À l’Ange de l’Église de Pergame, écris : Ainsi parle celui qui possède l’épée acérée à double tranchant. (13) Je sais où tu demeures : là est le trône de Satan. Mais tu tiens ferme à mon nom et tu n’as pas renié ma foi, même aux jours d’Antipas, mon témoin fidèle, qui fut mis à mort chez vous, là où demeure Satan. (14) Mais j’ai contre toi quelque grief : tu en as là qui tiennent la doctrine de Balaam; il incitait Balaq à tendre un piège aux fils d’Israël pour qu’ils mangent des viandes immolées aux idoles et se prostituent. (15) Ainsi, chez toi aussi, il en est qui tiennent la doctrine des Nicolaïtes. (16) Allons! repens-toi, sinon je vais bientôt venir à toi pour combattre ces gens avec l’épée de ma bouche. (17) Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Églises : au vainqueur, je donnerai de la manne cachée et je lui donnerai aussi un caillou blanc, un caillou portant gravé un nom nouveau que nul ne connaît, hormis celui qui le reçoit.
Le Christ Ressuscité se présente à nouveau avec un élément de la vision inaugurale où Jean l’avait vu avec « une épée acérée à double tranchant sortant de sa bouche » (1,16). Ici, il est « Celui qui possède l’épée acérée à double tranchant », c’est-à-dire la Parole de Dieu (Hb 4,12 ; Ep 6,17). Elle est à double tranchant car elle concerne aussi bien celui qui la reçoit que celui qui la donne : nous sommes tous profondément égaux devant elle, dans la mesure où il s’agit avant tout de la vivre… Mais heureusement, cette Parole est Révélation de la Miséricorde infinie de Dieu, de son éternelle bienveillance qui nous poursuit de ses bienfaits et ne cesse de désirer notre vie, notre plénitude, notre bonheur… Et nous avons confiance que de pardon en pardon, de chute en relèvement, avec le concours de notre bonne volonté si souvent défaillante, il saura remporter la victoire et nous introduire ainsi auprès de lui pour toujours…
Pergame est le lieu où « demeure » le trône de Satan car c’est là que le Proconsul romain exerçait l’autorité judiciaire pour toute la région, et lui seul avait le droit de condamner quelqu’un à mort[1], ce qui fut hélas le cas pour le chrétien « Antipas, mon témoin fidèle » (2,13). Quelle louange pour Antipas, car le Christ lui donne ce titre de « témoin fidèle » qui lui revient par excellence… Souvenons-nous, St Jean le présente ainsi au tout début du Livre de l’Apocalypse : « Jésus Christ, le témoin fidèle, le Premier-Né d’entre les morts, le Prince des Rois de la terre » (1,5)… Nul doute qu’Antipas partage maintenant son titre de Roi et sa Couronne de Vie… Pergame est aussi appelée « trône de Satan », car il existait en cette ville quatre sanctuaires dédiés à des idoles païennes : Jupiter, Athéna, Dyonisos et Esculape. Enfin, en 29 avant JC, Pergame fut la première à recevoir de l’Empereur Octavien la permission d’édifier un Temple en faveur de la déesse Rome et du divin César…
Et malgré ce contexte défavorable, les chrétiens de Pergame « tiennent ferme au Nom » de Jésus Christ, l’unique Sauveur du monde (Jn 4,42 ; Ac 4,12). Mais certains suivent la mystérieuse doctrine des Nicolaïtes, clairement condamnée ici par le parallèle avec Balaam qui, « selon une tradition juive (Nb 31,16), suggéra à Balaq d’attirer les Israélites à l’idolâtrie avec l’aide des filles de Moab (Nb 25,1‑3) » (Note de la Bible de Jérusalem). Le Christ ne peut donc que les appeler au repentir… Et il commence dès maintenant à le faire par « l’épée de sa bouche », c’est-à-dire par cette Parole qu’il transmet à l’Ange de l’Eglise de Pergame… Et s’ils ne se convertissent pas, « il viendra bientôt à eux » d’une autre manière pour les appeler encore à la conversion par cette même « épée »… Telle est la patience du Christ qui cherche sa brebis perdue jusqu’à ce qu’il la retrouve. Il se tient ainsi à la porte des cœurs, et il frappe, avec douceur mais aussi avec opiniâtreté, jusqu’à ce qu’enfin, la porte s’ouvre et qu’il puisse dire : « Aujourd’hui le salut est arrivé à cette maison ! » (Lc 19,9).
Comme précédemment, nous avons encore : « au vainqueur, je donnerai »… Quelle insistance, car « il ne s’agit pas de l’homme qui veut ou qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde ». En effet, « c’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, moyennant la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu ; il ne vient pas des œuvres, car nul ne doit pouvoir se glorifier » (Rm 9,16 ; Ep 2,4-10).
« Au vainqueur, je donnerai de la manne cachée ». La manne fut ce pain qui descendait du ciel et que Dieu donna chaque jour à son Peuple pendant quarante ans lors de sa traversée du désert, après qu’il les eut libérés de l’oppression du Pharaon d’Egypte (cf. Ex 16). Mais maintenant, c’est Jésus « le pain de Dieu, celui descend du ciel et donne la vie au monde ». Il est « Pain de Vie » par sa Parole, de telle sorte que « celui qui croit a la vie éternelle ». Et il est également « Pain de Vie » par sa chair offerte. En effet, « vos pères, dans le désert, ont mangé la manne et sont morts ; ce pain est celui qui descend du ciel pour qu’on le mange et ne meure pas. Je suis le pain vivant, descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra pour toujours. Et le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde » (Jn 6,33.35.47-51). Ainsi, « la manne cachée » peut renvoyer tout aussi bien à la Parole du Christ, vrai Pain de Vie, qu’à son Corps et à son Sang consacrés pour devenir cette nourriture qui demeure elle aussi en vie éternelle. Telles sont d’ailleurs les « deux tables » de chacune de nos Eucharisties, la table de la Parole, avec les différentes lectures suivies de l’Evangile, puis celle du Pain Rompu…
L’image du caillou blanc renvoie aux athlètes grecs : « Le vainqueur des jeux recevait une petite plaque blanche portant son nom ».
« Au vainqueur, je lui donnerai aussi un caillou blanc »… Dans le contexte de l’époque, l’image ne pouvait qu’évoquer bien des situations (cf. Pierre Prigent, « L’Apocalypse de St Jean », chez Delachaux-Niestlé, p. 53) :
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Dans le domaine sportif, le vainqueur des jeux recevait une petite plaque blanche portant son nom… Nous sommes bien dans un contexte de « victoire », mais cette fois non pas sur la seule base des forces humaines, mais sur celle de la grâce de Dieu… « Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde efface mon péché. Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense. Oui, je connais mon péché, ma faute est toujours devant moi. Contre toi et toi seul, j’ai péché, ce qui est mal à tes yeux je l’ai fait. Ainsi tu peux parler et montrer ta justice, être juge et montrer ta victoire » (Ps 51(50)), victoire de l’Amour et de la Miséricorde sur toutes nos misères… « Le vainqueur, je lui donnerai de siéger avec moi sur mon trône, comme moi-même, après ma victoire, j’ai siégé avec mon Père sur son trône » (Ap 3,21). « Désormais, la victoire, la puissance et la royauté sont acquises à notre Dieu, et la domination à son Christ, puisqu’on a jeté bas l’accusateur de nos frères, celui qui les accusait jour et nuit devant notre Dieu » (Ap 12,10). « Grâces soient à Dieu, qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus Christ ! » (1Co 15,57) car « là où le péché a abondé, la grâce a surabondé » (Rm 5,20). Telle est donc « la victoire qui a triomphé du monde : notre foi » en l’Amour. Oui, « nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru. Dieu est Amour » (1Jn 4,16).
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Dans le domaine public, les grandes décisions portant sur la vie de la cité étaient prises en votant. Deux cailloux étaient donnés à chacun : un blanc pour le oui, un noir pour le non… De son côté, Dieu a déjà voté « blanc » pour tout homme, son enfant créé à son image et ressemblance (Gn 1,26-28), pour qu’il trouve grâce à lui, en se laissant aimer, en se laissant prendre par amour, la Plénitude de la vie et du bonheur dans « le jardin d’Eden » : « Le Seigneur Dieu planta un jardin en Eden, et il y mit l’homme qu’il avait modelé » (Gn 2,8). Juste avant sa Passion, sa mort et sa Résurrection, Jésus disait à ses disciples : « Dans la Maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures, sinon, je vous l’aurais dit. Je vais vous préparer une place. Et quand je serai allé et que je vous aurai préparé une place, à nouveau je viendrai et je vous prendrai près de moi afin que là où je suis, vous aussi vous soyez » (Jn 14,1-3). Oui, Dieu a déjà voté « blanc » pour tout homme, son enfant, « Lui qui veut que tous les hommes soient sauvés, le Christ Jésus s’étant livré en rançon pour tous » (1Tm 2,3-6). « Reconnais seulement ta faute » et abandonne-toi entre les mains de l’Amour, car « Je Suis miséricordieux, dit le Seigneur » (Jr 3,12-13).
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Dans le domaine de la justice, l’acquittement au tribunal était également voté par une pierre blanche.
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Enfin, Pierre Prigent signale « la pierre d’invitation aux banquets officiels »… « Heureux les invités au festin du Royaume », et encore une fois, tout homme est invité… A nous maintenant de répondre de tout cœur, en essayant, avec la grâce de Dieu, de « produire un fruit digne du repentir » (Mt 3,8).
Toutes ces situations ont donc du sens à la Lumière de l’Amour qui veut que tout homme créé par Amour soit pour toujours avec lui dans l’Amour… Car « il nous a tous élus en lui, dès avant la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l’amour, déterminant d’avance que nous serions pour Lui des fils adoptifs par Jésus Christ. Tel fut le bon plaisir de sa volonté, à la louange de gloire de sa grâce, dont Il nous a gratifiés dans le Bien-aimé. En lui nous trouvons la rédemption, par son sang, la rémission des fautes, selon la richesse de sa grâce, qu’Il nous a prodiguée, en toute sagesse et intelligence : il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, ce dessein bienveillant qu’Il avait formé en lui par avance, pour le réaliser quand les temps seraient accomplis : ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ, les êtres célestes comme les terrestres » (Ep 1,4-10).
« Le caillou blanc » par sa couleur, renvoie dans le Livre de l’Apocalypse, au Mystère de la Divinité que Dieu est venu nous partager avec et par son Fils. Tel est l’incroyable cadeau qu’il désire communiquer à tout homme : lui donner de participer à ce qu’Il Est, à « sa nature divine » (2P 1,3-4)… « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne dieu » disait St Irénée. Jean le redira avec l’image du vêtement, qui, dans la Bible, dit quelque chose du mystère de la personne qui le porte. Ainsi, au ciel, nous serons tous « revêtus de blanc » car nous participerons tous à une même Vie, une même Lumière, un même Amour… Telle sera l’œuvre de Dieu et de son infinie Miséricorde offerte en surabondance grâce à l’offrande du Christ sur une Croix pour notre salut à tous… « Et voici qu’apparut à mes yeux une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, de toute nation, race, peuple et langue ; debout devant le trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, des palmes à la main, ils crient d’une voix puissante : « Le salut à notre Dieu, qui siège sur le trône, ainsi qu’à l’Agneau ! »… L’un des Vieillards prit alors la parole et me dit :
La multitude des sauvés, Apocalypse, miniature de Valenciennes
« Ces gens vêtus de robes blanches, qui sont‑ils et d’où viennent-ils ? » Et moi de répondre : « Monseigneur, c’est toi qui le sais. » Il reprit : « Ce sont ceux qui viennent de la grande épreuve : ils ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l’Agneau. C’est pourquoi ils sont devant le trône de Dieu, le servant jour et nuit dans son temple ; et Celui qui siège sur le trône étendra sur eux sa tente. Jamais plus ils ne souffriront de la faim ni de la soif ; jamais plus ils ne seront accablés ni par le soleil, ni par aucun vent brûlant. Car l’Agneau qui se tient au milieu du trône sera leur pasteur et les conduira aux sources des eaux de la vie. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux ». Ainsi, « le vainqueur sera revêtu de blanc ; et son nom, je ne l’effacerai pas du livre de vie, mais j’en répondrai devant mon Père et devant ses Anges » (Ap 7,9-17 ; 3,5). St Paul dit la même chose, à sa façon, lorsqu’il écrit que, par notre baptême, nous avons « revêtu le Christ » : « Vous tous en effet, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ : il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus » (Ga 3,27-28 ; Col 3,9-11).
Et ce « caillou blanc » porte « gravé un nom nouveau que nul ne connaît hormis celui qui le reçoit »… L’image du nom nouveau gravé ou du « sceau » renvoie à nouveau au baptême où Dieu communique à celui qui accepte de le recevoir le don de l’Esprit Saint. Or, « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), et « Dieu est Saint » (Ps 99(98),3.5 ; Is 57,14-15). En donnant l’Esprit Saint, Dieu donne à l’homme de participer le plus pleinement possible à ce qu’Il Est… Voilà ce qui commence dès maintenant par ce baptême où nous recevons déjà « les arrhes » du Royaume en attendant la Plénitude promise : « Celui qui nous affermit avec vous dans le Christ et qui nous a donné l’onction, c’est Dieu, Lui qui nous a aussi marqués d’un sceau et a mis dans nos cœurs les arrhes de l’Esprit ». En effet, « après avoir entendu la Parole de vérité, l’Évangile de votre salut, et y avoir cru, vous avez été marqués d’un sceau par l’Esprit de la Promesse, cet Esprit Saint qui constitue les arrhes de notre héritage, et prépare la rédemption du Peuple que Dieu s’est acquis, pour la louange de sa gloire » (2Co 1,21-22 ; Ep 1,13‑14).
Telle est la créature nouvelle qui sort des eaux du baptême, fruit de l’union de l’Esprit Saint à notre esprit. « Le jour où apparurent la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes, il ne s’est pas occupé des œuvres de justice que nous avions pu accomplir, mais, poussé par sa seule miséricorde, il nous a sauvés par le bain de la régénération et de la rénovation en l’Esprit Saint. Et cet Esprit, il l’a répandu sur nous à profusion, par Jésus Christ notre Sauveur, afin que, justifiés par la grâce du Christ, nous obtenions en espérance l’héritage de la vie éternelle » (Tt 3,4‑7). Ainsi, par le Don de l’Esprit, « celui qui s’unit au Seigneur » par le « oui » de sa foi, celui qui se laisse unir au Seigneur, « n’est avec lui qu’un seul Esprit » (1Co 6,17). « Être uni au Christ dans la communion d’un même Esprit » : voilà ce que St Paul appelle « être dans le Christ ». Et celui qui « est dans le Christ » « est une créature nouvelle » : « Si donc quelqu’un est dans le Christ, c’est une création nouvelle : l’être ancien a disparu, un être nouveau est là. Et le tout vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec Lui par le Christ » (2Co 5,17-18). « Dès lors, qui rejette cela, ce n’est pas un homme qu’il rejette, c’est Dieu, lui qui vous a fait le don de son Esprit Saint » (1Th 4,8). Aussi, « ne contristez pas l’Esprit Saint de Dieu, qui vous a marqués de son sceau pour le jour de la rédemption. Aigreur, emportement, colère, clameurs, outrages, tout cela doit être extirpé de chez vous, avec la malice sous toutes ses formes. Montrez-vous au contraire bons et compatissants les uns pour les autres, vous pardonnant mutuellement, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ » (2Co 1,21-22 ; Ep 1,13‑14 ; 4,30-32).
Jan Van Eyck, l’Agneau mystique, groupe des vierges, Gand.
Cette Présence de l’Esprit au plus profond des cœurs ne se laisse pas observer avec nos yeux de chair. Elle « n’est connue que de lui seul, dans le secret de son être renouvelé » (Pierre Prigent). Elle se reçoit dans l’invisible de la foi, mais elle est source de Paix, de Lumière et de Vie que « nul ne connaît, hormis celui qui le reçoit ». « La vie est bien mystérieuse », écrivait Ste Thérèse de l’Enfant Jésus. « Nous ne savons rien, nous ne voyons rien, et pourtant, Jésus a déjà découvert à nos âmes ce que l’œil de l’homme n’a pas vu. Oui, notre cœur pressent ce que le cœur ne saurait comprendre, puisque parfois nous sommes sans pensée pour exprimer un « je ne sais quoi » que nous sentons dans notre âme ». Puissions-nous tous vivre dès ici-bas et le plus intensément possible ce « je ne sais quoi » de Lumière, de Vie, de Paix et de Joie que le Christ est heureux de déposer au plus profond de nous-mêmes… « Je vous ai dit cela pour que ma Joie soit en vous et que votre joie soit parfaite » (Jn 15,11)…
D. Jacques Fournier
[1] « Le droit du glaive » auquel le Christ oppose ici « le glaive de la Parole de Dieu » !
AP – SI – Fiche 8 – Ap 2,12-17 cliquer sur le titre précédent pour ouvrir le document PDF.