Le Saint Sacrement (Mc 14, 12-16 ; 22-26) – Homélie du Père Louis DATTIN

Devenez ce que vous recevez

Marc 14, 12-16 ; 22-26

« Voici que je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la fin des temps » et c’est pourtant l’expérience du contraire que bien souvent nous faisons dans la foi : un Christ absent, un Christ qui se tait, un Christ dont nous aimerions avoir un signe, une manifestation. A quoi bon s’être incarné, avoir vécu pendant 30 ans parmi les hommes, pour être maintenant aussi tragiquement absent de nos vies, inconnu dans notre société, celui dont on ne tient absolument plus compte dans les décisions vitales et dans les orientations de nos cultures et de nos projets de société.

Qui ose parler du Christ, ou même de son message, en public, dans une soirée, sur une émission de radio ou de télévision, dans un journal ou même dans une conversation ?
Il semble que ce soit un sujet tabou, même entre chrétiens !
L’Eglise ressemble un peu à ces maisons qui, pendant la guerre, possédaient des fenêtres dont les vitres étaient peintes en bleu de façon à ne laisser passer aucune lumière à l’extérieur qui puisse le faire repérer de loin et à force de vouloir respecter les opinions des autres, de ne pas attenter à leur liberté, on en arrive à les laisser dans l’ignorance et à ne jamais leur communiquer ce qui doit faire l’essentiel de notre vie et de la leur, ce qui nous anime et même ce qui leur est destiné : cette Bonne Nouvelle dont l’Evangile nous dit qu’elle doit être criée sur les toits.

Pourtant, présent, ici, parmi nous, le Christ l’est plus que jamais ! Plus sans doute qu’au moment de son incarnation où sa présence était limitée à son corps physique, dans un petit pays d’un monde, seulement méditerranéen.

Présent, il l’est d’abord en nous depuis notre Baptême :

« L’eau que je lui donnerai, deviendra en lui source jaillissante pour la vie éternelle ».

Présent, il l’est aussi par la Parole qu’il nous adresse à chacun de nous, à chaque assemblée, à chaque fois que nous ouvrons notre Evangile.

 

Présent, il l’est également à chaque fois qu’à deux, trois ou plus, nous nous réunissons en son nom:

« Là, où deux ou trois se retrouveront ensemble « en mon nom », je serai au milieu d’eux ».

Présent, il le demeure toujours par le prochain : « J’avais faim, j’avais soif… Tu m’as donné à manger, à boire… Oui, c’était moi, bien à moi que tu as fait cela ». Oui, c’est à moi que tu as offert, ne fut-ce qu’un verre d’eau.

Nous sommes un peu comme ces habitants de Nazareth qui ont eu, au milieu d’eux, pendant trente ans, la présence de Jésus, qui ne l’ont jamais identifié, jamais reconnu, jamais deviné et qui se sont contentés de dire, même après sa prédication, même après son discours dans leur synagogue, même après ses miracles : « Ah ! Oui, Jésus, le fils de Joseph, le charpentier ! » « Ils avaient des yeux et ils n’ont pas vu ; des oreilles et n’ont pas entendu ».

C’est parce que Jésus a fait cette expérience de notre surdité, de notre aveuglement, de notre mutisme, de la solidité et de la force de nos freins à l’égard de la foi, de la puissance de notre méfiance et parce que nous sommes, en fin de compte des matérialistes enragés, qu’il a été jusqu’à adopter du matériel et parmi celui-ci, le plus matériel de tous : de la nourriture, du pain et du vin, pour en faire le signe de sa présence et pas seulement le signe mais la réalité de son « être là« – « avec nous ».

« Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps ». Le Christ aurait pu prendre un objet, signe de sa présence parmi nous : l’Arche d’Alliance comme dans l’Ancien Testament, un endroit désigné par lui comme lieu de sa présence, de pèlerinage comme autrefois « le Temple de Jérusalem« … Non, ce n’était pas suffisant ! C’était encore trop extérieur à nous.

Il voulait être présent non pas à côté de nous, mais en nous, au cœur de nous-mêmes ! Il désirait être comme assimilé par nous, j’allais dire « mangé par nous ». Mais je peux le dire, car c’est lui-même qui emploie cette expression dans le fameux discours du « pain de vie » dont le réalisme et la matérialité ont fait hurler ses auditeurs.

« Le pain que je donnerai, c’est ma chair donnée pour que le monde ait la vie ».

 « Si vous ne mangez pas la chair du fils de l’homme, vous n’aurez pas la vie en vous ».

« Car ma chair est une vraie nourriture ».

« Celui qui mange ma chair demeure en moi et moi en lui ».

Nous-mêmes, pourtant au courant de ce qui s’est passé ensuite, le soir du Jeudi Saint : « Ceci est mon Corps livré pour vous. Prenez et mangez », « Voici le sang de l’Alliance Nouvelle et Eternelle versé pour vous et pour la multitude en rachat de vos fautes ». Nous-mêmes, écoutant ces paroles : « Oui, ma chair est vraiment une nourriture », nous sommes choqués et nous disons avec les auditeurs d’alors : « Cette parole est rude ! Qui peut continuer à l’écouter ? » Pourtant le Christ a été jusque- là !
Il a voulu être tellement présent à nous, tellement intérieur à nous-mêmes, tellement « âme de mon âme », « vie de ma vie », « énergie de mon énergie » qu’il a désiré cette fusion totale avec nous, sous le signe de la nourriture quotidienne, celle du pain et du vin, pour être assuré, et surtout pour nous assurer de sa présence à la fois matérielle et spirituelle, au plus intime de nous-mêmes.

Dans son incarnation, non seulement Dieu s’est fait homme pour être avec nous, entre nous, parmi nous, mais il a voulu aller plus loin encore, il s’est fait pain, il s’est fait vin pour assurer  sa  présence  non seulement à côté de nous, mais en nous-même afin d’être assimilé par nous. Il consent à s’anéantir en nous pour faire de notre vie la sienne, faire de sa vie la nôtre, pour que nous puissions dire, nous aussi, à la suite de St-Paul :

« Non, ce n’est pas moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi ». Voilà jusqu’où va l’humanisation de Jésus et jusqu’où doit aller notre divinisation.

Vous le savez, le vœu de l’amour est la fusion, sans confusion, dans laquelle chacun ne veut plus subsister que pour se laisser consommer par l’autre, en devenant en quelque sorte sa nourriture, la chair de sa chair. Si bien que St-Augustin disait à ses chrétiens, après une communion :

« Recevez ce que vous êtes, devenez ce que vous recevez ».

« Recevez ce que vous êtes » :

parce que vous êtes déjà le « Corps du Christ« .

« Devenez ce que vous recevez » :

cette communion nous divinise peu à peu et fait de nous des fils.

« Voici que je suis avec vous, tous les jours

jusqu’à la fin des temps ».  AMEN

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