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Mc 10,32-52 : Jésus marche vers Jérusalem, vers sa Passion…

Troisième annonce de la Passion (Mc 10,32-34)

 

Le chiffre « trois » dans la Bible renvoie souvent à « Dieu en tant qu’il agit ». Jonas « demeura ainsi dans les entrailles du poisson trois jours et trois nuits », et ce n’est que le troisième jour que « le Seigneur commanda au poisson qui vomit Jonas sur le rivage » (Jon 2,1.11). « Venez, retournons vers le Seigneur. Il a déchiré[1], il nous guérira ; il a frappé, il pansera nos plaies ; après deux jours il nous fera revivre, le troisième jour il nous relèvera et nous vivrons en sa présence » (Os 6,1-2). « Le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures », écrira St Paul, « il a été mis au tombeau, il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures » (1Co 15,4)… « Dieu l’a ressuscité le troisième jour et lui a donné de se manifester » (Ac 10,40). C’est du moins le troisième jour après sa mort que le tombeau a été retrouvé vide… Mais ce chiffre « trois » renvoie pour le Fils à « Dieu le Père en tant qu’il a agi en son Fils avec la Toute Puissance de l’Esprit Saint pour le ressusciter d’entre les morts » (Ga 1,1 ; Rm 1,4 ; 8,11 ; 10,9 ; Ac 2,24.32 ; 3,15.26 ; 4,10 ; 5,30 ; 13,30.33.34.37 ; 1Co 6,14 ; 15,15 ; 2Co 4,14 ; Col 2,12 ; 1Th 1,10).

Ce même chiffre « trois » présent indirectement dans ces « trois » annonces de la Passion suggère que le premier acteur en tous ces évènements dramatiques n’est pas l’homme, mais Dieu… « Je dépose ma vie », dira Jésus, « pour la recevoir de nouveau. Personne ne me l’enlève ; mais je la dépose de moi-même. J’ai pouvoir de la déposer et j’ai pouvoir de la recevoir de nouveau ; tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père » (Jn 10,17-18). Le Père va donc donner à son Fils de pouvoir être le témoin de l’Amour jusqu’au bout, en aimant et en donnant sa vie notamment pour ceux-là mêmes qui vont le tuer. Le premier acteur de la Passion, acceptée, vécue et offerte pour le salut de tous les hommes, est donc Dieu Lui-même… Ainsi, lors de son arrestation « Judas, menant la cohorte et des gardes détachés par les grands prêtres et les Pharisiens, vient » dans « le jardin » qui était « de l’autre côté du torrent du Cédron », « avec des lanternes, des torches et des armes. Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui advenir, sortit et leur dit : « Qui cherchez-vous ? » Ils lui répondirent : « Jésus le Nazôréen. » Il leur dit : « C’est moi » (On pourrait aussi traduire : « Je Suis » (cf. Ex 3,13-15)). Or Judas, qui le livrait, se tenait là, lui aussi, avec eux. Quand Jésus leur eut dit : « C’est moi » (Ou « Je Suis »), ils reculèrent et tombèrent à terre. De nouveau il leur demanda : « Qui cherchez-vous ? »   Ils dirent : « Jésus le Nazôréen. » Jésus répondit : « Je vous ai dit que c’est moi (Ou « Je Suis »). Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez ceux-là s’en aller » (Jn 18,1-9). Ainsi, ce ne sont pas les hommes qui ont mis la main sur Jésus pour l’arrêter, mais c’est Jésus, et avec lui Dieu Lui-même, qui s’est donné librement… St Jean, une fois de plus, emploie ici la formule grecque « ᾽Εγώ εἰμι » qui apparaît dans l’épisode du buisson ardent, lorsque Dieu révèle son Nom à Moïse : « Je Suis ». Et, nous l’avons remarqué, St Jean l’emploie trois fois ! Cette arrestation de Jésus est donc avant tout « action de Dieu » et révélation de son Mystère, de sa Gloire et de sa Majesté Souveraine… Face à Lui, l’homme ne peut qu’expérimenter sa faiblesse, sa petitesse, son impuissance à « mettre la main sur Lui »… « La cohorte et les gardes détachés par les grands prêtres et les Pharisiens reculèrent et tombèrent à terre. » Ainsi, le premier acteur dans la Passion n’est pas l’homme, mais Dieu qui, librement, par amour, se donne entièrement et jusqu’au bout entre les mains des pécheurs, pour leur salut…

 

Au début de notre passage, Jésus monte donc à Jérusalem, « il prend résolument le chemin de Jérusalem » (Lc 9,51). Il sera le témoin de l’Amour jusqu’au bout, « jusqu’à l’extrême de l’amour » (Jn 13,1) : « Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin ».

Les disciples « étaient dans la stupeur, et ceux qui suivaient étaient effrayés ». « Ils lui dirent : Rabbi, tout récemment », les grands Prêtres et les scribes « cherchaient à te lapider, et tu retournes là-bas ! » (Jn 11,8). Ils savaient bien qu’ils « cherchaient comment arrêter Jésus par ruse pour le tuer » (Mt 12,14 ; Mc 3,6 ; 14,1 ; Lc 22,2 ; Jn 5,18).

Jésus prend alors « de nouveau les Douze avec lui ». Il va travailler à affermir leur foi car ce sont eux qui, après sa mort et sa résurrection, seront tout spécialement chargés d’affermir à leur tour tous les disciples dans la foi. « Je vous le dis maintenant avant que cela n’arrive, pour qu’au moment où cela arrivera, vous croyiez » (Jn 14,29). Pierre, « j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères ». (Lc 22,32). Et plus tard, aidés et soutenus par « l’Esprit Saint qui leur rappellera tout ce que Jésus leur a dit » (Jn 14,26), ils se souviendront qu’il leur avait effectivement annoncé à l’avance ses souffrances, sa mort et sa résurrection, et ils croiront que tous ces évènements qu’ils ont vécu appartenaient bien à ce plan de Salut, déroutant pour nous les hommes (cf. 1Co 1,17-2,16), que Dieu est venu mettre en œuvre en ce monde avec son Fils et par Lui… « Aussi, quand il fut relevé d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela, et ils crurent à l’Écriture et à la parole qu’il avait dite » (Jn 2,22).

« Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes ; ils le condamneront à mort et le livreront aux païens »… Marc emploie deux fois ici le verbe « livrer », parad…dwmi dans le grec des Evangiles. La préposition par£ a comme sens premier « auprès de » et le verbe d…dwmi signifie « donner ». Le Fils est donc « donné » « auprès » des pécheurs, tout « contre » les pécheurs et pour eux… Par amour, il s’est uni à leur condition humaine en se faisant homme, vrai homme (Ph 2,6-11)… Et par amour, il ira encore plus loin en prenant sur lui toutes les conséquences du péché des hommes. Il s’unira de cœur à leurs ténèbres pour leur donner, s’ils l’acceptent, s’ils y consentent, d’être unis à sa Lumière (2Co 5,21), la Lumière de l’Amour qui brille dans les ténèbres et que les ténèbres n’ont pu étouffer (Jn 1,4-5).

Tous les hommes sont ici visés par ce double emploi du verbe « livrer » : « livré aux grands prêtres et aux scribes », c’est-à-dire aux Juifs, et « livré aux païens »… Or à l’époque, si l’on n’était pas Juif, on était païen. Et si Marc emploie ce verbe « livrer » pour nous raconter les faits, St Paul le reprendra pour nous en donner le sens profond. Jésus, en effet, s’est « livré en rançon pour tous » (1Tm 2,6). Donné à tous les pécheurs, Jésus, par amour, s’est fait proche de tous les pécheurs, tout « contre » eux, pour leur salut… « Nous croyons en celui qui ressuscita d’entre les morts Jésus notre Seigneur, livré pour nos fautes et ressuscité pour notre justification » (Rm 4,25). « Il s’est livré pour nos péchés afin de nous arracher à ce monde actuel et mauvais, selon la volonté de Dieu notre Père » (Ga 1,4) Lui « qui veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,4). Et ce Père « qui n’a pas épargné son propre Fils mais l’a livré pour nous tous, comment avec lui ne nous accordera-t-il pas toute faveur ? » (Rm 8,32). Et Paul le constatait par lui-même : grâce à ce Don de l’Esprit qu’il avait accueilli par sa foi, il pouvait dire : « Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi. Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2,20). Aussi, « suivez la voie de l’amour, à l’exemple du Christ qui vous a aimés et s’est livré pour nous, s’offrant à Dieu en sacrifice d’agréable odeur » (Ep 5,2). « Il s’est livré pour nous afin de nous racheter de toute iniquité et de purifier un peuple qui lui appartienne en propre, zélé pour les belles œuvres » (Tt 2,14). « Le Christ a aimé l’Église », cette communauté de pécheurs qu’il est venu rassembler dans l’Unité de l’Esprit (Jn 11,52 ; Ep 4,1-6). Et maintenant, à travers elle et par elle, il appelle l’humanité tout entière à vivre de sa Vie, gratuitement, par amour, « dans l’Esprit » (Ep 2,18) « qui vivifie » (Jn 6,63 ; Ga 5,25) : « Il s’est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant par le bain d’eau qu’une parole accompagne » (Ep 5,25), le baptême où l’Eau Vive de l’Esprit est donnée en surabondance pour laver, purifier (1Co 6,11) et donner en partage cette Plénitude de Dieu qui Est Vie, Paix, Joie (Jn 10,10 ; 14,27 ; 15,11)…

A la lumière de l’Ancien Testament, Jésus savait ce qui l’attendait, même s’il ne connaissait pas toutes les circonstances exactes. Notons quelques parallèles :

  • « Ils le bafoueront »… Et le Psalmiste, qui nourrissait chaque jour sa prière (Mc 14,26 ; Lc 20,42 ; 24,44), écrit : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? (…) Tous ceux qui me voient me bafouent» (Ps 22(21))

 

  • « Des chiens me cernent, une bande de malfaiteurs m’entoure ; ils m’ont percé les mains et les pieds », écrit-il encore (Ps 22(21), une peine de mort que seuls les Romains appliquaient. Les Juifs, eux, lapidaient… Aussi, Jésus pouvait-il dire qu’une fois « condamné à mort », il sera « livré aux païens ».

 

  • « Ils cracheront sur lui, ils le flagelleront »… Le prophète Isaïe, le plus souvent cité par le Christ, écrivait : « J’ai tendu le dos à ceux qui me frappaient, et les joues à ceux qui m’arrachaient la barbe ; je n’ai pas soustrait ma face aux outrages et aux crachats. Le Seigneur Dieu va me venir en aide, c’est pourquoi je ne me suis pas laissé abattre, c’est pourquoi j’ai rendu mon visage dur comme la pierre, et je sais que je ne serai pas confondu » (Is 50,5-6).

 

  • « Ils le tueront et après trois jours, il ressuscitera »… Souvenons-nous du prophète Osée : « Après deux jours il nous fera revivre, le troisième jour il nous relèvera et nous vivrons en sa présence» (Os 6,2). Mais d’autres textes suggéraient une issue heureuse : « À la suite de l’épreuve endurée par son âme, (le juste, mon serviteur) verra la lumière et sera comblé » (Is 53,11 ; cf. Is 52,13-53,12). Le Psalmiste, lui, écrivait : « Ma vigueur a séché comme l’argile, ma langue colle à mon palais. Tu me mènes à la poussière de la mort. »… Mais un peu plus loin : « Sauve-moi de la gueule du lion et de la corne des buffles. Tu m’as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères, je te loue en pleine assemblée. Vous qui le craignez, louez le Seigneur, glorifiez-le, vous tous, descendants de Jacob, vous tous, redoutez-le, descendants d’Israël. Car il n’a pas rejeté, il n’a pas réprouvé le malheureux dans sa misère ; il ne s’est pas voilé la face devant lui, mais il entend sa plainte. Tu seras ma louange dans la grande assemblée ; devant ceux qui te craignent, je tiendrai mes promesses. Les pauvres mangeront : ils seront rassasiés ; ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent : « A vous, toujours, la vie et la joie ! » La terre entière se souviendra et reviendra vers le Seigneur, chaque famille de nations se prosternera devant lui : « Oui, au Seigneur la royauté, le pouvoir sur les nations ! » (Ps 22(21),16.22-29 ; traduction liturgique). Et on peut lire au Ps 69(68),22.30-35) : « Quand j’avais soif, ils m’ont donné du vinaigre (cf. Mc 15,36)… Et moi, humilié, meurtri, que ton salut, Dieu, me redresse. Et je louerai le nom de Dieu par un cantique, je vais le magnifier, lui rendre grâce. Cela plaît au Seigneur plus qu’un taureau, plus qu’une bête ayant cornes et sabots. Les pauvres l’ont vu, ils sont en fête : « Vie et joie, à vous qui cherchez Dieu ! » Car le Seigneur écoute les humbles, il n’oublie pas les siens emprisonnés. Que le ciel et la terre le célèbrent, les mers et tout leur peuplement !»

La demande des fils de Zébédée et l’invitation de Jésus à servir

                                                                                                      (Mc 10,35-45)

 

« De quoi discutiez-vous en chemin ? », demanda un jour Jésus à ses disciples ? « Eux se taisaient, car en chemin ils avaient discuté entre eux qui était le plus grand. » Ils se taisent, ils ont honte, mais Jésus sait bien ce qu’ils disaient… Il aurait aimé l’entendre de leur bouche, ce qui les aurait aidé à recevoir son pardon, et avec lui, à progresser… Mais il est patient. Il va donc les « reprendre » une fois de plus : « Alors, s’étant assis, il appela les Douze et leur dit : Si quelqu’un veut être le premier, il sera le dernier de tous et le serviteur de tous » (Mc 9,33-35). « Puis, prenant un petit enfant, il le plaça au milieu d’eux et, l’ayant embrassé, il leur dit : Quiconque accueille un petit enfant comme celui-ci à cause de mon nom, c’est moi qu’il accueille; et quiconque m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé » (Mc 9,36-37). Et peu après, il avait à nouveau pris l’exemple de « petits enfants » : « C’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume de Dieu. En vérité je vous le dis : quiconque n’accueille pas le Royaume de Dieu en petit enfant, n’y entrera pas » (Mc 10,13-16). Et ici, « Jacques et Jean, les fils de Zébédée, avancent vers lui et lui disent : Maître, nous voulons que tu fasses pour nous ce que nous allons te demander. Il leur dit : Que voulez-vous que je fasse pour vous ? Accorde-nous, lui dirent-ils, de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire ».

Comme l’enseignement de Jésus a du mal à passer dans nos cœurs et dans nos vies ! Et nous sommes bien tous ainsi, chacun plus particulièrement avec tel ou tel « travers » qui nous colle à la peau… Mais l’attitude de Jésus manifeste une fois de plus ici l’incroyable patience de Dieu qui, inlassablement, nous reprend, nous relève, « redresse nos pas au chemin de la paix » (Lc 1,79)… Telle est bien « l’insondable richesse du Christ » (Ep 3,8), « richesse de sa bonté, de sa patience et de sa générosité » (Rm 2,4), une richesse qui rend possible notre aventure chrétienne et nous laisse espérer qu’un jour, sa volonté s’accomplira, envers et contre tout : « Père, je veux que là où je suis », avec toi, dans ta Lumière et dans ta Gloire, « eux aussi soient avec moi, afin qu’ils contemplent ma Gloire, que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde. » Et juste avant de prier ainsi, il a déjà fait très concrètement, par le Don de « l’Esprit de Gloire, l’Esprit de Dieu » (1P 4,14), ce qui permet à son désir d’être réalisable : « Je leur ai donné la Gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un : moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient parfaits dans l’unité, et que le monde reconnaisse que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé » (Jn 17,22-24). A nous maintenant d’oser nous tourner de tout cœur vers le Seigneur, encore et encore, avec tous nos manques, toutes nos failles, toutes nos misères… Elles n’arriveront jamais à épuiser l’infini de sa Miséricorde. Inlassablement il se révèlera à nos cœurs et à nos vies comme étant bien « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29), le mot « péché » dans la culture hébraïque visant aussi bien l’acte commis que ses conséquences. Son pardon balaiera l’acte de nos consciences, et sa Miséricorde nous communiquera bien vite tout ce que nous avions perdu par suite de nos fautes : la Plénitude de sa Vie (Rm 6,23), de sa Lumière, de sa Paix…

Les disciples croyaient que Jésus serait roi en Israël, mais un roi terrestre comme tous les autres rois de ce monde… Et « Jacques et Jean » désirent avoir les places d’honneur… Orgueil… Mais les autres ne sont pas mieux : « Les dix autres, qui avaient entendu, se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean » (Mc 10,41). Pourquoi, en effet, s’indigneraient-ils s’ils ne convoitaient pas eux aussi ces mêmes places ? Voilà encore l’orgueil, avec comme premier fruit la jalousie et donc « les grincements de dents ». Ils veulent participer à la gloire du Christ Roi, mais leur attitude est contraire à la logique de son Royaume ! « Heureux les pauvres de cœur, car le Royaume des Cieux est à eux. Heureux les doux… Heureux les artisans de paix » (Mt 5,3‑12). Et Jésus en est le premier et le plus bel exemple parmi les hommes : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur » (Mt 11,29). Et « les grincements de dents » vont de pair avec « les pleurs » et « les ténèbres extérieures » (Mt 8,12), ce « dehors » (Mt 25,30) par opposition au « dedans » du Royaume, avec sa Lumière et sa Joie (Jn 15,11). Dans ces ténèbres, point de plénitude mais le feu de la jalousie qui ronge et consume (Mt 13,42 ; 13,50), point de liberté, celle « de la gloire des enfants de Dieu » (Rm 8,21), mais les liens du mal qui paralysent et emprisonnent (Mt 22,13).

Jésus aime ses disciples, comme il aime tout homme. Il ne peut les laisser dans une telle situation… Il va donc, pour leur bien, les inviter à renoncer à leurs illusions, à leurs rêves de grandeur, à leur soif de pouvoir et de domination. « Les ayant appelés près de lui, il leur dit : Vous savez que ceux qu’on regarde comme les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir ». Et Marc emploie deux verbes : « katakurieÚw, se rendre maître de, réduire en son pouvoir, mettre sous le joug » et « katexousi£zw, exercer son pouvoir sur ». Ainsi, celui qui est lui-même enchaîné et esclave de l’orgueil, ne cherche-t-il qu’à « se rendre maître » à son tour de l’autre, le réduisant en son pouvoir, lui imposant le joug de sa domination… Mais celui qui suit le Christ Serviteur adoptera à son exemple une attitude contraire : il se fera le serviteur de ses frères, cherchant non pas son propre intérêt mais leur seul bien, obéissant à leurs besoins pour tenter d’y répondre autant qu’il lui est possible, cherchant à les libérer de tous ces jougs qui écrasent et emprisonnent… Et celui qui agit ainsi expérimentera en lui-même une liberté sans égale, celle de Dieu lui-même : « Si quelqu’un me sert, qu’il me suive, et où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera » (Jn 12,26). Et après leur avoir lavé les pieds, Jésus leur dira : « C’est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous… Sachant cela, heureux êtes-vous, si vous le faites » (Jn 13,15-17). « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète ».

Et le but de tout service du Christ est la vie de celles et ceux qu’il sert… « Le Fils de l’homme lui-même n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude ». « Nul n’a plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis. » « Le voleur ne vient que pour voler, égorger et faire périr. Moi, je suis venu pour qu’on ait la vie et qu’on l’ait surabondante » (Mc 10,45 ; Jn 15,13 ; 10,10)…

L’aveugle de la sortie de Jéricho (Mc 10,46-52)

 

Bartimée, le fils (Bar, en araméen) de Timée, est devenu aveugle et mendiant… Assis au bord du chemin, il apprend que « Jésus le Nazarénien », dont il a certainement déjà entendu parler, passe… Alors, il se met à crier, et il l’interpelle en tant que Messie, ce Roi promis qui devait être un descendant de David (cf. 2Sm 7). Littéralement, il lui dit : « Fils de David, Jésus, ἐλέησόν με ». Or le verbe ἐλεέω signifie certes « avoir pitié de quelqu’un », mais le mot correspondant ἔλεος se traduit par « miséricorde, compassion, pitié ». Cet homme en appelle donc à la Miséricorde de Dieu : il ne peut être déçu… « C’est en toi que nos pères espéraient, ils espéraient et tu les délivrais. Quand ils criaient vers toi, ils échappaient ; en toi ils espéraient et n’étaient pas déçus » (Ps 22(21),5-6). Des obstacles se dressent entre lui et Jésus… Il n’est pas correct, surtout pour un mendiant, un va-nu-pieds, de crier ainsi… « Beaucoup le rabrouaient pour lui imposer silence », mais lui ne va pas se décourager, perdre cœur, abandonner. Il a la force de surmonter le « quand dira-t-on », le « politiquement correct ». Ce désir jaillit du plus profond de son cœur comme une demande de justice, irrépressible : « Mais lui criait de plus belle : Fils de David, aie compassion de moi, fais-moi miséricorde ! »

Ce cri de détresse et cette force qui l’habite jaillissent d’un cœur pur, d’un cœur sincère et ouvert à Dieu… Dieu lui-même n’est certainement pas étranger à sa démarche : « L’Esprit vient au secours de notre faiblesse ; car nous ne savons que demander pour prier comme il faut ; mais l’Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables, et Celui qui sonde les cœurs sait quel est le désir de l’Esprit et que son intercession pour les saints correspond aux vues de Dieu » (Rm 8,26-27). L’Esprit inspire sa prière… Il le pousse à demander ce que Dieu veut lui donner…

Or « moi et le Père, nous sommes un », dit Jésus (Jn 10,30). Bien différents l’un de l’autre, ils sont unis l’un à l’autre dans la communion d’un même Esprit, d’un même Amour (Jn 4,24 ; 1Jn 4,8.16). Et dans ce Mystère de Communion, ce que dit le Fils est Parole du Père (Jn 12,49-50 ; 17,8), une Parole à laquelle l’Esprit de Vérité ne cesse de rendre témoignage au cœur de celui ou celle qui l’accueille (Jn 15,26). La demande de ce mendiant est inspirée par l’Esprit, soutenue par la force de l’Esprit ? L’Esprit ne peut que lui rendre témoignage au cœur de Jésus, ce cœur pur entièrement tourné au Père, habité par le seul désir d’accomplir sa volonté (Jn 1,18 ; 4,34 ; 5,30 ; 6,38). Jésus perçoit dans sa demande cette Présence de l’Esprit. Aussitôt, il s’arrête, car à travers cet homme, c’est le Père en fait qui lui adresse un appel, et Jésus fait toujours ce qui plaît au Père (Jn 8,28-29), par amour…

« Jésus s’arrêta et dit : « Appelez-le » »… Mais avec le Fils, cette Parole est elle aussi Parole de Dieu : elle a tout le poids de l’Esprit qui se joint à elle pour la dire aux cœurs de bonne volonté : « En effet, celui que Dieu a envoyé prononce les Paroles de Dieu car il donne », au même moment, « l’Esprit sans mesure » (Jn 3,34). Et Bartimée est un homme de bonne volonté, ouvert, disponible, attentif, spontané… Marc met alors dans la bouche des disciples une phrase que nous devrions toujours garder en nos cœurs : « Aie confiance ! Lève-toi, il t’appelle. »

« Aie confiance »… « C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour »… « O Jésus !… je sens que si par impossible tu trouvais une âme plus faible, plus petite que la mienne, tu te plairais à la combler de faveurs plus grandes encore, si elle s’abandonnait avec une entière confiance à ta miséricorde infinie… On pourrait croire que c’est parce que je n’ai pas péché que j’ai une confiance si grande dans le bon Dieu. Dites bien, ma Mère, que si j’avais commis tous les crimes possibles, j’aurais toujours la même confiance, je sens que toute cette multitude d’offenses serait comme une goutte d’eau jetée dans un brasier ardent  » (Ste Thérèse de Lisieux)…

« Lève-toi, ἔγειρε ! » Or, ce verbe, ἔγειρω, est celui de la résurrection : « Eveiller, réveiller, s’éveiller, faire se lever, ressusciter ». « Lève-toi, il t’appelle. » Et quand Dieu appelle à faire quelque chose, il donne toujours la grâce qui permet d’accomplir ce qu’il demande. « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés », nous demande Jésus (Jn 15,12) ? « L’Amour de Dieu », l’Amour avec lequel Dieu nous aime, précise en note la Bible de Jérusalem, « a été versé dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5). L’appel devient alors révélation indirecte de la grâce donnée. Ce mendiant aveugle a vraiment le cœur ouvert à Dieu : « il bondit aussitôt et vint à Jésus ». Derrière cette spontanéité, cette promptitude à obéir à l’appel lancé, se cache une nouvelle fois l’œuvre de l’Esprit, l’Esprit par lequel le Père ressuscitera son Fils (Rm 1,4), l’Esprit qui communique la Vie même de Dieu (Jn 6,63 ; Ga 5,25) et avec elle, enthousiasme, fraicheur, simplicité… « Et si l’Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité le Christ Jésus d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous » (Rm 8,11). Voilà ce qui se passe déjà au cœur de Bartimée… L’Esprit de la Résurrection remplit son cœur et lui donne de « se lever », de « s’éveiller » à une Vie nouvelle…

Mais St Marc, qui s’adresse à des lecteurs invités à lire la Bible à la lumière de tous ses symboles, précise qu’il « rejeta son manteau ». Il est mendiant, aveugle… Ce manteau est son unique richesse, ce qui le protège des nuits très froides de la Palestine. La Loi prévoyait d’ailleurs que si un pauvre avait donné son manteau en gage d’un emprunt, « tu le lui rendras au coucher du soleil : il se couchera dans son manteau, il te bénira et ce sera une bonne action aux yeux du Seigneur ton Dieu » (Dt 24,13). Mais le manteau, dans la Bible, dit quelque chose du mystère de celui qui le porte… Dieu Lui-même apparaît ainsi comme « vêtu de faste et d’éclat, drapé de Lumière comme d’un manteau » (Ps 104(103),1 ; 93(92),1). Et Isaïe écrit, en pensant à Israël, ce Peuple de Dieu dont il fait partie : « Je suis plein d’allégresse dans le Seigneur, mon âme exulte en mon Dieu, car il m’a revêtu de vêtements de salut, il m’a drapé dans un manteau de justice » (Is 61,10), c’est-à-dire « il m’a sauvé, il a fait de moi un homme juste »… « Vous êtes tous fils de Dieu », écrira St Paul, « par la foi, dans le Christ Jésus. Vous tous en effet, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ : il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus » (Ga 3,26-28), unis l’un à l’autre dans la communion de cet Unique Esprit que vous avez tous reçus par votre foi. « Aussi bien est-ce en un seul Esprit que nous tous avons été baptisés pour former un seul corps, Juifs ou Grecs, esclaves ou hommes libres, et tous nous avons été abreuvés d’un seul Esprit » (1Co 12,13). « Dieu est Esprit » (Jn 4,24)… Avec le Don de l’Esprit, nous avons donc tous part à cette « insondable richesse du Christ » (Ep 3,8) qu’il est venu offrir dès maintenant à tout homme de bonne volonté, dans la foi et par notre foi. « Car en lui habite corporellement toute la Plénitude de la Divinité, et vous vous trouvez en lui associés à sa Plénitude… Ensevelis avec lui lors du baptême, vous en êtes aussi ressuscités avec lui, parce que vous avez cru en la Force de Dieu qui l’a ressuscité des morts. Vous qui étiez morts du fait de vos fautes, Il vous a fait revivre avec lui ! Il nous a pardonné toutes nos fautes ! » (Col 2,9‑13). Voilà ce que Bartimée expérimente déjà… Aussi, abandonne-t-il sur le bord du chemin son unique richesse : il commence à découvrir le Trésor du Royaume (Mt 13,44-46)…

Assis, blessé au bord du chemin de la vie, il rencontre celui qui est venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs. « Car ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades » (Lc 5,31-32). Un pécheur voyant Bartimée « rejeter son manteau » pensera aussitôt à cette vie de péché que nous devons rejeter si nous désirons accueillir le Christ, « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29) et donne gratuitement, par amour, la Plénitude de Vie dont nous étions tous privés par suite de nos fautes… « Car le salaire du péché, c’est la mort ; mais le Don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 6,23). Et ce Don est celui de « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63), l’Esprit de la Résurrection, l’Esprit qui communique la Vie nouvelle et éternelle…

 

« Alors Jésus lui adressa la parole : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » » Ainsi est Dieu dans son Amour, toujours respectueux de notre liberté, ne faisant rien pour nous – et avec lui, c’est toujours « le meilleur » – sans notre consentement… Voilà pourquoi St Bernard disait : « Consentir, c’est être sauvé. » A l’homme qui était infirme depuis trente huit ans, et qui gisait au bord d’une piscine que l’on croyait magique, espérant jour après jour sa guérison, Jésus s’approcha et lui dit : « Veux-tu devenir sain ? » (Jn 5,1-9). Qui ne le voudrait pas ! Mais cette question va bien au-delà de la seule réalité physique. Les guérisons corporelles, dans les Evangiles, sont les signes visibles d’une guérison, elle, invisible : celle des cœurs que Dieu veut libérer par son pardon. Le péché les maintenait dans l’obscurité du cachot intérieur, les chaînes de l’esclavage, opprimés et souffrants (Lc 4,18-19 ; Jn 8,31-36 ; Gal 5,1 ; Rm 2,9) ? Le Christ, si nous l’acceptons de tout cœur, est venu nous libérer de ces chaines et nous donner de « devenir sain » : « à tous ceux qui l’ont accueilli, à ceux qui croient en lui, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1,12), vivants de la Vie même de Dieu, et telle est notre vocation à tous. «  Père, glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie et que, selon le pouvoir que tu lui as donné sur toute chair, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés ! » « Je suis venu » en effet « pour qu’on ait la vie et qu’on l’ait surabondante » (Jn 17,1-2 ; 10,10). « Veux-tu devenir sain ? »  « Veux-tu devenir » ce que Dieu veut que tu sois, ce que tu es déjà à ses yeux puisqu’il t’a créé, « un enfant de Dieu » appelé à partager la Plénitude de sa Vie ? Mais cette volonté de Dieu à notre égard ne s’accomplira pas sans notre « Oui ! » libre, conscient, responsable (cf. Ap 3,20)…

« Veux-tu devenir sain ? » Mais cette question s’adresse à nous pécheurs, blessés, à la volonté si souvent défaillante. Ne voulons-nous pas à certains jours le mal plus que le bien ? St Paul, pécheur comme nous tous, a écrit à ce sujet des lignes magnifiques : « Moi, je suis un être de chair, vendu au pouvoir du péché. Vraiment ce que je fais je ne le comprends pas: car je ne fais pas ce que je veux, mais je fais ce que je hais… En réalité ce n’est plus moi qui accomplis l’action, mais le péché qui habite en moi… Vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l’accomplir puisque je ne fais pas le bien que je veux et commets le mal que je ne veux pas… Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps qui me voue à la mort ? Grâces soient à Dieu par Jésus Christ notre Seigneur ! » (Rm 7,14-25). Il faudra donc toute la Force de l’Esprit pour que, petit à petit, jour après jour, de miséricorde en miséricorde, d’affermissement en affermissement, le pécheur puisse arriver à renoncer à ce mal qui le tue pour choisir le bien, et avec lui, cette Plénitude de Vie que Dieu veut voir régner en nous par le Don de l’Esprit…

« L’aveugle lui répondit : Rabbouni, que je recouvre la vue ! » Une fois de plus, ce que va vivre Bartimée est signe visible, révélation visible de ce que Dieu veut réaliser de manière invisible dans tous les cœurs… Nos cœurs se sont détournés de la Source d’Eau Vive (Jr 2,13 ; 17,13 ; Jn 7,37-39), de ce Seigneur qui est « un Soleil, et qui donne la grâce, donne la Gloire » (Ps 84(83,12) ? Privés de sa Lumière, ils sont dans les ténèbres ? Mais si « Dieu Est Lumière » (1Jn 1,5), Il Est aussi « Esprit » (Jn 4,24) et « c’est l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63). Etre dans les ténèbres, c’est donc aussi être privé de la Plénitude de sa Vie. « Va, ta foi t’a sauvé », dit Jésus à Bartimée. Sa confiance, son abandon de cœur a permis à Dieu d’accomplir en lui sa volonté : qu’il soit vraiment son enfant, vivant de sa Vie par « l’Esprit qui vivifie », « l’Esprit » qui est Lumière, « la Lumière de la Vie » (Jn 8,12)… « Aussitôt, il recouvra la vue, et il cheminait à sa suite »… « Les yeux » de son cœur se sont « ouverts » (Lc 24,31)… « Illuminés par l’Esprit » (Ep 1,18), ils peuvent désormais percevoir, dans la foi, le Christ « Lumière du monde », Lui qui est « avec nous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20). Désormais, Bartimée s’efforcera de le suivre, jour après jour, en comptant sur le soutien de sa grâce et en essayant de « ne jamais désespérer de la Miséricorde de Dieu » (St Benoît). Il vivra dans l’obéissance vis-à-vis de Celui dont il vient d’expérimenter l’Amour, Lui qui n’est que recherche inlassable du meilleur pour chacun d’entre nous. Et Jésus le sait, ce meilleur est de vivre ce qu’il vit de toute éternité. C’est pour cela qu’il nous a rejoints dans notre condition humaine, pour nous révéler le Père, sa volonté, ce que nous sommes tous appelés à devenir : des enfants de Dieu vivants de sa Vie, cette Vie que le Fils reçoit du Père de toute éternité. Jésus est ainsi « le Chemin, la Vérité et la Vie », le Chemin qui, par la Vérité, conduit à la Vie. D. J. Fournier

[1] Nous sommes bien ici dans l’Ancien Testament qui, très souvent, renvoie tout à Dieu, le bien comme le mal. Cette manière de voir les choses correspond à une perception encore imparfaite du Mystère de Dieu et de sa Toute Puissance. Le Nouveau Testament présentera bien « la Miséricorde Toute Puissante » de Dieu (Lc 1,49-50), mais avec le Christ, c’est un Dieu Amour qui se révèlera, prêt à supporter les pires souffrances pour la conversion et le salut de ceux-là mêmes qui le font souffrir. « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34). Et Pierre, en s’adressant à eux, leur dira : « C’est pour vous d’abord que Dieu a ressuscité son Serviteur et l’a envoyé vous bénir, du moment que chacun de vous se détourne de ses perversités » (Ac 3,26). « Dieu », qui « Est Amour » (1Jn 4,8.16), ne peut donc répondre au mal par le mal : son éternelle Bienveillance continuera à poursuivre, envers et contre tout, le bien de ceux-là mêmes qui pourraient lui vouloir ou lui faire, en Jésus Christ, du mal… Il faut donc lire ici non pas « il a déchiré », « il a frappé », mais « le péché a déchiré », « le péché a frappé », ce péché étant soit le mal que nous mêmes nous commettons, et qui nous blesse toujours profondément en premier (cf. Rm 2,9 ; 3,23), soit le mal que nous pouvons subir de la part d’autrui…

                                                                                                                                                       D. Jacques Fournier

Fiche n°19 (Mc 10,32-52) Document PDF pour une éventuelle impression