Le Mystère du Dieu Créateur et Père (Ap 4)
J’eus ensuite une vision. Voici : une porte était ouverte au ciel, et la voix que j’avais naguère entendu me parler comme une trompette me dit : Monte ici, que je te montre ce qui doit arriver par la suite. (2) À l’instant, je tombai en extase. Voici, un trône était dressé dans le ciel, et, siégeant sur le trône, Quelqu’un… (3) Celui qui siège est comme une vision de jaspe et de cornaline ; un arc-en-ciel autour du trône est comme une vision d’émeraude. (4) Vingt‑quatre sièges entourent le trône, sur lesquels sont assis vingt-quatre Vieillards vêtus de blanc, avec des couronnes d’or sur leurs têtes. (5) Du trône partent des éclairs, des voix et des tonnerres, et sept lampes de feu brûlent devant lui, les sept Esprits de Dieu. (6) Devant le trône, on dirait une mer, transparente autant que du cristal. Au milieu du trône et autour de lui, se tiennent quatre Vivants, constellés d’yeux par-devant et par-derrière. (7) Le premier Vivant est comme un lion; le deuxième Vivant est comme un jeune taureau; le troisième Vivant a comme un visage d’homme; le quatrième Vivant est comme un aigle en plein vol. (8) Les quatre Vivants, portant chacun six ailes, sont constellés d’yeux tout autour et en dedans. Ils ne cessent de répéter jour et nuit : Saint, Saint, Saint, Seigneur, Dieu Maître-de-tout, Il était, Il est et Il vient. (9) Et chaque fois que les Vivants offrent gloire, honneur et action de grâces à Celui qui siège sur le trône et qui vit dans les siècles des siècles, (10) les vingt-quatre Vieillards se prosternent devant Celui qui siège sur le trône pour adorer Celui qui vit dans les siècles des siècles ; ils lancent leurs couronnes devant le trône en disant : (11) Tu es digne, ô notre Seigneur et notre Dieu, de recevoir la gloire, l’honneur et la puissance, car c’est toi qui créas l’univers ; par ta volonté, il n’était pas et fut créé.
Une nouvelle vision intervient… Et la première réalité que St Jean voit est « une porte ouverte au ciel »… Par elle, il va pouvoir découvrir les réalités sur lesquelles elle s’ouvre : « le ciel »…
Et puis, il retrouve aussitôt cette « voix » qu’il avait déjà entendue, cette « voix qui clamait comme une trompette » (Ap 1,11 ; une allusion à la manifestation de Dieu au sommet du Mont Sinaï lors de l’exode d’Israël à travers le désert (Ex 19,16)) ou encore qui faisait penser à « la voix des grandes eaux », (Ez 1,24 ; 43,2 : une allusion cette fois à la voix de Dieu dans le Livre d’Ezéchiel). De toute façon cette « voix » était celle du Père, et en se retournant, St Jean avait vu non pas « une porte ouverte », mais « comme un Fils d’homme » (Ap 1,13), le Christ Ressuscité. Le parallèle est saisissant, surtout en se rappelant l’image employée par Jésus Lui-même, « Je Suis la Porte » (Jn 10,7.9). C’est par le Fils en effet que nous avons accès au Père en un seul Esprit (Ep 2,18), c’est par Lui que nous l’écoutons (Jn 12,49s), que nous le voyons (Jn 14,9), que nous le connaissons (Jn 1,18), et c’est toujours par Lui que nous pouvons aller dans sa Maison (Jn 14,1-6)…
Ce lien à la vision inaugurale par le thème de la voix ne peut donc que nous renvoyer au Christ et à son rôle d’unique Médiateur entre Dieu et les hommes (1Tm 2,3-6). Mais gardons-nous ici de toute identification rigide entre le Christ et cette « porte ouverte », car en « montant » jusqu’à elle, St Jean verra plus tard… « un Agneau comme égorgé » (Ap 5,6), le Christ Ressuscité qui porte encore en son corps glorifié les saintes marques de sa Passion (cf. Jn 20,19-29)…
Et tout ceci advint « en Esprit » : « je fus saisi par l’Esprit » (Ap 4,2 TOB), « je tombai en extase » (Bible de Jérusalem ; BJ). « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5), et ce n’est que grâce à la Lumière de l’Esprit qu’il nous est possible de découvrir « quelque chose » du Mystère de ce Dieu qui est Lumière. « Nul ne connaît en effet ce qui concerne Dieu sinon l’Esprit de Dieu. Et nous, nous n’avons pas reçu l’esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu pour connaître les dons gracieux que Dieu nous a faits » (1Co 2,11-12). L’Esprit est donc principe de connaissance des réalités spirituelles : « Nul ne peut dire « Jésus est Seigneur », sinon dans (ou par) l’Esprit Saint » (1Co 12,3). C’est Lui qui « illumine » discrètement, dans la foi, par sa Présence insaisissable, « les yeux de notre cœur pour nous faire voir quelle espérance nous ouvre son appel » (Ep 1,17-20)… Ainsi, avant toute lecture de la Parole de Dieu, avant tout travail pour le Seigneur, il nous faut donc demander la Lumière, l’aide et le soutien de l’Esprit Saint, puis nous lancer avec confiance dans la foi, car Jésus a dit : « Demandez, vous recevrez… Quiconque demande, reçoit… Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent » (Lc 11,9-13 ; Jn 4,10 avec Jn 7,37-39).
« Voici, un trône était dressé dans le ciel, et, siégeant sur le trône Quelqu’un »… St Jean se garde bien de le décrire : il est l’Incomparable (Is 40,25), le Tout Autre (cf. Lc 9,29), Celui que nos mots ne pourront jamais « saisir »… Des images l’évoqueront par la suite, mais notons avec Pierre Prigent[1] que « l’Ancien Testament parle volontiers du ciel comme du trône de Dieu » : « Ainsi parle le Seigneur : Le ciel est mon trône, et la terre l’escabeau de mes pieds » (Is 66,1). Jésus reprendra ce texte en Mt 5,33-34 : « Vous avez entendu qu’il a été dit : tu ne te parjureras pas… Eh bien ! moi je vous dis de ne pas jurer du tout : ni par le Ciel, car c’est le trône de Dieu ; ni par la Terre, car c’est l’escabeau de ses pieds ; ni par Jérusalem, car c’est la Ville du grand Roi ». Ces images soulignent la proximité de Dieu dès cette terre, « le Royaume des Cieux est tout proche » (Mt 4,17 ; Mc 1,15), mais elles présentent le Ciel tout entier comme « le trône de Dieu », « là » où par excellence « Dieu règne »… Ainsi, « entrer au ciel » c’est s’asseoir sur « le trône de Dieu », c’est entrer dans un état de vie où Dieu règne parfaitement et totalement jusques dans les profondeurs les plus intimes de notre être… C’est bien ce que dit Jésus à ses Apôtres : « Vous siégerez sur des trônes pour juger les douze tribus d’Israël » (Lc 22,30). Et dans le Livre de l’Apocalypse, Jésus est présenté « comme un Fils d’homme, ayant sur la tête une couronne d’or » (Ap 14,14), et il promet à chacun de ses disciples : « Reste fidèle jusqu’à la mort, et je te donnerai la couronne de vie ; mon retour est proche : tiens ferme ce que tu as, pour que nul ne ravisse ta couronne » (Ap 2,10 ; 3,11). Ainsi la Royauté de Dieu, qui est bien sûr celle du Christ, symbolisée ici par « la couronne », est une réalité de l’ordre de « la vie ». Lorsque Dieu règne, il donne sa vie. « Entrer dans le Royaume de Dieu », c’est laisser Dieu régner dans son cœur et dans sa vie, c’est le laisser nous communiquer sa vie, c’est vivre de sa vie, c’est « entrer dans la vie » (Comparer Mc 9,43 et 9,45 avec Mc 9,47). Si « le ciel » est ce « trône de Dieu » où Dieu règne en donnant sa Vie, le ciel n’est donc pas un lieu mais une réalité de l’ordre de la vie…
[1] PRIGENT P., L’Apocalypse de Saint Jean (Lausanne 1981) p. 82.
Et nous pouvons tous y entrer dès maintenant, dans la foi, et par notre foi, si nous laissons le Christ Miséricordieux accomplir son œuvre : « Je me tiens à la porte et je frappe. Si tu m’ouvres ton cœur, je ferai chez toi ma demeure… Et Je Suis la Lumière du monde, une Lumière qui brille dans les ténèbres et que les ténèbres ne peuvent saisir » : cette Lumière règne ! Et elle est vie… En effet, « quiconque croit en moi ne demeurera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. Car je suis venu pour qu’on ait la vie, et qu’on l’ait en surabondance… En vérité, en vérité, je vous le dis : celui qui croit a la vie éternelle » (Ap 3,20 ; Jn 1,4 ; 8,12 ; 1,4-5 ; 12,46 ; 10,10 ; 6,47). A nous maintenant d’aller en vérité à « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29), à nous maintenant de mourir en vérité au péché avec lui et grâce à lui (Rm 5,20-6,11), et nous pourrons dire alors avec St Paul : « Je suis crucifié avec le Christ. Ce n’est plus moi qui vis, mais c’est le Christ qui vit en moi. Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et qui s’est livré pour moi » pour que sa Vie règne dans ma vie (Ga 2,19-20)…
C’est ce que le Livre de l’Apocalypse redit encore avec ces « vingt quatre sièges qui entourent le trône, et sur lesquels sont assis vingt quatre Vieillards vêtus de blanc, avec des couronnes d’or sur leurs têtes » (Ap 4,4)… Eux aussi ont donc accueilli le Christ Roi dans leur vie : leurs « couronnes d’or » montrent qu’ils participent au Mystère de sa Royauté, c’est-à-dire au Mystère de sa vie… Ils sont « revêtus de blanc » car ils ont laissé le Christ les laver, les purifier, les sanctifier par cette eau et ce sang qui ont jailli de son Cœur transpercé (Jn 19,33‑35 ; 1Co 6,9‑11). Ils se sont ouverts à son Amour, à sa Miséricorde, ils ont accueilli son Pardon, ils l’ont laissé agir au plus profond de leur être, ils se sont abandonnés activement entre ses mains, « ils ont lavé leur robe et les ont blanchies dans le sang de l’Agneau. C’est pourquoi ils sont devant le trône de Dieu, le servant jour et nuit dans son Temple » (Ap 7,14-15).
Qui sont ces vingt quatre « Vieillards » (BJ) ou « anciens » (TOB) ? LA TOB explique en note : « Les trois éléments qui les caractérisent – trônes, vêtements blancs, couronnes – correspondent aux attributs promis aux chrétiens (cf. Ap 3,21 ; 3,4-5 ; 3,11). Cette assemblée céleste représente donc en un certain sens le Peuple de Dieu participant à la gloire et célébrant une liturgie d’adoration et d’action de grâces qui s’adresse d’abord à Dieu comme créateur (ch. 4), puis à l’Agneau comme Rédempteur (ch. 5). Le nom même d’anciens qui leur est donné évoque les chefs ou responsables d’Israël, puis des synagogues » (Ac 4,5.8.23 ; 6,12…) « et enfin des communautés chrétiennes » (Ac 11,30 ; 14,23 ; 15,2.4.6…). Ces anciens sont vingt quatre, ce qui peut faire penser soit aux vingt quatre classes sacerdotales (1Ch 24,3‑19), soit à douze prophètes représentant le prophétisme de l’Ancien Testament et aux douze apôtres, soit aux douze tribus de l’Ancien Israël augmentées des douze du nouveau Peuple de Dieu… Le caractère relativement général de la description de ces personnages laisserait supposer que l’auteur n’attache pas une grande importance à leur identification précise ».
Ces « anciens », ces « Vieillards » évoqueraient donc ce Mystère de la Communion des Saints qui rassemble tous les hommes et toutes les femmes de tous les temps qui ont dit « Oui ! » au Christ Sauveur… Et cette « terre » déjà au « ciel » travaille avec Dieu pour le bien de tous ceux qui vivent encore « sur la terre »… « Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre », disait Ste Thérèse de Lisieux…
« Celui qui siège » « sur le trône » « est comme une vision de jaspe et de cornaline ; un arc-en-ciel autour du trône est comme une vision d’émeraude. » Ces pierres précieuses nous disent la Beauté, la Pureté, l’Eclat de Dieu, dans la Splendeur de son Etre… Et elles sont ici au nombre de trois, un chiffre qui ne peut que nous faire penser au Mystère de la Trinité… « L’arc-en-ciel autour du trône » (BJ) renvoie d’abord ici à ce rayonnement de Lumière et de Beauté qui entoure le trône de Celui qui Est Lumière (1Jn 1,5), « une gloire » (TOB) qui est celle du Dieu de Gloire, le « Père de la Gloire » (Ep 1,17) tout comme le « Seigneur de la Gloire » (1Co 2,8), Jésus, son Fils. Mais la traduction de la BJ, « arc‑en‑ciel », ne peut que nous rappeler « l’arc-en-ciel » du Livre de la Genèse, signe de cette Alliance que Dieu vit avec tout homme vivant sur la terre (Gn 9,8-17)… Il est ainsi le Dieu Tout Proche de tous, pour leur bien, d’une manière ou d’une autre… Et du « trône, partent des éclairs, des voix et des tonnerres », les images habituelles pour décrire les manifestations de Dieu dans l’Ancien Testament (Ex 19,16-25 ; Ez 1…).
« Sept lampes de feu brûlent devant lui, les sept Esprits de Dieu » (Ap 4,5). Pierre Prigent et la TOB interprètent ces « sept Esprits » conformément à l’interprétation biblique habituelle du chiffre sept, symbole de perfection. Il s’agit donc de « l’Esprit dans sa plénitude » (TOB), « le Saint Esprit considéré dans sa septuple perfection » (P. Prigent). La dynamique serait alors identique à celle de la prophétie d’Is 11,1-2 sur le Messie à venir : « Un rejeton sortira de la souche de Jessé, un surgeon poussera de ses racines. Sur lui reposera l’Esprit de Yahvé, Esprit de sagesse et d’intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de connaissance et de crainte du Seigneur. Son inspiration est dans la crainte du Seigneur. » Cette traduction basée sur le texte hébreu évoque six dons du Saint Esprit. Et pour qu’il y en ait sept, la traduction grecque de la Septante réalisée par la communauté juive d’Alexandrie à partir du 3° siècle avant Jésus Christ en a rajouté un en traduisant « la crainte du Seigneur » par deux termes synonymes et donc différents, et en rajoutant une fois « Esprit de… », ce qui donne : « Sur lui reposera l’Esprit de Dieu, un Esprit de sagesse et d’intelligence, un Esprit de conseil et de force, un Esprit de connaissance et de piété. Un Esprit de crainte de Dieu le remplira. » Rappelons que le Nouveau Testament a été écrit en grec et que les trois quarts des citations de l’Ancien Testament qu’il renferme viennent directement de cette traduction grecque d’Alexandrie…
« Devant le trône, on dirait une mer transparente autant que du cristal » (Ap 4,6). Ce verset évoque la manifestation de Dieu au moment de l’accomplissement du rituel de la conclusion de l’Alliance en Ex 24,9-10 : « Moïse monta, ainsi qu’Aaron, Nadab, Abihu et soixante-dix des anciens d’Israël. Ils virent le Dieu d’Israël. Sous ses pieds il y avait comme un pavement de saphir, aussi pur que le ciel même. » Or, on affirmait à l’époque que « nul ne peut voir Dieu sans mourir » (Ex 33,20). C’est pourquoi l’auteur prendra bien soin de rajouter juste après que « ce jour-là, Dieu ne porta pas la main sur les notables des Israélites » (Ex 24,11)… Comme les pierres précieuses d’Ap 4,3, cette « mer transparente autant que du cristal » renvoie donc à l’infinie pureté de Dieu. Mais elle évoque également « la Mer de bronze » (1R 7,23‑26), cet énorme bassin placé près de l’autel, au cœur du Temple de Jérusalem, et qui servait à toutes les ablutions rituelles. Avec cette « Mer » et par elle, Dieu annonçait l’unique purification qu’il met en œuvre et que le Christ nous a pleinement révélée : « la purification des péchés » (Hb 1,3) accomplie par son offrande sur la Croix (Hb 9,14 ; 12,24 ; 1Jn 1,7-9 ; Tt 2,11-14) et concrètement réalisée dans les cœurs par « l’eau pure » de l’Esprit versée jour après jour en surabondance (Ez 36,24-28 ; Ac 22,16 ; Ep 5,25-27). Ainsi le Dieu pur veut-il que nous aussi nous soyons purs comme Lui-même est pur. « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu, car tout est possible à Dieu » (Mc 10,27). Et cela, « c’est encore Lui qui le fera » (1Th 5,23-24) par son Fils mort et ressuscité pour notre salut et par le Don de l’Esprit qui purifie, sanctifie, vivifie… Alors, « heureux les cœurs purs » car purifiés par son inlassable Miséricorde, « ils verront Dieu » (Mt 5,8 ; Ap 3,18)…
« Au milieu du Trône et autour de lui »… L’image est volontairement abrupte pour nous conduire de suite à son interprétation… Celui-là seul qui est au milieu du Trône, c’est Dieu, mais là aussi, attention à ne pas s’arrêter à une représentation qui serait trop humaine, car Dieu est aussi Présent à toute sa création… Nul ne peut le confiner en un lieu déterminé… C’est ainsi qu’Il est tout à la fois « au milieu du Trône et autour de lui », Présence universelle qui se propose de régner en Maître Souverain au cœur de tous ceux et celles qui accepteront de l’accueillir, pour qu’ils trouvent avec Lui la Plénitude de la Vie (Jn 1,12). Dieu étant « le Dieu Vivant » par excellence (Dt 4,30 ; 5,26, Ps 42‑43(41-42),3.9 ; 84(83),3 ; Ac 14,15) cette Présence à tous et partout sera encore symbolisée par ces « quatre Vivants », le chiffre « quatre » renvoyant aux quatre points cardinaux : le nord, le sud, l’est et l’ouest… Tout l’univers est ainsi concerné car « Dieu est le grand Roi, le Très Haut sur toute la terre » (Ps 47(46),3), une terre qui est remplie de sa gloire (Is 6,3)… Le Dieu Vivant est donc présent à tous et partout : c’est ce que symbolisent ces « quatre Vivants »…
De plus, « il sait tout » (Ba 3,32 ; 1Jn 3,20), « il voit tout » (2M 7,35 ; 9,5 ; 12,22 ; Si 15,18), ce que St Jean évoque avec ces « quatre Vivants, constellés d’yeux tout autour » … Et bien sûr il est le seul à avoir une pleine connaissance de lui-même (cf. 1Co 2,11), d’où cette « constellation d’yeux en dedans » (Ap 4,8).
Chacune des descriptions de ces « quatre Vivants » évoquera ensuite un aspect de « l’insondable richesse » (Ep 3,8) du Mystère de ce Dieu fort comme « un lion », puissant comme « un taureau », à la vue perçante comme « un aigle » planant au plus haut des cieux. Mais sa toute puissance n’est que de douceur car c’est elle qui permettra à une jeune vierge d’enfanter un fils, un bébé à « visage d’homme » (Ap 4,7), Jésus, le Fils Unique de Dieu en Personne ! Et ce n’est que bien plus tard qu’Irénée, Evêque de Lyon (mort vers 202 après Jésus Christ), a vu en ces quatre animaux les symboles des quatre évangiles… St Augustin mort vers 430 reprendra cette interprétation avec quelques variantes, et depuis il est d’usage de représenter artistiquement St Marc par un lion, St Luc par un taureau, St Matthieu par un homme et St Jean par un aigle… Mais encore une fois, cette interprétation tardive n’était certainement pas celle du Livre de l’Apocalypse à l’origine… Il n’empêche que cette symbolique des « quatre » évangiles est belle, car avec eux et par eux, c’est bien la Bonne Nouvelle d’un Dieu Vivant, Aimant et Régnant pour la Vie, qui est proposée à la foi aux « quatre » points cardinaux de la terre…
Ces « quatre Vivants » seront ensuite décrits avec des éléments empruntés au texte nous racontant la vocation d’Isaïe : « L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône grandiose et surélevé. Sa traîne emplissait le sanctuaire. Des séraphins se tenaient au-dessus de lui, ayant chacun six ailes, deux pour se couvrir la face, deux pour se couvrir les pieds, deux pour voler. Ils se criaient l’un à l’autre ces paroles : « Saint, saint, saint est le Seigneur Sabaoth, sa gloire emplit toute la terre » » (Is 6,1-3). Mais Isaïe nous parle d’Anges, de Séraphins alors que le Livre de l’Apocalypse, avec ces « quatre Vivants portant chacun six ailes », continue de nous évoquer le Mystère de Dieu… Mais cette manière de faire rejoint celle de l’Ancien Testament où très souvent « l’Ange de Dieu » renvoie à la Présence de Dieu Lui-même… Ainsi par exemple lors de l’épisode du Buisson ardent, il est écrit que « l’Ange du Seigneur apparut à Moïse dans une flamme de feu ». Mais après, c’est Dieu qui verra Moïse faire un détour pour voir cet étrange spectacle, et c’est Lui qui lui adressera directement la Parole (Ex 3,1-6). La Bible de Jérusalem explique ainsi à propos de « cet Ange » : « Dieu Lui-même sous la forme qu’il apparaît aux hommes ». Nous aurions donc ici, en Ap 4,8, quelque chose de semblable avec ces « quatre Vivants portant chacun six ailes »…
Et ces quatre Vivants « ne cessent de répéter jour et nuit : « Saint, Saint, Saint, Seigneur, Dieu Maître-de-tout, “Il était, Il est et Il vient” » (Ap 4,8). Dieu proclame ici son Nom, comme il le fit autrefois avec Moïse (Ex 34,5-9)… La notion de sainteté renvoie directement au Mystère de son Etre, ce Dieu qui se nomme « Je Suis » (Ex 3,14), et qui est le seul à Etre ce qu’Il Est… Les trois « saint » annoncent déjà de manière voilée le Mystère de la Trinité qui se révèlera pleinement avec le Fils et par Lui. Ainsi, chacune des Trois Personnes divines peut dire d’elle-même : « Je Suis » (cf. Jn 8,58). Et le Fils est venu nous partager le Mystère de son Etre pour qu’un jour, nous puissions tous dire comme Lui, selon notre condition de créature : « Je suis »…
Puis St Jean reprend l’expression légèrement modifiée « Il est, il était et il vient » qu’il avait déjà employée en Ap 1,4 et 1,8 pour parler de Dieu le Père, « le Seigneur Dieu », « le Maître de tout » (1,8), deux titres qu’il replace d’ailleurs en Ap 4,8 juste après le « saint, saint, saint » d’Isaïe. La vision continue donc de se centrer sur ce Dieu Créateur et Père, ce « Seigneur Dieu Maître de tout » qui s’est révélé par ses prophètes dans l’Ancien Testament, et puis par son Fils dans le Nouveau…
Mais ce Dieu qui s’est présenté avant tout comme un « Dieu Sauveur » par Jésus, « le Sauveur du monde » (Jn 4,42), agissait déjà au temps de l’Ancienne Alliance pour sauver et accueillir auprès de Lui tous ces « anciens », tous ces « Vieillards », tous ces hommes et femmes de bonne volonté qui ont vécu avant l’Incarnation de son Fils. L’histoire de l’humanité et de son salut ne peut donc qu’être placée sous le signe de la continuité vis-à-vis de cet Unique Dieu Créateur Présent à sa création depuis qu’elle existe, vivant en Alliance éternelle avec elle et qui l’a sauvée par l’unique sacrifice de son Fils, réalisé une fois pour toutes sur le bois de la Croix (Hb 7,25-27). Cette continuité de la Présence de ce Dieu aimant tous les hommes et travaillant à leur salut depuis que le monde existe sera soulignée ici, en Ap 4,8, par l’inversion des deux premiers membres de « Il est, il était et il vient ». Et nous avons : « Il était, il est et il vient »…
Face à une telle Beauté, les « Vieillards », les « anciens », cette multitude qui participe à la Vie de Dieu, à sa Lumière et à sa Gloire « se prosternent devant Celui qui siège sur le Trône pour adorer Celui qui vit dans les siècles des siècles », et pour lui rendre grâces. Dans leur joie, « ils lancent leurs couronnes devant le Trône », manifestant ainsi « qu’un homme ne peut rien recevoir si cela ne lui a été donné du ciel » (Jn 3,27). Cette couronne, en effet, leur a été donnée, gratuitement, par amour (Ap 2,10). « Car c’est par grâce que nous sommes sauvés ». « Ce salut ne vient pas de nous, il est un don de Dieu ; il ne vient pas des œuvres, car nul ne doit pouvoir se glorifier ». « Il n’est donc pas question de l’homme qui veut ou qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. » « Et Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont il nous a aimés, alors que nous étions morts par suite de nos fautes, nous a fait revivre avec le Christ. Avec lui, il nous a ressuscités et fait asseoir aux cieux dans le Christ Jésus » (Ep 2,4-10 ; Rm 9,16). Et ceci est valable pour tous les hommes de tous les temps, pourvu qu’ils soient de bonne volonté… Car avec elle et par elle, ils accueillent souvent sans le savoir, l’action de ce Dieu Sauveur et Père de tous les hommes qu’il désire accueillir à la table de son Royaume pour l’éternité…
C’est ce que disent ici tous « ces anciens », tous « ces Vieillards » qui ont vécu avant le Christ, lorsqu’ils « lancent leurs couronnes devant le trône » en geste d’action de grâces. Et puisque la vision est ici centrée sur ce Dieu Créateur, « le Seigneur Dieu Maître de tout », leur louange va se focaliser sur son acte de création : « Tu es digne, ô notre Seigneur et notre Dieu, de recevoir la gloire, l’honneur et la puissance (notons les « trois » attributs, clin d’œil vers Dieu…), car c’est toi qui créas l’univers ; par ta volonté, il n’était pas et fut créé » (Ap 4,11).
D. Jacques Fournier
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