Les droits et les devoirs d’état de l’Homme

I. Droits de l’homme ou droits de Dieu ?

Droits de l’homme ou droits de Dieu ? Cette question résume la difficulté du sujet. En effet, les droits de l’homme font l’objet d’un combat idéologique, où l’athéisme contemporain et les ennemis de l’Église essayent de substituer la dépendance de l’homme envers Dieu, par une exaltation de la liberté et de l’indépendance contre Dieu. Face à ce combat contre les puissances des ténèbres, l’Église essaye de reprendre ces valeurs objectives, reconnues universellement, pour leur donner un sens chrétien, et ainsi faire comprendre aux âmes éloignées du Christ, que ces droits ne sont que des moyens pour accomplir nos devoirs envers notre Créateur : “Les droits de l’homme, on en parle et on en discute beaucoup aujourd’hui, on le fait avec passion, parfois avec colère, presque toujours en ayant en vue une plus grande justice effective ou présumée. Ces revendications ne semblent pas toutes raisonnables ou réalisables, car elles sont parfois inspirées par des emballements individualistes ou une utopie anarchique, quelques-unes sont moralement inadmissibles. Mais, dans l’ensemble, en tant qu’aspiration et tension vers une plus haute espérance, cet intérêt accru pour un espace de liberté et de responsabilité plus favorable à la personne est un fait positif qu’il faut encourager ; l’Église le suit et veut le suivre avec sympathie, tout en lui apportant, selon sa mission, la lumière et les éclaircissements nécessaires.”[1]

Le discours sur les droits de l’homme est très passionné, avec une logique dialectique qui laisse comme alternative : soit on est pour les droits de l’homme définis par des idéologues athées et c’est bien, soit on est contre, et alors on commet un crime contre l’humanité. Le piège est de se laisser prendre par cette logique dialectique. L’Église, refusant les différents courants idéologiques, se met hors de cette dialectique, en reprenant ce qu’elle a toujours enseigné et ce qu’il y a de bon et de vrai dans ces droits de l’homme, mais en rejetant le mauvais, pour donner le sens final de tout cela : l’homme créé par et pour Dieu, vivant en Dieu, et allant vers Dieu : “En cette vie et dans l’autre, l’homme n’a que Dieu pour fin dernière ; par la grâce sanctifiante, il est élevé à la dignité de fils de Dieu et incorporé au Royaume de Dieu dans le Corps mystique du Christ. C’est pourquoi Dieu l’a doté de prérogatives nombreuses et variées : le droit à la vie, à l’intégrité du corps, aux moyens nécessaires à l’existence ; le droit d’association, de propriété et le droit d’user de cette propriété.”[2]

L’Église a toujours su garder l’équilibre entre les droits et les devoirs. Cet équilibre a permis la christianisation en profondeur des institutions : “Et pourtant la religion chrétienne, à peine avait-elle pénétré les mœurs et les institutions des sociétés, leur avait préparé par sa divine vertu de précieuses garanties d’ordre public et de stabilité. Parmi les premiers et les plus grands de ses bienfaits, il faut placer ce juste et sage tempérament de droits et de devoirs qu’elle a su déterminer entre les souverains et les peuples. C’est qu’en effet, les préceptes et les exemples du Christ ont une efficacité merveilleuse pour contenir dans le devoir aussi bien ceux qui obéissent que ceux qui commandent, et pour produire entre eux cette harmonie, ce concert des volontés qui est conforme aux lois de la nature et qui assure le cours paisible et régulier des choses publiques.”[3] Saint Augustin dit admirablement : “Elle (l’Église) dit aux rois de se dévouer aux peuples, elle dit aux peuples de se soumettre aux rois, montrant ainsi que tous les hommes n’ont pas tous les droits, mais que la charité est due à tous et l’injustice à personne.”[4]

II. La triste réalité des faits

a. Les droits de l’homme en 1789 et 1948

L’origine des droits de l’homme remonte au XVIIe siècle avec le philosophe anglais John Locke. La notion de droits de l’homme s’est développée avec les philosophes des lumières au XVIIIe siècle. La première formulation se trouve dans la Déclaration d’indépendance des États Unis d’Amérique en 1776. La Révolution française opéra une véritable fracture avec la Déclaration précédente, puisque pour la première fois, Dieu en était exclu. La Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789, avec toutes les conséquences funestes que nous connaissons, n’a pas surgi du néant. Mais, bien au contraire, elle est le sommet de tout un courant de pensée qui s’est développé petit à petit depuis Guillaume d’Occam avec le nominalisme.

1. La Déclaration de 1789

Les droits de l’homme dont parle l’Église n’ont ni la même signification ni le même fondement que notre Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Les catholiques reprochent à cette Déclaration :

  1. de n’avoir parlé que de droits mais pas des devoirs correspondant ;

  2. d’avoir fondé ces droits sur la nature de l’homme en tant que sujet absolu, isolant l’individu en face de l’État dans la méconnaissance des corps intermédiaires (famille, professions, etc.);

  3. d’avoir ignoré Dieu, réserve faite de la référence initiale de la Déclaration “faite en présence de l’Être suprême”.

Nous pouvons ajouter à cela que les législateurs, en promulguant chaque article, visaient expressément la destruction d’une des lois fondamentales de l’Ancien Régime, de telle manière que la promulgation de cette Déclaration condamnait à la disparition immédiate la Monarchie et l’Église. L’histoire, qui a suivi dès le mois de septembre avec les premières lois contre l’Église, en est la preuve absolue. Cette Déclaration n’avait qu’une seule finalité : la destruction d’une certaine organisation de la société au profit d’une autre. Elle est la synthèse des idées politiques issues de la philosophie des lumières. Ce courant philosophique ayant laissé place au XIXe siècle à l’empirisme politique, l’idéologie des droits de l’homme va disparaître de la pensée politique jusqu’à la première partie du XXe siècle.

2. La Déclaration de 1948

Le cadre historique est bien différent de celui de 1776 et de 1789. L’Europe sort de la seconde guerre mondiale et de la grande crise économique des années trente. Elle prend alors conscience qu’il faut réagir contre les dictatures qui détruisent la paix et que le meilleur moyen de réagir est celui de prévenir. Cette prévention se fait par une Déclaration complète des droits de l’homme qui rejoint d’assez près la loi naturelle et que tous les États membres de l’O.N.U. doivent mettre en application. Nous sommes loin de l’esprit révolutionnaire de 1789. Cependant, nous pouvons toujours déplorer l’absence de la notion de devoirs, qui fait que l’homme est absolutisé, et la faible référence à Dieu.

Jean XXIII nous dit à propos de cette Déclaration : “Un des actes les plus importants accomplis par l’O.N.U. a été la Déclaration universelle des droits de l’homme, approuvée le 10 décembre 1948 par l’assemblée générale des Nations Unies. Son préambule proclame comme objectif commun à promouvoir par tous les peuples et toutes les nations la reconnaissance et le respect effectifs de tous les droits et libertés énumérés dans la Déclaration. Nous n’ignorons pas que certains points de cette Déclaration ont soulevé des objections et fait l’objet de réserves justifiées. Cependant, nous considérons cette Déclaration comme un pas vers l’établissement d’une organisation juridico-politique de la communauté mondiale. Cette Déclaration reconnaît solennellement à tous les hommes, sans exception, leur dignité de personne ; elle affirme pour chaque individu ses droits de rechercher librement la vérité, de suivre les normes de la morale, de pratiquer les devoirs de justice, d’exiger des conditions de vie conformes à la dignité humaine ainsi que d’autres droits liés à ceux-ci. Nous désirons vivement que l’Organisation des Nations Unies puisse de plus en plus adapter ses structures et ses moyens d’action à l’étendue et à la haute valeur de sa mission. Puisse-t-il arriver bientôt le moment où cette Organisation garantira efficacement les droits de la personne humaine, ces droits qui dérivent directement de notre dignité naturelle, et qui, pour cette raison, sont universels, inviolables et inaliénables.”[5]

b. Les droits de l’homme aujourd’hui ?

Jean-Paul II nous dit à propos des droits de l’homme aujourd’hui et de leurs bienfaits : “La première note positive est que beaucoup d’hommes et de femmes ont pleinement conscience de leur dignité et de celle de chaque être humain. Cette prise de conscience s’exprime, par exemple, par la préoccupation partout plus vive pour le respect des droits humains et par le rejet le plus net de leurs violations. On en trouve un signe révélateur dans le nombre d’associations privées instituées récemment, certaines ayant une dimension mondiale, et presque toutes ayant pour fin de suivre avec un grand soin et une louable objectivité les événements internationaux dans un domaine aussi délicat. Sur ce plan, on doit reconnaître l’influence exercée par la Déclaration des droits de l’homme promulguée il y a presque quarante ans par l’Organisation des Nations Unies. Son existence même et le fait qu’elle ait été progressivement acceptée par la communauté internationale sont déjà le signe d’une prise de conscience qui va en s’affermissant. Il faut en dire autant, toujours dans le domaine des droits humains, pour les autres instruments juridiques de cette même Organisation des Nations Unies ou d’autres organismes internationaux. La prise de conscience dont nous parlons n’est pas seulement le fait des individus mais aussi des nations et des peuples, qui, comme entités dotées d’une identité culturelle déterminée, sont particulièrement sensibles à la conservation, à la libre gestion et à la promotion de leur précieux patrimoine.”[6]

Même si éviter le mal ne signifie pas faire le bien, il faut reconnaître les points positifs des droits de l’homme. Au nom de ces droits, nous avons vu tout au long des années 80 et début 90 tomber plusieurs dictatures marxistes. Et cela est un bien objectif surtout là où les violations de ces mêmes droits étaient les plus importantes. Cependant, les mêmes personnes qui prétendent défendre les droits de l’homme, se servent d’eux dans un véritable combat idéologique et politique pour arriver à leur fin. C’est ainsi, qu’au nom des droits de l’homme, il fallut massacrer des dizaines de milliers de personnes pendant la Révolution française. Au nom de ces mêmes droits, il fallut décoloniser afin de remplacer l’influence chrétienne par de sombres dictatures marxistes sous couvert de démocratie. Les exemples ne manquent pas pour nous faire prendre conscience que ces droits sont l’enjeu d’un combat idéologique contre toutes les valeurs chrétiennes. Le résultat de la victoire de ces droits, c’est la ruine morale, sociale et religieuse des mêmes pays qui ne jugent et ne jurent que par eux. Il est assez intéressant de se pencher d’un peu plus près sur la vie des hommes politiques qui ne parlent que des droits de l’homme. Le constat est similaire dans tous les pays : corruption, meurtre, etc.

III. De quels droits et de quels devoirs s’agit-il pour l’Église ?

a. L’Église face aux droits de l’homme

Les droits de l’homme n’ont rien de nouveau ni d’original, à part avoir été rédigés pour combattre l’Église. Ce sont des valeurs tirées de la loi naturelle, que l’Église a toujours véhiculées et transmises partout où elle évangélise. Dans tous les pays chrétiens, jamais il ne s’est fait sentir le besoin de faire des Déclarations de droit de l’homme, puisque par la pratique religieuse, la personne humaine était reconnue à sa juste valeur, mise à sa juste place au sein de la création. Ce n’est qu’avec la révolte des hommes contre Dieu et son Église, qu’est apparu le mépris de l’homme par l’homme. Là où Dieu n’est pas adoré, la dignité de la personne humaine y est bafouée.

L’Église estime avoir le devoir de proclamer et défendre les droits de l’homme. Elle considère que la défense de la dignité humaine contre toutes formes d’agression morale ou physique, fait partie de sa mission spécifique de conduire les âmes à Dieu au travers des réalités terrestres : “L’Église, pour sa part, a reçu de son fondateur Jésus-Christ le devoir de proclamer la dignité de toutes les personnes en tant qu’enfants de Dieu. Elle n’a pas manqué, au cours de ces quarante années, de réaffirmer les fondements transcendants des droits humains et d’encourager les actions dynamiques menées en notre temps pour promouvoir ces droits. Selon l’enseignement de l’Église, les droits de l’homme sont fondés en Dieu Créateur ; il a doté toute personne d’intelligence et de liberté ; il a voulu que l’organisation de la société soit mise au service de l’homme.”[7]

L’Église a repris une notion chère à nos contemporains pour en redéfinir le véritable sens chrétien et par ce moyen évangéliser ainsi que favoriser les bonnes institutions et condamner les mauvaises. Il est remarquable de voir tout l’effort que l’Église a mis en œuvre pour inscrire les droits de l’homme, selon une définition catholique, dans les mentalités des personnes qui ne les respectaient pas, au point de leur donner tellement mauvaise conscience, qu’une révolution non sanglante a eu lieu, en partie à cause de cela, dans les pays de l’Est. L’Église, sous l’inspiration du Saint Esprit, a déployé toute une pédagogie qui se voulait toucher les consciences perverties, dans leurs points les plus sensibles, c’est-à-dire les droits de l’homme, où ils mettent tous leur orgueil à être les champions de leur respect : “Un autre fait mérite d’être souligné : à peu près partout, on est arrivé à faire tomber un tel ‘bloc’, un tel empire, par une lutte pacifique, qui a utilisé les seules armes de la vérité et de la justice. Alors que, selon le marxisme, ce n’est qu’en poussant à l’extrême les contradictions sociales que l’on pouvait résoudre dans un affrontement violent, les luttes qui ont amené l’écroulement du marxisme persistent avec ténacité à essayer toutes les voies de la négociation, du dialogue, du témoignage de la vérité, faisant appel à la conscience de l’adversaire et cherchant à réveiller en lui le sens commun de la dignité humaine.”[8]

On pourrait croire que l’Église a changé de doctrine entre la condamnation de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et sa position actuelle. Les mentalités et le contexte sont différents : d’un côté il y a une exaltation de l’homme et la volonté d’enlever Dieu de la vie quotidienne, de l’autre côté, on rappelle la loi naturelle sous forme de droits accompagnés de devoirs pour essayer de ramener à la raison les hommes qui ignorent leur Créateur. L’Église refuse toujours les théories philosophiques ou idéologiques erronées. Elle rejette avec la même force l’exaltation de la personne, l’absolutisation des droits aux dépens du juste culte que toute créature doit rendre à Dieu.

Les Papes ne se réfèrent pas à la déclaration de 1789 mais à celle de 1948, car elle tend à exprimer la loi naturelle ; elle la complète par une anthropologie christologique et une insistance sur les devoirs que réclame le respect de ces droits. Elle réajuste constamment cette notion de droits de l’homme pour en faire un instrument d’évangélisation : “Jusqu’ici nous avons rappelé une suite de droits de nature. Chez l’homme, leur sujet, ils sont liés à autant de devoirs. La loi naturelle confère les uns, impose les autres ; de cette loi ils tiennent leur origine, leur persistance et leur force indéfectible. Ainsi, par exemple, le droit à la vie entraîne le devoir de se conduire avec dignité ; au droit de chercher librement le vrai répond le devoir d’approfondir et d’élargir cette recherche. Dans la vie en société, tout droit conféré à une personne par la nature crée chez les autres un devoir, celui de reconnaître et de respecter ce droit. Tout droit essentiel de l’homme emprunte en effet sa force impérative à la loi naturelle qui le donne et qui impose l’obligation correspondante. Ceux qui, dans la revendication de leurs droits, oublient leurs devoirs ou ne les remplissent qu’imparfaitement, risquent de démolir d’une main ce qu’ils construisent de l’autre. Êtres essentiellement sociables, les hommes ont à vivre les uns avec les autres, et à promouvoir le bien les uns des autres. Aussi l’harmonie d’un groupe réclame-t-elle la reconnaissance et l’accomplissement des droits et des devoirs. Mais en outre chacun est appelé à concourir généreusement à l’avènement d’un ordre collectif qui satisfasse toujours plus largement aux droits et aux obligations. Ainsi, il ne suffit pas de reconnaître et de respecter le droit de l’homme aux moyens d’existence ; il faut s’employer, chacun selon ses forces, à les lui procurer en suffisance. La vie en société ne doit pas seulement assurer l’ordre ; elle doit apporter des avantages à ses membres. Cela suppose la reconnaissance et le respect des droits et des devoirs, mais cela demande de plus la collaboration de tous selon les multiples modalités que le développement actuel de la civilisation rend possibles, désirables ou nécessaires.”[9]

b. Tout droit oblige l’accomplissement d’un devoir

Pour mieux comprendre la pensée de l’Église sur le sujet, nous devons expliquer en deux mots la notion même de droit. Le droit se définit par rapport à la justice et en est son objet propre. Le droit vient du latin jus, c’est-à-dire ce qui est juste. En d’autres termes, le droit consiste à permettre l’exercice de la justice qui est de rendre à chacun ce qui lui est dû, ce qui est juste pour lui.

La première expression de la justice s’exprime dans la vertu de religion qui ordonne nos relations à Dieu sachant bien qu’il n’y a pas d’égalité parfaite entre Dieu et l’homme et que ce dernier ne peut que faire de son mieux pour s’acquitter de ses devoirs envers Dieu. Par conséquent, Dieu possède des droits en tant que Créateur. Par contre, la créature n’a que des devoirs envers son divin Créateur. Mais Dieu, dans son infinie bonté, a donné à l’homme un certain nombre de droits de nature correspondant à ses devoirs pour lui permettre de mieux les accomplir. Ces droits ne sont pas une invention des hommes, mais un don gratuit de Dieu. Saint Thomas parle du droit naturel, non pas dans la perspective de droit individualiste et égoïste, mais dans le cadre de la vertu de justice en relation avec le prochain. Ce qui revient à dire que la notion de droit est étroitement liée à l’accomplissement des devoirs correspondants. Uniquement dans cette perspective, nous pouvons comprendre la notion de droits de l’homme puisqu’ils sont considérés comme des moyens pour accomplir nos devoirs et ainsi rendre un culte véritable à Dieu.

Paul VI nous dit qu’à chaque droit correspond un devoir et que la dissociation des deux est la source de nombreux maux dans la société : “À chacun des droits correspond des devoirs, aussi nombreux et aussi importants, et nous les affirmons avec une égale vigueur et une même détermination, car toute séparation des droits et des devoirs correspondants serait une cause de déséquilibre et aurait des répercussions négatives pour la vie sociale. Pour cette raison, il convient de rappeler que la réciproque entre droits et devoirs est essentielle : les seconds découlent des premiers, et vice-versa. … L’Église sait et doit rappeler à tous que toute atteinte aux droits de l’homme et toute omission des devoirs correspondants sont, à titre égal, une violation grave de la loi suprême de l’amour.”[10]

Tous ces droits sont la conséquence des devoirs de notre nature, dont les premiers sont envers Dieu. De ce fait, il ne peut y avoir de réels droits de l’homme qui n’ont leurs racines dans les devoirs de l’homme envers Dieu : “Dès que l’État refuse de donner à Dieu ce qui est à Dieu, il refuse, par une conséquence nécessaire, de donner aux citoyens ce à quoi ils ont droit comme hommes ; car, qu’on le veuille ou non, les vrais droits de l’homme naissent précisément de ses devoirs envers Dieu.”[11] En effet, il serait illusoire et vain de parler des droits de l’homme, si on ne se tournait pas vers leur unique source, Dieu : “Les droits de l’homme n’ont de vigueur en réalité que là où sont respectés les droits imprescriptibles de Dieu, et l’engagement à l’égard des premiers est illusoire, inefficace et peu durable s’ils se réalisent en marge ou au mépris des seconds.”[12] En d’autres termes, les droits de Dieu et les droits de l’homme ne peuvent pas s’opposer, si ces derniers sont réels : “Le service de Dieu et le service des hommes, le droit de Dieu et le droit des hommes ne peuvent s’opposer… La découverte de la seigneurie de Dieu conduit à la découverte de la réalité de l’homme. Si nous reconnaissons le droit de Dieu, nous serons capables de reconnaître le droit des hommes.”[13]

Le drame actuel est de ne pas parler des droits de Dieu : “On entend beaucoup parler, aujourd’hui, des droits de l’homme. Dans de très nombreux pays, ils sont violés. Mais on ne parle pas des droits de Dieu. Et pourtant, droits de l’homme et droits de Dieu sont étroitement liés. Là où Dieu et sa loi ne sont pas respectés, l’homme non plus ne peut pas faire prévaloir ses droits. Nous l’avons constaté en toute clarté à la lumière du comportement des dirigeants nationaux-socialistes. Ils ne se souciaient pas de Dieu et persécutaient ses serviteurs ; et c’est ainsi qu’ils ont traité inhumainement les hommes à Dachau, aux portes de Munich, comme à Auschwitz, aux portes de mon ancienne résidence épiscopale de Cracovie. Aujourd’hui encore vaut ce principe : les droits de Dieu et les droits de l’homme sont respectés ensemble ou ils sont violés ensemble. Notre vie ne sera en bon ordre que si nos rapports avec Dieu sont en bon ordre.”[14]

Jean-Paul II relie ces droits et devoirs à trois éléments constitutifs de la nature de l’homme : la famille, la patrie, la culture, ce qui revient à dire que ces devoirs sont toujours reliés au bien commun. Dans ces devoirs, il y a une hiérarchie qui ordonne nos actes à la vertu de justice. Cependant, le regard chrétien sur le monde doit reconnaître que tout nous vient de Dieu et donc que les droits que nous avons sont à relativiser ; nous sommes envoyés en mission là où Dieu nous a mis suivant nos talents à faire fructifier et ainsi tout rendre à Dieu dans un acte d’offrande de sa propre personne.

IV. Sources et fondements des devoirs et des droits de l’homme : Dieu

Le fondement de ces droits et devoirs est la dignité de la personne humaine créée à l’image et à la ressemblance de Dieu. La source de ces droits et devoirs, est d’une part la nature même de la personne, ceci revient à dire que la source en est la loi naturelle, et d’autre part la Rédemption, qui fait des hommes qui acceptent d’honorer, de louer et de servir Dieu, des enfants et amis de Dieu : “Par là même il est sujet de droits et de devoirs découlant, les uns des autres, ensemble et immédiatement, de sa nature ; ainsi sont-ils universels, inviolables, inaliénables. Si nous considérons la dignité humaine à la lumière des vérités révélées par Dieu, nous ne pouvons que la situer bien plus haut encore. Les hommes ont été rachetés par le sang du Christ Jésus, faits par la grâce enfants et amis de Dieu et institués héritiers de la gloire éternelle.”[15]

V. Les concepts de droits et devoirs de l’homme sont impuissants à agir par eux-mêmes

Depuis une cinquantaine d’années, la société occidentale ne vit plus que par et pour les droits de l’homme. Tous les hommes s’en réclament, et au nom de ces mêmes droits, les uns tuent, les autres nient Dieu, les troisièmes protègent les animaux, etc. ! En même temps qu’on proclame le droit à la vie, on emprisonne des personnes manifestant contre l’avortement ! De même qu’on proclame les droits de l’enfant tout en facilitant le divorce et en encourageant le travail des mères de famille ! Tout homme de bon sens se rend compte qu’il s’agit de droits illusoires, car impuissants à transformer le monde, mais légitimant tous les abus. Peut-être que certains hommes pensent avoir tout dit et avoir agi en proclamant le droit au travail, mais est-ce que cela contribue à faire diminuer le nombre de chômeurs ? On peut ainsi prendre tous les droits décrits dans les différentes Déclarations. On constate ainsi que des intellectuels ont mis sur papier un bel idéal, mais cela ne va pas plus loin. Pourquoi ? La réponse est simple : nous avons des droits pris dans l’absolu, mais déconnectés de la réalité et impuissants à agir par eux-mêmes. Allez dire à un Éthiopien qu’il a le droit de vote, je ne sais ce qu’il va vous répondre, mais en tout cas il aura toujours faim et le discours sur la démocratie ne lui remplira pas l’estomac.

Il est bien de mettre par écrit un idéal vers lequel on doit tendre et de s’engager à le respecter, mais c’est en vain si les mêmes qui ont élaboré ces Déclarations des droits de l’homme ne prennent pas les bons moyens pour les faire appliquer et respecter : “Si cette Déclaration de 1948 a pu soulever des objections et faire l’objet de réserves justifiées, comme le relevait le Pape Jean XXIII, nul doute cependant qu’elle ait marqué un pas important vers l’établissement d’une organisation juridico-politique de la communauté mondiale, comme le soulignait également avec joie l’inoubliable pontife… Qui ne le voit ? Immense est le chemin à parcourir pour mettre en œuvre ces déclarations d’intention, pour traduire les principes dans les faits, pour éliminer de si nombreuses et constantes violations de principes justement proclamés universels, inviolables… Comment assurer les droits fondamentaux de l’homme lorsqu’ils sont bafoués ? Comment intervenir pour sauver la personne humaine, partout où elle est menacée ? Comment faire prendre conscience aux responsables qu’il s’agit là d’un patrimoine essentiel de l’humanité, que nul ne peut impunément léser, sous aucun prétexte, sans attenter à ce qu’il y a de plus sacré chez un être humain, et sans ruiner par là les fondements de la vie en société ? Tous ces problèmes sont graves et l’on ne peut se le dissimuler : il serait vain de proclamer des droits si l’on ne mettait pas en même temps tout en œuvre pour assurer le devoir de les respecter, par tous, partout et pour tous. Parler des droits de l’homme, c’est affirmer un bien commun de l’humanité, c’est travailler à construire une communauté fraternelle, c’est œuvrer pour un monde où chacun soit aimé et aidé comme son prochain, son frère.”[16]

L’Église ne voit pas ces droits comme une réalité toute faite, mais à faire. Elle ne pourra se réaliser que si les personnes et en particulier les gouvernements prennent conscience de l’obligation de respecter les droits d’autrui et d’aider autrui à l’obtention de ces droits et à l’accomplissement de ses devoirs. Le respect de ces droits a au moins le mérite d’éviter les pires barbaries telles qu’on peut encore le constater aujourd’hui dans certains pays. D’où l’importance que l’Église attache à leur promotion et à leur respect. En effet, il ne peut y avoir de développement humain authentique et une bonne évangélisation dans un climat de barbarie générale. Il faut une certaine paix sociale pour le développement matériel et spirituel de la société. Chaque personne sera jugée, après la mort, par Jésus-Christ sur ses devoirs d’état, sur la façon dont elle les aura accomplis et avec quel amour elle aura travaillé.

Un grave danger de notre société moderne est de nous faire oublier nos devoirs d’état premiers, et de nous sensibiliser sur ce qui devrait être secondaire pour nous. Les médias nous sensibilisent sur la pauvreté des pays en voie de développement et c’est très louable ; par contre ils taisent facilement la pauvreté matérielle et surtout spirituelle de millions de personnes dont certaines, proches de nous, habitent dans notre immeuble, dans notre quartier, dans notre village et même dans notre famille. De même, on parle de l’éducation et des moyens scolaires à mettre en œuvre, mais on oublie de rappeler que le premier devoir d’état de chacun s’accomplit dans sa famille et que l’éducation réelle de la personne se fait à la maison par les parents. C’est pourquoi saint Pie X disait déjà au début du siècle : “La question sociale sera bien près d’être résolue lorsque les uns et les autres, moins exigeants sur leurs droits naturels, rempliront plus exactement leurs devoirs.”[17]

Nous pouvons conclure ces paragraphes avec ces paroles de Jean-Paul II : “L’être humain n’est totalement libre que lorsqu’il est lui-même, dans la plénitude de ses droits et de ses devoirs : on doit en dire autant de la société tout entière. L’obstacle principal à surmonter pour une véritable libération, c’est le péché et les structures qui en résultent au fur et à mesure qu’il se multiplie et s’étend.”[18]

[1] Paul VI, Discours au Corps diplomatique, le 14/1/1978.

[2] Pie XI, Encyclique Divini Redemptoris, n°27.

[3] Léon XIII, Encyclique Diuturnum illud.

[4] De morib. Eccl., Livre I, ch. 30.

[5] Encyclique Pacem in terris, n°143-145.

[6] Encyclique Sollicitudo rei socialis, n°26.

[7] Jean-Paul II, discours au président de l’Assemblée générale de l’O.N.U. le 6/12/1988.

[8] Jean-Paul II, Encyclique Centesimus annus, n°23.

[9] Jean XXIII, Encyclique Pacem in Terris, n°28-33.

[10] Message pour la 10ème journée mondiale des moyens de communication sociale le 11/4/1976.

[11] Léon XIII, Encyclique Au milieu des sollicitudes, 16/2/1892.

[12] Jean-Paul II, Lettre aux Évêques du Brésil le 10/12/1980.

[13] Jean-Paul II, Discours au C.E.L.A.M. le 2/7/1980.

[14] Jean-Paul II, Discours à Munich le 3/5/1987.

[15] Jean XXIII, Encyclique Pacem in terris, n°9-10.

[16] Message à la Conférence de Téhéran, le 15/4/1968.

[17] Lettre Notre charge apostolique du 25/8/1910.

[18] Encyclique Sollicitudo rei socialis, n°46.

Père Marc-Antoine FONTELLE

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