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Le Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ, par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 7 juin 2015

 

Exode 24, 3-8 (« Voici le sang de l’Alliance que le Seigneur a conclue avec vous « ) 

Sur le Sinaï, Dieu vient de confier à Moïse sa Loi. Elle sera la base de l’Alliance. Moïse communique donc au peuple « les paroles », c’est-à-dire le Décalogue (Exode 20, 1-17) et « ses commandements », c’est-à-dire le Code de l’Alliance qui couvre Exode 21 – 23. Le peuple proclame son adhésion. Puis Moïse rédige ces lois. Selon le verset 12, c’est Dieu qui les écrit. Dans les alliances, chacune des deux parties devait déposer un exemplaire du pacte.
  Le lendemain, après cette célébration de la Parole, une somptueuse liturgie scelle l’alliance. L’autel symbolise la présence de Dieu, et les douze pierres disent la présence ferme et durable du peuple élu (comparer Josué 4, 1-3). Les « jeunes garçons », aînés des familles israélites, avaient un rôle sacerdotal, avant l’institution des prêtres. Ils offrent ici les sacrifices traditionnels.
  Mais c’est Moïse, médiateur de l’Alliance, qui exécute le rite du sang. Son geste ne correspond à aucun type de sacrifice connu. Par son contact avec l’Autel, signe de la présence du Seigneur, le sang prend sa valeur de vie (cf. Deutéronome 12, 23). Aspergé de ce sang, le peuple communie désormais à la vie de Dieu, pour autant qu’il sera fidèle aux clauses de l’Alliance. « Ceci est le sang de l’Alliance », dit Moïse. Ces paroles prendront un sens inouï au soir du jeudi saint, dans la parole du Seigneur : « Ceci est mon sang de l’Alliance. » Voilà pourquoi aussi sur l’arrière-fond de cet épisode de l’Exode et sur celui de la célébration du Kippour (cf. 2e lecture), la tradition chrétienne évoque l’Eucharistie comme « l’autel de la croix ».

 

Hébreux 9, 11-15 (« Le sang du Christ purifiera notre conscience « ) 

Les destinataires chrétiens de cet écrit, à la fin du 1er siècle, s’attachaient davantage aux rites juifs qu’au Christ. L’auteur veut leur montrer la supériorité des réalités chrétiennes sur « l’ancienne Alliance » inaugurée au Sinaï. Il part de la fête du Pardon, le Yom Kippour, que décrit Lévitique 16. Ce jour-là, ce seul jour dans l’année, le grand prêtre entrait dans le Saint des Saints, centre du Sanctuaire. Médiateur, représentant d’Israël, il offrait des sacrifices pour obtenir le pardon et le renouvellement du peuple.
  Le Christ est le Temple, lieu de la présence de Dieu (cf. Jean 2, 19-22). Le grand prêtre n’entrait que dans le symbole terrestre de la demeure céleste de Dieu. Le Christ ressuscité, lui, entre dans le vrai sanctuaire, le ciel. Le Pontife devait recommencer chaque année sa démarche qui apportait au peuple le pardon. Jésus, lui, l’a accomplie « une fois pour toutes ». Représentant les pécheurs passibles de mort, le grand prêtre aurait dû s’immoler lui-même, mais ç’eût été un suicide stérile. Il n’offrait que le sang des animaux. Par sa passion, le Christ, vrai médiateur, répand son propre *sang. L’aspersion n’était qu’un geste n’atteignant pas l’intérieur du pécheur. Au contraire, la passion nous interpelle en profondeur et nous ouvre un nouvel avenir.
  Cette subtilité biblique nous déconcerte, mais son message demeure : il faut toujours passer du rite à la réalité. L’eucharistie même peut n’être qu’un rite si elle ne nous conduit pas à un renouvellement du quotidien dans la confiance envers celui qui s’est donné pour nous.
* Le sang. La médecine nous a habitués aux collectes du sang, aux performances de la transfusion sanguine. Participer à ces merveilles d’aujourd’hui, c’est déjà nous unir au Christ, « donneur universel ». Mais nous parlons aussi de sang « contaminé ». Savoir de qui l’on reçoit son sang est une question de vie ou de mort. Ainsi, l’actualité nous ramène symboliquement à la Lettre aux Hébreux, à son insistance sur la valeur purificatrice du sang du Christ. Le goutte-à-goutte de l’Eucharistie dominicale opère en nous une transfusion sans tromperie, recyclant notre être entier, par le sang du Christ..

 

Marc 14, 12-16.22-26 (« Ceci est mon corps, ceci est mon sang « ) 

Le récit de l’institution de l’Eucharistie selon Marc est simple. Il s’en tient aux paroles de Jésus sur le pain et sur la coupe. Mais l’épisode préliminaire de l’homme à la cruche donne au sacrement sa tonalité pascale.

 

Ils préparèrent la Pâque
« Ils trouvèrent tout comme Jésus leur avait dit. » Cette scène de divination prophétique rappelle les préparatifs de l’entrée solennelle du Roi à Jérusalem (Marc 11, 1-6). Le Messie sait où il va, et la passion sera le couronnement de sa mission.
  Le mot « Pâque » revient quatre fois en cinq versets. La Cène se passera au jour où, littéralement traduit, « on immolait la Pâque ». Jésus sera l’Agneau pascal (1 Corinthiens  5, 7) dont le sang avait libéré de l’esclavage le Peuple de Dieu (Exode 12, 21-26).  « Après avoir chanté les psaumes », à savoir les psaumes, le Hallel du repas pascal juif, c’est le départ : le sens de la Pâque immolée va s’accomplir dans la passion.
  Les hésitations dans les calendriers possibles peuvent rendre douteux, pour l’historien, le fait que le dernier repas de Jésus fut vraiment un repas pascal juif. Mais, de toute façon, les évangélistes l’ont ainsi conçu et nous invitent à lire le mystère de l’Eucharistie à la lumière de la fête de la Pâque.

 

Ceci est mon corps
Jésus prend le pain et prononce la bénédiction. Il détache les bouchées qu’il distribue aux convives. Ce sont les gestes traditionnels juifs du père de famille lors des repas festifs. La bénédiction a inspiré notre prière liturgique : « Tu es béni, Dieu de l’univers, toi qui nous donnes ce pain. » La bénction juive de la table voit dans le pain partagé le don de Dieu qui fait vivre les hommes et construit leur unité familiale.
  « Ceci », ce don de Dieu, dit Jésus, c’est « mon corps ». Dans l’antique culture sémitique, le corps représente l’être humain sous son aspect visible, la personne qui entre en relation avec ses frères et avec l’univers, plus encore l’individu de chair voué à devenir cadavre. Prenez ce pain comme étant ma personne qui va mourir, dit Jésus. Alors, vous découvrirez que ma mort n’est pas une fin, mais le don de Dieu qui vous fait vivre et qui soude votre unité. La parole sur le pain exprime d’abord la foi de Jésus en Dieu qui le fera vivre. Communier, c’est partager la foi de Jésus.

 

Le sang de l’Alliance
L’action de grâce sur la coupe était aussi un rite des repas de fête. Ici encore jaillit d’abord la foi de Jésus en sa résurrection, sa certitude d’entrer en ce royaume de Dieu dont il avait fait l’objet même de sa mission, ce royaume où le vin nouveau sera versé aux élus rassemblés (cf. Isaïe 25, 6-9). *Le sang, c’est la vie, source de joie. Le texte originel a cette tournure étrange : « Ceci est mon-sang-de-l’alliance ». Elle renvoie au sacrifice du Sinaï (1ère lecture). La mort du Christ fonde une autre alliance, une nouvelle manière de vivre ensemble offerte à tous, à « la multitude ». Le mot renvoie au martyre du Serviteur souffrant (Isaïe 53, 12).
  Les quatre récits de la Cène sont déjà influencés par l’expérience liturgique. Marc 14 et Matthieu 26 refléteraient les célébrations de Jérusalem, 1 Corinthiens 11 et Luc 22 feraient écho à l’eucharistie  des chrétiens d’Antioche. Nos célébrations nous rattachent à la chaîne ininterrompue de ceux qui ont choisi, dans la pratique de l’eucharistie, de vivre de la vie du Christ.
* « Le sang, c’est la vie ». L’Ancien Testament répète cette formule (Lévitique 17, 11, 14 ; Deutéronome 12, 23). Ma mort, dit Jésus, « est mon sang pour la multitude ». Communier, c’est recevoir un sang neuf, l’énergie de Dieu qui a animé l’existence de Jésus. Nous évoquons les liens du sang, une richesse et une servitude, selon les situations. Nous opposons la parenté par le sang et la parenté par alliance. Jésus, lui, parle du sang de l’alliance. Notons qu’une tradition juive ancienne caractérisait la ciconcision comme « le sang de l’Alliance ». L’Eucharistie nous lie au Christ par un lien plus vital que les liens du sang.