L’ultime proclamation du Salut par Jésus avant son entrée à Jérusalem (Luc 18,35-19,27)
Juste avant son entrée à Jérusalem, St Luc nous présente ce que nous pourrions appeler « un résumé » de ce Salut que le Christ est venu nous apporter, avec toutes ses conséquences concrètes dans la vie de ceux et celles qui l’accueillent.
La guérison d’un aveugle à proximité de Jéricho (Luc 18,35-43)
Tout commence par « un aveugle assis au bord du chemin » que Jésus empruntait alors « qu’il s’approchait de Jéricho » (Luc 18,35-42). « Il mendiait », seule ressource possible pour beaucoup d’entre eux à une époque où n’existait aucun soutien de la part de la société civile. « Entendant une foule marcher, il s’enquérait de ce que cela pouvait être. On lui annonça que c’était Jésus le Nazôréen qui passait. Alors il s’écria : « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi ! » ». Nous retrouvons ici la prière du Publicain de la Parabole (Luc 18,9-14) : « « Éléêson (prononcé aujourd’hui Éléïson) mé ! », un verbe qui vient de « Éléos, miséricorde, compassion ». Nos Bibles traduisent souvent par « aie pitié de moi ! », mais on pourrait aussi dire « Fais moi miséricorde ! », « Aie compassion de moi ! ». De plus, le titre de « Fils de David » sous-entend que cet homme a reconnu en Jésus le Messie promis, même si cette perception, comme pour les disciples (Marc 8,27-33 ; 9,30-37 ; 10,32-40 ; Actes 1,6)[1], est encore imparfaite. Nous approchons en effet de la fin de l’Evangile ; bientôt Jésus vivra sa Passion, et c’est sur la Croix, mourant et apparemment impuissant, qu’il manifestera comment l’Amour est Roi… « Insulté sans rendre l’insulte, maltraité sans faire de menaces, il s’en remettait à Celui qui juge avec justice. C’était nos péchés qu’il portait, dans son corps, sur le bois, afin que morts à nos péchés, nous vivions pour la justice » (1Pierre 2,21-25 ; Matthieu 8,16-17). Ainsi, « l’amour ne cherche pas son intérêt », mais le nôtre, « il supporte tout » (1Corinthiens 13,4-7), il s’offre et endure le mal que nous pouvons lui faire, pour que « par ses blessures, nous puissions trouver avec Lui et en Lui la guérison » et cesser ainsi de commettre ce mal qui, en fin de compte, nous fait souffrir (Romains 2,9) et finalement nous détruit (Romains 6,23)…
« Le Fils de l’Homme » sera donc « livré aux païens, bafoué, outragé, couvert de crachats ; après l’avoir flagellé, ils le tueront et, le troisième jour, il ressuscitera » (Luc 18,32‑33). C’est ainsi que Jésus sera « le Messie », le Roi promis, ce « Fils de David » qui devait venir et à qui Dieu allait offrir « le trône de David »… Voilà pourquoi St Luc a bien pris soin, au tout début de son Evangile, de nous présenter la Mère de Jésus comme étant cette « vierge fiancée à un homme du nom de Joseph, de la maison de David » qui reçoit de l’Ange Gabriel cette prophétie au sujet de son Fils : « Il sera grand, et sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père ; il régnera sur la maison de Jacob pour les siècles et son règne n’aura pas de fin. » Telle est « la puissance de salut » que Dieu « a suscitée dans la maison de David, son serviteur »… Le Christ naîtra alors à Bethléem, « la ville de David », et l’Ange dira ensuite aux bergers : « Voici que je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple : aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David » (Luc 1,27.32.69 ; 2,4-11).
Ce « Messie Fils de David » ne pouvait donc qu’être roi, et c’est au moment de sa Passion que le Christ révèlera comment il est roi. C’est d’ailleurs en ces chapitres que le titre de roi apparaît soudainement pour lui être très souvent attribué. Et lorsqu’il sera crucifié, tous pourront lire cette inscription fixée au-dessus de lui par les Romains : « Celui-ci est le roi des Juifs » (Luc 19,38 ; 23,1-3 ; 23,37-38)… Dans l’Evangile selon St Jean, la logique est identique et c’est au cours de son procès que Jésus répond à la question de Pilate, « Donc tu es roi ? » : « Tu le dis : je suis roi. Je ne suis né, et je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité », la vérité d’un Dieu d’Amour, de Miséricorde et de Tendresse qui ne sait faire qu’une chose : aimer, chercher notre bien envers et contre tout, et proposer son pardon qui relève et libère. « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23,34)… Et c’est au moment de sa Passion et de sa mort sur la Croix que le Christ manifestera avec le plus d’intensité l’Amour avec lequel nous sommes tous aimés : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jean 15,13 ; 1Jean 3,16)… « Voilà ce cœur qui a tant aimé les hommes », dira le Christ à Ste Marguerite Marie Alacoque, à Paray le Monial… En mourant et en ressuscitant pour tous les hommes, il nous a ainsi ouvert les Portes du Royaume de son Amour où ceux qui ont faim sont rassasiés, ceux qui pleurent consolés, ceux qui souffrent réconfortés (Luc 6,20-23 ; Matthieu 5,1‑12)… « Paix aux hommes de bonne volonté », qui, par leur bonne volonté, accueillent cette Bienveillance du Père pour tous les hommes, ses enfants (Luc 2,14). Quant à ceux qui se perdent, ils sont inlassablement recherchés, car Dieu ne poursuit qu’un seul objectif, le vrai Bien de chacun d’entre nous. Et puisque nous avons tous été créés pour vivre de sa Vie, partager sa Lumière et sa Paix, entrer dans le mystère de sa Communion Bienheureuse, nous ne pourrons connaître le vrai Bonheur qu’une fois ce projet pleinement accompli. Dieu ne cessera donc de faire tout son possible – le possible de la Miséricorde Toute Puissante ! – pour qu’il en soit effectivement ainsi. Son seul souci sera donc, pour nous pécheurs, de nous réconcilier avec Lui, de nous ramener auprès de Lui et de nous communiquer toutes les richesses de sa Vie (Jean 10,10)…
Tel est le trésor offert à notre foi, à notre confiance : « En vérité, en vérité, je vous le dis : celui qui écoute ma parole et croit à Celui qui m’a envoyé a la vie éternelle » (Jean 5,24 ; 6,47 ; 1Jean 5,13). Or « Dieu est Esprit » (Jean 4,24), et « c’est l’Esprit qui vivifie » (Jean 6,63). Et tout ce qui touche à l’Esprit est invisible à nos yeux de chair ! Le Concile Vatican II enseigne ainsi que « le Dieu invisible (Colossiens 1,15 ; 1 Timothée 1,17) s’adresse aux hommes en son immense amour ainsi qu’à des amis (Exode 33, 11; Jean 15, 14-15), il s’entretient avec eux pour les inviter et les admettre à partager sa propre vie »[2]. Et tout ceci est concrètement mis en oeuvre par l’action de l’Esprit « invisible » qui réalise l’œuvre du salut « dans l’esprit de l’homme et dans l’histoire du monde : lui, le Paraclet invisible tout en étant présent partout »… Ainsi, « toute la vie de l’Eglise, signifie aller à la rencontre du Dieu invisible, à la rencontre de l’Esprit qui donne la vie »[3]… Et l’Esprit est comme cette brise légère perçue par Elie (1Rois 19,9-13), et qui, jour après jour, souffle au cœur de nos vies… Apparemment rien n’a changé : les épreuves, les souffrances, les détresses et les combats de toutes sortes sont toujours là… Mais dorénavant, pour celui et celles qui accepteront de se confier dans le Christ, une Lumière jaillira au cœur de leur obscurité, une joie dans leur tristesse, une force dans leur faiblesse … Les tempêtes se déchaînent, tout semble souvent perdu, et pourtant, la barque de nos vies tient bon et repart de plus belle… Parce que St Paul avait conscience que le Christ ressuscité était présent tous les jours à son cœur et à sa vie, luttant avec lui et le soutenant par son Esprit, il pouvait écrire : « Nous sommes pressés de toute part, mais non pas écrasés ; ne sachant qu’espérer, mais non désespérés ; persécutés, mais non abandonnés ; terrassés, mais non annihilés. Nous portons partout et toujours en notre corps les souffrances de mort de Jésus, pour que la vie de Jésus soit, elle aussi, manifestée dans notre corps », dans l’attente de ce jour où il n’y aura « plus de peines, plus de pleurs, plus de cris »… « L’ancien monde » s’en sera allé, et le Royaume des Cieux sera enfin établi en Plénitude pour toujours (2Corinthiens 4,8-10 ; Apocalypse 21,1-4)… Mais au cœur de ce monde marqué par la souffrance, la maladie et la mort, ce Royaume est déjà invisiblement présent par l’Esprit Saint que les pauvres de cœur savent accueillir (Luc 6,20). Puissions-nous tous être de ceux-là, comme cet aveugle à l’entrée de Jéricho qui ne se laisse pas arrêter par les remarques de bienséance qu’on lui adresse. « Tais-toi, cela ne se fait pas de crier ainsi »… « Mais lui criait de plus belle »…
Or, « lorsqu’un pauvre crie, le Seigneur entend et le sauve ». Alors, « je suis là et je t’appelle, car tu réponds, ô Dieu ! » (Psaume 34(33),7 ; 17(16),6). Et de fait, « Jésus s’arrêta et ordonna de lui amener » cet aveugle. Et, comme l’infirme au bord de la piscine de Bethzatha (Jean 5,6), il le rejoindra au cœur de son désir et de sa liberté : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Cette question, Dieu la pose à chacun d’entre nous… Dans la solitude, le silence et le recueillement, nous sommes invités nous aussi à découvrir « le désir » qui nous habite, ce désir que Dieu Lui-même a déposé au plus profond de notre être et qui correspond à ce qu’il veut nous donner. Le reconnaître et l’exprimer, c’est déjà recevoir ce don de Dieu appelé à se déployer dans toute notre vie… Et l’Esprit Saint nous aide à accomplir cette démarche. Il est en effet Celui que le Christ ne cesse de nous envoyer pour nous introduire dans la vérité tout entière, aussi bien celle de Dieu que celle qui nous habite et qui, de toute façon, vient de Dieu (Jean 16,13)… Alors, donnons à l’Esprit Saint la possibilité de nous conduire jusqu’à ce désir que Dieu a placé en chacun d’entre nous, un désir qu’il veut exaucer et combler. Laissons alors l’Esprit nous donner les mots de la prière, car « il vient au secours de notre faiblesse ; nous ne savons en effet que demander pour prier comme il faut ; mais l’Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables, et Celui qui sonde les cœurs sait quel est le désir de l’Esprit et que son intercession pour les saints correspond aux vues de Dieu » (Romains 8,26-27). Et si effectivement ce désir correspond aux vues de Dieu, nous ne pourrons qu’être exaucés, car il est, avant toute chose, « le désir de Dieu », « la volonté de Dieu », « ce qui plaît à Dieu »… « Et tout ce que veut le Seigneur, il le fait, au ciel et sur la terre, dans les mers et jusqu’au fond des abîmes » (Psaume 135(134),6). « Seigneur, que je recouvre la vue », demande l’aveugle… Et pour montrer que ce désir vient de Dieu, Jésus va reprendre les mêmes mots et lui dire : « Recouvre la vue… ».
Mais l’homme n’est pas simplement un « corps » avec des yeux de chair qui lui permettent de voir l’univers matériel qui l’entoure. Il est aussi « âme » et « esprit », et Jésus rejoint la personne humaine tout entière qui s’exprime au sein de cette nature humaine « corps, âme et esprit » (1Thessaloniciens 5,23). La guérison physique, visible, des yeux de chair manifeste la Présence et l’action du Dieu invisible qui, avec son Fils et par lui, a touché l’aveugle tout entier… Cet homme a donc accueilli de tout cœur l’action de Dieu et la guérison de son corps en a été le signe visible. Mais puisque l’homme est tout en même temps « corps, âme et esprit », toute son intériorité « âme et esprit » a elle aussi été touchée par Dieu, un Dieu qui est Esprit (Jean 4,24) et Source d’Esprit et de Vie (Jérémie 2,13 ; 17,13 ; Jean 4,10-14 ; 7,37-39). Elle a donc été aussitôt remplie, comblée par l’Esprit de Dieu, un Esprit qui vivifie, éclaire, pacifie, réjouit… Tel est le salut… Et dans sa joie, l’aveugle guéri va louer et glorifier Dieu avec « la joie de l’Esprit Saint » (1Thessaloniciens 1,6)… Ainsi, Jésus ne va que lui dire ce qu’il vit déjà : « Ta foi t’a sauvé »… A lui maintenant de demeurer dans cette Lumière, dans cette Paix, dans cette Vie en ne désespérant jamais de la Miséricorde Toute Puissante de Dieu (Luc 1,49-50) qui sera toujours infiniment plus grande que toutes nos misères, plus forte que toutes nos faiblesses… C’est elle, si nous lui offrons tout, qui remportera la victoire sur tout (Psaume 51(50))…
La rencontre avec Zachée (Luc 19,1-10)
Après la guérison de l’aveugle, la rencontre avec Zachée manifestera elle aussi le salut que le Christ est venu nous offrir, avec toutes ses conséquences dans le concret de nos vies. Zachée est « un chef de publicains », c’est-à-dire un chef de collecteurs d’impôts qui travaillaient au compte des Romains. Considérés comme des voleurs, des exploiteurs et des êtres impurs au contact de ces païens impurs, ils étaient profondément méprisés…
Mais Zachée est habité par un bon désir : « il cherchait à voir qui était Jésus »… Ce désir vient de Dieu qui a envoyé son Fils dans le monde non pas pour le condamner, mais pour le sauver (Jean 3,16-17). Et Lui-même travaille activement à ce salut en attirant tous les hommes à son Fils : « Nul ne peut venir à moi », disait Jésus, « si le Père qui m’a envoyé ne l’attire » (Jean 6,44 ; 6,65). Derrière ce mouvement de Zachée vers Jésus, nous pouvons donc reconnaître la Présence du Père qui, par l’action de l’Esprit Saint, le conduit vers son Fils (cf. Luc 2,25-32), et la bonne volonté de Zachée qui sait accueillir l’œuvre de Dieu… Et ce désir en lui est si fort qu’il va trouver le moyen de vaincre tous les obstacles qui l’empêchent de voir Jésus. « Il était petit de taille », et même en se mettant sur la pointe des pieds, « il ne pouvait » voir Jésus « à cause de la foule ». Aussi va-t-il regarder en avant, et repérer un arbre, « un sycomore », qui se trouvait là où Jésus « devait passer »… Dans l’ardeur de son désir, oubliant, comme l’aveugle dans l’épisode précédent, toute bienséance, il va « courir » et « monter » dans l’arbre, agissant en tout comme un enfant, lui, « le riche chef de publicains »… En agissant ainsi, il est déjà, de cœur, sur les chemins de l’enfance retrouvée… Et, disait Jésus, « si vous ne retournez à l’état des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux » (Matthieu 18,1-4). Sans peut-être s’en rendre compte, captivé par le Christ, ne cherchant que le Christ, Zachée s’est déjà fait « petit comme un enfant », et Jésus, en arrivant auprès du sycomore, verra ce chef des publicains, avec certainement ses beaux habits, perché dans un arbre ! Jésus reconnaît bien là un fruit de l’Esprit déjà à l’œuvre au cœur de Zachée. Et il va lui dire le désir de Dieu à son égard, un désir infiniment plus vif et plus ardent que celui qui avait fait courir Zachée dans cet arbre : « Descends vite », « car il me faut aujourd’hui demeurer chez toi », demeurer dans ton cœur et dans ta vie pour être avec toi… « Il me faut », il est impossible qu’il en soit autrement, c’est une nécessité pour moi, je ne peux vouloir autre chose… Tel est l’unique désir de l’Amour : être avec la personne aimée pour simplement la combler d’Amour… « Je me sens enveloppée dans le mystère de « la charité du Christ », et, lorsque je regarde en arrière, je vois comme une divine poursuite sur mon âme. Oh ! Que d’amour. Je suis comme écrasée sous ce poids. Alors, je me tais et j’adore » (Ste Elisabeth de la Trinité)… Ce « il faut » est également apparu dans la bouche de Jésus lorsqu’il annonçait à ses disciples « sa nécessité d’amour » de vivre la Passion, la Mort et la Résurrection pour notre salut à tous… « Rappelez-vous », disent les Anges aux femmes devant le tombeau vide, « comment il vous a parlé, quand il était encore en Galilée : Il faut, disait-il, que le Fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié, et qu’il ressuscite le troisième jour » (Luc 24,6-7 ; 17,24-25 ; 22,37 ; 24,44 ; Jean 10,16)…
« Descends vite »… Et Zachée qui avait « couru » dans cet arbre descendit « vite »… Tout le monde ici est pressé de vivre la rencontre et c’est finalement la joie, la joie de l’Esprit Saint, la joie de Dieu, qui éclatera de toute part… Et Zachée « le reçut avec joie »… Tandis que du côté de Dieu, « le Seigneur ton Dieu est tout joyeux à cause de toi ; dans son amour, il te renouvelle, il jubile et crie de joie à cause de toi » (Sophonie 3,17 ; Luc 15,10). Jésus lui-même avait « tressailli de joie sous l’action de l’Esprit Saint » en constatant que ce salut était révélé et donné aux tout-petits : « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir » (Luc 10,21)… Le « tout-petit » Zachée vient d’en faire l’expérience, la joie du Christ est en lui (Jean 15,11)…
Le « murmure » dans la Bible est souvent l’expression du péché : murmure des Israélites au désert (Exode 15,24 ; 16,2.7.8.9.12 ; 17,3 ; Nombres 14,27.29 ; 17,6), murmure de tous ceux qui ne croient pas en Jésus (Jean 6,41.61 ; Luc 5,30 ; 15,2)… Il est l’attitude typique de ceux et celles qui, aveuglés par le péché, jugent sur la seule base de ce qu’ils voient alors même qu’ils sont aveugles de cœur (Jean 12,37-41) ! Les Paroles ou les attitudes du Christ ne rentrent pas dans leurs schémas de pensée. Incapables d’en percevoir la Source, ils jugent, grincent des dents, trament des complots, condamnent et finalement éliminent. Seule la Lumière de l’Esprit Saint permet en effet de reconnaître ce qui vient de l’Esprit. L’homme laissé à ses seules forces d’homme ne peut rien dans le domaine spirituel. « Nul ne connaît ce qui concerne Dieu sinon l’Esprit de Dieu… L’homme psychique », c’est-à-dire « laissé à aux seules ressources de sa nature » (Note Bible de Jérusalem), « n’accueille pas ce qui est de l’Esprit de Dieu : c’est folie pour lui et il ne peut le connaître » (1Corinthiens 2,9-14). Et c’est bien ce que font ici ceux qui murmuraient contre Jésus parce qu’il renversait les barrières que les hommes avaient élevés entre eux sur les bases d’une soi-disant pureté toute extérieure : « Il est allé loger chez un pécheur ! », un homme impur, un maudit (Jean 7,49). Mais Jésus, lui, ne juge pas sur l’apparence, mais sur la justice (Jean 7,24). Son regard va directement au cœur (cf. Marc 7,1-23) à la lumière de la Miséricorde divine qui sait toujours voir le meilleur et discerner le moindre mouvement de bonne volonté, de sincérité, d’ouverture et de repentir… Et même si, apparemment, rien n’arrive, il ne cessera de l’espérer et de tout faire pour le susciter. A ce titre, il n’y a pas plus humain que Dieu…
Et pendant que certains murmuraient dans l’aigreur et l’obscurité de leur cœur, Zachée, lui, se dresse « debout », une attitude qui ne peut qu’évoquer la victoire de cette Vie nouvelle qui vient d’envahir son cœur et de l’arracher aux ténèbres de la mort… Cette victoire sera pleinement manifestée avec le Christ qui, une fois mort sur la Croix, sera couché dans l’obscurité d’un tombeau. Mais le troisième jour, il ressuscitera et se manifestera à ses disciples, « debout », dans une Lumière éblouissante, « la Lumière de la Vie » (Jean 8,12 ; 1,4-5). Zachée en est déjà rempli ! Et les fruits se manifestent aussitôt… Cette Lumière et cette Vie sont en effet « participation » à la Lumière et à la Vie de ce Dieu qui n’est qu’Amour… Le dynamisme qui habite désormais le cœur de Zachée est donc lui aussi de l’ordre de l’Amour (Romains 5,5 ; Galates 5,22 ; Ephésiens 5,8-9). « Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour est de Dieu et que quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est Amour. En ceci s’est manifesté l’amour de Dieu pour nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde afin que nous vivions par lui » (1Jean 4,7-9).
En s’ouvrant au Christ, Zachée s’est ouvert à Dieu et au don qu’il fait continuellement de Lui-même pour qu’avec Lui et en Lui nous puissions bénéficier de sa Lumière et vivre de sa Vie. Déjà par sa foi au Christ, il commence à « vivre par le Christ » (cf. Jean 6,57 ; 15,4-5) de la Vie même de Dieu. Or, pour Dieu, vivre c’est aimer, c’est-à-dire rechercher uniquement le bien de l’autre. Zachée commence à vivre de la Vie de Dieu qui n’est qu’Amour (1Jean 4,8.16). Cette Vie va donc l’entraîner sur les chemins de l’amour… Et c’est bien ce que le Christ constate, avec certainement beaucoup de bonheur, lorsqu’il l’entend déclarer (cf. 2Corinthiens 9,7) : « Voici, Seigneur, je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres, et si j’ai extorqué quelque chose à quelqu’un, je lui rends le quadruple ». Il décide donc de partager, obéissant ainsi à la parole de Jean-Baptiste, au tout début de l’Evangile, qui répondait à la question « Que nous faut‑il faire ? » par : « Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même » (Luc 3,10-11). De plus, il ne déclare pas formellement avoir dans le passé « extorqué quelque chose à quelqu’un », ce qui laisse sous entendre son intégrité personnelle et accentue ainsi la gravité du jugement que certains portaient sur lui en le considérant comme un voleur… Mais si, de fait, il avait extorqué quelqu’un, il va s’engager, sur la moitié restante de ses biens, à rendre au « quadruple » à celui qu’il aurait pu voler. Son comportement rejoindrait alors l’esprit de la Loi de Moïse : « Si quelqu’un vole un bœuf ou un agneau puis l’abat et le vend, il rendra cinq têtes de gros bétail pour le bœuf et quatre têtes de petit bétail pour l’agneau » (Exode 21,37). Zachée manifeste donc son désir d’accomplir le plus parfaitement possible ce qu’il sait être la volonté de Dieu telle qu’il la connaît par la Loi de Moïse. Maintenant, contrairement hélas au jeune homme riche (Luc 18,18-23), sa préoccupation première n’est donc plus l’accumulation des biens matériels jusqu’à devenir « un riche chef de publicains », mais l’accomplissement de la volonté de ce Dieu qui n’est qu’Amour et qu’il vient d’accueillir en son cœur en accueillant le Christ Seigneur (Luc 9,48).
La Vie de Dieu est donc bien là, au plus profond de Zachée. Jésus reconnaît sa Présence et ne peut, comme précédemment pour l’aveugle, que déclarer ce qui existe déjà : « Le salut est arrivé pour cette maison ». Et devant tout le monde, Jésus va proclamer haut et fort la dignité de cet homme, une dignité que lui refusaient toux ceux qui, par leurs jugements hâtifs, l’avaient exclus de la communauté des Fils d’Abraham en le déclarant « impur »… Mais non, « lui aussi est un fils d’Abraham », il est « pur » et porte bien son nom (Zachée vient de l’hébreu « Zakkaï », « pur »)… Ceux par contre qui l’ont exclu et continuent à murmurer dans l’obscurité de leur cœur en refusant d’accueillir la Lumière qui jaillit du Christ, et maintenant de Zachée, ce sont eux qui par leur attitude s’excluent de la communauté des Fils d’Abraham (cf. Jean 8,31-47)… Les rôles sont renversés. « Oui, il y a des derniers » – ou du moins qui étaient considérés comme tels – « qui seront premiers, et il y a des premiers » – ou du moins qui se considéraient ou apparaissaient comme tel – « qui seront derniers » (Luc 13,30). Car « le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (cf. Luc 15,4-10)… Ainsi, ceux qui auront l’humilité et le courage de reconnaître en vérité leur péché, leur fragilité, leurs faiblesses, accueilleront aussitôt dans leur misère les trésors de grâce de la Miséricorde de Dieu qui ne désire qu’une seule chose : les purifier, les justifier, les renouveler, les combler de sa Lumière, de sa Vie et de sa Paix… « Vite » – Dieu est toujours pressé pour sauver – « apportez la plus belle robe et revêtez l’en » dit le Père à ses serviteurs en parlant de son Fils prodigue qui venait de lui déclarer : « Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi » (Luc 15,11-24)… C’est ainsi qu’ « il élève les humbles », et donne gratuitement, par amour, la dignité royale – la sienne ! – à ceux qui n’en étaient pas dignes (Luc 1,52 ; 5,8 avec 22,28-30 ; Isaïe 61,10-62,5)…
La Parabole des mines (Luc 19,11-27)
Cette parabole va exprimer sous la forme d’un discours ce que nous venons de voir avec les deux exemples précédents : la guérison de l’aveugle aux abords de Jéricho et la conversion de Zachée. Dans les deux cas, le Christ a utilisé la notion de « salut ». « Ta foi t’a sauvé », a-t-il dit à l’aveugle. Et à Zachée : « Aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison ». Dans les deux cas, l’accueil effectif du salut s’est concrètement manifesté par des fruits bien reconnaissables : la guérison physique de l’aveugle qui s’est mis aussitôt à « suivre le Christ en glorifiant Dieu » ; l’accueil que Zachée a réservé à Jésus, dans la joie, avec son désir de partager ses biens et de réparer, au quadruple, les torts qu’il aurait pu commettre … Dans la Parabole des mines, le Christ va reprendre cette perspective : les dons du salut, s’ils sont effectivement reçus, ne peuvent que produire du fruit. Le don de Dieu est en effet de l’ordre de l’amour, un amour qui ne peut que pousser celui ou celle qui le reçoit à se donner à son tour au Christ et à ses frères pour travailler activement à l’avènement du Royaume de Dieu parmi les hommes… Si, par contre, aucun fruit ne se manifeste, cela ne pourra qu’être le signe que le salut n’a pas été vraiment reçu… Malheur alors à celui qui, dans ce cas, serait comme un sarment séparé de son cep de vigne : « Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment et il se dessèche ; on les ramasse, on les jette au feu et ils brûlent » (Jean 15,6)…
La parabole des Mines est introduite par le verset 11 qui donne la raison pour laquelle le Christ a voulu l’offrir à ceux qui le suivait : « Comme les gens écoutaient cela, il dit encore une parabole, parce qu’il était près de Jérusalem, et qu’on pensait que le Royaume de Dieu allait apparaître à l’instant même ». Jésus arrive donc au terme de son voyage, à Jérusalem. Là, il sera accueilli triomphalement par « toute la multitude des disciples » (Luc 19,37) et « une foule » (Luc 19,39) nombreuse qui « pensait que le Royaume de Dieu allait apparaître à l’instant même ». Beaucoup en effet, et notamment ses disciples, croyaient que le Royaume de Dieu adviendrait avec un Jésus intronisé « roi », comme tous les rois de la terre, avec, autour de lui, ses collaborateurs qu’il nommerait aux postes clés de son administration (cf. Marc 9,33-37 ; 10,35-40). Ils pensaient donc que « c’était lui qui allait délivrer Israël » (Luc 24,21) de l’envahisseur romain et lui redonner ainsi sa liberté, son indépendance, sa pleine autonomie et sa souveraineté, comme aux temps lointains de sa splendeur, à l’époque du roi David (1010-970 avant Jésus Christ)… Et même après sa mort et sa résurrection, certains, à l’occasion de l’une de ses apparitions, croiront encore en cette royauté bien terrestre du Christ : « Seigneur, est-ce maintenant, le temps où tu vas restaurer la royauté en Israël ? » (Actes 1,6). Mais sa Royauté n’est pas de cet ordre. A la question de Pilate, « Tu es le roi des Juifs ? », Jésus répondra : « Mon royaume n’est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes gens auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Mais mon royaume n’est pas d’ici » (Jean 18,33-37)…
Jésus va donc donner cette Parabole des Mines pour essayer d’expliquer que sa Royauté n’est pas de ce monde, et il va par contre embrasser tout le temps qui suivra sa mort et sa résurrection pour suggérer que sa Royauté s’instaurera parmi les hommes grâce à la foi et à l’action de ses disciples qui formeront ce que St Paul appelle « le Corps du Christ », grâce au don de l’Esprit du Christ, l’Esprit Saint. Avec eux et par eux, le Christ Ressuscité continuera donc d’accomplir sa Mission de Sauveur du Monde. Unis à eux dans la communion d’un même Esprit, il ira à la rencontre de ceux et celles qui ne le connaissent pas encore pour les appeler à entrer eux aussi dans ce mystère de communion qu’il est venu offrir à tous. Et cette Mission s’accomplira concrètement par les dons de l’Esprit Saint, les Charismes, que le Christ donne à chacun d’entre nous pour lui permettre d’accomplir le service qui est le sien.
Et ce service accomplira une facette de l’unique Service, celui du Christ Serviteur de Dieu et des hommes (cf. 1Corinthiens 12,5). C’est bien en effet « en un seul Esprit que nous tous avons été baptisés pour former un seul Corps », « le Corps du Christ » : ainsi, « vous êtes, vous, le Corps du Christ, et membres chacun pour sa part » (1Corinthiens 12,13.27). Et c’est lui qui a permis qu’il en soit ainsi en donnant « aux uns d’être apôtres, à d’autres d’être prophètes, ou encore évangélistes, ou bien pasteurs et docteurs, organisant ainsi les saints[4] pour l’œuvre du ministère, en vue de la construction du Corps du Christ, au terme de laquelle nous devons parvenir, tous ensemble, à ne faire plus qu’un dans la foi et la connaissance du Fils de Dieu, et à constituer cet Homme parfait[5], dans la force de l’âge, qui réalise la plénitude du Christ » (Ephésiens 4,11-13). C’est pour cela que St Paul invite Timothée à « raviver le don spirituel qu’il a reçu » pour le mettre activement au service de tous ceux et celles qui l’entourent. Il sera alors « un membre vivant du Corps du Christ », avec lequel et par lequel le Christ Ressuscité pourra mystérieusement, dans la Puissance de l’Esprit Saint, continuer sa mission de Sauveur et de Bon Pasteur… « Ce n’est pas en effet un esprit de crainte que Dieu nous a donné, mais un Esprit de force, d’amour et de maîtrise de soi. Ne rougis donc pas du témoignage à rendre à notre Seigneur, ni de moi son prisonnier, mais souffre plutôt avec moi pour l’Évangile, soutenu par la force de Dieu » (2Timothée 1,6-11)… Puissions-nous tous être des « Timothée » répondant à l’appel du Christ lancé par ces paroles de St Paul…
Mais revenons à la Parabole des mines. Au tout début, «l’homme de haute naissance » (Luc 19,12), c’est lui, le Christ, « le Fils Unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles. Il est Dieu, né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu. Engendré, non pas créé, il est de même nature que le Père » (Notre Crédo). De plus, c’est lui aussi qui a été conçu dans le sein de Marie par l’action Toute Puissante de l’Esprit Saint. « Il sera grand et sera appelé Fils du Très Haut » (Luc 1,32.35). Mais hélas, Jésus, « le Verbe fait chair » (Jean 1,14), « l’Unique Engendré » (Jean 1,14.18 ; 3,16.18), « le Fils Unique de Dieu » (1Jean 4,9) venu en ce monde pour le salut de tous, ne sera pas accueilli par les autorités religieuses de son époque qui « le haïront » et « ne voudront pas qu’il règne sur eux » (Luc 19,14 ; Jean 15,22-25). Aussi le livreront-ils aux mains des païens. Là, Jésus s’abaissera, « devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort sur une croix. C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux sur la terre et sous la terre et que toute langue proclame que le Seigneur c’est Jésus Christ à la gloire de Dieu le Père » (Philippiens 2,8-11). Jésus « ressuscita donc le troisième jour, conformément aux Ecritures, et il monta au ciel ; il est assis à la droite du Père » (Notre Crédo) où il reçut « la dignité royale » (Luc 19,12), en son état glorieux de Ressuscité … Il doit « ensuite revenir » (Luc 19,12), « dans la gloire, pour juger les vivants et les morts, et son règne n’aura pas de fin » (Notre Crédo). Ce retour du Christ vise, dans le Crédo, le dernier Jour du monde, où, « comme l’éclair jaillissant d’un point du ciel resplendit jusqu’à l’autre, ainsi en sera-t-il du Fils de l’homme lors de son Jour » (Luc 17,24). « Et l’on verra le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel avec puissance et grande gloire » (Matthieu 24,30)…
Ce face à face avec le Fils de l’Homme se réalisera également, pour chacun d’entre nous, au jour de notre mort. Chacun regardera alors, à la Lumière de l’Amour et de la Miséricorde de Dieu, ce que fut sa vie sur la terre : ce sera l’heure du « jugement » (cf. 1Corinthiens 3,10-15)…
Mais avant de les retrouver ainsi, « appelant dix de ses serviteurs, il leur remit dix mines et leur dit : “Faites-les valoir jusqu’à ce que je vienne.” » (Luc 19,13). Chacun reçoit donc « une mine », c’est-à-dire un même cadeau, qui symbolise ici le don de l’Esprit Saint que nous avons tous reçu au jour de notre baptême. « Juifs ou Grecs, esclaves ou hommes libres, tous en effet, nous avons été abreuvés d’un seul Esprit ». Car « il n’y a qu’un Corps et qu’un Esprit, comme il n’y a qu’une espérance au terme de l’appel que vous avez reçu ; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême; un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, par tous et en tous » par le don justement d’un seul et même Esprit fait à tous (1Corinthiens 12,13 ; Ephésiens 4,1-6). Et cet Esprit, c’est le sien, l’Esprit de ce « Dieu qui est Esprit » (Jean 4,24). Avec lui et par lui, Dieu nous donne donc de participer à ce qu’Il Est, à son « insondable richesse » (Ephésiens 3,8), Lui qui Est tout en même temps Amour Miséricordieux, Paix, Joie, Lumière et Vie…
Mais si nous avons tous part au même Esprit, nous ne porterons pas tous les mêmes fruits, car nous sommes tous différents et l’Esprit nous invitera à déployer, au service de Dieu et de nos frères, les dons qui sont les nôtres. C’est donc toujours l’Esprit Saint qui sera à l’origine des fruits que nous pourrons porter. C’est ainsi que St Paul invitait les chrétiens de Thessalonique à « ne pas éteindre l’Esprit », à ne pas lui résister, à consentir à sa Présence pour le laisser porter son fruit en laissant son dynamisme soulever toute notre vie à la manière du levain enfoui dans la pâte (1Thessaloniciens 5,19 ; Luc 13,20-21 avec Romains 14,17). Cet Esprit reçu par notre foi au Christ est comme la sève vivifiante que le sarment reçoit du cep et qui lui permet de porter du fruit. Aussi, disait Jésus à ses disciples, « demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut de lui-même porter du fruit s’il ne demeure pas sur la vigne, ainsi vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi. Moi, je suis la vigne ; vous, les sarments. Celui qui demeure en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit ; car hors de moi vous ne pouvez rien faire » (Jean 15,4-5).
Les fruits portés par les disciples sont donc avant tout la conséquence de l’Esprit qu’ils reçoivent par leur foi au Christ. C’est ainsi que St Paul parlera du « fruit de l’Esprit » (Galates 5,22), et non pas du fruit du chrétien, même si c’est bien sûr le chrétien qui porte du fruit. Mais encore une fois, il portera du fruit non pas par lui-même mais grâce à la Présence de l’Esprit en son cœur, une Présence sans cesse offerte par « le Père des Miséricordes » (2Corinthiens 1,3) et à laquelle il aura consenti. St Luc redira exactement la même chose dans la parole des deux premiers serviteurs lorsqu’ils se présentent devant leur Maître et lui disent non pas « j’ai rapporté dix (ou cinq) mines », mais « Seigneur, ta mine a rapporté dix (ou cinq) mines[6] ». Nous sommes donc tous invités à regarder notre relation avec le Seigneur « Source d’Eau Vive » comme étant « le » trésor de notre vie ; tout le reste n’en sera qu’une conséquence puisque c’est de lui que nous recevrons, jour après jour, cette eau Vive de l’Esprit qui, seule et elle seule, peut nous permettre de porter du fruit (Psaume 42‑43(41-42),2-3 ; Jérémie 2,13 ; 17,13 ; Jean 4,10-14 ; 7,37-39 ; Apocalypse 22,17)… Aussi, Jésus disait à ses disciples : « Veillez donc et priez en tout temps » (Luc 21,36). Et St Paul écrira : « Vivez dans la prière et les supplications ; priez en tout temps, dans l’Esprit » (Ephésiens 6,18 ; Philippiens 4,6-7)… Puissions-nous ne pas « résister à l’Esprit Saint » (Actes 7,51)…
Le Seigneur avait demandé à ses serviteurs de « faire valoir » ces mines qu’il leur donnait. Ceux qui auront gardé sa Parole et lui auront été « fidèles » (Luc 19,17) en faisant prospérer le don reçu, recevront « autorité » sur cinq ou dix villes. Jésus leur donne donc de participer à sa propre « autorité » (Luc 4,31-37 ; 20,1-8). Il fait d’eux des rois, à son image et ressemblance : « Vous êtes, vous, ceux qui sont demeurés constamment avec moi dans mes épreuves ; et moi je dispose pour vous du Royaume, comme mon Père en a disposé pour moi : vous mangerez et boirez à ma table en mon Royaume, et vous siégerez sur des trônes » (Luc 22,28-30)…
Le dernier serviteur nous présente l’exemple à ne pas suivre. Premièrement, il désobéit à la Parole de son Maître qui l’avait invité à « faire valoir sa mine jusqu’à ce qu’il vienne ». Lui par contre, « la déposera dans un linge ». Il aurait pu au moins « confier cet argent à la banque ». A son retour, le Maître « l’aurait retiré avec un intérêt » (Luc 19,20.23). De plus, ce serviteur n’est pas dans la vérité, mais dans le mensonge. Comme Adam et Eve autrefois (Genèse 3,1-7), il a oublié la Parole du Dieu Bon et Généreux (Genèse 2,16) pour adhérer à ce visage mensonger de Dieu que « le père du mensonge » (Jean 8,44) cherche à introduire dans nos cœurs : un Dieu tyrannique, inhumain, jaloux de ses prérogatives et qui, quelque part, interdit à l’homme le chemin du bonheur et de l’accomplissement total. Il est donc toujours dans les ténèbres ; il n’a pas accueilli la Lumière qui jaillissait de son Maître… Comme Adam et Eve après leur désobéissance, il va « avoir peur » de Dieu (Genèse 3,10 ; Luc 19,21), une peur qui manifeste justement son état de pécheur et ce faux visage de Dieu qu’il porte en lui-même. Il lui dit en effet : « J’avais peur de toi, qui es un homme sévère, qui prends ce que tu n’as pas mis en dépôt et moissonne ce que tu n’as pas semé ». Nul doute : si Dieu était bien ainsi, nous aurions tout à craindre…
Pourtant, depuis bien longtemps, Dieu a révélé « qui » il était par la Parole de ses prophètes avec par exemple Jérémie : « Reviens, rebelle Israël, oracle du Seigneur. Je n’aurai plus pour vous un visage sévère », c’est-à-dire « si vous pensez jusqu’à présent que je suis sévère, vous constaterez par vous-mêmes qu’il n’en est rien ». Car « JE SUIS miséricordieux »[7]. Aussi, « revenez, fils rebelles, car je veux guérir toutes vos rébellions » et leurs conséquences… « Je me disais : « Vous m’appellerez « Mon Père », et vous ne vous séparerez pas de moi » (Jérémie 3,12.22.19)…
Le Maître va alors dire à ce serviteur : « Je te juge sur tes propres paroles » (Luc 19,22), une manière symbolique d’affirmer que ce n’est pas Dieu qui « jugera » l’homme, mais que c’est l’homme qui, face à Dieu, se jugera lui-même à la lumière de ce qu’il portera en son cœur – Puisse cette lumière être, en cet instant, celle de la Miséricorde du « Père des Miséricordes » ! – Et c’est bien ce que Jésus déclare en St Jean : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé le Fils dans le monde pour juger le monde », au sens de condamner, « mais pour que le monde soit sauvé par lui. Qui croit en lui n’est pas jugé ; qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu » (Jean 3,16-18). Dieu ne juge donc jamais au sens de « condamner » : « Je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus » dit Jésus à la femme surprise en flagrant délit d’adultère (Jean 8,11). Bien plus, « si quelqu’un vient à pécher, nous avons comme avocat auprès du Père Jésus Christ le juste. C’est lui qui s’est offert pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier » (1Jean 2,1-2 ; Romains 8,31-34).
Dieu n’est donc que Miséricorde et Pardon, recherche continuelle du bien de l’autre et de sa plénitude par le don qu’il fait sans cesse de Lui-même… « Vous connaissez, en effet, la libéralité de notre Seigneur Jésus Christ, qui pour vous s’est fait pauvre, de riche qu’il était », riche de l’infinie richesse de sa nature divine, « afin de vous enrichir par sa pauvreté » (2Corinthiens 8,9) en vous donnant d’avoir part, vous aussi, à ce qu’il est (2Pierre 1,3-4).
Dieu « ne prend donc pas ce qu’il n’a pas mis en dépôt, il ne moissonne pas ce qu’il n’a pas semé ». Dans la parabole, il ne se préoccupe d’ailleurs que de « savoir » (Luc 19,15) ce que chaque serviteur a fait de sa mine, et la fin du texte suggère que chacun a gardé la mine reçue et celles qu’il a gagnées. En effet, lorsque le Maître veut donner la mine du mauvais serviteur à celui qui en a gagné dix, les autres répondent : « Mais Seigneur, il a dix mines ! ». Il les a donc bien… De plus, l’attitude du Maître illustre ce principe donné par le Christ en Luc 19,26 (cf. 8,18) : « Je vous le dis : à tout homme qui a l’on donnera ; mais à qui n’a pas on enlèvera même ce qu’il a. » Puisque Dieu en effet est Vie et l’Unique Source de Vie, si quelqu’un a quelque chose en ce domaine, c’est qu’il l’a reçu de Dieu (Jean 3,27). Il est donc ouvert de cœur à ce Dieu qui étant Source donne et donne encore… Il ne pourra donc que recevoir et recevoir encore s’il demeure dans cette attitude d’accueil… Ainsi, celui qui a dix mines en reçoit-il encore une supplémentaire… La générosité de Dieu est sans limites…
Par contre, ceux qui refusent de s’ouvrir à l’infinie bonté de Dieu ne peuvent que faire l’expérience de la dynamique inverse qui est celle du Prince des ténèbres : « il est voleur » (Jean 10,10), de telle sorte que si quelqu’un a quelque chose, il ne pourra qu’en être dépouillé. Ainsi, « à qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a »… Il est de plus « homicide dès le commencement » (Jean 8,44) : « il ne vient que pour voler, égorger et faire périr » (Jean 10,10). Telle est là encore l’expérience que feront ceux qui sont « du diable et qui veulent accomplir ses désirs » (Jean 8,44). Elle est dite de manière cruelle dans la parabole par le dernier verset : « Quant à mes ennemis, ceux qui n’ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les ici, et égorgez-les en ma présence » (Luc 19,27). Mais une parabole est une image ; elle n’a d’autre but que de suggérer une réalité. Ses affirmations ne sont pas à prendre au pied de la lettre. « Dieu en effet n’a pas fait la mort, il ne prend pas plaisir à la perte des vivants. Il a tout créé pour l’être » et la vie. « Oui, Dieu a créé l’homme pour l’incorruptibilité, il en a fait une image de sa propre nature ; c’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde : ils en font l’expérience, ceux qui lui appartiennent ! » (Sagesse 1,13-14 ; 2,23-24).
Confions-nous donc chaque jour davantage dans le Christ Sauveur : « Sa Lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas saisie ». « Sur lui, le Prince de ce Monde n’a aucun pouvoir » (Jean 1,5 ; 14,30). Laissons-le donc remporter la victoire dans nos cœurs et dans nos vies (1Jean 2,12-14 ; 4,4 ; 5,1-5) sur toute forme de ténèbre en nous offrant sans cesse à la Toute Puissance de sa Miséricorde. Alors, « la paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, prendra sous sa garde nos cœurs et nos pensées, dans le Christ Jésus » (Philippiens 4,7).
D. Jacques Fournier
[1] Remarquer, dans l’Evangile de Marc, la logique toujours identique de chacun de ces trois passages. Jésus commence à chaque fois par annoncer à ses disciples sa Passion et sa mort prochaine. Mais eux ne s’attendaient pas à ce que le Messie accomplisse ainsi sa mission. Ils le voyaient comme un futur Roi, à l’image des grands de ce monde, un Roi qui saurait enfin mettre l’envahisseur Romain à la porte du Royaume d’Israël pour lui redonner toute son indépendance, sa liberté et sa souveraineté, comme à l’époque du grand Roi David. Aussi ne comprennent-ils pas les annonces de la Passion, et restent-ils à chaque fois dans leur perception toute terrestre du Messie. Ils lui interdiront ainsi d’envisager, ne serait-ce qu’un seul instant, qu’il puisse souffrir, être rejeté et mourir (Marc 8,32). Puis ils discuteront entre eux pour savoir « qui est le plus grand » (Marc 9,34), c’est-à-dire qui pourra s’asseoir « à la droite et à la gauche » du futur Roi d’Israël lorsqu’il sera assis sur son trône, en son Palais de Jérusalem, « dans toute sa gloire » (Marc 10,37)… Et lors des premières apparitions du Ressuscité, ils continueront à croire que Jésus devait bientôt « restaurer la royauté en Israël » (Actes 1,6)…
[2] Constitution Dogmatique sur la Révélation Divine, « Dei Verbum » n° 2.
[3] Jean-Paul II, Lettre encyclique sur l’Esprit Saint dans le vie de l’Eglise et du monde, « Dominum et vivificantem », & 42 et 54.
[4] C’est ainsi que St Paul appelle les chrétiens qui ont reçu l’Esprit Saint au jour de leur baptême et qui, avec lui et grâce à lui, sont en marche chaque jour vers la sainteté…
[5] L’Humanité réconciliée à Dieu, comblée par l’Esprit Saint, vivant dans l’Amour et travaillant ainsi à l’avènement d’un monde plus solidaire et plus humain… Tel est l’objectif de l’Eglise, cette communauté imparfaite de pécheurs sans cesse pardonnés, de malades cheminant vers la pleine guérison, et qui essayent chaque jour de mieux accueillir l’Esprit Saint pour mieux vivre l’amour dans leurs relations avec Dieu et avec tous les hommes…
[6] Une mine correspondait à l’époque à trois mois de salaire d’un ouvrier agricole.
[7] La traduction grecque de la Septante reprend ici la même expression employée en Exode 3,14 lorsque Dieu révèle son Nom à Moïse : « JE SUIS ». Le texte sous entend alors non seulement que Dieu est miséricordieux, mais encore qu’il n’est que Miséricorde…
Fiche n°19 – Lc 18,35-19,27 : en cliquant sur le titre précédent, vous accédez au document PDF pour lecture ou éventuelle impression.