1

Le programme d’Amour, de délivrance et de pardon du Christ Sauveur (Lc 4,14-44)

Commençons par lire le texte de St Luc… Seuls quelques titres ont été rajoutés pour indiquer le plan de l’ensemble…

A – Schéma type du ministère public de Jésus en Galilée

(14) Jésus retourna en Galilée, avec la puissance de l’Esprit, et une rumeur se répandit par toute la région à son sujet. (15) Il enseignait dans leurs synagogues, glorifié par tous.

B – Jésus à Nazareth

                     B.1 – Jésus dans la synagogue

(16) Il vint à Nazara où il avait été élevé, entra, selon sa coutume le jour du sabbat, dans la synagogue, et se leva pour faire la lecture. (17) On lui remit le livre du prophète Isaïe et, déroulant le livre, il trouva le passage où il était écrit :

(18) « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, (19) proclamer une année de grâce du Seigneur. » 

(20) Il replia le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous dans la synagogue tenaient les yeux fixés sur lui. (21) Alors il se mit à leur dire: « Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Ecriture. » (22) Et tous lui rendaient témoignage et étaient en admiration devant les paroles pleines de grâce qui sortaient de sa bouche.

Et ils disaient : « N’est-il pas le fils de Joseph, celui-là? » (23) Et il leur dit: « A coup sûr, vous allez me citer ce dicton: Médecin, guéris-toi toi‑même. Tout ce qu’on nous a dit être arrivé à Capharnaüm, fais-le de même ici dans ta patrie. » (24) Et il dit : « En vérité, je vous le dis, aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie.

(25) « Assurément, je vous le dis, il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d’Elie, lorsque le ciel fut fermé pour trois ans et six mois, quand survint une grande famine sur tout le pays; (26) et ce n’est à aucune d’elles que fut envoyé Elie, mais bien à une veuve de Sarepta, au pays de Sidon. (27) Il y avait aussi beaucoup de lépreux en Israël au temps du prophète Elisée; et aucun d’eux ne fut purifié, mais bien Naaman, le Syrien. »

                     B.2 – Tentative impuissante de tuer Jésus hors de la ville

(28) Entendant cela, tous dans la synagogue furent remplis de fureur. (29) Et, se levant, ils le poussèrent hors de la ville et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline sur laquelle leur ville était bâtie, pour l’en précipiter. (30) Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin…

 

B’ – Jésus à Capharnaüm

                     B’.1 – Jésus dans la synagogue

(31) Il descendit à Capharnaüm, ville de Galilée, et il les enseignait le jour du sabbat. (32) Et ils étaient frappés de son enseignement, car il parlait avec autorité.

(33) Dans la synagogue il y avait un homme ayant un esprit de démon impur, et il cria d’une voix forte: (34) « Ah! que nous veux-tu, Jésus le Nazarénien? Es-tu venu pour nous perdre? Je sais qui tu es: le Saint de Dieu. » (35) Et Jésus le menaça en disant: « Tais‑toi, et sors de lui. » Et le précipitant au milieu, le démon sortit de lui sans lui faire aucun mal. (36) La frayeur les saisit tous, et ils se disaient les uns aux autres: « Quelle est cette parole? Il commande avec autorité et puissance aux esprits impurs et ils sortent! » (37) Et un bruit se propageait à son sujet en tout lieu de la région. »

                      B’.2 – Guérisons et exorcismes hors de la synagogue

(38) Partant de la synagogue, il entra dans la maison de Simon. La belle-mère de Simon était en proie à une forte fièvre, et ils le prièrent à son sujet. (39) Se penchant sur elle, il menaça la fièvre, et elle la quitta; à l’instant même, se levant elle les servait.

(40) Au coucher du soleil, tous ceux qui avaient des malades atteints de maux divers les lui amenèrent, et lui, imposant les mains à chacun d’eux, il les guérissait. (41) D’un grand nombre aussi sortaient des démons, qui vociféraient en disant: « Tu es le Fils de Dieu! » Mais, les menaçant, il ne leur permettait pas de parler, parce qu’ils savaient qu’il était le Christ.

A’ – Schéma du ministère public de Jésus en Judée (Tout Israël pour Luc)

(42) Le jour venu, il sortit et se rendit dans un lieu désert. Les foules le cherchaient et, l’ayant rejoint, elles voulaient le retenir et l’empêcher de les quitter. (43) Mais il leur dit: « Aux autres villes aussi il me faut annoncer la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu, car c’est pour cela que j’ai été envoyé. » (44) Et il prêchait dans les synagogues de la Judée.

dieu prend soin de son peuple

Jésus vient de quitter le désert où il fut tenté par le diable. Ce dernier a tout fait pour essayer de briser la relation vitale qui l’unit à son Père. Mais Jésus, rempli par l’Esprit Saint, a su lui garder la première place en son cœur. En s’appuyant sur sa Parole, Il a clairement affirmé que le Père est à la source de sa vie (Jean 6,57 ; Luc 4,4) ; c’est donc vers Lui qu’il se tourne tout entier (Jean 1,18 ; Luc 4,8) pour se mettre à son service (Jean 4,34 ; Matthieu 12,15-18 ; Luc 4,12), dans l’Amour (Jean 3,35 ; 5,20 ; Matthieu 17,5 ; Jean 15,10) et par Amour (Jean 14,31). Et pour St Luc, Jésus est toujours cet homme « modèle » en qui le projet de Dieu sur tout homme s’est parfaitement accompli. A nous maintenant, de lui demander la grâce de pouvoir mettre nos pas dans les siens (Jean 14,6 ; 15,5 ; Marc 2,14), de vivre comme Lui-même a vécu (Jean 6,57 ; 15,12)…

C’est donc dans ce contexte d’amour du Père, de vérité et d’humilité que le Christ Serviteur revient à Nazareth avec « la puissance de l’Esprit Saint » (Luc 4,14), une puissance qui, par la suite, « lui fera opérer des guérisons » (Luc 5,17).

christ-cefalu1

Pour l’instant, Jésus est seul. L’appel des premiers disciples ne se fera que plus tard (Luc 5,11). Nous sommes donc au tout début de son ministère public, et St Luc va en profiter pour nous offrir en Lc 4,14-44, un passage très bien construit, une présentation générale de ce que sera sa vie. Reprenons simplement les titres du plan insérés dans le texte lu précédemment:

A – Lc 4,14-15: Jésus enseigne dans les synagogues de Galilée, glorifié par tous.

                        B – Lc 4,16-30: Jésus à Nazareth.

                                      1 – 4,16-28 : Jésus est dans la synagogue :

                                                            lecture et commentaire du prophète Isaïe.

                                      2 – 4,29-30 : Jésus est hors de la synagogue :

                                                            Tentative impuissante de le tuer.

                         B’ – Lc 4,31-41: Jésus à Capharnaüm.

                                      1 – 4,31-37 : Jésus est dans la synagogue : il expulse les démons

                                                                                                                                     par sa parole.

                                      2 – 4,38-41 : Jésus hors de la synagogue : guérisons et exorcismes.

 

A’ – Lc 4,42-44: Jésus proclame dans les synagogues de Judée la Bonne Nouvelle du      Royaume de Dieu.

Nazareth - Basilique de l'Annonciation 4

Nazareth : Basilique de l’Annonciation

Pourquoi St Luc a-t-il adopté un tel plan ? La ville de Nazareth, située en plein cœur de la Galilée, était une ville juive qui va symboliser ici le Peuple Juif tout entier. Elle apparaît en premier car il fallait que la Bonne Nouvelle du Salut soit d’abord annoncée au Peuple Elu (Matthieu 15,24 ; 10,5-7), ce Peuple que Dieu avait choisi pour être l’heureux bénéficiaire de toutes les bénédictions de son Alliance (Deutéronome 5,29 ; 6,3.18.24 ; 12,28 ; Josué 1,8 ; Isaïe 56,1-2 ; Jérémie 42,6). Dieu l’appelait ensuite à être le témoin et le Serviteur de cette Alliance auprès de tous les hommes (Genèse 12,3 ; Isaïe 42,1-7 où le Serviteur est d’abord le Peuple d’Israël : Isaïe 41,8‑9 ; et Jésus, Fils d’Israël, accomplira la vocation d’Israël : comparer Matthieu 2,15 où le fils est Jésus et Osée 11,1 où le fils est Israël). Les réactions des habitants de Nazareth vont donc symboliser celles du Peuple d’Israël. Beaucoup en effet seront étonnés par la suite des paroles pleines de grâce qui sortaient de la bouche de Jésus (Lc 4,22 ; Jean 7,15 ; 7,21 ; 7,45‑46 ; Luc 2,47 ; 5,26 ; 9,43 ; 20,26) et ils se rassembleront en foule autour de cet homme hors du commun. Mais seul un petit nombre passera de l’étonnement à la foi (Luc 8,22‑26 ; Marc 10,24 ; Jean 6,68-69). Nombreux par contre seront ceux qui n’arriveront pas à reconnaître en cet humble charpentier, fils de Joseph « à ce qu’on croyait » (Luc 3,23 ; Marc 6,1‑6), le Fils Unique de Dieu venu en ce monde pour le sauver (Jean 6,41-42). D’autres encore seront déçus, car ils espéraient qu’il serait le Libérateur d’Israël, celui qui remporterait la victoire sur l’occupant romain (Luc 24,21). Leur désillusion sera terrible lorsqu’ils le verront enchaîné par les romains, habillé par dérision d’un manteau royal et d’une couronne d’épines (Jean 19,1-3)… Et quand Pilate leur dira avec ironie : « Voici votre roi ! », le coup sera trop fort et ils crieront : « Crucifie-le ! Crucifie-le ! », enlève de notre vue celui qui nous a tant fait rêver et dont la seule présence nous rappelle cruellement tous nos espoirs déçus (Jean 19,14-16)… Et le Christ sera crucifié « au lieu dit « le Crâne » », hors de la ville… La réaction des habitants de Nazareth qui poussent Jésus « hors de la vill» pour le tuer (Luc 4,29) préfigure donc déjà cette fin tragique…

Nazareth - Basilique de l'Annonciation 3

Face à ce rejet de la majorité du Peuple d’Israël, Jésus va présenter, à partir de textes de l’Ancien Testament, la deuxième étape de l’annonce du salut : la Bonne Nouvelle sera aussi proclamée aux païens. Cette étape sera accomplie par les disciples de Jésus (Matthieu 28,16-20 ; Marc 16,14-18). St Luc la racontera dans le Livre des Actes des Apôtres. Elle montre bien que le souci du Créateur n’a jamais été tourné exclusivement vers le Peuple d’Israël : Dieu est le Père de tous les hommes, Il aime tous ceux et celles qu’Il a créés (Sagesse 11,24 ; amour d’Israël, Deutéronome 4,37 ; 7,7-8 ; 10,15 ; 1Rois 10,9 ; Zacharie 1,14 ; Isaïe 54,10 ; Jérémie 31,3 ; Osée 11,4 ;  ; amour pour les païens Deutéronome 10,17-19 ; Isaïe 56,1-9 ; 19,16-25 ; Zacharie 2,14-15 : « L’alliance », avec son mystère d’Amour, « est ici étendue à tous les peuples » explique en note la Bible de Jérusalem). C’est ainsi qu’Elie fut envoyé autrefois à « une veuve de Sarepta, au pays de Sidon » (Luc 4,25-26 ; 1Rois 17,7-16), au nord d’Israël, et Elysée à « Naaman, le Syrien » (Luc 4,27 ; 2Rois 5,1-19)…

Nazareth - Basilique de l'Annonciation 2

Dans un tel contexte, la parole des habitants de Nazareth, « Tout ce qu’on nous a dit être arrivé à Capharnaüm, fais-le de même ici dans ta patrie » (Luc 4,23), permet de comprendre ce que symbolise ici la ville de Capharnaüm : si Nazareth représente Israël, la Patrie de Jésus, Capharnaüm renverra de son côté au monde entier composé de Juifs et de païens … En effet, cette petite ville juive du nord est de la Galilée, construite entre une voie romaine et le rivage du lac de Tibériade, était toute proche de deux provinces étrangères : l’Iturée-Trachonitide au nord est et la Décapole au sud est. Capharnaüm, avec son poste de douane, son péage et sa garnison romaine était donc une ville frontière où habitaient quantité d’étrangers venus s’installer ici pour des raisons commerciales. En citant le prophète Isaïe, St Matthieu présente d’ailleurs cet endroit comme « la Galilée des nations » (Matthieu 4,12-17 ; Isaïe 8,23-9,6), le carrefour des nations. Et c’est là, dans cette petite ville cosmopolite toute simple, que Jésus voulut s’installer pour se révéler comme étant « la Lumière » (Jean 8,12 ; 1,4-5 ; 1,9 ; 12,46 ; 9,5 avec Matthieu 28,20 et Jean 14,3 ; Jean 12,35-36 ; Luc 2,29-32) venue arracher tous les hommes aux ténèbres du péché (Galates 1,3‑4 ; Colossiens 1,13-14 ; Actes 26,17-18), qu’ils soient Juifs ou païens (Romains 1,16-17[1] ; Romains 10,12-13 ; Galates 3,26-28 ; Colossiens 3,9-11 ; 1Corinthiens 1,22-25 ; 12,12-13). Ce symbolisme ne devra pas être oublié en Luc 4,40-41tous ceux qui avaient des malades les apportaient à Jésus, et lui les guérissaient tous, sans faire de distinction entre les Juifs et les païens (Actes 15,7-9; Romains 10,8-13). Il montrait ainsi qu’il est venu pour le salut de tous les hommes.

Nazareth - Basilique de l'Annonciation 1Avec une telle symbolique (Nazareth – le Peuple d’Israël ; Capharnaüm – le monde entier, Juifs et païens), on comprend pourquoi Jésus n’annonce pas la Bonne Nouvelle de la même façon à Nazareth et à Capharnaüm. Dans la première ville, il cite les Ecritures, patrimoine religieux bien connu du Peuple d’Israël ; mais à Capharnaüm, il ne mentionne pas tous ces textes inconnus des païens ; il évangélise en actes, en délivrant un homme possédé par un esprit impur…

Soulignons enfin que l’intention de St Luc, en mettant en premier Nazareth et ensuite Capharnaüm, était de nous présenter comme un résumé de la vie de Jésus, avec les étapes successives de l’annonce de la Bonne Nouvelle : d’abord aux Juifs, puis aux païens… Les deux épisodes s’enracinent très certainement dans l’histoire, mais l’ordre chronologique exact devait être différent. En effet, alors que Jésus est supposé arriver en premier à Nazareth, certains lui disent : « Tout ce qu’on nous a dit être arrivé à Capharnaüm, fais-le de même ici dans ta patrie » (4,23) Jésus avait donc déjà commencé son ministère public à Capharnaüm… St Luc ne s’en cache pas, car son intention n’est pas avant tout de faire œuvre d’historien, en nous racontant exactement ce qui s’est passé dans l’ordre même où tout est arrivé… Il n’écrit pas pour nous offrir un reportage, mais pour nous livrer un témoignage sur ce Christ mort et ressuscité pour notre Salut, un Christ rempli d’Amour et de Miséricorde qu’il a découvert dans la foi et accueilli avec joie. Mais attention, si St Luc organise les faits en fonction du message qu’il veut nous transmettre, cela ne signifie pas pour autant qu’il a inventé quoique ce soit : il reste fidèle à ses sources (cf Luc 1,1-4) !

 

L’épisode de Nazareth (Luc 4,16-22)

Nous venons de constater combien le passage de Luc 4,14-44 était bien construit. Regardons maintenant avec quel soin St Luc a écrit le récit de la visite de Jésus à Nazareth :

(16) Jésus vint à Nazara, où il fut élevé ;

 

.  Il entra, selon son habitude le jour du Sabbat, dans la Synagogue

        B .  et il se leva pour faire la lecture ;

              C .  (17) on lui présenta le livre du prophète Isaïe

                     D .  et déroulant le livre,

                               il trouva l’endroit où il était écrit :

E.      

(18) « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a oint pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres,

il m’a envoyé, pour proclamer aux prisonniers la délivrance

et aux aveugles le retour à la vue,

pour renvoyer les opprimés en liberté

(19)et proclamer une année favorable

                                                            du Seigneur ».

                          D’ .  (20) Ayant roulé le livre,

                C’ .  et l’ayant rendu au servant,

        B’ .  il s’assit.

A’ .  Et tous dans la synagogue avaient les yeux fixés sur lui.

(21) Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui cette Ecriture s’est accomplie à vos oreilles ».

(22) Et tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient des paroles pleines de grâce qui sortaient de sa bouche…

Les différentes étapes du récit s’appellent donc les unes les autres de façon parfaitement symétrique par rapport au cœur du texte (E) où St Luc a placé cette citation du prophète Isaïe (61,1-2) : elle résume « la Bonne Nouvelle » que Jésus est venu nous révéler, en paroles et en actes…

Sacré Coeur Vézelay 2Nous sommes donc ici dans la synagogue de Nazareth. Chaque sabbat – notre samedi – la communauté juive se rassemblait. Après un chant ou un psaume, elle commençait par proclamer sa foi (Deutéronome 6,4-9), puis elle récitait la prière des Dix-Huit Bénédictions et écoutait deux lectures : la première était extraite de la Loi[2], la seconde des Prophètes. L’ensemble était ensuite commenté par un prêtre ou tout autre personne invitée à le faire. La prière se terminait enfin par une bénédiction (Nombres 6,24-27). Jésus est donc invité ici à faire la deuxième lecture ainsi que le commentaire qui suivait. Ce jour-là, il sera très bref : « Aujourd’hui s’accomplit cette parole »…

La citation d’Isaïe 61 concerne avant tout le prophète lui-même : c’est lui qui a reçu l’onction de l’Esprit Saint pour accomplir la mission que Dieu lui a confiée. Appliquée à Jésus, elle renvoie à l’épisode de son baptême par Jean-Baptiste où le ciel s’ouvrit, et où l’Esprit Saint descendit sur Lui comme une colombe (Luc 3,21-22). En cet instant, Jésus était officiellement présenté comme le Messie promis, ce Roi venu révéler et instaurer sur la terre « le Royaume des cieux » (Matthieu 3,2 ; 4,17 ; 4,23 ; 5,3.10.20). Appliqué maintenant à Jésus, ce texte du prophète Isaïe le présente lui aussi comme un Prophète, « ce Prophète » dont Moïse annonça autrefois la venue (Deutéronome 18,15.18). Mais le contexte du Livre d’Isaïe le désigne aussi comme ce mystérieux Serviteur au sujet duquel il était écrit : « Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu en qui mon âme se complaît. J’ai mis sur lui mon Esprit » (Isaïe 42,1, « Premier Chant du Serviteur »). Le parallèle est d’autant plus fort que la mission de ce Serviteur est ensuite décrite en des termes très proches de ceux employés en Isaïe 61,1-2 : « Moi, Yahvé, je t’ai appelé dans la justice, je t’ai saisi par la main, et je t’ai modelé, j’ai fait de toi l’alliance du peuple, la lumière des nations, pour ouvrir les yeux des aveugles, pour extraire du cachot le prisonnier, et de la prison ceux qui habitent les ténèbres » (Isaïe 42,6-7). St Luc avait déjà suggéré que Jésus était bien ce Serviteur annoncé par Isaïe lorsque Syméon, le prenant dans ses bras alors qu’il n’était encore qu’un petit enfant, déclara : « Maintenant, ô Maître Souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta Parole. Car mes yeux ont vu le salut, que tu préparais à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton Peuple Israël » (Luc 2,29-32). Syméon citait alors le Deuxième Chant du Serviteur (Isaïe 49,6 ; cf Isaïe 49,1-10 ; Isaïe 50,1-10, 3° Chant du Serviteur ; Isaïe 52,13-53,12, 4° Chant du Serviteur).

jésus enseignant 2Jésus est donc ce grand Prophète comme Moïse à qui Dieu donna au sommet du Mont Sinaï la Loi de l’Ancienne Alliance, « les Dix Commandements » (Exode 20,1-17 ; Deutéronome 5,6‑22 ; Littéralement : « les Dix Paroles », Exode 34,28). Jésus, de son côté, donnera sur la montagne la Loi de la Nouvelle Alliance, les Béatitudes (Matthieu 5,1-12 ; cf Luc 6,20-23). Mais Jésus est bien plus grand que Moïse : ce dernier, en effet, ne faisait que retransmettre les Paroles de Dieu ; Jésus, quant à Lui, parlera à la première personne en situant sa Parole au niveau même de la Parole de Dieu (cf Matthieu 5,21 ; 5,27 où les « il a été dit » renvoient à Dieu lui-même ; et Jésus les remplace maintenant par des « Eh bien ! moi je vous dis » !). Tout ceci peut apparaître comme une folle prétention pour celui qui n’a pas reconnu en Jésus le Fils Bien Aimé du Père (Matthieu 3,17 ; 17,5 ; 2Pierre 1,17), ce Fils Unique qui est UN avec le Père, uni au Père dans la communion d’un même Esprit, d’un même Amour (Jean 10,30 ; 10,37-38 ; 14,8‑11 ; 17,20-23)… Aussi, lorsque Jésus parle, c’est le Père qui, avec Lui et par Lui, nous parle (Jean 7,16-17 ; 8,28-29 ; 12,49-50 ; 14,10.24 ; 17,7-8 ; Luc 10,16). Sa Parole est la Parole du Père !

Jésus christ

Mais Jésus n’en demeure pas moins l’humble Serviteur du Père par qui la volonté de Dieu s’accomplira : le salut du monde (Jean 3,16‑17 ; 19,30) ! A nous maintenant d’accueillir cette grâce déjà offerte, à nous de consentir à l’action du Christ dans nos cœurs et de faire passer le plus concrètement possible dans notre vie sa grâce d’amour, de miséricorde et de paix (1Timothée 1,2).

Si nous comparons maintenant Isaïe 61,1-2, tel que nous le trouvons dans l’Ancien Testament, avec le texte que nous transmet St Luc, nous pouvons faire deux remarques importantes:

1 –  St Luc n’a pas cité entièrement le verset 2 : il s’est arrêté au milieu, laissant de côté la proclamation du « jour de la vengeance de notre Dieu ». Il a en effet découvert avec le Christ à quel point Dieu n’est pas ce « Dieu vengeur » que nous présente si souvent l’Ancien Testament (Nahum 1,1-2 ; Nombres 31,1-3 ; Isaïe 34,8 ; 35,4 ; 47,3 ; 59,15-18 ; Jérémie 5,9.29 ; 9,8 ; 11,20 ; 46,10 ; 51,6.36 ; Ezéchiel 25,14-17 ; Michée 5,14 ; Psaume 94(93),1…). Tous ces textes appartiennent à ce que le Concile Vatican II appelle de « l’imparfait et du dépassé » (Constitution « Dei Verbum », chapitre IV, & 15). Même lorsque nous, nous faisons le mal, ce mal qui en fait nous détruit, Dieu Lui ne cesse de nous vouloir du bien et de nous faire du bien. prodigueIl est ce Père qui attend et guette chaque jour le retour de son enfant prodigue pour l’accueillir dans ses bras et le couvrir de sa tendresse (Luc 15,11-32). Il est Celui qui part à la recherche du pécheur jusqu’à ce qu’il le retrouve (Luc 15,1-7), Celui dont les Trésors de Patience et de Bonté sont infinis (Romains 2,4), Celui qui nous visite sans cesse dans des « sentiments de miséricorde » (Luc 1,78), redressant inlassablement nos pas pour nous conduire sur des chemins de Paix (Luc 1,79), cette Paix qui, dans la Bible, est synonyme de Plénitude, d’intégrité, de bonheur et de joie, même au cœur des pires difficultés (2Corinthiens 7,4 ; Isaïe 43,1-4 ; Psaume 91(90) ; 143(142) ; Jean 16,22.33 ; 10,27-30 avec Osée 14,4 et Jean 14,18.3 ; Jérémie 1,8 et Matthieu 28,20). Voilà le Dieu et Père que St Luc a découvert dans la foi, avec le Christ. Il est donc hors de question pour lui d’envisager, ne serait-ce qu’un instant, qu’Il puisse avoir des désirs de vengeance…

2 – Deuxième remarque : St Luc n’a pas retenu une partie du verset 61,1, « guérir ceux qui ont le cœur brisé ». Par contre, il a rajouté une expression qui n’apparaît pas dans le texte original : « renvoyer les opprimés en liberté ». Elle provient d’Isaïe 58,6. Mais pourquoi un tel changement, d’autant plus qu’il répète alors un mot grec qu’il venait d’utiliser juste avant : « êfesiw, aphésis », que nos Bibles ont traduit ici par « délivrance, libération ou liberté » ? Une rapide petite enquête permet de découvrir que St Luc utilise ce terme 5 fois dans son Evangile et 5 fois dans le Livre des Actes des Apôtres. Or, à l’exception de notre passage, il Saint Jeanintervient toujours en une expression traduite par « pardon ou rémission des péchés » (Luc 1,77 ; 3,3 ; 24,47 ; Actes 2,38 ; 5,31 ; 10,43 ; 13,38 ; 26,18). Pour St Luc, en effet, Jésus est avant tout un Sauveur (Luc 2,10-11 ; Actes 5,30-32 ; 13,22-23 ; cf Jean 4,40-42 ; Philippiens 3,20-21) au sens où avec Lui et par Lui Dieu le Père a travaillé et travaille toujours au salut du monde (Jean 5,17 ; 2Timothée 1,8-11 ; Luc 1,46-47 ; 1Timothée 1,1-2 ; 2,3-4 ; 4,10 ; Ephésiens 4,32). Le grand cadeau qu’il est venu nous offrir est donc « le pardon de toutes nos fautes » (Colossiens 2,13 ; 3,13 ;Jérémie 31,31-34 ; 33,8 ; 50,20 ; Ezéchiel 16,62-63 ; 36,24-28 ; 2Crhoniques 7,14 ; Daniel 9,8-10 ; Néhémie 9,17) car Lui-même n’est que Pardon et Bonté (Psaume 86(85),5 ; à l’exemple de St Luc, la première partie seulement du v. 8 du Psaume 99(98)) . St Luc a donc rajouté Isaïe 58,6 à la citation d’Isaïe 61,1-2 pour insister sur le « pardon – délivrance » que le Christ est venu nous apporter. Grâce à Lui, nous pouvons déjà expérimenter dans la foi « la liberté des enfants de Dieu » (Jean 8,31-36 ; Galates 5,1.13 ; 2Corinthiens 3,17) dans l’attente et l’espérance de son plein accomplissement (Romains 8,18-25). Cette liberté, nous la recevons instant après instant de la Miséricorde du Père qui, sans cesse, se révèle à nos cœurs et à nos vies comme « Celui qui nous libère ». Veiller sur ce trésor, c’est déjà trouver ici-bas la vraie joie (Jacques 1,25 ; Jean 17,13 ; 15,11). En reprenant les termes de Luc 4,18-19, telle est donc « la Bonne Nouvelle » par excellence que l’Eglise, à la suite du Christ, ne cessera de proclamer jusqu’à la fin des temps. Avec Lui et en Lui, Dieu s’est révélé comme Celui qui, depuis toujours et pour toujours, nous est favorable. Vis-à-vis des obstacles que nous avons pu dresser entre Lui et nous, « son amour envers nous s’est montré le plus fort, et sa fidélité est éternelle » (Psaume 117(116)).Christ souriant Par sa mort et sa résurrection, le Christ, dans son Amour, a triomphé de tout mal ; sa Lumière a jailli, libre, des ténèbres du tombeau. Et maintenant ressuscité, il frappe jour après jour avec Amour à la porte de nos cœurs (Apocalypse 3,20) pour nous offrir, dans le Souffle de l’Esprit, « le pardon de toutes nos fautes » (Jean 20,19-23), un pardon qui sera synonyme, pour tous les prisonniers du péché que nous étions, de délivrance et de liberté… Tel est le cadeau sans cesse offert que nous sommes invités à accueillir et à mettre en œuvre dans notre vie par notre « oui » au Christ, et notre « non » au mal. Alors, petit à petit, de pardon en pardon, nous passerons avec Lui des ténèbres de la mort à La lumière de la Vie (Jean 8,12 ; 12,46), de l’aveuglement causé par le péché au retour à la vue (2Corinthiens 4,3-6 ; 1Timothée 6,3-5 ; 2Timothée 3,1-5 ; Matthieu 23,25‑26 ; 12,22). Et si nous n’arrivons pas encore à faire le bien que nous voudrions, ou si nous commettons trop souvent le mal que nous ne voudrions pas (Romains 7,19), certes nous en serons malheureux (Romains 2,9), mais le Christ Miséricordieux nous accompagne sur tous les chemins de notre vie pour nous aider à repartir et repartir encore dans cette aventure de communion, d’amour et de paix à laquelle Il nous appelle tous. Il suffit d’accepter humblement de tout Lui remettre, le bien comme le mal, et nous passerons avec Lui du sentiment de culpabilité à la Paix, de la tristesse à la Joie, de l’insatisfaction à la Plénitude, car sa seule Présence, invisible à nos yeux de chair, n’est que Bonne Nouvelle pour tous les pauvres qui l’accueillent (Matthieu 5,3 ; Luc 12,32 ; Romains 14,17 ; Jean 14,15-17)…

PardonL’épisode de la synagogue de Capharnaüm (Luc 4,31-37) nous présentera la victoire de Jésus sur toutes les forces du mal par la seule autorité de sa Parole (Matthieu 8,16 ; Marc 1,27) : lorsque Dieu parle, au moment même où Il parle, il agit selon sa Parole (Genèse 1,3.6.9.11… ; Isaïe 55,10-11 ; Deutéronome 18,21-22 et Jérémie 28,9; Hébreux 4,12; Jean 6,63.68). La Parole de Dieu nous permet donc de comprendre dans la foi et d’accueillir par notre foi ce que Dieu fait, dès aujourd’hui, très concrètement, dans nos cœurs et dans nos vies. Ici, la seule Présence de Jésus « Lumière du monde » (Jean 8,12) révèle les zones d’ombre et de ténèbres ; face à Lui, les « esprits impurs » se manifestent et se dévoilent (Marc 3,11 ; Luc 8,28)…

Mais Jésus, d’une seule Parole, leur impose le silence. Son autorité est celle-là même du Dieu Créateur et Tout Puissant (Marc 4,39-41)… L’esprit de démon impur ne peut qu’obéir… L’homme est alors libéré de son influence aliénante et destructrice (Marc 5,1-5) : il retrouve aussitôt son intégrité, la maîtrise de lui-même, le calme et la Paix (Marc 5,15). Rien ni personne ne pourra dorénavant l’arracher à cette Paix (Jean 10,27-30) qui vient du Dieu de la Paix (Romains 15,33; 16,20; Ephésiens 2,14-18; Philippiens 4,9; 1Thessaloniciens 5,23; Dieu-Amour2Thessaloniciens 3,16) s’il veille à demeurer dans l’Amour de Celui qui est venu nous donner d’avoir part à sa Paix (Actes 10,36 ; Luc 1,76-79 ; 2,14 ; 7,50 ; 8,48 ; 10,5-6 ; 19,42 ; 24,36 ; Jean 14,27 ; 16,33 ; 20,19-21 ; 20,26 ; Actes 9,31 ; Romains 1,7 ; 2,10 ; 5,1 ; 14,17 ; 14,19 ; 15,13 ; Philippiens 4,7 ; Colossiens 1,14-20 ; 2Pierre 1,2 ; Jude 1,2). La Paix est ainsi le premier fruit d’une vie authentiquement chrétienne (Galates 5,22-23 ; Colossiens 3,15) ; elle caractérise aussi la communauté chrétienne rassemblée en prière en Présence de ce « Dieu qui n’est pas un Dieu de désordre, mais de Paix » (1Corinthiens 14,33 ; cf 2Corinthiens 13,11 ; Ephésiens 4,3). Il s’agira donc avant tout, nous dit St Pierre, de « chercher la Paix et de la poursuivre » (1Pierre 3,11 ; 2Pierre 3,14)…

La guérison de la belle-mère de Pierre (Luc 4,38-39) ainsi que les guérisons et les libérations multiples qui suivent (Luc 4,40-41) ne font que redire en actes la Bonne Nouvelle présentée en Luc 4,18-19 : par le pardon de nos péchés et la puissance de sa grâce, le Christ est venu nous libérer de tout ce qui nous entrave. Avec Lui et par Lui, l’humanité peut enfin retrouver le chemin de cette Plénitude et de cette liberté de Vie à laquelle Dieu nous appelle tous. Et puisque nous sommes des pécheurs en marche vers la sainteté, des malades poursuivant jour après jour leur guérison (Luc 5,31-32), le Christ nous a aussi promis d’être avec nous tous les jours jusqu’à la fin du monde pour combattre avec nous notre combat (1Jean 2,1 ; 3,18-20), et nous conduire ainsi de miséricorde en miséricorde, de repentir en repentir, à la victoire finale (Isaïe 1,18).

ligne fleurs

        Après nous avoir présenté en Paroles et en actes le programme de l’Envoyé du Père (Jean 6,38), « la Bonne Nouvelle du Royaume qu’il doit annoncer » (Luc 4,43), St Luc va nous raconter l’appel des premiers disciples (Luc 5,1-11), en commençant par Simon, le futur St Pierre (Matthieu 16,17-19). Envoyés par le Christ ressuscité (Jean 20,21 ; Luc 5,4-5), ils annonceront eux aussi cette Bonne Nouvelle au monde entier (Marc 16,15). Le Christ agira avec eux et par eux (Romains 15,18-19), et les filets de l’Eglise se rempliront d’une multitude de croyants (Luc 5,6).

Les épisodes suivants tournent toujours autour du point central de la Bonne Nouvelle : le pardon-libération des péchés. La guérison du paralytique sera le signe visible du pouvoir que le Père a donné en son Fils pour pardonner en son Nom toutes nos fautes (Luc 5,17-26). Puis Jésus appellera à sa suite un « pécheur public », un collecteur d’impôts du nom de Lévi (Très certainement St Matthieu : comparer Luc 5,27-28 avec Matthieu 9,9). Il sera l’un des premiers bénéficiaires de cette Miséricorde à laquelle il rendra plus tard témoignage ; pour l’instant, il la célèbre joyeusement avec tous ses amis pécheurs (Luc 5,29-32)

                                                                                                                     D. Jacques Fournier

[1] La culture grecque prédominait à l’époque dans tout le Bassin Méditerranéen ; « le Grec » désigne donc ici l’homme non Juif, qu’il habite en Grèce ou non, c’est-à-dire en fin de compte « le païen »…

[2] Ou « Torah », qui désigne les cinq premiers livres de la Bible (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome) ; on les appelle aussi « le Pentateuque » du grec « penta, cinq » et « teukos, livre ».

Fiche n°6a – Lc 4,14-4,44 : en cliquant sur le titre précédent, vous accédez au document en format PDF pour lecture ou éventuelle impression.