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LE PASTEUR D’HERMAS

Composé probablement à la fin du Iersiècle ou au début du IIèsiècle à Rome en grec, l’ouvrage intitulé Le Pasteurest un texte particulièrement intéressant – voire déroutant – illustrant avec force la spiritualité ésotérique des premiers chrétiens. Son auteur, Hermas, demeure une énigme, bien que certains en fassent un proche de Clément de Rome. Il est à signaler qu’une mention de ce nom est aussi faite par Paul enRomains16,14, lorsqu’il salue les croyants de la communauté de la capitale de l’Empire ; Origène semble confirmer cette identification. Le Pasteurest considéré comme « Ecriture » par Irénée de Lyon et Clément d’Alexandrie ; il faut ajouter à cela qu’il est incorporé au Nouveau Testament contenu dans le Codex Sinaiticus (IVèsiècle).

Divisée en cinq Visions, douze Préceptes et dix Similitudes, l’œuvre propose un récit de tendance apocalyptique dont la théologie est relativement proche de l’Apocalypse de Jean, ce qui conforterait une datation basse, à l’aube du IIèsiècle. Les thèmes abordés tournent essentiellement autour de conceptions morales telles que la continence, la repentance et le devoir de maintenir ses proches dans la voie droite du Seigneur. On notera notamment au début du livre la mention de la tentation d’adultère. De cette situation initiale, un enseignement mystique adressé par une vieille femme représentant l’Eglise, un ange (l’Ange de la repentance) et finalement le Pasteur (figure du Christ) a pour objectif de nous exposer la spiritualité et les attentes présentes au sein de la communauté primitive. On notera également une mise en garde contre les faux prophètes, renvoyant certainement aux multiples tendances déviantes apparaissant à l’époque (notamment les enseignements de Marcion, l’une des figures les plus emblématiques de l’hétérodoxie). Le texte est globalement une éloquente allégorie de la période assez mal connue de la construction de l’institution ecclésiastique, réponse aux questionnements spirituels des fidèles.

Il est important de lire Le Pasteur, à la fois pour les renseignements précieux qu’il contient quant à la foi des premiers chrétiens de Rome, pour ses enseignements moraux riches et intemporels, mais surtout pour la tonalité magnifiquement optimiste qu’il manifeste, ancrée dans une espérance sans faille.

Bibliographie élémentaire

  • Hermas, Le Pasteur, R. Joly (éd. et trad.), Sources Chrétiennes, Le Cerf, Paris, 1997.

  • E. NORELLI – C. MORESCHINI, Histoire de la littérature chrétienne ancienne grecque et latine. I, Labor et Fides, Genève, 2000.

  • S. GIET, Hermas et les Pasteurs. Les trois auteurs du Pasteur d’Hermas, Paris, PUF, 1963.

Extraits

 

Mon maître m’avait vendu à une certaine Rhodè à Rome. Bien des années après, je la revis et me mis à l’aimer comme une sœur. Quelque temps après, je la vis se baignant dans le Tibre, je lui tendis la main et la sortis du fleuve. Voyant sa beauté, je réfléchissais, me disant en mon cœur : je serais bien heureux si j’avais une femme de cette beauté et de ce caractère. Voilà uniquement ce que je pensai, sans aller plus loin. Quelque temps après, je marchais vers Cumes et je réfléchissais que les œuvres de Dieu sont grandes, remarquables et fortes : tout en marchant, je m’endormis : l’esprit me saisit et m’emmena par une route non frayée, où l’homme ne pouvait marcher. L’endroit était escarpé, tout déchiqueté par les eaux. Je traversai le fleuve qui était là et arrivé dans la plaine, je m’agenouille et me mets à prier Dieu et à lui faire l’aveu de mes péchés. Pendant ma prière, le ciel s’ouvrit et je vois cette femme que j’avais désirée : elle me salue du ciel et me dit : « Bonjour, Hermas. » Je la regarde et lui dit : « Maîtresse, que faites-vous là ? » Et elle me répond: « J’ai été transportée (au ciel) pour dénoncer tes péchés au Seigneur. » Je lui dis: « Vous êtes maintenant ma dénonciatrice ? – Non, dit-elle, écoute les paroles que je vais te dire : Dieu, qui habite dans les cieux qui du néant, a créé les êtres, les a multipliés et les a fait croître en vue de sa sainte Église, est irrité contre toi parce que tu as commis une faute à mon égard. » Je lui réponds en ces termes : « J’ai commis une faute à votre égard ? En quel endroit, quand vous ai-je jamais dit une parole déplacée ? Ne vous ai-je pas toujours tenue pour une déesse ? Ne me suis-je pas toujours comporté envers vous comme envers une sœur ? Pourquoi, femme, m’accuser faussement de vice et d’impureté ? » Elle rit et me dit : «  Le désir du vice est monté à ton cœur. Et ne te semble-t-il pas que pour un homme juste, c’est chose vicieuse que le désir du vice monte à son cœur ? C’est une faute, et une grande, dit-elle, car l’homme juste pense juste. C’est par ses justes pensées qu’il accroît sa réputation dans les cieux et qu’il se rend le Seigneur indulgent pour tous ses actes. Mais ceux dont les pensées sont mauvaises en leur cœur ne s’attirent que mort et captivité, surtout ceux qui jouissent de cette vie-ci, s’enorgueillissent de leurs richesses et ne s’attachent pas aux biens futurs. Elles connaîtront le repentir, les âmes de ceux qui n’ont pas d’espérance, qui ont renoncé à eux-mêmes et à leur vie. Mais toi, prie Dieu : il guérira tes péchés et ceux de toute ta maison et de tous les saints. »

                                                                               Le Pasteur, Vision I, 1, 1-9.

 

« Et toi, Hermas, ne garde plus rancune à tes enfants, ne renvoie pas ta sœur : ainsi, ils se purifieront de leurs péchés antérieurs. Ils recevront une éducation convenable, si tu abandonnes ta rancune à leur égard. La rancune provoque la mort. Toi, Hermas, tu as subi de grandes tribulations personnelles à cause des errements de ta maison : c’est que tu ne te souciais pas d’elle, tu l’as négligée et tu t’es enlisé dans tes mauvaises affaires. Ce qui te sauve, c’est de n’avoir pas abandonné le Dieu vivant et aussi ta simplicité et ta grande continence. Voilà ce qui te sauve si tu persévères ; voilà ce qui sauve tous ceux qui agissent ainsi et marchent dans la voie de l’innocence et de la simplicité. Ceux-là l’emporteront sur toute méchanceté et tiendront bon jusqu’à la vie éternelle. Bienheureux, tous ceux qui pratiquent la justice ; ils ne périront pas, de toute éternité. Tu diras à Maxime :  » Vois, une épreuve arrive : si bon te semble, renie de nouveau. Le Seigneur est tout près de ceux qui se convertissent, comme il est dit dans le livre d’Eldad et Modat, qui ont prophétisé pour le peuple dans le désert. »

                                                                                  Le Pasteur, Vision II, 3, 1-4.

« Éloigne de toi, dit-il, la tristesse, car elle est sœur du doute et de la colère. – Comment, Seigneur, dis-je, est-elle leur sœur ? Il me semble que la colère est une chose, le doute, une autre chose, et la tristesse, une autre encore. – Tu n’es pas un homme intelligent, dit-il ; ne comprends-tu pas que la tristesse est le plus méchant de tous les esprits et le plus redoutable pour les serviteurs de Dieu et que plus que tous les esprits, elle ruine l’homme, chasse l’Esprit-Saint et puis le sauve ? – Il est vrai, Seigneur, dis-je, je ne suis pas intelligent et je ne comprends pas ces paraboles. Je ne vois pas comment elle peut chasser, puis sauver. – Écoute, dit-il. Ceux qui n’ont jamais fait de recherche au sujet de la vérité, de la divinité, qui se sont bornés à croire, enfoncés dans les affaires, la richesse, les amitiés païennes et dans de nombreuses autres occupations de ce monde, tous ceux qui ne vivent que pour cela ne peuvent comprendre les paraboles concernant la divinité. Ces divertissements les obscurcissent, les perdent, et ils se dessèchent. Les bons vignobles, s’ils viennent à manquer de soins, sont desséchés par les chardons et les herbes de toute espèce : de même, les hommes qui ont embrassé la foi et qui se perdent dans ces multiples activités dont j’ai parlé, s’égarent loin de leur bon sens et ne comprennent plus rien à la justice : même lorsqu’on leur parle de la divinité et de la vérité, leur esprit est tout à leurs affaires et ils ne comprennent rien. Mais ceux qui craignent Dieu, qui s’inquiètent de la divinité et de la vérité, qui tiennent leur cœur vers le Seigneur, ceux-là saisissent et comprennent plus vite tout ce qu’on leur dit, car ils ont en eux la crainte du Seigneur ; là où habite le Seigneur, se trouve aussi la complète intelligence. Attache-toi donc fermement au Seigneur et tu saisiras et comprendras tout. »

                                                                                  Le Pasteur, Précepte X, 1-6.