L’Église, notre mère (conférence de carême, 29 Mars 2023) par Fr. Manuel Rivero O.P.

Cathédrale de Saint-Denis (La Réunion)

 

« Femme, voici ton fils » (Jn 19, 26) , a dit Jésus à sa mère, Marie, sur le Calvaire, en voyant son disciple Jean. Les théologiens chrétiens ont interprété cette dernière parole de Jésus en croix, comme l’achèvement du mystère de la Rédemption de l’humanité, qui comprend le don et l’accueil de la Mère du Messie comme modèle et mère spirituelle des croyants.

Jésus a dit aussi à son disciple bien-aimé : Voici ta mère » (Jn 19,27). Jean, habité par la lumière de l’amour, a accueilli chez lui la mère de Jésus. « Chez lui » veut dire dans son âme et non seulement dans sa maison. Visiblement Joseph était déjà parti vers Dieu quand Jésus a expiré sur la croix ; autrement Marie aurait été confiée à son époux. Il n’est pas question non plus de frères et de sœurs de Jésus sur le Golgotha. Si la Vierge Marie avait eu d’autres enfants, Jésus leur aurait demandé de prendre soin de leur mère. L’accueil dont il est question ici dépasse l’hospitalité matérielle, bonne et nécessaire, pour conduire les disciples de Jésus vers la maternité spirituelle de Marie qui veillera par son intercession sur la foi et la croissance de l’Église, Corps du Christ, dont son fils Jésus-Christ en est la tête, et les baptisés ses membres.

À La Réunion, les catholiques aiment « Maman Marie », notre Mère du Ciel. Notre île brille comme une île mariale par sa foi et par sa prière. De nombreux pèlerinages témoignent de l’attachement et la proximité des fidèles envers la Mère de Dieu : pèlerinage de la Salette, de la Vierge Noire, de la Vierge au Parasol … Des grottes de Lourdes et des statues de la Vierge Marie marquent les routes et les chemins comme des invitations à des haltes d’élévation spirituelle dans la prière. Les mères veillent sur le fruit de leurs entrailles. La Vierge Marie demeure attentive aux besoins de ses enfants à La Réunion.

Les catholiques croient en un seul Dieu. Ils n’ont pas besoin d’une déesse. Marie n’est pas une déesse mais une créature, la plus grande des sauvés par la foi en son Fils Jésus. Les catholiques adorent le Fils de Dieu, Jésus. Ils vénèrent la Vierge Marie, la Mère de Dieu.

Loin de représenter un obstacle pour la foi en Jésus, comme le craignent quelques protestants qui critiquent la ferveur mariale, la dévotion envers la Vierge Marie garantit la véritable foi en Jésus, le Fils de Dieu fait homme, seul médiateur entre Dieu et les hommes, le seul Sauveur.

Il arrive que des sociologues s’étonnent de l’impact de la spiritualité mariale auprès des chrétiens qui ont subi la violence, l’emprisonnement, la pauvreté et toutes sortes de persécutions. Avec la Vierge Marie, ils ont gardé la foi au Christ.

Notre âme s’appelle « Marie »

C’est ainsi que l’âme, par la foi, peut devenir mère du Christ et elle reçoit le nom de la mère de Jésus « Marie ». Saint Ambroise de Milan (†397) enseigne ce mystère : « Lorsque cette âme commence à se convertir au Christ, elle s’appelle « Marie » : c’est-à-dire qu’elle reçoit le nom de celle qui a mis au monde le Christ ; elle est devenue une âme qui engendre le Christ de manière spirituelle[1] ». Le chrétien devient mère du Seigneur. Le Christ Jésus va grandir en lui à l’image du bébé porté par la mère dans son sein et qui se développe de jour en jour, jour et nuit. Il s’agit d’accueillir le Christ Jésus comme Marie l’a fait à l’Annonciation. Selon la chair, il n’y a qu’une maternité divine, celle de Marie, « mais selon la foi, le Christ est le fruit de tous[2] ».

 

Mère spirituelle des chrétiens, Mère de l’Église, la Vierge Marie, femme au regard pénétrant, active dans son amour, conduit au Christ comme elle l’a fait lors des noces de Cana : « Faites tout ce qu’il vous dira » (Jn 2,5).

Le père Marie-Joseph Lagrange (1855-1938), dominicain, fondateur de l’École biblique de Jérusalem notait dans son Journal spirituel au cours de son noviciat au couvent royal de Saint-Maximin : « La bienheureuse Vierge Marie a détruit dans sa personne toutes les hérésies : elle est Mère de Dieu, donc, le Fils de Dieu, Jésus-Christ, n’est qu’une seule Personne, et il a deux natures puisqu’il est aussi vraiment son Fils, né de sa substance[3] ». Les hérésies font de Jésus un Dieu sans humanité ou un homme sans divinité. Marie conduit à l’unité du mystère de Jésus, « visage humain de Dieu et visage divin de l’homme » selon la belle expression du saint pape Jean-Paul II dans Ecclesia in America (n°47), le seul pape qui soit venu dans notre île et traversé l’allée centrale de cette cathédrale.

La conférence de ce soir a pour titre « L’Église, notre Mère ». J’ai choisi de commencer par l’évocation de la Vierge Marie comme Mère spirituelle des chrétiens car les titres attribués à la Vierge Marie ont d’abord concerné l’Église, notre Mère par la transmission de la Parole de Dieu et de la grâce pascale dans les sacrements.

Et si l’Église est appelée Mère, c’est grâce à l’Esprit Saint qui donne la vie, comme nous le disons dans le Credo de Nicée-Constantinople à la messe du dimanche : « Je crois en l’Esprit Saint, qui est Seigneur et qui donne la vie »[4].

C’est pourquoi il y aura trois parties dans mon exposé : la Vierge Marie, notre Mère ; l’Église, notre Mère ; l’Esprit Saint qui donne la vie et qui fait renaître.

La Vierge Marie, Mère du Christ, Mère de l’Église, notre mère

C’est le saint pape Paul VI qui a tenu à vénérer la Vierge Marie sous le vocable de « Mère de l’Église » au cours du concile Vatican II, le 21 novembre 1964, lors du discours d’approbation de la Constitution dogmatique sur l’Église « Lumen Gentium », tout en ne faisant pas partie de celle-ci. De son côté, le Catéchisme de l’Église catholique a intégré officiellement dans la foi catholique ce vocable riche en signification théologique, même s’il n’a pas été le résultat d’un vote lors de ce concile (n°963).

Le saint pape Paul VI avait déclaré lors de la clôture du concile Vatican II le 8 décembre 1965 : « Alors que nous clôturons le concile œcuménique, nous honorons la Très Sainte Vierge Marie, Mère du Christ, et, par conséquent, (…) la Mère de Dieu et notre Mère spirituelle (…) c’est la femme, la vraie femme idéale et réelle (…) cette femme qui est tout à la fois notre humble sœur et notre céleste Mère et Reine ».

La foi de l’Église trouve sa naissance dans la Bible. La prière de l’Église manifeste aussi le projet de salut de Dieu pour l’humanité : « Lex orandi, lex credendi » (« La loi de la prière est la loi de la foi »). C’est pourquoi, il convient de faire appel à la liturgie de l’Église pour comprendre le mystère de la Vierge Marie. À l’Annonciation, la Vierge Marie est devenue la Mère du Fils de Dieu fait homme, qui recevra le nom de Jésus. L’événement de l’Annonciation représente non seulement la nouveauté de l’Incarnation mais aussi le commencement de l’Église. La liturgie de cette fête appelée par certains Pères de l’Église « la fête de la racine », car cachée et fondatrice, exprime le mystère de l’accueil du Fils de Dieu « par la foi de Marie » et sa tendresse maternelle envers le corps de son fils Jésus (cf. Préface de la messe), tandis que la prière sur les offrandes met en lumière la naissance de l’Église, Corps du Christ : « L’Église n’oublie pas qu’elle a commencé le jour où ton Verbe s’est fait chair ».

Si Marie est mère de Jésus, elle est aussi la mère de l’Église. Étant la Mère de la Tête du Corps elle demeure aussi la Mère du reste du Corps, les membres unis au Christ par la foi et le baptême. S’il n’est pas possible de séparer la Tête du Corps ; il n’est pas possible non plus de séparer la maternité divine de Marie de sa maternité spirituelle envers le Corps de son Fils Jésus, l’Église.

Un théologien du XIIe siècle, Isaac de l’Étoile[5], moine cistercien, a su mettre en valeur l’union du Christ et de l’Église, la maternité de Marie envers le Christ et à l’égard de l’Église : « ʺCe que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare donc pas. Ce mystère est grand, je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Église.ʺ Garde-toi bien de séparer la tête du corps ; n’empêche pas le Christ d’exister tout entier ; car le Christ n’existe nulle part tout entier sans l’Église, ni l’Église sans le Christ. Le Christ total, intégral, c’est la tête et le corps. [6] »

Et dans un autre sermon sur l’Assomption, Isaac d’enseigner : « Ce Christ unique est le Fils d’un seul Dieu, dans le ciel et d’une seule mère sur la terre. Il y a beaucoup de fils, et il n’y a qu’un seul fils. Et, de même que la tête et le corps sont un seul fils et plusieurs fils, de même Marie et l’Église sont une seule mère et plusieurs mères, une seule vierge et plusieurs vierges. L’une et l’autre ont conçu du Saint-Esprit, sans attrait charnel (…). L’une a engendré, sans aucun péché, une tête pour le corps ; l’autre a fait naître, dans la rémission des péchés, un corps pour la tête. L’une et l’autre sont mères du Christ, mais aucune des deux ne l’enfante tout entier sans l’autre. Aussi c’est à juste titre que, dans les Écritures divinement inspirées, ce qui est dit en général de la vierge mère qu’est l’Église, s’applique en particulier à la Vierge Marie ; et ce qui est dit de la vierge mère qu’est Marie, en particulier, se comprend en général de la vierge mère qu’est l’Église.

De plus, chaque âme croyante est également, à sa manière propre, épouse du Verbe de Dieu, mère, fille et sœur du Christ, vierge et féconde. Ainsi donc c’est la Sagesse même de Dieu, le Verbe du Père, qui désigne à la fois l’Église au sens universel, Marie, dans un sens très spécial et chaque âme croyante en particulier.

C’est pourquoi l’Écriture dit : « Je demeurerai dans l’héritage du Seigneur ». L’héritage du Seigneur, dans sa totalité, c’est l’Église, c’est tout spécialement Marie, et c’est l’âme de chaque croyant en particulier. En la demeure du sein de Marie, le Christ est resté neuf mois ; en la demeure de la foi de l’Église, il restera jusqu’à la fin du monde ; et dans la connaissance et l’amour du croyant, pour les siècles des siècles[7] ».

Au XIIIe siècle, le grand théologien dominicain, saint Thomas d’Aquin voit dans les noces de Cana l’image de l’union mystique du Christ et de l’Église, union commencée à l’Annonciation : « Ces épousailles eurent leur commencement dans le sein de la Vierge, lorsque Dieu le Père unit la nature humaine à son Fils dans l’unité de la personne, en sorte que le lit nuptial de cette union fut le sein virginal … Ce mariage fut rendu public lorsque l’Église s’est unie au Verbe par la foi[8] ».

Le Docteur Angélique s’inspire de la pensée de saint Augustin pour qui le sein de la Vierge Marie est une chambre nuptiale où s’unissent dans la personne du Verbe la nature divine et la nature humaine. Pour saint Augustin, le corps de Jésus s’unit à l’Église formant ainsi « le Christ total, Tête et Corps[9] ».

L’Incarnation comporte une dimension ecclésiale. Marie a accueilli le Verbe au nom de l’humanité et pour l’humanité. Marie, nouvelle Ève, accomplit la prophétie du livre de la Genèse en écrasant la tête du serpent par sa foi (cf. Gn 3,15). Elle est aussi la femme de l’Apocalypse qui enfante une nouvelle humanité (cf. Ap 12).

La Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps « Gaudium et spes » enseigne que « par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme » (n°22,2). Par conséquent, la Vierge Marie est devenue aussi mère de cette humanité ce qui peut expliquer en partie la dévotion des croyants des religions non chrétiennes qui se rendent en pèlerinage dans les sanctuaires mariaux comme Lourdes ou Notre-Dame de la Garde à Marseille.

L’Église, notre mère

Le concile Vatican II dans sa constitution dogmatique sur l’Église « Lumen Gentium » (« Lumière des nations ») a choisi de ne pas présenter la Vierge Marie pour elle-même. Dans le chapitre VIIIe, Lumen Gentium met en lumière la grâce et la mission de la Vierge Marie, Mère de Dieu, « dans le mystère du Christ et de l’Église » : « La bienheureuse Vierge se trouve en intime union avec l’Église : de l’Église, selon l’enseignement de saint Ambroise, la Mère de Dieu est le modèle dans l’ordre de la foi, de la charité et de la parfaite union au Christ » (n°63). Le concile Vatican II relie la maternité divine de la Vierge Marie à la maternité de l’Église. Jésus, le Fils de Dieu, a été engendré en Marie par l’Esprit Saint. Ceux qui croient en Jésus sont engendrés aussi par l’Esprit Saint pour devenir fils de Dieu en union avec le Fils unique engendré du Père. Le Prologue de saint Jean révèle cette nouvelle naissance par la foi au Verbe : « À tous ceux qui l’ont accueilli, le Verbe a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1,12). Marie qui occupe la première place dans l’Église a été enveloppé par l’Esprit Saint donnant naissance au « premier-né parmi une multitude de frères » (Rm 8,29). Cette multitude de frères c’est l’Église : « L’Église devient à son tour une Mère, grâce à la parole de Dieu qu’elle reçoit dans la foi : par la prédication et par le baptême elle engendre, à une vie nouvelle et immortelle, des fils conçus du Saint-Esprit et nés de Dieu » (Lumen Gentium n° 64).

La maternité de l’Église grandit par la prédication de l’Évangile. Les prédicateurs, les catéchistes et tous les témoins du Seigneur actualisent par la parole et par l’exemple le mystère de la charité du Christ, présent et agissant, ici et maintenant, dans l’histoire de l’humanité. L’Église ne se développe pas par le prosélytisme mais par l’attraction de Jésus glorifié qui touche les cœurs par l’Esprit Saint, Amour : « élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12,32). L’Église est mère à la manière de la Vierge Marie, par la foi, le service dans l’humilité, la proclamation des merveilles de Dieu et la prière.

L’Esprit Saint, qui a fait jaillir la vie du Fils de Dieu dans le sein de Marie, fait jaillir la grâce divine dans le sein de l’Église au baptême. L’eau baptismale devient le liquide amniotique qui donne la vie de Dieu par l’action de l’Esprit Saint.

L’Esprit Saint a formé le corps de Jésus en Marie. Aujourd’hui l’Esprit Saint forme le Corps du Christ, l’Église. L’Esprit Saint forme le Corps et le sang de Jésus dans l’eucharistie au moment miraculeux de l’épiclèse : « Toi qui es vraiment saint, sanctifie ces offrandes en répandant sur elles ton Esprit ; qu’elles deviennent pour nous le Corps et le Sang de Jésus, le Christ, notre Seigneur » (Prière eucharistique n°2). Former le Corps du Christ est la spécialité de l’Esprit Saint. Former le Corps du Christ devient la spécialité de l’Église par l’Esprit Saint. L’Esprit Saint formera aussi nos corps de gloire à la résurrection finale.

Le pape François a donné un bel enseignement sur « l’Église, mère des chrétiens » citant la symbolique baptismale : « Si vous allez au baptistère de Saint-Jean-de-Latran, à la cathédrale du pape, il y a à l’intérieur une inscription latine qui dit plus ou moins ceci : « Ici naît un peuple d’origine divine, engendré par l’Esprit Saint qui féconde ces eaux ; notre mère l’Église met au monde ses enfants dans ces flots ». (11 septembre 2013, audience générale).

Saint Paul, célèbre le Christ « Tête du Corps, c’est-à-dire de l’Église » (Col 1,18). Dans son épître aux Colossiens, l’apôtre des nations appelle l’Église « Corps du Christ » (Col 1,24). L’image du corps humain avec la tête et ses membres correspond au Christ total, qui rassemble dans l’unité le Christ, sa Tête, et les chrétiens, ses membres. Dans son épître aux Corinthiens (1 Cor 12,12.27), saint Paul explique la dépendance des membres du même corps avec ses différentes fonctions, image qui s’applique à l’Église, « le Christ répandu et communiqué », selon la belle formule de Bossuet, où chaque baptisé participe à la vie du Fils de Dieu en tant que membre vivant de son Corps.

C’est une erreur que d’imaginer l’Église comme existant sans le Christ. L’Église, c’est nous tous et non seulement les évêques ou les prêtres. Quand des chrétiens critiquent l’Église ils se critiquent eux-mêmes. Le Catéchisme de l’Église catholique rappelle « l’esprit filial à l’égard de l’Église » (n°2040).

L’Église est appelée « notre mère » (cf. LG n°6 ; Ga 4,26 ; cf. Ap 12,17) parce qu’elle nourrit ses enfants du pain de la Parole de Dieu et de l’eucharistie. L’Église prend soin de ses enfants malades dans le sacrement de l’onction des malades. Elle éduque par la catéchèse. L’Église nous accompagne dans notre croissance spirituelle à travers les étapes parfois difficiles, voire tourmentés de notre existence. Mère fidèle, elle est toujours là, heureuse d’accueillir ses enfants quand ils reviennent à la maison. L’Église travaille pour la paix dans le monde à travers la doctrine sociale de l’Église et la diplomatie vaticane. L’Église divinise l’amour humain dans le sacrement du mariage. L’Église se construit et se développe à travers les sacrements de la Confirmation et des ordinations diaconales, presbytérales et épiscopales.

C’est l’Église, par son rayonnement universel du mystère du Christ Sauveur, qui évangélise et convertit. Si chaque chrétien est appelé à témoigner de sa foi et à favoriser la conversion joyeuse des hommes, c’est en réalité le témoignage et la prédication qui convertit. On raconte cet aveu d’un vieux prêtre : « Jeune prêtre j’aspirais à convertir le monde ; au bout de vingt ans, je me suis dit qu’arriver à convertir quelques personnes ce serait bien ; maintenant après tant d’années de sacerdoce, je me dis : si j’arrive à me convertir moi-même ce sera déjà très bien ».

Au cours des premiers siècles de l’histoire de l’Église, les grands théologiens ont été africains. Les Pères de l’Église ont mis en lumière la maternité spirituelle de la Vierge Marie envers les chrétiens. C’est ainsi que saint Cyprien, évêque de Carthage, martyr en l’an 258, déclarait : « On ne peut pas avoir Dieu pour père quand on n’a pas l’Église pour mère[10] ».

Plus tard, saint Augustin (+430) prêchera à ses fidèles : « Nul ne peut compter sur la grâce de Dieu son Père, s’il méprise l’Église sa mère[11] ».

Au VIIIe siècle, en Angleterre, saint Bède le Vénérable, écrira : « Toujours à nouveau l’Église engendre le Christ, chaque jour l’Église engendre l’Église[12] ». Par le sacrement du baptême, par la prédication et le témoignage, l’Église donne naissance au Christ dans le cœur des hommes. En engendrant le Christ, elle s’engendre elle-même.

L’Esprit Saint qui donne la vie

Dieu est Esprit, il n’a pas de sexe. Pour nous adresser à Dieu qui est au-delà de tout, au-delà de tous nos mots et concepts, nous utilisons des exemples, des métaphores et des analogies. Les amoureux connaissent bien les limites du langage pour partager les émotions du cœur qui dépassent les déclarations d’amour. Pourtant les mots demeurent une médiation nécessaire pour communiquer. Les amoureux font aussi appel à la communication non verbale, aux symboles et aux cadeaux pour manifester l’amour caché dans le cœur, invisible aux regards extérieurs.

Il en va de même dans notre relation de foi et d’amour envers Dieu. Nous avons besoin de mots, de symboles et des réalités tangibles comme l’eau, le pain, le vin ou l’huile.

Dans la révélation biblique Dieu est appelé Père mais il a des sentiments maternels de tendresse et de miséricorde. L’hébreu de l’Ancien Testament trouve dans l’utérus maternel, « rahamin », qui frémit devant la souffrance des enfants, une image des sentiments de Dieu envers l’humanité dans la douleur. En Dieu il y a des sentiments propres à l’homme et à la femme, au père et à la mère, tout en restant au-delà de tout ce que nous connaissons. À proprement parler, en rigueur de termes, Dieu n’est ni père, ni mère, mais Esprit qui donne la vie.

Les mères donnent la vie. La Vierge Marie est appelée « notre mère » parce qu’elle nous donne Jésus. L’Église est appelée « notre Mère » parce qu’elle nous donne la Parole de Dieu et les sacrements de la vie divine. En réalité, la Vierge Marie et l’Église transmettent ce qu’elles reçoivent de Dieu : l’Esprit Saint. C’est l’Esprit Saint qui nous engendre à une vie nouvelle et qui nous fait renaître.

Jésus a bien déclaré à Nicodème : « En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d’en haut, nul ne peut voir le Royaume de Dieu » (Jn 3,3). Et comme Nicodème ne comprenait pas cette parole qu’il interprétait au sens matériel d’un retour au sein maternel, Jésus lui a précisé : « En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l’Esprit est esprit » (Jn 3, 5-6).

Naissance mystérieuse mais bien réelle : « Le vent souffle où il vaut et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. » (Jn 3,8).

Cette nouvelle naissance nous rappelle le don de Dieu aux fidèles annoncé dans le livre de l’Apocalypse : « Un caillou blanc portant gravé un nom nouveau que nul ne connaît, hormis celui qui le reçoit » (Ap 2, 17). 

Ce nom nouveau reçu au baptême est bien « enfant de Dieu ».

Puissions-nous nous souvenir non seulement du jour anniversaire de notre naissance mais aussi du jour anniversaire de notre nouvelle naissance dans le baptême. Au jour de notre naissance, nous sommes nés de notre père et de notre mère. Au jour de notre nouvelle naissance, nous sommes renés du Père de Jésus et nous avons eu pour mère l’Église qui nous transmis la vie de l’Esprit Saint.

Nous sommes dans la cathédrale du diocèse, l’Église-mère du diocèse, signe de l’unité du peuple de Dieu. Dans la tradition ecclésiale, les ordinations épiscopales et presbytérales ont lieu à la cathédrale, c’est dans sa cathédrale que l’évêque célèbre la messe chrismale où sont bénies les saintes huiles pour tout le diocèse : huile de catéchumène, le Saint Chrême et huile pour l’onction des malades. C’est dans sa cathédrale que l’évêque promulgue ses orientations pastorales pour dynamiser la mission. La cathédrale manifeste la dimension maternelle de l’Église.

Les mères rassemblent les enfants. La cathédrale rassemble les fidèles venus de plusieurs villes du diocèse.

C’est curieux, le carreau-cathédrale est devenu le lieu du rassemblement à Saint-Denis. Il doit y avoir une plusieurs raisons pour cela. Ne faut-il pas y penser aussi à l’attrait spirituel et maternel de la cathédrale, Église mère ?

La Vierge Marie nous a été donnée pour mère spirituelle par Jésus lui-même. Elle nous accompagne de manière fidèle tout au long de notre vie, de la naissance à la mort, comme la Mère Église, depuis notre naissance dans les eaux baptismales jusqu’au jour de la mort, naissance au Ciel. Aussi prions-nous dans l’Ave Maria : « Prie pour nous, maintenant et à l’heure de notre mort ». L’heure de notre mort étant l’heure de la rencontre avec Dieu où nous ouvrons les yeux à la lumière de la gloire de Dieu.

C’est l’Esprit Saint qui donne la vie et qui accomplira cela, nous dit saint Paul : « Si l’Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité le Christ Jésus d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous » (Rm 8,11).

« À Celui dont la puissance agissant en nous est capable de faire bien au-delà, infiniment au-delà de tout ce que nous pouvons demander ou concevoir, à Lui la gloire, dans l’Église et le Christ Jésus, pour tous les âges et tous les siècles. Amen » (Ep 3,20-21).

 

[1] Saint Ambroise de Milan, Sur la Virginité, IV, 20 (P.L. XVI, 271 B).

[2] Saint Ambroise de Milan, Traité sur l’Évangile de Luc, II, 26, édition « Sources chrétiennes », tome I, p. 84.

[3] Marie-Joseph Lagrange, Journal spirituel. Paris. Édition du Cerf. 2014. 16 novembre 1880. P. 104.

[4] Voir Edward Schillebeeckx, Mariologia : ayer, hoy y mañana. Conférence donnée au mois d’octobre 1990 à Huissen (Pays-Bas) lors du congrès international des Frères prêcheurs sur la Vierge Marie. Salamanca. Ediciones Sígueme. 2000. P. 29-76.

[5] Isaac de l’Étoile (1100-1178), moine de Pontigny, puis abbé de l’Étoile en Poitou, ami de saint Thomas Becket.

[6] Sermon d’Isaac de l’Étoile. Liturgie des heures IV. Temps ordinaire. 23e semaine.

[7] Sermon d’Isaac de l’Étoile pour l’Assomption. Marie et l’Église. La liturgie des heures I. Avent – Noël. II Samedi de l’Avent.

[8] Saint Thomas d’Aquin, In Ioan. 1, n°338.

[9] Cf. Jean-Pierre TORRELL, Le Christ en ses mystères. La vie et l’œuvre de Jésus selon saint Thomas d’Aquin, tome I. Paris. Desclée. 1999.  PP. 76-77.

[10] Saint Cyprien de Carthage : « Habere non potest Deum patrem qui ecclesiam non habet matrem », De catholica ecclesiae unitate, 6 (CSEL 3/1,214).

[11] Saint Augustin, Sermo 92 : De Alleluia (Miscellanea Agostiniana I, Rome, 1930, 332-333).

[12] Saint Bède, Expl. Apoc., 11,12 (PL 93, 166D)

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