Le Saint Sacrement par P. Claude Tassin (29 Mai 2016)

 

Genèse14, 18-20 (Melkisédek offre à Dieu le pain et le vin)

Étoile filante dans le livre de la Genèse, *Melkisédek est roi de (Jéru-) « salem », ville païenne en ce temps-là. Son nom signifie « roi de justice », comme Jérusalem porte le surnom de « cité de justice » (Isaïe 1, 26). Comme d’autres rois orientaux, il est aussi prêtre; il sert le « dieu Très Haut », un dieu cananéen ici identifié au Dieu d’Israël.

Cette légende semble tardive et viendrait du temps où, après l’exil, le grand prêtre remplaçait le roi. Elle explique pourquoi le peuple juif (= Abraham) paie la dîme (« le dixième ») au Temple. C’est que le grand prêtre offre au nom du peuple les sacrifices (« le pain et le vin ») et exerce la bénédiction en son double sens : transmettre à tous les bienfaits de Dieu (« Béni soit Abraham ») et louer Dieu pour ses hauts faits (« béni soit Dieu… »). C’est déjà le double mouvement de l’eucharistie.

Parce que Melkisédek tombe de nues dans le récit, certains cercles juifs anciens virent en lui la figure d’un Messie qui viendra du ciel où il exerce la fonction de grand prêtre. La Lettre aux Hébreux (7, 4-10) identifiera le personnage à Jésus. Puis, avec la mention du pain et du vin, les Pères de l’Église verront en Melkisédek Jésus, prêtre du sacrifice nouveau de l’eucharistie.

Melkisédek… à Reims. Heureux les Rémois qui voient, au fond de leur cathédrale, une sublime illustration sculptée de Genèse 14, 18-20 ! Abraham porte une armure, puisque, selon le texte biblique, il revient de guerre. Une ample chasuble gothique revêt Melkisédek. C’est une hostie qu’il montre à Abraham, chevalier aux mains jointes et au buste incliné. La sculpture atteste la force de l’interprétation eucharistique du récit biblique, au point que, traditionnellement, cette partie du haut-relief est intitulée « la communion du chevalier ».

 

1 Corinthiens 11, 23-26 (« Chaque fois que vous mangez ce pain et buvez vette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur »)

Écrite avant les évangiles, la première Lettre aux Corinthiens offre le récit le plus ancien de l’institution de l’Eucharistie. Paul le présente comme une tradition reçue ; il l’a sans doute recueilli dans l’Église d’Antioche et il partage cette tradition avec l’évangile de Luc. Marc et Matthieu représentent une autre tradition.

Le pain

Le Seigneur accomplit d’abord les rites de bénédiction de la table juive. Ces gestes signifient que l’on voit dans ce pain le don de Dieu pour subsister et vivre ensemble. Mais Jésus ajoute : ce don de Dieu, c’est « *mon corps, qui est pour vous ». Prenant ce pain comme étant le corps du Christ, nous faisons l’expérience que sa mort est pour nous source de vie.

Le vin

Chez les Juifs, la coupe est signe de la fête, surtout celle de Pâques. Elle est ici comprise comme celle de l’Alliance nouvelle annoncée par Jérémie 31, 31-34, nouvelle manière de vivre ensemble et avec Dieu. Elle est fondée sur le sang, non plus celui du sacrifice du Sinaï (Exode 24, 8), mais le sang versé par celui qui « a goûté la coupe de la mort », comme on disait alors (cf. Marc 10, 38).

Le mémorial

Accomplir ce mémorial (« faites cela en mémoire de moi »), c’est proclamer devant Dieu le sens de « la mort du Seigneur », dans l’espérance qu’il vienne accomplir en plénitude le mystère d’une communion universelle.

* « Mon corps », dit Jésus. S’exprimant en araméen, dans la culture juive, il évoque ainsi son être périssable, fragile. « Communier », c’est nous unir à la mort du Christ comme à une source de vie. Paul, lui, parle dans le milieu gréco-romain où « le corps » évoquait entre autres réalités les corporations professionnelles. « Communier », c’est faire corps ensemble dans le Christ, par delà nos différences. Et nous, au 21ième siècle, que mettons-nous sous cette expression « mon corps » ? Car l’histoire de l’Eucharistie continue…

Luc 9, 11b-17 (« Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés »)

*La multiplication des pains, dernier geste de Jésus en Galilée, révèle aux apôtres son identité profonde, puisque, aussitôt après, Pierre déclare : Tu es « le Christ de Dieu » (Luc 9, 20). Après quoi Jésus annonce la nécessité de son passage par la croix. Ce don des pains offre une triple révélation :

Jésus nouvel Élie/Élisée

Chez le roi Hérode Antipas (cf. Luc 9, 7-9), on s’interrogeait : Jésus est-il Élie ou quelque prophète ressuscité ? Pour Luc, Jésus est bien le nouvel Élie, ce qui inclut aussi les œuvres de son disciple Elisée. Or, 2 Rois 4, 42-44 attribue à Élisée la multiplication de vingt pains pour cent personnes. Ici, le rapport est plus frappant : cinq pains pour cinq mille personnes. Comme le serviteur d’Élisée faisait la distribution, de même ici les disciples de Jésus. Élisée avait annoncé qu’il y aurait du surplus, « et il en resta, selon la parole du Seigneur ». Ici, à la fin, douze pleins paniers. On songe au symbole des douze tribus d’Israël : Jésus nourrit tout son peuple.

Une annonce de l’Eucharistie, la «fraction du pain»

Jésus « prend » les pains, « les bénit » (verbe juif), « les fractionne » et « les donne ». Ce sont les mots de la Cène en Luc 22, 19 où, cependant, le verbe « rendre grâce », plus grec, remplace le terme « bénir » (Comparer avec la 2e lecture). Ce sont aussi les mots de l’épisode d’Emmaüs (voir Luc 24, 30), avec deux autres analogies :

1) « le jour commençait à baisser » (= l’heure de la Cène : comparer Luc 24, 29) ;

2) au geste de Jésus « fractionnant » les pains correspond l’aveu des disciples d’Emmaüs : ils ont reconnu le Seigneur « à la fraction du pain ». Cette expression désigne l’eucharistie chez Luc (comparer Actes 2, 42 et 20, 7).

« Tous mangèrent à leur faim »… En cette scène, l’évangéliste songe tellement à l’eucharistie qu’il en oublie le reste de poissons (comparer Marc 6, 43) !

Ainsi Jésus, le prophète, ne se contente pas « d’enseigner » et de « guérir », selon l’introduction de l’épisode : il nourrit. Mais il nourrit du don de sa personne. Il faudra donc attendre la Croix pour que se réalise le sacrement qui, en outre, n’adviendra pas sans le concours des Douze.

Le ministère du partage

Ces apôtres viennent de partager le ministère de Jésus. Comme lui, ils ont annoncé « le règne de Dieu » et opéré des guérisons (cf. Luc 9, 1-2 & 6). Fatigués de leur mission, ils n’ont qu’une hâte : que la foule parte se loger dans les environs ! Non, dit Jésus, « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Avec le peu dont ils disposent, il fera merveille, et c’est de leurs mains qu’ils « distribueront » son abondance.

De la manne à l’Eucharistie

Pour l’heure, le don du pain est accordé à Israël. Ainsi doit-on comprendre la mention des cinq mille et des groupes de cinquante, reflétant l’organisation d’Israël au désert (voir Exode 18, 21-25), de même que les douze corbeilles rappellent les douze tribus.

Après la Croix, les disciples enseigneront et guériront. Mais ils devront aussi nourrir les affamés, au sens matériel; car avec le peu qu’ils ont, le Christ fera des miracles. Les nourrir aussi, sans distinction d’origine, par le rite de la « fraction du pain ». Charité concrète et sacrement de la communion sont les « pile et face » inséparables de l’Eucharistie.

* Combien de multiplications des pains ? Six ! deux en Marc + deux en Matthieu + une chez Luc + une chez Jean. Mais ces textes se réduisent à deux manières de raconter un même événement. Laissons de côté Jean 6, 1-15 qui fait des récits de ses prédécesseurs un préambule au discours sur « le Pain de Vie » (Jean 6, 22-66).

1) Marc et Matthieu ont deux récits :

a) Marc 6, 30-44 et Matthieu 14, 13-21 se rejoignent : Jésus « bénit » les pains (expression palestinienne) ; les bénéficiaires sont 5000 et on ramasse 12 corbeilles. Par ces nombres symboliques, Jésus nourrit le Peuple choisi, les Juifs qui croient en lui.

b) Marc 8, 1-10 et Matthieu 15, 32-39 se rejoignent : Jésus « rend grâce » sur les pains (expression grecque); les bénéficiaires sont 4000 (symbole d’universalité – les 4 points de l’univers) et on ramasse 7 corbeilles (selon les 7 conseillers dirigeant les Églises grecques, cf. Actes 6, 1-6 ; 21, 8).

2) Luc ne retient que la tradition 1/a. Pour lui, c’est seulement après la croix du Christ que la multiplication des pains sera eucharistie pour tous les peuples de la terre.

 

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