L’État et la vie politique

Depuis l’Antiquité, l’Église s’est élevée contre les abus des gouvernants et a cherché à encourager toutes les personnes de bonne volonté à œuvrer pour la justice sociale. De fait, il n’y a pas de société idéale, de système préconçu qu’il faudrait appliquer pour avoir un bonheur temporel véritable. La forme du gouvernement n’est pas une fin en soi ; elle n’est qu’un moyen en vue d’une fin supérieure qui est d’ordre surnaturel, la vie éternelle. C’est pourquoi l’Église n’a pas de préférence pour telle ou telle forme de gouvernement, elle renvoie cela au choix libre et éclairé des hommes, car ce n’est pas son domaine comme le rappelle Jean-Paul II : “Elle (l’Église) ne manifeste pas de préférence pour les uns ou pour les autres, pourvu que la dignité de l’homme soit dûment respectée et promue, et qu’Elle-même se voit laisser l’espace nécessaire pour accomplir son ministère dans le monde” (Encyclique Sollicitudo rei socialis, n.41). Le rôle de l’Église n’est pas de faire de la politique, mais de veiller à ce que les gouvernements, qui peuvent avoir diverses formes suivant les lieux, les époques et les hommes, respectent la loi naturelle et la primauté de l’Église dans le domaine surnaturel.

L’Église ne veut pas s’ingérer dans l’organisation pratique des institutions afin de bien respecter la séparation du temporel et du spirituel. Suivant les circonstances de temps et de lieu, les institutions peuvent changer pourvu que la vie chrétienne n’en soit pas détruite. C’est pour cela que la séparation des pouvoirs telle que nous la vivons dans nos démocraties modernes ne semble pas contraire aux principes chrétiens.

Les profondes transformations du XXe siècle, font actuellement incliner le magistère ordinaire, à reconnaître la démocratie comme la meilleure forme de gouvernement. Mais de quelle démocratie s’agit-il ? Cette reconnaissance porte sur le mode d’avènement au pouvoir du chef de l’État, mais en aucun cas remet en question la doctrine sur l’origine de l’autorité et sa finalité. Il s’agit seulement de la sagesse prudentielle de notre Mère l’Église compte tenu de la situation actuelle de la société. La démocratie demande obligatoirement un certain degré de maturité parmi les citoyens. La difficulté du problème ne réside pas dans le droit de participation à la vie publique (cf. Gaudium et spes, n°75, 6), mais dans la maturité qui permet cette participation.

Par conséquent, pour l’instauration d’une vraie démocratie, il faut un peuple mûr, conscient de ses devoirs et de ses droits sur une base de justice vivifiée par la charité, un peuple conscient de la dignité et de la vocation de l’homme à aimer son Créateur. Par contre, une démocratie avec un peuple n’ayant pas assez de maturité, conduit inévitablement à la décadence des mœurs voire à l’injustice et au non respect de la vie.

Notre réflexion doit plus se porter sur ce degré de maturité que sur la forme des institutions en elle-même. Comment acquérir ce degré de maturité ? La réponse n’est pas simple, mais nous pouvons en donner quelques éléments. Le premier élément de réponse doit se prendre dans la connaissance et la conscience de ce qu’est l’autorité de la part de ceux qui se proposent pour exercer une fonction de gouvernement. Le second élément de réponse doit se prendre dans la formation des personnes pour qu’ils ne choisissent pas n’importe qui, mais qu’ils puissent juger de la bonté d’un programme politique et de l’intégrité de ceux qui se proposent de l’appliquer.

Il faut donc revenir à l’essentiel : toute autorité vient de Dieu, car toute autorité appartient à Dieu. En effet, Dieu gouverne l’univers et la parcelle d’autorité dont sont revêtus les gouvernements n’est qu’une participation à ce grand gouvernement divin. Pensons toujours aux paroles de Jésus à Pilate : “Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi, si cela ne t’avait été donné d’en haut” (Jn. 19, 11). Cependant, l’autorité humaine n’est pas absolue, elle est relative à Dieu. Rien sur terre n’est absolu ; il n’y a que Dieu qui soit l’Absolu. De fait, toute autorité terrestre a deux grandes limites :

  1. La première est sa dépendance par rapport à Dieu. L’autorité venant de Dieu, le droit et les décisions gouvernementales prennent donc leur racine en Dieu, puisqu’ils émanent de cette même autorité, Dieu. Il existe actuellement une grave erreur, le positivisme juridique, qui consiste à faire du droit une discipline à part, ayant sa source et sa justification propre en elle-même. Le droit n’est plus dépendant de l’autorité venant de Dieu, ni finalisé par la fin de l’homme qui est Dieu. Le droit devient ainsi un moyen neutre, ayant sa logique interne, au service de celui qui prend le pouvoir au grés des idéologies ambiantes. Peu importe si le droit doit servir à faire le bien ou au contraire le mal. Nous sommes bien loin de la définition du droit qui consiste justement à rendre à chacun son dû, qui consiste à établir la justice par la charité en respectant la personne humaine de sa conception jusqu’à son dernier souffle. Néanmoins, avec la multiplication des normes juridiques, plus ou moins bien-fondées et ayant une application qui relève parfois plus de l’arbitraire que de l’équité, nous avons là l’occasion de pratiquer la vertu d’obéissance, de progresser dans l’humilité et dans les trois vertus théologales. La vie quotidienne peut devenir ainsi le tremplin d’une vie spirituelle intense. Imaginons un automobiliste respectant scrupuleusement le Code de la route en faisant des actes explicites de foi et de charité à chaque fois qu’il a la possibilité d’enfreindre la loi mais ne le faisant pas par amour de Dieu. Quel trésor de mérites acquiert-il !

  2. La seconde est que l’autorité est un service pour le bien commun en vue d’aider les personnes à vivre vertueusement. Elle n’est en aucun cas une promotion sociale ou un moyen de domination sur les autres. C’est pourquoi cette autorité doit toujours s’exercer dans les limites de la morale exprimée dans le Décalogue. Le gouvernement doit donc servir le bien commun. Il doit, selon la doctrine de saint Thomas d’Aquin, instituer une société où l’on respecte le Décalogue, maintenir les personnes dans ce respect et enfin aider les personnes à progresser dans le bien. Pour cela, il doit faire respecter la justice, mais la justice demande d’être complétée par la solidarité et la charité. Le principe de solidarité s’oppose à tout individualisme ; le principe de subsidiarité s’oppose à tout totalitarisme et collectivisme. Le principe de subsidiarité relève de la justice. Il a pour objectif de faire participer le plus possible les membres d’une communauté, selon leur capacité, à la réalisation du bien commun, en déléguant les responsabilités et les pouvoirs correspondants.

La désobéissance est toujours quelque chose de dangereux à cause des conséquences qu’elle entraîne pour l’ensemble de la société. C’est pourquoi le Catéchisme de l’Église Catholique est très ferme à ce sujet en nous disant : “Le citoyen est obligé en conscience de ne pas suivre les prescriptions des autorités civiles quand ces préceptes sont contraires aux exigences de l’ordre moral, aux droits fondamentaux des personnes ou aux enseignements de l’Évangile. Le refus d’obéissance aux autorités civiles, lorsque leurs exigences sont contraires à celles de la conscience droite, trouve sa justification dans la distinction entre le service de Dieu et le service de la communauté politique. ‘Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu’ (Mt 22, 21). ‘Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes’ (Ac 5, 29). Si l’autorité publique, débordant sa compétence, opprime les citoyens, que ceux-ci ne refusent pas ce qui est objectivement demandé par le bien commun. Il leur est cependant permis de défendre leurs droits et ceux de leurs concitoyens contre les abus de pouvoir, en respectant les limites tracées par la loi naturelle et la Loi évangélique. La résistance à l’oppression du pouvoir politique ne recourra pas légitimement aux armes, sauf si se trouvent réunies les conditions suivantes : en cas de violations certaines, graves et prolongées des droits fondamentaux ; après avoir épuisé tous les autres recours ; sans provoquer de désordre pires ; qu’il y ait un espoir fondé de réussite ; s’il est impossible de prévoir raisonnablement des solutions meilleures” (n.2242-2243). Cependant la désobéissance aux autorités ne doit porter que sur ce qui est contraire aux préceptes divins, mais pour le reste, il n’y a aucune raison de ne pas se soumettre. Le Concile Vatican II rappelle que “Si l’autorité publique, débordant sa compétence, opprime les citoyens, que ceux-ci ne refusent pas ce qui est objectivement requis par le bien commun ; mais qu’il leur soit cependant permis de défendre leurs droits et ceux de leurs concitoyens contre les abus du pouvoir, en respectant les limites tracées par la loi naturelle et la loi évangélique” (Gaudium et spes, n.74, 5).

Si nous reprenons les devoirs objectifs d’un état séparé de l’Église, nous trouvons en premier lieu le devoir de permettre à toute personne d’exercer sa liberté de conscience, sa liberté d’adorer Dieu selon sa conscience et de vivre en conformité avec les lois de son culte tant que celles-ci ne son pas contraire à l’ordre public. Le second devoir de l’État est de maintenir et de sauvegarder l’ordre public, ce qui inclus le droit et le devoir de se défendre contre d’éventuels énnemis tant à l’extérieur du pays qu’à l’intérieur de celui-ci. Ce devoir permet ainsi à l’État de se défendre contre ses agresseurs en employant des moyens proportionnés (armée, police, prison, etc.). Le troisième grand devoir de l’État est de protéger la famille dans laquelle la vie est transmise. Dès que la famille est fragilisée, c’est tout l’État qui est fragilisé. Le quatrième grand de voir de l’État est de protéger et favoriser la propriété privée en veillant à une juste répartition des biens suivant le principe de distination universelle des biens. Le cinquième devoir de l’État est d’intervenir, si le besoin s’en fait sentir, dans la vie économique pour éviter les abus et ainsi être toujours au service des personnes les plus humbles et les plus exposées aux injustices.

Nous pouvons conclure avec le Catéchisme de l’Église Catholique : “Les pouvoirs politiques sont tenus de respecter les droits fondamentaux de la personne humaine. Ils rendront humainement la justice dans le respect du droit de chacun, notamment des familles et des déshérités. Les droits politiques attachés à la citoyenneté peuvent et doivent être accordés selon les exigences du bien commun. Ils ne peuvent être suspendus par les pouvoirs publics sans motif légitime et proportionné. L’exercice des droits politiques est destiné au bien commun de la nation et de la communauté humaine. Ceux qui sont soumis à l’autorité regarderont leurs supérieurs comme représentants de Dieu, qui les a institués ministres de ses dons : ‘Soyez soumis, à cause du Seigneur, à toute institution humaine… Agissez en hommes libres, non pas en hommes qui font de la liberté un voile sur leur malice, mais en serviteurs de Dieu’ (1 Pe 2, 13. 16). Leur collaboration loyale comporte le droit, parfois le devoir d’exercer une juste remontrance sur ce qui leur paraîtrait nuisible à la dignité des personnes et au bien de la communauté. Le devoir des citoyens est de contribuer avec les pouvoirs civils au bien de la société dans un esprit de vérité, de justice, de solidarité et de liberté. L’amour et le service de la patrie relèvent du devoir de reconnaissance et de l’ordre de la charité. La soumission aux autorités légitimes et le service du bien commun exigent des citoyens qu’ils accomplissent leur rôle dans la vie de la communauté politique. La soumission à l’autorité et à la co-responsabilité du bien commun exigent moralement le paiement des impôts, l’exercice du droit de vote, la défense du pays” (n.2237-2240).

Père Marc Antoine FONTELLE

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