dit, nous le ferons, nous y obéirons » (Exode 24,7). L’Alliance était conclue…

Ici, toute cette scène est écrite en parallèle avec le Livre de l’Exode. Jésus, le nouveau Moïse annoncé dans l’Ancien Testament (Deutéronome 18,15.18), monte lui aussi sur la montagne et passe toute la nuit à prier Dieu. Puis il choisit les Douze Apôtres et redescend pour transmettre au Peuple de Dieu, élargi maintenant à tous les hommes, la Loi Nouvelle de la Nouvelle Alliance. Notons qu’elle sera constituée de quatre Béatitudes. Or le chiffre quatre renvoie aux quatre points cardinaux (est, ouest, sud, nord) : il est un symbole d’universalité. Tous les hommes, de tous les horizons, sont appelés à vivre ces Béatitudes, pour trouver avec elles le vrai bonheur et la vraie joie (Jean 15,11) ! De plus, le Christ conclura son discours par une forte invitation à mettre ses Paroles en pratique (Luc 6,46-49), dans l’espoir que tous ceux et celles qui les auront entendues diront au plus profond d’eux-mêmes : « Tout ce que le Seigneur a dit, nous le ferons, nous y obéirons »… Alors ils entreront dans cette Alliance Nouvelle que Dieu est venu instituer avec son Fils et par Lui : ils demeureront en son Amour (Jean 15,10), et vivront unis à Lui dans la communion d’un même Esprit (1Thessaloniciens 5,9-10 ; 1Corinthiens 1,9 ; 1Jean 1,1-4).

Christ souriant

Tel est donc le message que Dieu adresse au monde entier par son Fils : une invitation au bonheur ! L’accumulation des soucis et des épreuves de toutes sortes, souvent gratuites, injustes et incompréhensibles, ainsi que les nouvelles de l’actualité, parfois atroces, peuvent nous faire oublier que Dieu veut, de toute la force de son cœur, notre vrai bonheur. Avec son Fils et par Lui, Il s’est révélé comme un Dieu tout proche qui peine avec nous, souffre avec nous, lutte avec nous, mais aussi se réjouit avec nous de notre joie (Sophonie 3,14-18; Jérémie 32,40-41 ; Isaïe 61,10-62,5 ; 2Corinthiens 1,3-7 avec les notes de la Bible de Jérusalem) … Telle est « La Bonne Nouvelle » par excellence… Alors, aurons-nous le cœur assez pauvre pour reconnaître que nous avons besoin de Lui ? Allons-nous accepter de nous remettre en cause, à la lumière de sa Parole, pour regarder en vérité tout ce qui ne va pas dans notre vie ? Allons-nous répondre de tout cœur à l’appel du Christ : « Le Royaume des Cieux est tout proche : convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle » (Marc 1,15). Si tel est le cas, nous ne pourrons qu’être « heureux » car « votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume » (Luc 12,32). Alors heureux ceux qui l’accueillent, « heureux les pauvres de cœur, car le Royaume des Cieux est à eux » (Matthieu 5,3; Luc 6,20), un Royaume qui est « justice, paix et joie dans l’Esprit Saint » (Romains 14,17). Notons bien qu’en Matthieu 5,3 et Luc 6,20, Jésus emploie le verbe « être » au présent : le Royaume s’accueille dès maintenant, par la foi et dans la foi… Ste Elisabeth de la Trinité écrivait ainsi : « Qu’importe l’occupation en laquelle il me veut, puisqu’Il est toujours avec moi… Je n’ai qu’à me recueillir pour le trouver au‑dedans de moi, et c’est cela qui fait tout mon bonheur »…

Création nouvelleJésus pense aussi bien sûr en cette béatitude « aux pauvres » de ce monde, qui souffrent de conditions de vie inhumaines, « ceux qui sont sans défense et sans droits, méprisés, et qui n’ont de salut à attendre que de Dieu seul »[2]. « Jésus a souvent manifesté sa prédilection pour eux (Marc 10,21 ; 12,43… », écrit la TOB en note, « et Luc leur porte un intérêt particulier (Luc 14,13.21; 16,19-26 ; 19,8). Quand Jésus adresse son message d’abord aux pauvres (Luc 4,18 ; 7,22), il vise aussi les petits (Luc 10,21), les humbles (Luc 14,11 ; 18,14) au milieu desquels il est né lui-même. Cette préférence accordée aux pauvres et aux petits est la marque de la libéralité souveraine de Dieu ; elle est invitation à tout attendre de sa grâce ; elle appelle aussi, et Luc y est sensible, à la compassion pour les malheureux ».

Dieu prend donc fait et cause pour les pauvres, et il ne peut, bien sûr, en être autrement pour l’Eglise. St Luc décrit d’ailleurs l’Eglise idéale, celle vers laquelle nous tendrons toujours, celle que nous essayons de construire jour après jour par nos petits gestes de solidarité, comme la communauté où « la multitude des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme. Nul ne disait sien ce qui lui appartenait, mais entre eux tout était commun… Parmi eux nul n’était dans le besoin ; car tous ceux qui possédaient des terres ou des maisons les vendaient, apportaient le prix de la vente et le déposaient aux pieds des apôtres. On distribuait alors à chacun suivant ses besoins » (Actes 2,42-47). St Paul témoignera aussi de la solidarité existante dans l’Eglise primitive en nous décrivant la collecte qui fut organisée pour venir en aide à la communauté de Jérusalem (2Corinthiens 8-9). « Ce partage avec les pauvres doit être réalisé dans la communauté ecclésiale. Sinon cette dernière serait dans l’incapacité de proclamer les Béatitudes et de signifier la réalité du salut déjà commencé »[3].

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Les deux Béatitudes suivantes, « Heureux vous qui avez faim maintenant : vous serez rassasiés ! Heureux vous qui pleurez maintenant : vous rirez ! » sont construites sur le même schéma. Elles évoquent les souffrances actuelles (« maintenant »), toujours scandaleuses et toujours à combattre, et elles tournent le regard vers l’au-delà de cette vie que Dieu nous prépare, nous invitant à l’espérance : « Je vis un ciel nouveau, une terre nouvelle – car le premier ciel et la première terre ont disparu, et de mer, il n’y en a plus. Et je vis la Cité sainte, Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel, de chez Dieu ; elle s’est faite belle, comme une jeune mariée parée pour son époux. J’entendis alors une voix clamer, du trône : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux ; ils seront son peuple, et lui, Dieu-avec-eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux : de mort, il n’y en aura plus ; de pleur, de cri et de peine, il n’y en aura plus, car l’ancien monde s’en est allé. » (Apocalypse 21,1-4).

Pour l’instant, Dieu invite toutes les bonnes volontés à travailler à un monde plus juste et plus humain, à partager, à venir en aide à ceux qui en ont le plus besoin, à l’exemple de Mère Thérésa. Avec elles et par elles, il s’occupe de chacun d’entre nous. Et lorsque tout le possible a été fait, et que la souffrance demeure, il vient « la remplir de sa Présence » (Paul Claudel). « Le Christ veut être uni à tous les hommes, et il est uni d’une façon particulière à ceux qui souffrent » (Jean‑Paul II). « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ, le Père des Miséricordes et le Dieu de toute consolation ; il nous console dans toutes nos détresses » (2Corinthiens 1,3-4).

Saint Jean

Enfin, dans la droite ligne de ce que nous venons de voir – un Dieu présent dans nos épreuves – le Christ invite à la joie tous ceux et celles qui seront persécutés « à cause du Fils de l’Homme » (Luc 6,22). Tel était bien le cas des chrétiens d’origine juive à l’époque de St Luc, exclus des synagogues (cf Luc 6,22 ; 21,12 ; Matthieu 10,17 ; Jean 9,22 ; 12,42 ; 16,1-2). Ils connaissent les souffrances du Christ : ils connaîtront, dès maintenant, « quelque chose » de la joie de sa résurrection (cf 2corinthiens 1,5 ; 4,6-12 ; Philippiens 3,10). « L’Esprit du Père », ce même Esprit qui a ressuscité le Christ d’entre les morts (Romains 8,11), viendra à leur secours: « Heureux, si vous êtes outragés pour le nom du Christ, car l’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu repose sur vous » (1Pierre 4,13). Ce jour-là, « ne cherchez pas avec inquiétude comment parler ou que dire : ce que vous aurez à dire vous sera donné sur le moment, car ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit de votre Père qui parlera en vous » (Matthieu 10,19-20 ; Jean 15,26-27). C’est ainsi que, « rempli de l’Esprit Saint », l’Esprit du Père mais aussi l’Esprit du Fils[4], St Pierre rendait témoignage au Christ en face de ceux-là même qui, quelques jours auparavant, venaient de le crucifier (Actes 2,22-24 ; 2,36)…

Coeur de Jésus- Paray le Monial

Par contre, tous ceux qui n’ont pas mis Dieu à la première place dans leur vie sont en fait malheureux. « Il ne s’agit nullement ici de malédictions, mais plutôt de lamentations : Jésus plaint ceux qui courent ainsi à la catastrophe »[5]. Ils se sont en fait détournés du Seigneur pour chercher la joie et le bonheur en dehors de cette relation de cœur avec Lui qui, seule, peut nous combler. Leurs richesses sont comparables à des citernes lézardées, qui trompent l’espérance de ceux qui les ont construites en ne leur apportant pas cette eau, symbole de vie et de bonheur. Quel dommage, alors que Dieu, Source d’Eau Vive, ne cesse de les inviter à venir à Lui (Jérémie 2,12-13)… S’ils savaient le don de Dieu (Jean 4,10-14)…

Aimer comme Jésus nous aime, pour devenir fils comme le Fils (Luc 6,27-49)

Après avoir proclamé les Béatitudes, Jésus en décrit maintenant les conséquences inéluctables. Dieu est Amour (1Jean 4,8.16) et il n’est qu’Amour… Chacun de ses actes est un acte d’amour. Aussi, à celui qui fait le mal, Dieu répondra toujours par l’Amour car Il est ce Père qui « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Matthieu 5,45 ; Luc 6,35). Dans sa Lettre aux Romains, St Paul compare les pécheurs à des « ennemis de Dieu » et il écrit : « La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous »… (Romains 5,8-10 ; Actes 2,36-41 et 3,13-26 adressé à ceux qui avait crucifié Jésus ; cf Luc 23,34).

Dieu-Amour

Dieu est donc Amour, et cet Amour face au péché prend le visage de la Miséricorde et de l’appel au repentir. Et Il est heureux de pardonner quand il voit le résultat du pardon reçu (Luc 15,7) : un homme qui quitte les chemins du mal, ces chemins qui ne peuvent qu’être semés d’embûches et de souffrances, pour s’engager dans une vie nouvelle où, lui, le premier, trouvera en Dieu la Plénitude de la Vie… Il sera désormais un fils réconcilié, enveloppé de la tendresse du Père, restauré dans son intégrité et sa dignité premières, invité à la fête et à la joie (Luc 15,18-24). Par le don de l’Esprit qui vivifie, il recevra en son cœur, de la bonté de son Père, la Vie même de Dieu, une Vie qui est Amour (Romains 5,5), force pour aimer, Paix… Tel est le Royaume des Cieux, ce trésor (Luc 6,45 ; 2Corinthiens 4,3-11) que Dieu dépose sans cesse au plus profond de notre être (Luc 6,48). C’est là que nous sommes invités à puiser la force nécessaire pour accomplir ce que nous ne pourrions jamais faire tout seul (Jean 15,5) : « aimer nos ennemis » (Luc 6,27), répondre au mal par le bien (Romains 12,21 ; 1Thessaloniciens 5,15), à la violence par la patience et la paix (Luc 6,29 ; Ephésiens 4,1-5), à l’offense par le pardon (Colossiens 3,12‑15), être toujours prêt à donner, même à celui qui nous vole (Luc 6,29), dans la certitude que Dieu ne nous laissera jamais manquer du nécessaire (Luc 12,22-31). Cet amour gratuit n’a de raison d’être qu’en Dieu seul : il ne s’appuie que sur Lui, sans rien attendre en retour (Luc 6,32-35). Voilà notamment comment les chrétiens, à l’époque de St Luc, étaient invités à répondre aux persécutions de certains parmi les Juifs (Luc 6,27-28)…

coeur blanc

Bien sûr, nous sommes profondément incapables d’agir ainsi tout seul, et nombreux sont les exemples où manifestement, nous n’avons pas su aimer comme il le fallait ! Mais Jésus connaît notre faiblesse, nos blessures et nos limites ; il nous invite à tourner notre regard vers Lui (Psaume 34(33),6) pour découvrir et redécouvrir sans cesse le Visage de Celui qui, de son côté, nous regarde toujours avec Amour. Pardonnés, relevés, fortifiés, il nous invitera à repartir … Jour après jour nous bénéficierons de sa patience, de sa tendresse, de sa compassion, de sa miséricorde… Nous comprendrons mieux les faiblesses et les défauts de ceux et celles qui nous entourent, pour avoir bien expérimenté les nôtres ! Nous apprendrons alors à les regarder comme Jésus nous regarde, sans jugement, ni condamnation, mais avec compassion (Luc 6,39‑42). Et tout ceci ne sera possible qu’avec ce regard du cœur qui devrait toujours être tourné vers Jésus : telle est l’attitude continuelle de prière à laquelle St Paul nous invite (1Thessaloniciens 5,16-24).

                                                                                                  D.Jacques Fournier

[1] Voir 1Thessaloniciens 2,7 en notant le pluriel qui renvoie à 1,1 1Corinthiens 9,5-6 en notant le « nous » qui renvoie à Paul et à Barnabé ; en Actes 14,4 et 14,14, « les apôtres » sont Paul et Barnabé.

[2] COUSIN H., « L’Evangile de Luc », dans Les Evangiles, textes et commentaires (Collection Bayard Compact, 2001) p. 620.

[3] Id p. 621.

[4] Remarquer en Romains 8,11 le parallèle entre « l’Esprit de Dieu » (du Père) et « l’Esprit du Christ » : si « l’Esprit de Dieu » habite en quelqu’un, « il a l’Esprit du Christ ». En fait la Plénitude de l’Esprit qui habite le Père habite en même temps le Fils ; bien que différents, Il sont UN en cet Esprit d’Amour (Jean 10,30) qu’ils veulent nous communiquer à nous aussi pour que nous soyons UN comme eux sont UN (Jean 17,20,23 ; 11,51-52). Aussi, nous dit St Paul, « cherchons dans l’Esprit notre Plénitude » (Ephésiens 5,18 ; cf Colossiens 2,9-10).

[5] COUSIN H., « L’Evangile de Luc », dans Les Evangiles, textes et commentaires p. 619.

Fiche 2M n°15 – Lc 6,12-49 Cliquer sur le titre précédent pour lecture ou éventuelle impression