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Le Mystère de la Trinité (1) : « Le Père et le Fils, en face à face, unis l’un à l’autre dans la communion d’un même Esprit. »

 

            « Si Dieu était votre Père », dit Jésus à ses adversaires, « vous m’aimeriez, car c’est de Dieu que je suis sorti et que je viens ; je ne viens pas de moi-même ; mais lui m’a envoyé » (Jn 8,42), « et celui qui m’a envoyé est avec moi ; il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît » (Jn 8,29). « Celui qui ma envoyé », le Père, « est avec moi », dit Jésus, et cela « toujours », car Jésus « fait toujours ce qui lui plaît ». Accueillir le Fils, « le Verbe fait chair » (Jn 1,14), celui que les hommes pouvaient voir avec leurs yeux de chair, « c’est donc au même moment accueillir le Père », « toujours » avec le Fils, mais invisible à nos yeux de chair, car « Dieu est Esprit », dit Jésus à la Samaritaine (Jn 4,24).

            Nicodème avait reconnu que Jésus n’était pas seul : « Rabbi, nous le savons, tu viens de la part de Dieu comme un Maître : personne ne peut faire les signes que tu fais, si Dieu n’est pas avec lui » (Jn 3,2). C’était Dieu le Père, en effet, qui, avec lui et par lui, accomplissait des miracles, signes et prodiges pour aider les foules à croire en son Fils : « Jésus le Nazôréen, cet homme que Dieu a accrédité auprès de vous par les miracles, prodiges et signes qu’il a opérés par lui au milieu de vous », dit St Pierre à la foule (Ac 2,22). Et Jésus lui-même disait : « Les œuvres que le Père m’a donné à mener à bonne fin, ces œuvres mêmes que je fais me rendent témoignage que le Père m’a envoyé » (Jn 5,35). En effet, « le Père demeurant en moi fait ses œuvres » (Jn 14,10), car « le Fils ne peut rien faire de lui-même qu’il ne le voie faire au Père ; ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait » (Jn 5,19‑20).

            Le Fils est donc tout d’abord entièrement « tourné vers le sein du Père » (Jn 1,18). Dans la foi, en « Verbe fait chair », vrai Dieu (Jn 1,1 ; 20,28) mais aussi vrai homme, « Fils de l’homme » (Mc 9,31), il le regarde, il le voit, il l’écoute. En serviteur du Père, il fait ce qu’il voit faire au Père, il dit ce qu’il a vu auprès du Père, et aussi ce que le Père lui dit : « Je dis ce que j’ai vu chez mon Père » (Jn 8,38), « je dis ce que le Père m’a enseigné » (Jn 8,28).

            Le compagnonnage de Jésus avec son Père est donc au cœur de son Mystère. Jésus est tout entier tourné vers le Père, il ne cesse de le regarder, de l’écouter, il est tout entier à son service, ne cherchant qu’une seule chose : accomplir sa volonté, dans une obéissance parfaite… « Et Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,3-6)…

            Mais ce Mystère d’un « être avec… », « d’un être auprès de… », « d’un être tourné vers » un Autre que Lui-même, Jésus en parle aussi avec d’autres expressions qui peuvent sembler incompatibles avec les premières. En effet, Jésus le Fils, « l’Unique Engendré » (Jn 1,18), est le seul à être « qui » il est. Le Fils n’est pas le Père, et le Père n’est pas le Fils. A ce titre, le Père et le Fils, en tant que Personnes divines uniques, sont toujours en face à face. De ce point de vue, le Père n’est pas dans le Fils, et le Fils n’est pas dans le Père : le Père, lui qui est le seul à être le Père, est face à face avec un autre que Lui-même, le Fils, qui, de son côté, est lui aussi le seul à être le Fils. Et pourtant, Jésus nous dit : « Le Père », ce Père que je ne suis pas, ce Père qui est un autre que moi-même, « est en moi et moi, je suis dans le Père ». C’est ce qu’il affirme par deux fois à Philippe après lui avoir déclaré : « Nul ne vient au Père que par moi. Si vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père ; dès à présent vous le connaissez et vous l’avez vu. Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit. » Jésus lui dit : Voilà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ? Qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : Montre-nous le Père ! ? Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même : mais le Père demeurant en moi fait ses œuvres. Croyez-m’en ! je suis dans le Père et le Père est en moi. Croyez du moins à cause des œuvres mêmes » (Jn 14,6-11).

           Le Père n’est pas le Fils, le Fils n’est pas le Père ; à ce titre, ils sont toujours en face à face… Et pourtant, « le Père est dans le Fils, et le Fils est dans le Père », nous dit Jésus plusieurs fois. Comment donc harmoniser ce qui semble si contradictoire ? Nous touchons ici aux conséquences éternelles de l’engendrement éternel du Père par le Fils, « dès avant la fondation du monde » (Jn 17,24), « avant tous les siècles » (Crédo), et donc avant que le temps n’existe… « Comme le Père a la vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir la vie en lui-même… Ainsi, je vis par le Père » (Jn 5,26 ; 6,57), nous dit Jésus. Et pourquoi ? « Car le Père aime le Fils et il a tout donné en sa main » (Jn 3,35), tout, tout ce qu’il est, tout ce qu’il a : « Tout ce qu’a le Père est à moi » (Jn 16,15 ; 17,10). Le Père est Dieu ? Le Père aime le Fils, et de toute éternité, il se donne à lui, lui donnant ainsi gratuitement, par amour, d’être « Dieu né de Dieu, vrai Dieu né du vrai Dieu » (Crédo). « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5) ? Le Père aime le Fils, se donne totalement à lui, en tout ce qu’Il Est, lui donnant ainsi, gratuitement, par amour, d’être « Lumière née de la Lumière » (Crédo). Qui voit la Lumière du Fils voit donc la Lumière du Père, car il s’agit dans les deux cas de la même réalité spirituelle. C’est ainsi que Jésus peut dire : « Qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14,9), alors même que le Père n’est pas le Fils et que le Fils n’est pas le Père… « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16) ? « Tu es mon Fils Bien Aimé », lui dit le Père, « en toi j’ai mis tout mon amour » (Mc 1,11), tout ce que Je Suis. Ainsi, par ce Don total que le Père ne cesse de faire au Fils, tout ce qu’Est le Père, le Fils l’Est aussi en tant qu’il le reçoit du Père. Jésus peut alors dire : tout ce qui Est « en moi », tout ce qui me constitue, ma Plénitude d’Être et de Vie, tout cela Est aussi « en toi », Père, puisque le Fils reçoit tout du Père en « Unique Engendré » (Jn 1,18), « engendré non pas créé, né du Père avant tous les siècles » (Crédo). A ce titre, même si le Père n’est pas le Fils, et si le Fils n’est pas le Père, tout ce qui Est dans le Père Est dans le Fils, en tant que le Père le donne au Fils de toute éternité. Et tout ce qui Est dans le Fils Est dans le Père, en tant que le Fils le reçoit du Père de toute éternité… En considérant donc cette Plénitude d’Être et de Vie qui le constitue tout entier, le Fils peut  dire qu’il Est dans le Père et que le Père Est en Lui, alors même qu’ils sont toujours tous les deux en face à face…

            Le talent de St Jean est tel qu’il n’a besoin que de quelques mots pour exprimer ce Mystère de Communion du Père et du Fils, bien distincts l’un de l’autre, mais dans l’unité d’un même Esprit (cf Ep 4,3) : « Moi et le Père, nous sommes un » (Jn 10,30). En français, nous avons deux genres : le masculin et le féminin. En grec, il en existe trois : le masculin, le féminin et le neutre. Le masculin renvoie à des personnes de sexe masculin, avec énormément d’exceptions… Le féminin renvoie à des personnes de sexe féminin, avec énormément d’exceptions… Le neutre renvoie au domaine des choses, des réalités non personnifiées, avec énormément d’exceptions… Et en Jn 10,30, pour écrire « un », St Jean n’a pas utilisé le masculin, ce qui aurait voulu dire que le Père et le Fils n’auraient en fait été qu’une seule et même Personne, mais un neutre qui renvoie donc à une réalité non personnifiée, ici, ce que sont le Père et le Fils de toute éternité : « Amour » (1Jn 4,8.16), « Esprit » (Jn 4,24), « Lumière » (1Jn 1,5). Le Père et le Fils sont « un » en tant qu’ils sont unis l’un à l’autre dans la Communion d’un même Esprit, d’une même Lumière, d’un même Amour, en un mot d’une même Plénitude divine d’Être et de Vie, le Père la donnant au Fils de toute éternité, le Fils la recevant du Père de toute éternité…

            Ainsi, le Père et le Fils sont bien l’un en face de l’autre, l’un auprès de l’autre, l’un avec l’autre, bien distincts l’un de l’autre, et pourtant, ils sont unis au niveau de leur Être même dans la communion d’une même Plénitude spirituelle (« Dieu est Esprit » (Jn 4,24), le Père la donnant au Fils, gratuitement, par Amour, l’engendrant ainsi en Fils, le Fils la recevant gratuitement du Père, dans l’Amour. La relation qui existe ainsi entre les deux est vitale, existentielle, le Fils n’étant rien sans le Père…

            Alors, si, à un instant du temps, le Fils a assumé notre nature humaine, « corps, âme et esprit » (1Th 5,23), son esprit d’homme était pleinement uni à sa Plénitude spirituelle éternelle, mais cette réalité, invisible par nature à nos yeux de chair, ne se laisse percevoir qu’au regard du cœur, au regard de la foi… Et bien sûr, là où est le Fils, là est le Père, avec lui, auprès de lui, uni à lui dans la communion d’un même Esprit… Ainsi, « celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille mais celui qui m’a envoyé »…

D. Jacques Fournier

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