LE TÉMOIGNAGE DE BERNADETTE (Noéline Fournier)

            7 JANVIER 1844 : Bernadette naît à Lourdes : premier enfant du meunier François SOUBIROUS et de Louise CASTÉROT.

            Elle reçut le baptême, le 9 janvier, sous le nom de Bernarde-Marie.

            Bernadette SOUBIROUS était bien une des dernières auxquelles la sagesse humaine eût fait appel pour porter un message céleste.

            Tout ce qui donne du poids dans le monde (fût-ce le monde ecclésiastique) lui fait défaut. Elle est pauvre en tout : argent, santé, instruction.

           L’instruction religieuse même laisse à désirer : à quatorze ans, « elle ignore tout du Mystère de la Trinité » et n’a pas fait sa Première Communion.

            La misère l’a soustraite au catéchisme et immergée dans une ignorance qui la fait tenir pour sotte ; Nous savons en quel mépris la pauvreté avait fait tomber les SOUBIROUS : suspects à la police par l’excès même de leur détresse.

            Ceux qui rentraient chez eux avec l’argent refusé, rendu, jeté par Bernadette, avaient éprouvé, en actes, le choc du message évangélique sur la richesse et la pauvreté : ce message appelé à prendre pour chacun, selon sa condition, une forme personnelle en pleine vie (Lc 16 ,9).

Dès le 29 mars 1858, Antoinette TARDHIVAIL écrit :

            – « Ses parents sont très pauvres et cependant, ils ne prennent rien… Ils sont pauvres, aussi pauvres que l’était Notre Seigneur sur la terre, et c’est sur cet enfant que Marie a jeté les yeux préférablement à tant de jeunes personnes riches qui, dans ce moment, envient le sort de celle qu’elles auraient regardée avec mépris, et qui s’estiment heureuses de pouvoir l’embrasser ou lui toucher la main. »

8 DÉCEMBRE 1854 : PIE IX proclame le dogme de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie.

 

11 FÉVRIER – 16 JUILLET 1858 : La Vierge Marie apparaît dix-huit fois à Bernadette.

            Principales apparitions : la première, le 11 février ; la 8ème, le 24 février : le triple appel à la pénitence ou à la conversion ; la 9ème, le 25 février : la source ; la 13ème, le 2 mars : la procession et la Chapelle ; la 16ème, le 25 mars : « Je suis l’Immaculée Conception ».

            Le 16 avril 1879, Bernadette – en religion Sœur Marie Bernard – mourait dans l’infirmerie, dite de Sainte-Croix, du Couvent Saint-Gildard à Nevers : elle avait trente cinq ans.

            La Sainte Vierge m’avait dit « qu’elle ne me promettait pas de me faire heureuse en ce monde, mais dans l’autre ». C’était le 18 février 1858, lors de la 3ème apparition. Oui, nous avons bien entendu : « Pas dans ce monde ». Promesse de la Vierge Marie.

            Bernadette avait toujours été une « enfant chétive. » Très jeune, elle souffrait déjà de l’estomac, puis, après avoir échappé de justesse à l’épidémie de choléra, de 1855, elle connut de douloureuses crises d’asthme. Cette mauvaise santé faillit lui fermer à tout jamais les portes de la vie religieuse.

            Bernadette vit au « cachot », le pauvre logis familial qui leur avait été prêté, trop insalubre pour les prisonniers, puis à l’hôpital tenu par les Sœurs de Nevers. C’est le temps du témoignage : visites, enquêtes se succèdent : Bernadette raconte fidèlement ce qu’elle a « vu et entendu ».

7 Juillet 1866 : Bernadette entre au Couvent Saint-Gildard, à Nevers : c’est la Maison-Mère et le Noviciat des Sœurs de la Charité et de l’Instruction Chrétienne.

            « Monseigneur, elle sera un pilier d’infirmerie », avait répondu Mère Générale Louise FERRAND à Monseigneur FORCADE qui lui proposait d’accueillir Bernadette parmi les sœurs de Nevers.

            29 Juillet : Bernadette reçoit l’habit des Sœurs : elle s’appellera désormais Sœur Marie-Bernard.

            Trois fois au moins dans sa courte existence, elle reçut « l’extrême onction », c’est-à-dire « le sacrement des malades ».

            Le vendredi 28 mars, on lui propose, une fois de plus, la quatrième au moins depuis 1858, l’onction des malades. Elle proteste, instruite par l’expérience :

            – « J’ai guéri toutes les fois que je l’ai reçue… »

            On passe sur ses réticences. L’aumônier arrive à deux heures et demie du soir :

            « Je lui administrai la sainte Communion en Viatique, et ensuite le sacrement de l’Onction. Après la petite allocution que je lui adressai avant la réception de Notre Seigneur Jésus-Christ, elle prit la parole devant un grand nombre de sœurs réunies et d’une voix forte et distincte, elle s’exprima à peu près en ces termes.

            – Ma chère Mère, je vous demande pardon de toutes les peines que je vous ai faites par mes infidélités dans la vie religieuse, et je demande aussi pardon à mes compagnes des mauvais exemples que je leur ai donnés… surtout par mon orgueil. »

Dans le parc du couvent de St Gildard :

Vierge devant laquelle Bernadette aimait venir prier…

Bernadette acceptait sans amertume les observations et reconnaissait ses défauts… y compris l’orgueil.

Selon Sœur Marthe, « la Supérieure générale, les maîtresses et même l’infirmière » lui disaient : « Vous n’êtes qu’une orgueilleuse. » Pourquoi ce reproche ? Cela tenait, semble-t-il, à une certaine existence, à une certaine assurance de Bernadette.

            Elle avait un sens inné du comportement adapté en toutes circonstances, et n’aimait pas changer arbitrairement sur une simple injonction, fût-ce d’une supérieure. Lorsqu’on dénonçait ce « défaut », elle se contentait de répondre avec beaucoup d’humilité et de simplicité : – « C’est bien vrai ». Elle disait encore :

–   « La maîtresse a raison ; j’ai beaucoup d’orgueil ». Parfois elle ajoutait :

– « Priez pour ma conversion ».

            Mais elle savait que « l’orgueil » ainsi compris habite le cœur de tout homme doué de quelque existence. De là cette parabole en actions :

            – Un jour, en récréation, comme on parlait d’amour-propre, Sœur Marie-Bernard (Bernadette) fit avec le pouce et l’index d’une de ses mains un cercle en disant :

            – «  Que celle qui n’en a pas mette ici son doigt. »

            Elle retrouvait ainsi, sans y songer sans doute, le test de Jésus devant la femme adultère, mais pour une faute plus subtile et plus cachée. L’humilité était chez elle pratique, laborieuse, volontaire. Elle disait à d’autres, et se disait à elle-même :

            – « Cet acte d’humilité, il faut le faire ».

            Pourtant, Bernadette n’accueillait pas l’humiliation de manière passive, comme un cadavre, mais bien comme une personne vivante qui sent et ressent, en deçà du ressentiment toutefois.

            Au témoignage de Sœur Marthe, lorsqu’elle recevait des reproches immérités, elle disait : « Le Bon Dieu voit mes intentions. Fiat !

            Et elle gardait la même sérénité d’âme.

            «  Je lui disais » : « Vous êtes bien heureuse, vous ne laissez rien paraître extérieurement. Vous êtes impassible ! Moi, je ne puis en faire autant. »

Elle se montrait aussi aimable qu’auparavant avec les personnes qui lui avaient fait de la peine. »

            Le secret de son humilité, c’est, en définitive, la vive conscience d’avoir tout reçu, sans esprit d’appropriation, et c’est la conviction d’avoir été un instrument, sans être rien par elle-même, devant l’amour qui la comblait.

            Cette humilité est le ressort de son obéissance.

            « Elle n’a jamais failli à cette vertu, » déclare Sœur Marie DELBREL.

            Ce n’était pas pour elle chose facile, car l’obéissance était alors conçue de manière absolue, stricte, minutieuse ; et Bernadette était douée d’une assurance et d’un entêtement exceptionnellement robuste. C’est en ce sens qu’elle assurait à Sœur CHATELAIN en 1872 : « Vous trouverez le bonheur dans l’obéissance »

            Et surtout, son obéissance est relativisée en profondeur par une référence à Dieu. C’est à lui, en fait, qu’elle obéit en toutes choses. C’est selon cette liberté spirituelle, qui fait prévaloir l’homme et Dieu sur le Sabbat que Bernadette a pu dire : « Le bonheur sur la terre, c’est l’obéissance. »

            A l’asthme, s’adjoignirent peu à peu d’autres maladies : tuberculose pulmonaire, tumeur blanche au genou droit, etc…

            Bernadette accepte la souffrance mais ne la cherche pas. Au plus intolérable de la douleur, elle recourait à la croix du Christ. C’est son point de référence, « le fond » de ses « pensées ». Submergée par la douleur, elle « baisait son crucifix ».

            Aussi disait-elle encore : « Je suis plus heureuse avec mon crucifix sur mon lit de souffrance, qu’une reine sur son trône ».

            Le mercredi 16 avril, ses douleurs redoublèrent d’intensité. Un peu avant onze heures, elle parut près d’étouffer. On la transporta dans un fauteuil, les pieds sur un appui, devant le foyer où pétillait un grand feu. Elle mourut vers 15 heures 15.

 

            Ce lot d’épreuves qui était le sien, Bernadette s’attachait à y voir un gage et une assurance : « La Sainte Vierge ne m’a pas menti. »

            Elle se référait à la parole du 18 février 1858, 3ème apparition :

   « Je ne vous promets pas de vous rendre heureuse en ce monde, mais dans l’autre ».

L’accomplissement des premiers mots garantissait celui des derniers qui constituaient la face positive de la Promesse, la face cachée.

            Ainsi confiait-elle à Sœur Marthe : « On dit qu’il y a des saints qui ne sont pas allés tout droit au ciel parce qu’ils ne l’avaient pas assez désiré. Pour moi, ce ne sera pas mon cas ».

            Elle tenait la promesse de la Vierge pour conditionnelle : « Il suffirait d’une pensée d’orgueil… » disait-elle encore.

            Au père PAYRARD qui lui rappelait l’assurance de bonheur donné par la Vierge à la grotte de Massabielle, elle répondit :

            – « Oui, mais à condition que je ferai ce qu’il faut… »

Basilique de Lourdes : l’Ascension

            Pour elle le Ciel, ce n’est pas une imagination lumineuse, une contemplation rutilante, c’est le fruit mystérieux d’une Promesse. C’est ce qu’elle disait à une sœur découragée :

« Ayez confiance, cela n’a qu’un temps.. ; vous en serez récompensée au ciel. » 

« Travaillons pour le ciel, tout le reste n’est rien », ou encore : « Faisons tout pour gagner le ciel ; offrons nos travaux, nos souffrances ».

Ainsi voyait-elle dans le noviciat « le ciel sur la terre » : formule qu’elle a souvent répétée oralement et par écrit. C’est pourquoi, bien qu’éprouvée au-delà de toute imagination, Bernadette est une Sainte Joyeuse.

Elle a su adhérer à tout ce qu’elle vivait comme à un don de Dieu. Elle a vu, dans la souffrance même « une caresse du divin époux », comme elle a dit un jour à sa cousine.

Elle a tenu pour « folie de se replier sur soi ».

Elle a su vivre cela dans un constant amour des autres en Jésus-Christ. Elle ne conçoit pas le Ciel en un sens individualiste, mais comme permanence et accomplissement de toute amitié : « Je n’oublierai personne, disait-elle. Et de même, dans sa lettre au Pape, en 1876, elle dira : « L’arme du sacrifice tombera mais celle de la prière me suivra au ciel où elle sera puissante. »

 

Sœur Thérèse de l’Enfant Jésus dira plus tard, avec plus d’art :

« Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre ».

 

C’est au niveau de l’amour et de sa gratuité que Bernadette, condamnée à « l’inutilité », a su découvrir consciemment son emploi. Cela nous conduit au plus profond de sa vie, à ce qui explique le reste : la Charité (Rm 12, 9-10 ; Gal. 5,14).

            Entre la petite fille Bernadette choisie pour sa pauvreté et Celle dont le Seigneur avait regardé la pauvreté (Lc 1,48), c’est d’abord un contact silencieux, un contact dans la prière. Les actes ont le pas sur les paroles.

           Dès le début de la première apparition, Bernadette a tiré son chapelet, d’instinct. Elle a tenté de faire le signe de la croix. Ce geste avait en elle des racines.

La seule prière que Bernadette connaisse encore : le chapelet.

            Chaque soir, dans la pénombre du cahot où meurt la dernière braise, elle monte de leurs voix rudes et lassées ; elle monte du cœur aussi. Jamais ils n’ont songé à faire reproche au ciel de ce qui leur arrive, à eux « pauvres pécheurs ».

            Bernadette a reçu cela de source, dans sa famille.

            Le chapelet lui est déjà familier. Aux heures calmes, aux heures difficiles, elle répète volontiers ces phrases en français dont les mots lui échappent, mais qui lui suffisent à rejoindre une Présence.

 

L’Immaculée Conception – Seizième Apparition

 

Le dogme est proclamé le 25 Mars 1858, jour liturgiquement assorti au mystère.

Tout d’abord, elle manifeste le sens et la portée.

 Celle qui est venue choisir Bernadette, cette petite fille pauvre, c’est Celle qui a été choisie Elle-même pour sa « pauvreté » au plein sens de ce mot selon la grâce : la qualité des humbles en Dieu assumée : « Il a regardé la pauvreté de sa servante. » (Lc 1,48). « Il a renversé les puissants de leur trône, et élevé les pauvres » (1,52).

 

Celle qui est venue rappeler la pénitence, dans sa pleine dimension de conversion du cœur, c’est celle dont le cœur a été entièrement tourné vers Dieu, sans ombre de défaillance, depuis le premier instant, c’est aussi Celle qui, personnellement exempte de péché, a consenti à porter le fardeau de notre pénitence, depuis la crèche de Bethléem et surtout, au Golgotha où sa part fut la pire douleur qui pouvait être arrachée à un cœur de mère, une douleur en pleine Rédemption.

Ici encore, en effet, la réalité a devancé les paroles. Bernadette a d’abord appris à connaître la Vierge en la regardant, en regardant cette jeune fille sans ombre de vanité dans sa lumière, en reflétant son sourire – comme l’enfant qui apprend ainsi à connaître sa mère avant d’en connaître le nom – en imitant sa prière, en obéissant à ses ordres.

            A Bernadette, tout a été donné dans une Présence Lumineuse, humble, priante et si triste lorsqu’elle parlait des pécheurs !

Nous autres pécheurs, nous oscillons dangereusement entre dureté et complicité à l’égard des autres. Ou bien nous condamnons ceux qui font le mal avec un mépris pharisaïque, ou bien, si nous nous penchons pour les comprendre, nous perdons le sens du mal : nous n’excusons pas seulement le pécheur, mais le péché même.

            Qui aime vraiment un malade haït sa maladie et cherche tous les moyens de l’en guérir.

            Qui aime vraiment un pécheur haït pareillement son péché et n’a de cesse qu’il ne l’en tire.

            Non, ce n’est pas par le péché qu’on comprend les pécheurs, mais par l ‘amour et la miséricorde.

            Or, on trouve chez la Vierge Marie la plus haute conscience de la plus haute miséricorde de Dieu : la plus haute miséricorde, car Dieu ne l’a pas purifiée, mais préservée du péché, et comblée dès l’origine d’une plénitude de grâces ; la plus haute conscience de cette miséricorde, car sa pureté la rendait plus capable que nul autre de ce sentiment rare et difficile entre tous : la Reconnaissance.

            La vie de Bernadette se réfère en la Présence de l’Immaculée.

            Le décès de sa mère, en la fête de l’Immaculée Conception, avait pour elle un sens. Elle le dit plus tard à Sœur Casimir, en la consolant de la perte de son père :

            «  Moi aussi, j’ai perdu ma mère le 8 décembre. La sainte Vierge le voulait ainsi pour me montrer qu’elle remplacerait ma mère que j’avais perdue ».

            « On sentait son amour pour la sainte Vierge », rapporte une Sœur (1867) ; elle l’exprime parfois en mots simples et courants : « Mes enfants, aimez la Sainte Vierge », dit-elle aux orphelines de Varennes.

            Elle en parlait volontiers, rapporte Sœur Casimir ; elle exprimait surtout sa « grande confiance ».

            Le 14 juin 1925, Pie XI proclamait officiellement Bernadette « Bienheureuse ».

            En ces jours d’août 1925, commençait le long pèlerinage des amis de Sainte Bernadette.

            Et c’est ce que le Père RAVIER  a écrit :

            « Oui, c’est bien le corps de Bernadette,

            dans l’attitude de recueillement et de prière qu’il a prise dans son premier cercueil.

C’est ce visage qui s’est tendu dix-huit fois vers la « Dame de Massabielle ».

Ce sont ces mains qui égrenaient le chapelet avant et pendant les Apparitions.

Ces doigts qui ont gratté le sol et fait jaillir la source miraculeuse.

Ce sont ces oreilles qui ont entendu le message ;

Ces lèvres qui ont redit au Curé PEYRAMALE le nom de la Dame :

« JE SUIS L’IMMACULÉE CONCEPTION ».

            C’est aussi son cœur qui a tant aimé Jésus-Christ et la Vierge Marie

                       et les pécheurs. »

Du petit corps si frêle, elle qui semble absorbée en Dieu, jaillit une voix silencieuse qui nous atteint au plus intime de nous-mêmes.

Bernadette est présente.

Bernadette prie avec nous.

Osons le dire : Bernadette est, en quelque sorte vivante.

Bernadette continue chaque jour, auprès de chaque pèlerin, la mission que lui avait confiée, au nom de Dieu, « l’Immaculée Conception » :

Elle nous redit que Dieu est Amour

            et qu’il ne cesse de nous appeler à passer de la nuit de notre péché

                       à son admirable Lumière.

            Notre Dame de Lourdes, priez pour nous et pour notre conversion !

            Sainte Bernadette, priez pour nous, pécheurs !

            Sainte Bernadette ; priez pour les malades !

                       Fête de Notre Dame de Lourdes – Père René LAURENTIN

                                 Noéline FOURNIER.

 

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