À l’Ange de l’Église de Thyatire, écris : Ainsi parle le Fils de Dieu, dont les yeux sont comme une flamme ardente et les pieds pareils à de l’airain précieux. (19) Je connais ta conduite : ton amour, ta foi, ton dévouement, ta constance ; tes œuvres vont sans cesse en se multipliant. (20) Mais j’ai contre toi que tu tolères Jézabel, cette femme qui se dit prophétesse; elle égare mes serviteurs, les incitant à se prostituer en mangeant des viandes immolées aux idoles. (21) Je lui ai laissé le temps de se repentir, mais elle refuse de se repentir de ses prostitutions. (22) Voici, je vais la jeter sur un lit de douleurs, et ses compagnons de prostitution dans une épreuve terrible, s’ils ne se repentent de leur conduite. (23) Et ses enfants, je vais les frapper de mort : ainsi, toutes les Églises sauront que c’est moi qui sonde les reins et les cœurs; et je vous paierai chacun selon vos œuvres. (24) Quant à vous autres, à Thyatire, qui ne partagez pas cette doctrine, vous qui n’avez pas connu les profondeurs de Satan, comme ils disent, je vous déclare que je ne vous impose pas d’autre fardeau ; (25) du moins, ce que vous avez, tenez-le ferme jusqu’à mon retour. (26) Le vainqueur, celui qui restera fidèle à mon service jusqu’à la fin, je lui donnerai pouvoir sur les nations : (27) c’est avec un sceptre de fer qu’il les mènera comme on fracasse des vases d’argile ! (28) Ainsi moi-même j’ai reçu ce pouvoir de mon Père. Et je lui donnerai l’Étoile du matin. (29) Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Églises.
En ces 2° et 3° chapitres du Livre de l’Apocalypse, sept messages sont adressés à sept Eglises différentes et certains ont remarqué que le quatrième, celui destiné à l’Eglise de Thyatire, a une place centrale : 3 messages – Thyatire – 3 messages. Et de fait, comme nous le verrons, un certain nombre d’éléments caractéristiques de notre foi n’interviennent qu’ici : « Il y a dans cette description des œuvres de l’Eglise de Thyatire un condensé remarquable de l’expérience chrétienne, qui confirme le rôle d’Eglise exemplaire que Jean entend lui donner »[1].
Rappelons-nous que « l’Ange de l’Eglise » peut désigner ou l’Evêque du lieu chargé de lire ce message à toute sa communauté (il serait bien alors un « messager », « angélos » en grec, qui a donné le mot « ange » en français, transmettant un « message de Dieu » à ses fidèles), ou la communauté elle-même… Les deux sens se rejoignent…
Celui qui parle est toujours ce « Fils d’Homme » apparu à Jean « le Jour du Seigneur », « ce Premier et ce Dernier », ce « Vivant » qui parle comme Dieu et se présente comme Dieu (Ap 1,9-20), car il est cette Personne Divine qui existe depuis toujours et pour toujours, et qui, à un instant du temps, a assumé notre nature humaine… Et « le Verbe s’est fait chair » (Jn 1,14)… Et nous, les hommes, nous l’avons appelé du nom de « Jésus », ce nom que l’Ange Gabriel a donné à Marie (Lc 1,31) et qui signifie « le Seigneur sauve », « car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (Mt 1,21) en venant lui offrir, au Nom de son Père, le Pardon de toutes ses fautes (Lc 1,76-79 ; 5,20 ; 24,46-48 ; Jn 1,29). Mais seul un repentir sincère peut l’accueillir, d’où les multiples appels de Jésus : « Repentez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche » (Mt 4,17 ; Mc 1,14-15)…
Premier élément qui n’intervient que pour l’Eglise de Thyatire : le titre de « Fils de Dieu », et il n’apparaît qu’ici dans tout le Livre de l’Apocalypse ! Et pourtant, le Nouveau Testament dans son ensemble lui donne une place de choix… St Marc ouvre ainsi son Evangile par : « Commencement de l’Évangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu » (Mc 1,1). Et, vers la fin, le centurion romain déclare, au pied de la Croix, juste après la mort de Jésus : « Vraiment cet homme était Fils de Dieu » (Mc 15,39 ; cf Lc 1,35 ; 4,3.9.41 ; 22,70 ; Jn 1,49 ; 5,25 ; 10,36 ; 11,4.27 ; 19,7 ; 20,31 ; Ac 9,20 ; Rm 1,1-5 ; 2Co 1,19 ; Ga 2,20 ; 1Jn 3,8 ; 4,15 ; 5,5.10.13.20). Et Jésus est bien « Fils de Dieu » en tant qu’il est « né du Père avant tous les siècles », « engendré, non pas créé, de même nature que le Père » (Notre Crédo). En effet, depuis toujours et pour toujours, le Père se donne tout entier à lui et l’engendre ainsi à son Etre et à sa Vie… « Comme le Père a la Vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir la Vie en lui-même » (Jn 5,26). Ainsi, nous dit Jésus, « tout ce qu’a le Père est à moi » (Jn 16,15), de telle sorte que si le Père peut dire de Lui-même « JE SUIS », comme il l’a dit un jour dans le Buisson Ardent à Moïse (Ex 3,14), Jésus peut aussi dire de Lui-même « JE SUIS » : « En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham existât, JE SUIS » (Jn 8,58), car de toute éternité, le Père lui donne d’Etre ce qu’Il Est… Et Dieu notre Père nous a créés par son Fils (Jn 1,3) et par la Puissance de l’Esprit Saint pour que nous puissions participer grâce à notre foi au Fils à ce que le Fils Est depuis toujours… « Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que lors de cette manifestation nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est » (1Jn 3,2). Or, il est « Lumière du monde » et ce n’est que par « sa Lumière que nous verrons la Lumière » (Psaume 36(35),10). Or cette Lumière est Vie (Jn 1,4 ; 8,12) et « c’est l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63 ; Ga 5,25). Ainsi, le don de l’Esprit Saint que le Fils est venu nous offrir au Nom de son Père (Jn 20,22 ; 1Th 4,8 ; Ac 2,38) nous donne de participer dès maintenant, dans la foi, à ce que Dieu Est, lui qui Est Esprit (Jn 4,24) et qui Est Saint (Ps 99(98),3.5 ; Is 6,3). Et par cette participation au Mystère de son Etre et de sa Vie, nous devenons, petit à petit, de miséricorde en miséricorde, fils comme le Fils par notre foi au Fils… Le Père nous a en effet tous créés pour que « reproduire l’image de son Fils, afin qu’il soit l’aîné d’une multitude de frères » (Rm 8,29)…
Comme pour les Eglises précédentes, le « Fils de Dieu » « connaît la conduite » des chrétiens de Thiatyre (Ap 2,2.9.13). Mais si jusqu’à présent il connaissait « leurs labeurs », « leurs épreuves », « leur pauvreté », « là où ils demeurent », cette connaissance apparaît ici comme étant capable d’atteindre le plus secret et le plus profond des cœurs : « Je connais ton amour, ta foi » car « c’est moi qui sonde les reins et les cœurs », dit-il peu après (Ap 2,19.23). Or la Bible sait très bien que « le cœur de l’homme est impénétrable » pour l’homme (Jdt 8,14). Dieu seul peut percer « ses secrets » (Ps 44(43),22) : « Moi, Yahvé, je scrute le cœur, je sonde les reins » (Jr 17,10 ; 11,20 ; 20,12). Et c’est bien parce que « Dieu sait » que le Psalmiste se confie en lui dans l’espoir que la justice et la vérité finiront bien un jour par triompher : « Mets fin à la malice des impies, affermis le juste, toi qui sondes les cœurs et les reins, ô Dieu le juste ! Mon bouclier est auprès de Dieu, le sauveur des cœurs droits » (Ps 7,10-11). Alors, « toi, écoute au ciel, où tu résides, pardonne et agis ; rends à chaque homme selon sa conduite, puisque tu connais son cœur (et tu es le seul à connaître le cœur de tous) » (1R 8,39)… Dieu, avec son Fils et par lui, rendra bien « à chaque homme selon sa conduite », mais certainement pas au sens où nous pouvons comprendre spontanément une telle affirmation. Ainsi, celui qui a fait le mal ne recevra pas le châtiment qu’il mériterait dans le cadre d’une justice tout humaine, mais s’il accepte de se repentir de tout cœur, « là où le péché a abondé, la grâce surabondera » (Rm 5,20). Dieu ne rajoute rien en effet aux conséquences déjà destructrices du mal commis, car celui qui agit mal en désobéissant à la vérité, à la justice, à la droiture, à la bonté et donc à Dieu, s’engage par lui-même sur un chemin de mort, de tristesse, de « souffrance et d’angoisse » (Rm 6,23 ; 2,9). Et Dieu, dans son Amour, ne cesse de désirer pour lui le meilleur : la Plénitude de sa Vie, de sa Lumière et de sa Joie dont le pécheur ne peut qu’être privé par suite de ses fautes… Alors cet Amour prendra pour lui le visage de la Miséricorde qui fait le premier pas vers le pécheur, le rejoint au cœur de sa misère et de ses ténèbres, et l’appelle au repentir. Alors, par le « pardon des péchés », celui qui faisait le mal pourra retrouver avec le Christ « le chemin de la Paix » (Lc 1,76-79), de la Vie (Jn 10,10), de la Lumière (Jn 12,46), de l’Amour (Rm 5,5 ; Ga 5,22) et donc de la vraie Joie (Jn 15,11) car « aimer, c’est tout donner et se donner soi-même » (Ste Thérèse de Lisieux) et « il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » (Ac 20,35)…
Jésus, vrai homme mais aussi vrai Dieu, « connaît donc ce qu’il y a dans l’homme » (Jn 2,23-25), et ici « il connaît l’amour et la foi » des chrétiens de Thyatire. Autrement dit, leur cœur est bien ouvert à Dieu, et tel est l’essentiel : ils peuvent recevoir ce Don de l’Esprit qui jaillit sans cesse de ce Dieu Source d’Esprit, de Lumière (Ps 84(83),12) ou d’Eau Vive (Jr 2,13 ; 17,13 ; Jn 4,10-14 ; 7,37-39 ; 19,33‑34). Alors, l’Esprit reçu leur donnera de croire (1Co 12,3) et rendra chaque jour leur foi plus parfaite (Col 1,9-12). Il leur donnera aussi d’aimer (Rm 5,5 ; Ga 5,22) et de grandir chaque jour dans l’amour… Les chrétiens de Thyatire gardent donc bien les commandements de Jésus, car ils demeurent en son amour (Jn 15,10), unis à Lui dans la Communion d’un même Esprit. Et vis-à-vis d’eux, Jésus peut dire : « Je Suis le bon pasteur; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît et que je connais le Père, et je donne ma vie pour mes brebis » (Jn 10,14-15).
Or cette Vie reçue est celle du Christ Serviteur qui, petit à petit, transforme ceux et celles qui la reçoivent en serviteurs et en servantes. Autrement dit, une foi vivante qui accueille l’Esprit d’Amour ne pourra que s’exprimer très concrètement en une attitude d’accueil, de disponibilité et de service (Jc 2,17-18.26), à l’exemple du Christ Jésus lui‑même, lui qui « n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mc 10,45). Et il le manifestera très concrètement juste avant sa Passion : « Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin. Au cours d’un repas, alors que déjà le diable avait mis au cœur de Judas Iscariote, fils de Simon, le dessein de le livrer, sachant que le Père lui avait tout remis entre les mains et qu’il était venu de Dieu et qu’il s’en allait vers Dieu, il se lève de table, dépose ses vêtements, et prenant un linge, il s’en ceignit. Puis il met de l’eau dans un bassin et il commença à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint » (Jn 13,1-5). Ainsi, nous dit Jésus, « si quelqu’un me sert, qu’il me suive, et là où Je Suis, là aussi sera mon serviteur » (Jn 12,26). Jésus est « dans le Père », uni au Père dans la communion d’un même Esprit, Esprit d’Amour et de Paix (Jn 14,10) ? Là aussi sera son serviteur… Jésus est par amour au pied des hommes, au service de leur vie et de leur bien-être profond, surtout au cœur des pires épreuves ? Là aussi sera son serviteur (2Co 4,5)…
Et telle est bien la dynamique des chrétiens de Thyatire : après avoir évoqué leur amour et leur foi, Jésus aborde leur « dévouement » (Bible de Jérusalem), littéralement leur « diakonia », leur « service » (TOB). Après l’amour[2], « la mention du service est une autre nouveauté par laquelle Thyatire se distingue des autres Eglises, puisque le mot ne sera employé nulle part ailleurs dans l’Apocalypse. Ce mot est pourtant riche de résonances apostoliques et il traduit une réalité de grande importance pour les premières communautés chrétiennes (Ac 1,17.25 ; 6,4 ; 12,25 ; Rm 11,13 ; 1Co 12,5) »[3]. La foi de ces chrétiens est donc bien vivante : elle accueille le don de l’Esprit d’Amour qui les met « au service » de leurs frères, de telle sorte que « leurs œuvres vont en se multipliant » (Ap 2,19)…
Enfin, après la notion de « service », apparaît celle de « constance, endurance, persévérance, patience », un terme clé du Livre de l’Apocalypse que nous avons déjà rencontré dès Ap 1,9, et qui apparaît sept fois en tout dans l’ensemble du Livre, en signe de perfection. Cette « persévérance » est encore un des fruits de l’Esprit Saint accueilli par une foi vivante, un Esprit qui est participation à la Patience de Dieu (Rm 2,4 ; 1Tm 1,16 ; 2P 3,9) et « force » (2Tm 1,7) dans l’épreuve. Alors, grâce à Lui, « la pluie peut tomber, les torrents venir, les vents souffler et se déchaîner », ces disciples de Jésus tiendront bon car leur vie était construite sur le Roc par leur foi en lui (Mt 7,21-27), une foi qui leur permettra de se laisser remplir par cet Esprit donné en surabondance (Ac 2,4 ; 4,8.31 ; 6,3.5 ; 9,17 ; 11,24 ; 13,9.52). Et les croyants de l’époque avaient bien besoin de sa Présence et de son soutien pour faire face à cette persécution déclenchée par les Romains…
Mais qui peut se prétendre parfais ici-bas ? Qui peut dire qu’il n’a aucun progrès à faire ? Personne, pas même ces chrétiens de Thyatire… Et le Christ va leur indiquer quelques points à corriger. En effet, certains parmi eux devaient tout à la fois participer au culte chrétien et continuer de fréquenter les temples dédiés aux idoles ou au culte de l’empereur romain. Pour le dénoncer, le Christ va recourir à la figure de Jézabel, cette fille du Roi des Sidoniens que le Roi d’Israël Achab (874-853 av JC) avait épousée. Et il s’était laissé entraîner par elle à se prosterner devant ses idoles, Baal et Ashéra , allant même jusqu’à leur construire un Temple à Samarie, la capitale du Royaume du Nord (1R 16,31-33)… Et la reine Jézabel, de son côté, « massacrera les prophètes du Seigneur » (1R 18,4) et cherchera à tuer Elie (1R 19,2). Ainsi, tout comme Jézabel avait « séduit » et « dévoyé » son mari (1R 21,25) en le poussant à se tourner vers les idoles, une femme qui se disait prophétesse incitait les chrétiens de Thyatire « à se prostituer en mangeant des viandes immolées aux idoles », une pratique qui sous-entendait à l’époque la reconnaissance et le culte de ces idoles. L’allusion à la prostitution ne sert ici qu’à dénoncer l’infidélité au Seigneur dès lors qu’on l’abandonne pour se tourner vers d’autres dieux (cf. Ps 106(105),35-39 ; Jr 2,20 ; 3,1-13 ; Ez 16,15-19 ; Os 2,4-10). Aussi, Dieu va-t-il réagir une fois de plus au mal par un appel au repentir car telle est bien l’œuvre continuelle de cette Lumière qui jaillit sans cesse de ce Dieu Lumière (1Jn 1,5). Pour celui qui est tourné vers elle, elle se fera nourriture et vie permettant à la bonne plante de grandir et de se développer. Et pour celui qui lui tourne le dos ou lui ferme son cœur, elle ne cessera de toute façon de le rejoindre, mais sa Présence se fera alors appel continuel au repentir, pour que ce pécheur se détourne enfin de ses ténèbres qui ne pourront jamais rien lui offrir, pour se tourner vers cette Lumière qui veut se donner à Lui, pour son bien. Et il découvrira avec elle, une Source de Vie, de Plénitude et de Paix… Dieu est ainsi jaillissement continuel de grâce… Elle comblera les cœurs qui se tournent vers Lui, et elle ne cessera au même moment d’inviter les pécheurs à se détourner du mal pour trouver avec elle la vraie Paix et la vraie Joie. Telle est l’action de Dieu au cœur de ce monde, depuis qu’il existe, car « toute la terre, Seigneur, est remplie de ton Amour » et de « ta Gloire » (Ps 97(96),6 ; Jn 1,9)…
C’est donc la grâce de Dieu toujours présente, toujours offerte, qui nous apprend à renoncer au mal pour nous tourner de tout cœur vers la Bonne Direction : Dieu Lui-même, Source de Vie… Dieu donne ainsi à tous « la repentance qui conduit à la Vie » (Ac 11,18 ; 5,31). Et c’est toujours cette « Grâce de Dieu source de salut pour tous les hommes, qui s’est manifestée » en Jésus Christ, « nous enseignant à renoncer à l’impiété et aux convoitises de ce monde, pour vivre en ce siècle présent dans la réserve, la justice et la piété » (Tt 2,11-12).
Le verbe « se repentir » intervient ici trois fois, et « trois » est très souvent dans la Bible le chiffre de Dieu en tant qu’il agit… Et telle est bien son action continuelle envers tous les hommes blessés par le péché : jour après jour, qu’ils se repentent avec l’aide de sa grâce qui ne cesse de les appeler par sa simple Présence à se tourner vers Lui pour trouver avec Lui le Repos, la Paix et la Plénitude de la Vie. Mais s’ils refusent, le mal qu’ils commettent finira par les ronger et les détruire : « Lavez-vous, purifiez‑vous ! Otez de ma vue vos actions perverses ! Cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien ! Recherchez le droit, redressez le violent ! Faites droit à l’orphelin, plaidez pour la veuve ! Allons ! Discutons ! dit le Seigneur. Quand vos péchés seraient comme l’écarlate, comme neige ils blanchiront ; quand ils seraient rouges comme la pourpre, comme laine ils deviendront. Si vous voulez bien obéir, vous mangerez les produits du terroir. Mais si vous refusez et vous rebellez, c’est l’épée qui vous mangera ! » (Is 1,16‑20). Et tu verras alors à quel point c’est « ta méchanceté qui te châtie et tes infidélités qui te punissent ! Comprends et vois comme il est mauvais et amer d’abandonner le Seigneur ton Dieu » (Jr 2,19).
« Prendrais-je donc plaisir à la mort du méchant – oracle du Seigneur Dieu – et non pas plutôt à le voir renoncer à sa conduite et vivre ? » Non, « je ne prends pas plaisir à la mort de qui que ce soit, oracle du Seigneur Dieu. Convertissez-vous et vivez ! Par ma vie, oracle du Seigneur Dieu, je ne prends pas plaisir à la mort du méchant, mais à la conversion du méchant qui change de conduite pour avoir la Vie. Convertissez-vous, revenez de votre voie mauvaise. Pourquoi mourir, maison d’Israël » (Ez 18,23.32 ; 33,11 ; Dt 30,15-20) ?
Nous voyons donc bien que Jean emploie en Ap 2,22-23 le langage imparfait de l’Ancien Testament qui attribue très souvent à Dieu les conséquences du péché. Mais non… Dieu n’agit pas ainsi… Mais si ces pécheurs de Thyatire ne répondent pas à son appel au repentir, ils ne pourront, tôt ou tard, que se tordre sur « un lit de douleurs » et se découvrir « frappés de mort » par suite du mal qu’ils commettent… Car se détourner de Dieu Source de Vie, c’est s’engager sur un chemin de privation de cette Vie, et donc sur un chemin de mort… Et c’est cela que Dieu veut éviter à tout prix… D’où ses multiples appels au repentir…
Enfin, Jean « fustige au passage la doctrine des prétendues « profondeurs de Satan », allusion à peine voilée » à ces courants hérétiques du 1° siècle qui affirmaient que « le salut pouvait s’obtenir par la seule connaissance de révélations secrètes, sans aucune exigence de conversion réelle »[4]…
Après avoir souligné les dangers qui menacent l’Eglise de Thyatire, le Christ va revenir indirectement sur les éloges du début, lorsqu’il évoquait leur « amour », leur « foi », leur « dévouement », leur « constance », autant de bons fruits de l’Esprit Saint que l’on ne peut cueillir que sur des bons arbres (Mt 7,15-20). Alors, cette relation vraie et vivante qu’ils ont avec leur Seigneur, qu’ils la gardent ! « Ce que vous avez », et « nul ne peut rien recevoir si cela ne lui a été donné du ciel » (Jn 3,27), « tenez-le ferme jusqu’à mon retour », ce dernier Jour du monde où vous verrez « le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel avec Puissance et grande Gloire » (Mt 24,30 ; 1Tm 6,13‑16 ; 2Tm 4,8 ; Tt 2,13).
Et le message à Thyatire se termine comme les précédents par un appel lancé « au vainqueur », c’est-à-dire à celui qui, par sa fidélité au Christ, aura, jour après jour, laissé le Christ remporter la Victoire dans sa vie sur toute forme de ténèbre et de mort… La citation qui suit est d’ailleurs riche d’enseignements : « je lui donnerai pouvoir sur les nations ; c’est avec un sceptre de fer qu’il les mènera comme on fracasse des vases d’argile ! » (Ps 2,8-9). Or ce Psaume était habituellement chanté dans le Temple de Jérusalem lors des cérémonies d’intronisation royale. Le nouveau roi, en recevant l’onction des mains d’un prophète[5] ou plus tard d’un prêtre, devenait « l’Oint » du Seigneur, « le Messie » (du verbe hébreu « Massah, oindre »), le Christ (du verbe grec « Khriô, oindre »). Par la grâce de cette onction, bien que toujours homme comme tous les hommes, il était établi dans une relation toute particulière avec son Seigneur qui l’appelait à le servir en tant que roi d’Israël : « Tu es mon fils, moi aujourd’hui, je t’ai engendré ». Cette Parole, Jésus l’entendra au jour de son baptême par Jean-Baptiste, et c’est en cet instant qu’il sera manifesté à tous comme le Messie promis, ce Roi Fils de David tant attendu par Israël (Lc 3,21-22). Et son règne sera bien appelé à s’étendre au‑delà des seules frontières de la Palestine : « Je te donne les nations pour héritage, pour domaine les extrémités de la terre »…
Mais ici, surprise, le Psaume n’est pas appliqué au Christ mais à tous ceux qui croient en Lui. Et nous retrouvons ainsi indirectement que le Fils est venu transformer les hommes a son image en leur donnant d’avoir part à cette « insondable richesse » de grâce qui remplit son cœur (Ep 3,8 ; Jean 1,14 et 1,17 ; Rm 8,9). Il est Roi pour avoir reçu sa Royauté de son Père (1Co 15,28) ? Ils seront rois en recevant leur royauté du Fils, leur grand frère… « Vous êtes, vous, ceux qui sont demeurés constamment avec moi dans mes épreuves », disait Jésus à ses disciples juste avant sa Passion ; « et moi je dispose pour vous du Royaume, comme mon Père en a disposé pour moi : vous mangerez et boirez à ma table en mon Royaume, et vous siégerez sur des trônes pour juger les douze tribus d’Israël » (Lc 22,28-30). Jésus est « Prince des rois de la terre » (Ap 1,5), il a « pouvoir sur les nations », car il a « reçu ce pouvoir de son Père » (Ap 2,26-28) ? Dès maintenant, par leur foi, ses disciples recevront eux‑aussi ce « pouvoir sur les nations », et notamment, dans le contexte du Livre de l’Apocalypse, sur ces Romains qui les persécutent. Ces paroles devaient être pour eux pleines d’espérance, car elles étaient promesse d’une victoire finale, tôt ou tard : « Voici maintenant le salut, la puissance et la royauté de notre Dieu, et le pouvoir de son Christ ! » (Ap 12,10).
Jésus est Lumière du monde ? Ils deviendront eux aussi lumière du monde en accueillant par leur foi sa Lumière et sa Vie : « Vous êtes la lumière du monde. Une ville ne peut se cacher, qui est sise au sommet d’un mont. Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais bien sur le lampadaire, où elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. Ainsi votre lumière doit-elle briller devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux » (Mt 5,14-16).
Jésus est « l’Astre d’en Haut venu nous visiter dans les entrailles de Miséricorde de notre Dieu » (Lc 1,78), « l’Etoile resplendissante du matin » (Ap 22,16) ? En recevant de Lui « l’Etoîle du matin » (Ap 2,28), ses disciples deviendront eux aussi, quelque part, comme leur Maître, à son Image et Ressemblance…
Jésus est glorieux en tant qu’il reçoit du Père sa Gloire ? Ils seront glorieux en tant qu’ils recevront du Fils leur Gloire : « Je leur ai donné la Gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un » (Jn 17,22). Ainsi, en se recevant du Fils comme Lui-même se reçoit du Père, tous les disciples de Jésus sont invités à devenir par grâce ce qu’Il Est, Lui, par nature …
… et mon coeur me révèle »…
Ste Thérèse de Lisieux
Mais bien sûr, pour que tout ceci s’accomplisse, les disciples sont invités à la fidélité vis-à-vis de leur Seigneur : « celui qui restera fidèle à mon service jusqu’à la fin, je lui donnerai »… Heureusement, cette fidélité sera avant tout le fruit de la fidélité du Seigneur ; en effet, « si nous sommes infidèles, lui reste fidèle, car il ne peut se renier lui‑même » (2Tm 2,13). Le Soleil ne peut que briller, la Source ne peut que couler, l’Amour ne peut que se donner et se donner encore, que nous soyons fidèles ou pas… Si nous nous détournons de Lui, comme nous l’avons vu précédemment, Lui continuera à se donner, sa grâce sera toujours là, offerte, prête à être reçue dès que l’on se tournera vers Lui. Et c’est encore elle qui nous invitera à le faire en nous donnant la force de nous dégager, petit à petit, des filets du mal… De miséricorde en miséricorde, notre fidélité à Dieu apparaît alors comme un don de Dieu, un nouveau fruit de l’Esprit Saint, comme l’annonçait déjà au 8° siècle av JC le prophète Osée (Os 2,18-22) : « Il adviendra en ce jour-là – oracle du Seigneur – que tu m’appelleras «Mon mari», et tu ne m’appelleras plus «Mon Baal». J’écarterai de sa bouche les noms des Baals, et ils ne seront plus mentionnés par leur nom. Je conclurai pour eux une alliance, en ce jour-là, avec les bêtes des champs, avec les oiseaux du ciel et les reptiles du sol; l’arc, l’épée, la guerre, je les briserai et les bannirai du pays, et eux, je les ferai reposer en sécurité. Je te fiancerai à moi pour toujours ; je te fiancerai dans la justice et dans le droit, dans la tendresse et la miséricorde ; je te fiancerai à moi dans la fidélité, et tu connaîtras le Seigneur ».
Dieu apparaît ainsi comme le premier artisan de la conversion de son Peuple, arrachant de son cœur et de sa bouche les « Baals », les idoles… Et la Bible de Jérusalem précise en note que l’expression « je te fiancerai dans »… est une expression technique de l’époque, tout ce qui suit la préposition « dans » étant la dot que le fiancé offrait à sa fiancée. Les cadeaux de Dieu à son épouse infidèle (Os 2,4-7) sont donc « la justice » qui lui donnera d’être juste (cf. Rm 3,21-30 ; 4,24-25 ; 5,1-2 ; 5,15-21 ; 8,33-34 ; 10,4 ; Ga 2,15-16 ; 3,24), « la tendresse et la miséricorde » qui, petit à petit, l’invitera à aimer comme Dieu aime (cf. Rm 5,5 qui permet l’accomplissement de Jn 15,12), et « la fidélité »… Ainsi, c’est Dieu qui, par le don de sa grâce, nous permet de grandir dans la fidélité à sa grâce…
Le vainqueur sera ainsi « celui qui garde jusqu’à la fin les œuvres du Christ dans sa vie », l’œuvre du Bon Pasteur qui cherche sa brebis perdue jusqu’à ce qu’il la retrouve (Lc 15,4), l’œuvre du Médecin qui est venu chercher et sauver ce qui était perdu (Lc 5,31-32 ; 19,10), l’œuvre de l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde (Jn 1,29) en nous offrant inlassablement le pardon de toutes nos fautes, l’œuvre du Christ « Lumière du monde » qui est venu pour que sa Lumière brille dans nos ténèbres (Jn 8,12 ; 12,46), l’œuvre du Christ « Puissance de Dieu et Sagesse de Dieu » (1Co 1,24) qui désire voir sa Force régner au cœur de notre faiblesse (2Co 12,7-10) et son « Esprit de sagesse illuminer les yeux de notre cœur » (Ep 1,15-17), l’œuvre de Jésus Pain de Vie qui, par sa Parole et par ses Sacrements, vient jour après jour nous donner d’avoir part à sa Vie… Nous voyons bien que c’est parce que le Christ est ce qu’Il Est que l’aventure chrétienne est possible
D. Jacques Fournier
[1] PREVOST Jean-Pierre, « L’Apocalypse », (Bayard Editions/Centurion ; collection Commentaires ; Paris 1995) p. 48.
[2] PREVOST Jean-Pierre, « L’Apocalypse » p. 48 : Ce mot amour, « (agapé en grec) avait déjà été employé à propos de l’Eglise d’Ephèse, mais pour évoquer une réalité périmée (Ap 2,4). Thyatire est donc la seule Eglise à se recommander par ce qui est proprement constitutif de la vie chrétienne (Jn 15,12 ; 1Co 13 ; 1Jn 4,7) ».
[3] Id p. 48.
[4] PREVOST Jean-Pierre, « L’Apocalypse » p. 49.
[5] Le roi David, par exemple, fut oint par le prophète Samuel (1 Samuel 16,1-13) : Samuel prit une corne remplie d’huile et la versa sur la tête du jeune David. Dès lors, « l’Esprit du Seigneur fondit sur David ». L’huile en elle-même n’a aucune importance : elle est le signe visible de l’Esprit invisible de Dieu qui vient pénétrer le cœur du jeune David comme l’huile pénètre dans la peau. Par le don de cet Esprit, Dieu communiquait au roi toutes les grâces nécessaires pour le bon accomplissement de sa mission. En effet, le roi n’était que l’instrument par lequel Dieu régnait sur son Peuple.
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