Les compagnons de l’Agneau (Ap 14,1-5)

            Puis voici que l’Agneau apparut à mes yeux ; il se tenait sur le mont Sion, avec cent quarante-quatre milliers de gens portant inscrits sur le front leur nom et le nom de son Père.

(2) Et j’entendis un bruit venant du ciel, comme le mugissement des grandes eaux ou le grondement d’un orage violent, et ce bruit me faisait songer à des joueurs de harpe touchant de leurs instruments;

(3) ils chantent un cantique nouveau devant le trône et devant les quatre Vivants et les Vieillards. Et nul ne pouvait apprendre le cantique, hormis les cent quarante-quatre milliers, les rachetés à la terre.

(4) Ceux-là, ils ne se sont pas souillés avec des femmes, ils sont vierges; ceux-là suivent l’Agneau partout où il va; ceux-là ont été rachetés d’entre les hommes comme prémices pour Dieu et pour l’Agneau.

(5) Jamais leur bouche ne connut le mensonge : ils sont immaculés.

  

            st jeanLe Christ ressuscité apparaît à St Jean « sur la montagne de Sion », là où était le Temple du Seigneur, la Maison de Dieu. Mais ici, avec Lui, c’est le Temple Céleste, la Jérusalem Nouvelle qui s’offre à son regard, le Mystère accompli de la Communion de Dieu avec les hommes. « Cent quarante quatre mille » l’accompagnent, comme en Ap 7,4, un chiffre qui, souvenons-nous, renvoie à la multitude des hommes[1] de tous les temps que Dieu appelle au salut. Ils ne se sont pas laissés marquer du chiffre de la Bête ; ils ont dit « non » au mal, autant qu’il leur était possible… Et librement, ils ont accepté de tout cœur de dire « oui » à Dieu et à son œuvre, et ils se sont laissés marquer du sceau de l’Esprit (Ep 1,13-14 ; 4,30 ; 2Co 1,22). La promesse de Jésus s’est alors accomplie pour eux, ils sont bien avec Lui dans la Maison du Père, ce Mystère de communion en un seul Esprit (1Jn 1,1-4 ; Rm 14,17) : « Le vainqueur, je le ferai colonne dans le temple de mon Dieu ; il n’en sortira plus jamais et je graverai sur lui le nom de mon Dieu, et le nom de la Cité de mon Dieu, la nouvelle Jérusalem qui descend du Ciel, de chez mon Dieu, et le nom nouveau que je porte » (Ap 3,12). « Dieu est Esprit » (Jn 4,24) ; en recevant l’Esprit, ils ont reçu « le Nom de Dieu »[2]. Ils participent maintenant au Mystère de ce qu’Il Est (cf. Ex 3,14)… Tous ont reçu ce même Esprit, l’Esprit de Dieu. Par cet Esprit, ils sont en communion avec Dieu et entre eux : ils portent donc « le nom de la cité de Dieu » qui est « communion » (cf. Jn 10,30 ; 17,20-24)… De plus, le Père a ressuscité son Fils d’entre les morts par la puissance de ce même Esprit (Rm 1,4 ; 8,11). Tous ceux et celles qui reçoivent cet Esprit participent donc à la vie du Christ Ressuscité, déjà sur la terre dans la foi (Ep 2,4-6 ; Col 2,12-13), et bien sûr plus tard, dans la Plénitude du Ciel. Tous portent alors « le Nom nouveau » du Christ : « ressuscité »… Nous les retrouvons ici « portant inscrits sur leur front » le Nom de l’Agneau, le Christ, et celui de Dieu « son Père » et « notre Père » (Jn 20,17). « Dieu est tout en tous » (1Co 15,28), dans l’unité d’un même Esprit… Ils sont maintenant pleinement ses enfants « à son image et ressemblance » (Gn 1,26-28), vivants pleinement de sa Vie par le Souffle (Gn 2,4b-7) de l’Esprit qui vivifie (Jn 6,63 ; Ga 5,25)… Pour eux, le projet de Dieu sur tout homme est accompli… 

Christ en gloire. Tympan Vézelay

Vézelay, tympan intérieur, portail central du narthex

            Puis St Jean entend un « mugissement de grandes eaux » qui renvoie à une manifestation de Dieu Lui-même. Souvenons-nous : dans l’Apparition inaugurale, « la voix » du Christ Ressuscité était « comme la voix des grandes eaux » (Ap 1,15), c’est-à-dire comme celle de Dieu Lui-même (Ez 1,24 ; 43,2). Le Père est Dieu, le Fils est Dieu… Le Père et le Fils, bien que différents l’un de l’autre, sont « un » (Jn 10,30), dans la communion d’un même Esprit, d’une même Vie, d’un même Amour. Alors, dans ce Mystère de Communion, qui écoute le Fils écoute le Père (Jn 6,45 ; 8,28 ; 12,49-50)… Dans l’Ancien Testament, « le grondement de l’orage » (Ps 81(80),8) renvoie aussi aux manifestations divines, souvent évoquées par cette figure de l’orage ou du tonnerre (Ap 6,1 ; Ex 19,16.19 ; 20,18 ; Ps 77(76),19 ; 104(103),7). Mais ici, les 144 000, c’est-à-dire la multitude de tous les hommes de tous les temps ayant accepté de se laisser sauver par Dieu, unissent leur voix à celle de Dieu… Tous en fait chantent d’une seule voix dans ce Mystère de Communion qui les unit : Dieu sur son « trône », évoqué aussi avec l’image des « quatre vivants » (Ap 4,6), et « les Vieillards » (Ap 4,4) qui renvoient en fait aux 144 000 : la communion des saints (Ap 14,3)… Chacun est unique, chacun donne du sien, mais l’harmonie et la beauté de l’ensemble viennent de ce même Esprit que tous possèdent en Plénitude : Dieu Lui‑même bien sûr, Source de Toute Plénitude (Ep 3,14-21 ; 5,18 ; Col 1,18-20 ; 2,8‑10), et « les rachetés de la terre », les femmes et les hommes sauvés, chacun selon sa condition de créature… On pourrait dire que le résultat final, avec la collaboration de tous, est en fait « la voix de l’Esprit » (Jn 3,8), une voix qui s’unissait silencieusement à celle de Jésus lorsqu’il donnait au monde les Paroles qu’il avait reçues de son Père (Jn 3,34 BJ[3] ; 15,26 ; 1Jn 1,5,5-13). C’est pourquoi « jamais homme n’a parlé comme cela » (Jn 7,46). Et « ce cantique nouveau » que tous chantent d’une seule voix est un chant de louange qui célèbre le salut des hommes et la Vie de tous… « La harpe », dans les Psaumes, est en effet l’instrument de la louange par excellence (Ps 9,1 ; 33(32),2 ; 43(42),4 ; 57(56),8-10 ; 71(70),22…).


Christ Vézelay, tympan extérieur

Vézelay, tympan de la façade extérieure de la Basilique Ste Madeleine

            Comme nous le disions au tout début, « ces rachetés » ont choisi de se laisser racheter par Dieu. Jour après jour, ils lui ont offert leurs misères, leurs faiblesses, tout ce qui pouvait s’opposer à son amour… Et ils ont reçu en retour l’abondance de ses miséricordes (Rm 5,20 ; 2Co 1,3 ; 1P 1,3 ; Lc 1,49-50 ; 1,76-79) qui leur a permis de vivre, grâce à Lui, ce qu’ils n’auraient jamais pu vivre par eux-mêmes… En offrant jour après jour leur péché à « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29), ils ont librement choisi de ne pas demeurer dans le péché… St Jean l’évoque avec l’image de la prostitution qui, dans l’Ancien Testament, renvoie au culte des idoles de toutes sortes (Jg 8,27 ; Lv 17,7 ; Ps 106(105),39 ; Jr 3,6 ; Ez 20,30 ; 23,19 ; Os 6,10…). En refusant que le péché ait le dernier mot dans leur vie, en s’abandonnant jour après jour entre les mains du Christ Sauveur, ils ne se sont pas définitivement « souillés avec des femmes ». Bien plus, ils ont retrouvé grâce à l’Eau Vive de l’Esprit Saint répandue sur eux en surabondance cette virginité de cœur qu’ils avaient perdue… En laissant le Christ avoir le dernier mot dans leur vie de pécheurs, d’êtres blessés, la prophétie d’Osée a pu pleinement s’accomplir pour eux : « Je te fiancerai à moi pour toujours ; je te fiancerai dans la justice et dans le droit, dans la tendresse et la miséricorde ; je te fiancerai à moi dans la fidélité, et tu connaîtras le Seigneur » (Os 2,21-22). La Bible de Jérusalem explique en note : « Ce verbe « fiancer » est utilisé dans la Bible uniquement à propos d’une jeune fille vierge. Dieu abolit ainsi totalement le passé adultère d’Israël, qui est comme une créature nouvelle » (cf. 2Co 5,17-21 ; Tt 3,4-7). « Ils sont vierges » déclare St Jean en Ap 14,4. Et, poursuit la note, « dans l’expression “ je te fiancerai dans (la justice) ”, ce qui suit la préposition “ dans ” désigne la dot que le fiancé offre à sa fiancée (même construction en 2 S 3,14). Ce que Dieu donne à Israël dans ces noces nouvelles ce ne sont plus les biens matériels de l’alliance ancienne, mais les dispositions intérieures requises pour que le peuple soit désormais fidèle à l’alliance. Nous avons déjà ici en germe tout ce qui sera développé par Jérémie et Ezéchiel : l’alliance nouvelle et éternelle (“ pour toujours ”, 2,21), la loi inscrite dans le cœur, le cœur nouveau, l’Esprit nouveau, (Jr 31,31-34 ; Ez 36,24-28). » 

Vézelay, fraternité monastique de Jérusalem en prière

Vézelay, Fraternité Monastique de Jérusalem en prière…

Mais en acceptant de s’abandonner avec confiance entre les mains du Christ, ils répondaient en fait à son appel pressant de se laisser aimer tels qu’ils étaient, avec toutes leurs faiblesses, leurs limites, leurs imperfections, leurs fragilités et leurs misères… Et jour après jour, fidèlement, l’Esprit du Christ les relevait et leur donnait inlassablement la possibilité de reprendre et de reprendre encore le chemin à sa suite : « ceux-là suivent l’Agneau partout où il va ». Et où va-t-il ? Vers la Plénitude de Lumière et de Vie que l’on trouve dans la Maison du Père, ce Mystère de Communion dans l’Esprit où Dieu veut que nous soyons, dès maintenant par la foi (Jn 17,24 ; 14,1‑3), et pour toujours au Ciel… Et c’est là où ils se retrouvent maintenant rassemblés dans un unique chant de louange… Dieu est heureux de leur bonheur, « il exulte pour eux de joie, il danse pour eux avec des cris de joie, comme aux jours de fête » (So 3,17-18 ; Lc 15,7). Et de leur côté, ils sont heureux de ce Bonheur de Dieu qui les remplit (Jn 15,10), et ils lui chantent à leur tour leur reconnaissance et leur joie…

         Sacré Coeur, Vézelay.

Sacré Coeur, Vézelay

Ils sont ainsi « les prémices pour Dieu et pour l’Agneau » en attendant la fin du monde et le rassemblement complet de toute l’humanité[4] qui, espérons-le, acceptera de répondre à la Miséricorde par la vérité d’une misère acceptée et offerte… C’est ainsi, en reconnaissant la vérité de leurs erreurs et de leurs mensonges passés, en les regrettant amèrement, qu’ils se retrouveront « saints et immaculés en Présence de Dieu dans l’Amour » (Ep 1,4) grâce à l’action purificatrice de l’Esprit Saint… Ils l’avaient reçu au jour de leur baptême, ils lui ont redit « oui » fidèlement tout au long de leur vie en acceptant de recevoir les sacrements de l’Eglise, et notamment ceux de la Réconciliation et de l’Eucharistie… Alors, au long des jours, de pardon en pardon, de grâce en grâce, la volonté du Seigneur s’est accomplie pour eux : « le Christ a aimé l’Église : il s’est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant par le bain d’eau qu’une parole accompagne ; car il voulait se la présenter à lui-même toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée » (Ep 5,25-27 ; Ap 14,5).

                                                                                                                   D. Jacques Fournier

  

[1] Douze (les douze tribus d’Israël, et avec elles, tous ceux et celles qui ont vécu au temps de l’Ancienne Alliance) x Douze (les douze apôtres, et avec eux tous ceux et celles qui, après la mort et la Résurrection du Christ, ont vécu, vivent et vivront dans le régime de la Nouvelle Alliance, et cela jusqu’à la fin des temps) x 1000 (multitude innombrable).
[2] Dans la Bible, le nom d’une personne renvoie au Mystère de ce qu’elle est ; ainsi « être marqué du Nom de Dieu » c’est, quelque part, participer au Mystère de ce qu’Il Est. Et c’est bien ce qui arrive lorsque les croyants disent « oui » par leur foi et dans la foi au Don de Dieu, l’Esprit Saint… En recevant l’Esprit, ils participent par grâce à ce que Dieu est par nature, ils sont marqués de son Nom. Mais l’image dit encore plus : en portant le Nom de leur « Papa », leur vocation à devenir « enfant de Dieu », qui est la vocation de tout homme, s’accomplit pleinement… « Voyez quelle manifestation d’amour le Père nous a donnée pour que nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le sommes! (…) Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que lors de cette manifestation nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est » (1Jn 3,1-2). 
[3] Jn 3,34 : « Celui que Dieu a envoyé (Jésus, le Fils Unique) prononce les paroles de Dieu, car il donne l’Esprit sans mesure ». 
[4] La Bible de Jérusalem donne en note pour « prémices » : « Vocabulaire sacrificiel. Les prémices représentaient toute la moisson (Dt 26,2), les premiers-nés toute la famille (Nb 3,12), etc. Les victimes offertes au vrai Dieu devaient être sans défaut, (Ex 12,5 ; 1 P 1,19). » Et elles le sont ici, vraiment, grâce à la Toute Puissance de la Miséricorde de Dieu : « Je verserai sur vous une eau pure, et vous serez lavés de toutes vos souillures » (Ez 36,25), dit le Seigneur…

AP – SI – Fiche 25 – Ap 14,1-5 : Cliquer sur le titre précédent pour accéder au document PDF pour lecture ou éventuelle impression.

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