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Mc 1,14-39 : Les premiers signes de la proximité du Royaume

1 – Mc 1,14-15 : la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu

Jean-Baptiste disparaît de la scène et passe le relais à Jésus qui, de suite, va en Galilée. Cette province était située au nord de la Palestine, et elle était entourée de territoires païens : au nord et à l’ouest, la région de Tyr et de Sidon (l’actuel Liban), au sud‑est, une confédération de dix villes, la Décapole (l’actuelle Jordanie) et au nord-est, la Trachonitide (l’actuelle Syrie). Au Sud se trouvait la Samarie, héritière de l’ancien Royaume israélite du Nord ; avec le temps, les samaritains étaient devenus les « frères ennemis » des habitants de Jérusalem et de sa région (cf Jn 4,9).

Avec une telle position géographique, on comprend que le prophète Isaïe ait appelé la Galilée (mot hébreu qui signifie « district, région ») « le district des nations ». Et pour St Marc comme pour St Matthieu, cette venue de Jésus en Galilée accomplit pleinement, et pour toutes les nations, la prophétie messianique rapportée en Is 8,23b‑9,6 (cf Mt 4,12-17).

Nous pouvons d’ailleurs mieux comprendre ce qu’est « la Bonne Nouvelle » de ce « Royaume de Dieu tout proche » (Mc 1,14) en lisant ce texte du prophète Isaïe. La Galilée, « district des nations », autrefois humilié, va être glorifié car le Fils Unique de Dieu, « le Seigneur de la Gloire » (1Co 2,8), y établira sa demeure en se faisant homme parmi les hommes. Cet enfant naîtra pour nous : il est le grand cadeau que Dieu offre au monde (Is 9,5 ; Jn 6,32-33). Avec Lui, la Lumière du Dieu Lumière (1Jn 1,5) vient nous visiter (Lc 1,76-79) pour nous arracher au pouvoir des ténèbres, du mal, du péché et de la mort (Col 1,13-14 ; Jn 1,4-5, 8,12 et 12,46 ; Ac 26,16-18), nous libérer de son joug (Is 9,3 ; Jn 8,31-36) et nous donner de vivre dès maintenant, dans la foi, un mystère de communion avec Dieu (1Jn 1,1‑4).

Ce Fils appartiendra, par Joseph, son père adoptif, à la lignée de David et il sera Roi, accomplissant ainsi la promesse faite à David par le prophète Nathan (2Sm 7,12‑16) : « Ta maison et ta royauté subsisteront à jamais devant toi ; ton trône sera affermi à jamais» Par ce Fils Roi, par ce « Prince de Paix », Dieu mettra en œuvre la Toute Puissance de son Amour pour que sa Paix règne dans les cœurs (Col 3,15 ; Ph 4,4-7). Cette Paix de Dieu accueillie par les hommes de bonne volonté (Lc 2,14) les transformera en « artisans de paix » (Mt 5,9) : soutenus par ce « Dieu-fort », ils lutteront contre toutes formes de guerre, en commençant par leur propre cœur, leur famille, leurs relations professionnelles… Chacun travaillera ainsi, à sa mesure, à ce que disparaissent « les chaussures qui résonnent sur le sol », et les « manteaux roulés dans le sang »… Voilà ce que fera, « dès maintenant et à jamais, l’amour jaloux du Seigneur Sabaoth » (Is 9,6 BJ) : c’est Lui qui nous le promet, et Il fait toujours ce qu’Il dit…

Avec Jésus, Dieu a vraiment accompli toutes ses promesses : « les temps sont accomplis » car le Christ, en mourrant pour nous sur la croix et en ressuscitant des morts a « tout accompli » (Jn 19,28-30) ; du côté de Dieu, tout est fait, tout est déjà donné … D’où l’appel de Jésus : « Convertissez-vous et croyez à cette Bonne Nouvelle ». A nous maintenant de nous convertir, c’est-à-dire de nous détourner de cœur de tout mal pour nous tourner de cœur vers Dieu. Nous pourrons alors accueillir par la foi et dans la foi sa grâce donnée en surabondance. Il est en effet « un Soleil » qui donne et donne encore « la grâce et la gloire » (Ps 84(83),12). Or, « la gloire » n’est que la manifestation d’une manière ou d’une autre de ce qu’Il Est. Un feu, par exemple, ne peut qu’émettre de la lumière ou de la chaleur. Or, l’image du feu est aussi employée pour évoquer le Mystère de Dieu : « Le Seigneur ton Dieu est un feu dévorant » (Dt 4,24). Pensons au buisson que vit Moïse : « Dieu lui apparut dans une flamme de feu, du milieu d’un buisson. Moïse regarda : le buisson était embrasé mais il ne se consumait pas. Dieu vit qu’il faisait un détour, pour voir » (Ex 3,2-4)… Que voyait Moïse ? Il voyait la lumière qui jaillissait de ce feu, il voyait la Gloire que rayonnait la Présence de Dieu… Pas de Gloire sans Dieu Lui-même : elle est « le rayonnement », « la manifestation », d’une manière ou d’une autre de son Être… Alors, quand le Psaume 84 présente Dieu comme un « Soleil » qui « donne la gloire », puisqu’il n’existe pas de « gloire de Dieu » sans ce que Dieu Est en lui-même, nous voyons déjà que le Psalmiste nous présente Dieu comme se donnant Lui-même. Il donne et ne cesse de donner ce qu’Il Est en Lui-même. Le pécheur, en se détournant de Dieu, se prive de ce Don que Dieu ne cesse de faire de lui-même… « Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » (Rm 3,23). Mais s’il répond à l’appel de Celui qui est venu le rejoindre dans ses ténèbres pour lui proposer le pardon de tous ses péchés (Lc 1,76-79 ; 5,20) et l’inviter à se tourner de tout cœur vers la Lumière, il ne pourra que découvrir cette Lumière en l’accueillant… Elle ne vient pas de lui, elle n’est pas avant tout le résultat de ses efforts ni le fruit de ses bonnes actions. Elle est là car « Dieu est un Soleil », il brille, brille, et ne cesse de briller : « Il donne sa gloire » et donc ce qu’Il Est en Lui-même… « Père, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée » (Jn 17,22)… Or « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), « Dieu est Saint » (Lv 11,44-45 ; 19,2 ; 20,26 ; 21,8 ; 1P 1,16 ; Is 57,15 ; Ps 99(98),3.5). Donner la gloire, c’est donc donner l’Esprit Saint… « Recevez l’Esprit Saint », dit Jésus à ses disciples. Et encore : « Jésus, debout, s’écria : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi ! selon le mot de l’Écriture : De son sein couleront des fleuves d’eau vive. Il parlait de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui avaient cru en lui » (Jn 20,22 ; 7,37‑39).

Et Dieu est toujours là, le premier, pour nous aider à nous tourner vers Lui : sa Présence offerte est à la base de notre conversion (Jn 6,65). Il nous invite (Lc 14,15‑24 ; Ap 19,9), Il nous encourage (Jn 16,33 ; Ac 23,11 ; Lc 18,1), Il nous réconforte, Il nous console (2Co 1,3-7 ; Rm 15,5-6 ; 2Th 2,16-17), Il nous attire (Jn 6,44 ; 12,32), Il nous pousse (Lc 2,27), Il nous porte (Lc 15,4-6) de telle sorte que « se convertir » est encore un don de Dieu (Ac 5,30-32 ; 11,18) : il suffit simplement de ne pas lui dire « non », de consentir à sa Présence et à son action, de le laisser faire en nos cœurs et en nos vies ce qu’il désire. En un mot, il s’agit de le « suivre »…

 

2 – Marc 1,16-20 : l’appel des premiers disciples

 St Marc a dans la tête un schéma type « d’appel » qu’il emploie ici par deux fois :

Mc 1,16-18 : l’appel de Simon et André

1 – Comme il passait sur le bord de la mer de Galilée,

2 – il vit Simon et André, le frère de Simon,

qui jetaient l’épervier dans la mer; car c’étaient des pêcheurs.

3 – Et Jésus leur dit :

«Venez à ma suite et je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes.»

4 – Et aussitôt, laissant les filets,

5 – ils le suivirent.

Mc 1,19-20 : l’appel de Jacques et Jean

1 – Et avançant un peu,

2 – il vit Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère,

eux aussi dans leur barque en train d’arranger les filets;

3 – et aussitôt il les appela.

4 – Et laissant leur père Zébédée dans la barque avec ses employés,

5 – ils partirent à sa suite.

Jésus a l’initiative ; c’est Lui qui, le premier, va vers ses futurs disciples (1) et il pose sur eux un regard d’amour (2) qui va jusqu’au plus profond d’eux-mêmes (Jn 1,47‑50). Jésus les rejoint dans leurs occupations habituelles (2) et il leur parle (3) ; sa Parole a l’efficacité de la Parole créatrice de Dieu : « Il dit et cela fut » (Gn 1,3…). A cette Parole qui leur était directement adressée, les disciples eurent-ils « le cœur tout brûlant » (Lc 24,32) ? Le texte ne le dit pas… Toujours est-il qu’ils se mettent aussitôt à « suivre » celui qui, dorénavant, aura toujours la première place dans leur vie. On peut aussi remarquer que Jésus leur présente leur nouvelle vocation en employant un langage qu’ils connaissent bien : celui de la pêche. Et ce sera encore Jésus qui leur donnera de pouvoir répondre à son appel : « Je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes »… (2Co 3,4‑6 ; 1Co 15,10 ; Jn 1,12). Enfin, il sera toujours avec eux, jusqu’à la fin du monde (Mt 28,28) ; il marchera devant eux et il les guidera sur le chemin de leur mission : laissant tout (4), ils partirent à sa suite (5)

Il en est toujours ainsi dans notre vie chrétienne : Dieu est toujours avec nous (Mt 6,6 ; 28,20 ; Jn 14,15-17), offert à notre foi, nous guidant sur le chemin de notre vie et nous donnant toujours tout ce qu’il faut pour que nous puissions répondre à ses appels. Ainsi par exemple pour le commandement de l’amour (Jn 15,17) : la grâce reçue au jour de notre baptême nous aide, jour après jour, à le mettre en œuvre (Rm 5,5)… A nous maintenant de lui ouvrir notre cœur par la prière pour recevoir le Don de Dieu (Ac 2,38).

 

3 – Mc 1,21-28 : à la synagogue de Capharnaüm

 Ce texte est construit de façon symétrique autour d’un centre : Jésus et sa Parole Toute Puissante qui impose silence aux esprits mauvais et les expulse hors de l’homme (A’ répond à A, B’ à B, C’ à C, et au milieu, D, la Parole de Jésus) :

(21) A – Ils pénètrent à Capharnaüm.

              Et aussitôt, le jour du sabbat, étant entré dans la synagogue, il enseignait.

(22)                   B – Et ils étaient frappés de son enseignement,

                                               car il les enseignait comme ayant autorité, et non pas comme les scribes.

(23)                                   C – Et aussitôt il y avait dans leur synagogue un homme possédé d’un esprit impur,

                                                qui cria (24) en disant : « Que nous veux-tu, Jésus le Nazarénien ?

                                                                                         Es-tu venu pour nous perdre ?

                                                                                         Je sais qui tu es : le Saint de Dieu. »

(25)                                                         D – Et Jésus le menaça en disant: « Tais-toi et sors de lui ! »

(26)                                   C’ – Et le secouant violemment, l’esprit impur cria d’une voix forte et sortit de lui.

(27)                    B’ – Et ils furent tous effrayés, de sorte qu’ils se demandaient entre eux:

                                               « Qu’est cela? Un enseignement nouveau, donné d’autorité !

                                                Même aux esprits impurs, il commande et ils lui obéissent ! »

(28) A’ – Et sa renommée se répandit aussitôt partout, dans toute la région de Galilée.

Faisons quelques remarques :

  • Les mots « enseigner » et « enseignement » reviennent souvent (v. 21-22 et 27) : la mission principale de Jésus est d’enseigner la Bonne Nouvelle : « Dieu est tout proche» (Mc 1,38 ; Lc 4,42-44), sa Lumière éclaire déjà notre vie (Jn 1,9)…

  • La notion « d’autorité » (pouvoir, capacité) est importante : Jésus peut vraiment faire ce qu’Il dit. Ce mot lui est appliqué sept fois en St Marc, symbole de perfection. L’autorité (pouvoir, capacité) de Jésus est en fait celle-là même de Dieu. Il la mettra en œuvre pour remporter la victoire sur toute force hostile, pour pardonner les péchés (Mc 2,10) et instaurer ainsi le Règne de Dieu parmi les hommes. Et ce Règne sera avant tout celui de la Miséricorde. Celui et celle qui la recevront en seront bien sûr les premiers bénéficiaires. Mais s’ils acceptent en vérité que cette Miséricorde règne en eux sur leur misère, cette Présence en eux de la Miséricorde de Dieu les invitera aussi à pratiquer la Miséricorde pour tous ceux et celles qui les entourent… « Heureux» alors seront-ils, car nul ne peut donner ce qu’il n’a d’abord reçu. « Donner la Miséricorde » sera bien le fruit objectif qui montrera qu’ils l’ont d’abord reçue. Et « heureux» tous ceux et celles qui, en recevant la Miséricorde de Dieu, en seront les premiers bénéficiaires (Mt 5,7) !

Aujourd’hui, ce récit de victoire sur « l’esprit impur » nous invite à remettre au Seigneur notre cœur et notre vie pour qu’il fasse de même pour nous. Par sa mort et sa résurrection, Il a remporté la victoire sur le Prince de ce monde. Libre et souveraine, sa Lumière a jailli des ténèbres du tombeau et de la mort et celles‑ci n’ont rien pu faire pour la retenir (Jn 1,5 ; 14,30). Puis, selon sa promesse, le Christ ne nous a pas laissés orphelins : sans cesse, il vient à nous (Jn 14,18), il se propose à notre cœur et à notre foi (Ap 3,20) pour nous prendre auprès de Lui dans un mystère de communion avec Lui et avec son Père en un seul Esprit (Jn 14,3 ; 17,20-24 ; 1Co 1,9 ; 2Co 13,13 ; 1Jn 1,3), l’Esprit d’Amour (Jn 4,24 avec 1Jn 4,8.16 ; Rm 5,5 ; Ga 5,22) et de Miséricorde (Rm 15,9 ; 2Co 1,3 ; Ep 2,4 ; Tt 3,5 ; Lc 1,50.54.78 ; 6,36). Dieu veut en effet que « nous entrions en possession du Salut par notre Seigneur Jésus Christ qui est mort pour nous afin que, éveillés ou endormis, nous vivions unis à Lui » (1Th 5,10). Ce mystère d’union au Christ est le grand cadeau de notre baptême : ce jour-là, nous avons reçu le don de l’Esprit Saint, ce même Esprit qui habite en plénitude le cœur de Jésus et celui du Père. D’une manière invisible mais bien réelle, Dieu nous a alors offert, dans sa grande miséricorde, de vivre « unis à Lui », « en communion avec Lui » (1Jn 1,3) dans la foi et par notre foi. Tel est « l’espace » ouvert à notre cœur (Jn 10,9), un « espace » où Dieu règne : tout ce qui n’est pas en harmonie avec Lui ne peut qu’être « jeté dehors » (Jn 12,31), hors de ce mystère de communion, et donc hors du cœur de l’homme, hors de notre cœur. « Tais‑toi et sors de lui ! »… Laissons le Christ ressuscité prononcer en nous la même Parole, jour après jour. Il sera la victoire de nos combats (Rm 16,20), et il nous donnera de vivre sans crainte (Mt 8,26 ; Jn 14,1), dans son amour (Jn 15,9-11) et dans sa paix (Jn 14,27).

 

4 – Mc 1,29-31 : guérison de la belle-mère de Simon

Ce texte très simple est comme un résumé de toute la vie chrétienne.

Une fois de plus, Jésus a l’initiative : « Il vient ! » Il entre dans la maison de Simon, le futur Pierre (Mc 3,13-16 ; Mt 16,15-19), avec André son frère, Jacques et Jean. La belle‑mère de Simon est au lit avec de la fièvre. Comme nous le verrons plus en détail à l’occasion de la guérison du lépreux (Mc 1,40-45), la maladie était comprise à l’époque comme une conséquence du péché : étendue sur son lit, souffrante, la belle-mère de Simon représente ici toute l’humanité malade du péché, blessée dans sa vie, incapable de vivre pleinement, d’être pleinement elle-même. Elle vit, mais elle est étendue comme une morte. Pensons à tous ceux et celles qui, pour une raison ou pour une autre, sont blessés dans leur vie, dans leur chair, assoiffés de bonheur mais écrasés, anéantis, notamment par toutes ces drogues qui n’apportent qu’un bonheur fugace, et ne laissent derrière elles que des champs de ruines…

Jésus vient visiter cette humanité malade pour la remettre sur pied. Qu’elle soit pleinement ce que Dieu veut qu’elle soit : remplie de sa vie dans « la Plénitude de l’Esprit » (Ep 5,18), « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63 ; Rm 8,2 ; 2Co 3,6). C’est « là » qu’est la vraie Vie (Ga 5,25), la vraie joie (1Th 1,6), le vrai bonheur, profond et durable… La Présence de Jésus auprès de tous ces hommes blessés est le fruit des « entrailles de miséricorde de notre Dieu » : bouleversé jusqu’au plus profond de lui-même par leurs souffrances (Lc 1,76-79), Dieu n’a pas pu rester sans rien faire. Alors, il est venu nous rejoindre en la Personne de son Fils pour nous arracher à tout ce qui nous détruit, nous attriste, nous plonge dans l’amertume, le désespoir, « la souffrance ». « Souffrance et angoisse à toute âme humaine qui s’adonne au mal » (Rm 2,9). En un mot, il est venu nous « arracher » au mal et à son cortège de ténèbres et de souffrances, pour nous « transférer » dans son Royaume où, dans l’Esprit, il nous est déjà donné de vivre de sa Vie dans la foi et par notre foi. « Avec joie, vous remercierez le Père qui vous a mis en mesure de partager le sort des saints dans la lumière. Il nous a en effet arrachés à l’empire des ténèbres et nous a transférés dans le Royaume de son Fils bien-aimé, en qui nous avons la rédemption, la rémission des péchés » (Col 1,11-13). Il nous a ainsi donnés « d’entrer dans sa vie », de « vivre de sa vie », et de connaître ainsi la paix du cœur, fondement du vrai bonheur… « Je vous laisse la paix ; c’est ma paix que je vous donne ; je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Que votre cœur ne se trouble ni ne s’effraie ». « Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète » (Jn 14,27 ; 15,11). Or, celui qui nous parle ainsi s’adresse à notre cœur profond… Lui ouvrirons-nous la porte (cf. Ap 3,20) ? Si nous consentons à répondre à son appel, puisque « celui que Dieu a envoyé prononce les paroles de Dieu, car il ne mesure pas le don de l’Esprit » (Jn 3,34), avec cette Parole reçue nous recevrons également ce « Don de l’Esprit » et son fruit en nous : paix, joie…

Voilà ce qui se passe ici, en images, avec la belle-mère de Simon… Jésus vient, il nous prend par la main et nous qui étions séparés de Dieu par suite de nos fautes, nous voilà de nouveau avec Lui grâce à son Fils, main dans la main en signe d’un cœur à cœur… Et ce contact que Jésus Lui-même établit avec nous est un contact vital : unis de cœur avec Lui grâce à son initiative, à son action, à sa miséricorde et à son pardon, la Vie peut à nouveau passer entre Lui et nous (Jn 10,10)… Et voici que la malade « se lève » : St Marc emploie ici le même verbe qu’il utilisera en Mc 16,6 (cf 16,1-8) pour dire de Jésus qu’il est « ressuscité » d’entre les morts. La Vie de Jésus remporte la victoire sur toutes nos morts, « son amour envers nous s’est montré le plus fort » (Ps 117(116)). Mais puisque Dieu est Amour (1Jn 4,8 et 4,16) la Vie de Dieu est « Vie d’Amour », « dynamisme d’amour », « force pour aimer » : la belle-mère de Simon revenue de la mort, « ressuscitée » par la Vie de Jésus se met aussitôt à le servir avec amour, Lui et ses disciples.

Et tout ceci se réalise très concrètement par le Don de son Esprit avec lequel Jésus frappait à la porte de son cœur… « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16), cet Esprit est « un Esprit de Force, d’Amour » (2Tm 1,7) qui lui donne de pouvoir se lever et de servir, par amour…

« Dieu, qui est riche en miséricorde,

à cause du grand amour dont Il nous a aimés,

alors que nous étions morts par suite de nos fautes,

il nous a fait revivre avec le Christ

– c’est par grâce que vous êtes sauvés! -,

avec lui Il nous a ressuscités et fait asseoir aux cieux, dans le Christ Jésus.

Il a voulu par là démontrer dans les siècles à venir

l’extraordinaire richesse de sa grâce, par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus.

Car c’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, moyennant la foi.

Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu ;

il ne vient pas des œuvres, car nul ne doit pouvoir se glorifier.

Nous sommes en effet son ouvrage, créés dans le Christ Jésus

en vue des bonnes œuvres que Dieu a préparées d’avance

pour que nous les pratiquions. »

Le message de ce dernier texte de St Paul est identique à celui de la guérison de la belle-mère de Simon. Dans sa Miséricorde, Dieu agit en premier… En Jésus Christ, il a pris l’initiative de se faire homme et de se donner pour chacun d’entre nous sur le bois de la Croix. Ressuscité, il continue invisiblement à venir à nous, à nous chercher, à nous rejoindre par les uns et par les autres… De multiples manières, il frappe ainsi à la porte de nos cœurs par le Don de son Esprit. Si nous consentons à lui ouvrir, alors, sa grâce purifiera notre être comme la Lumière qui, par sa simple Présence, chasse les ténèbres. Avec elle et par elle, il nous prendra, nous fera lever, nous attirera à sa suite, et nous donnera de pouvoir, comme lui, nous mettre au service de nos frères. Alors, nous goûterons à sa joie.

Nous voyons bien que ce ne sont pas nos œuvres qui nous méritent le salut, comme une récompense accordée après un certain nombre de bonnes actions… Non, le salut de Dieu est premier. La gratuité absolue de son Amour est première… Dieu donne, simplement parce qu’il Est éternellement Don de Lui-même, comme le Soleil qui ne cesse de donner sa Lumière, comme la Source qui ne cesse de donner son Eau (Jr 2,13 ; 17,13)… En Jésus Christ, Dieu Esprit (Jn 4,24) donne l’Esprit… Et nous avons tous été créés pour le recevoir comme la base première qui permet la vie, un Don qui rend possible une vie donnée… Ainsi, avant de donner une feuille nouvelle, la plante commence-t-elle par recevoir la Lumière… Avant de donner une grappe nouvelle, le sarment de vigne commence-t-il par recevoir la sève du pied de vigne… Or, « Je Suis la vigne », nous dit Jésus, « et vous les sarments. Celui qui demeure en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit ; car hors de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,5). Nos œuvres ne peuvent donc qu’être le fruit de la grâce donnée, de l’Esprit reçu… Alors, si « l’amour de Dieu a été versé dans nos cœurs par l’Esprit qui nous a été donné » (Rm 5,5), « le fruit de l’Esprit » ne pourra qu’être « amour, joie, paix » (Ga 5,22)… Nous participerons à la vie de Dieu qui n’est qu’Amour, c’est-à-dire don de soi‑même. Et en nous donnant comme la belle-mère de Simon, au service de Dieu et donc au service de nos frères, nous ne pourrons que vivre ce que Jésus a vécu : « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » (Ac 20,35). « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète » (Jn 15,11).

Comme l’écrira plus tard St Paul à propos du baptême et de ses conséquences, Christ s’est uni à notre mort pour que nous soyons unis à sa Vie (Rm 6,4 et 6,8), et le Père l’a ressuscité d’entre les morts par la Puissance de l’Esprit (Rm 1,1‑7). Grâce à ce même Esprit, il nous est maintenant possible de « mourir au péché » et donc de vivre non plus pour nous-mêmes, mais « pour Dieu en Jésus Christ », (Rm 6,11 ; 8,10-17), au service de Dieu, le Père de tous, et donc au service de tous les hommes, nos frères… « Si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur, et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Donc, dans la vie comme dans la mort, nous appartenons au Seigneur ». Et, « nous sommes vos serviteurs, pour l’amour de Jésus » (Rm 14,8 ; 2Co 4,5-6). Tel est le grand appel de notre vie chrétienne, de miséricorde en miséricorde…

Notons enfin que cette guérison, comme la précédente, a eu lieu « un jour de sabbat » (Mc 1,21). A l’origine, le Sabbat, septième jour de la création (Gn 2,1-3), était un jour béni où l’homme était invité à accorder une attention toute spéciale à sa relation à Dieu. En ce jour, Dieu « Source d’Eau Vive » (Jr 2,13) se donne à lui avec une intensité toute particulière et il l’invite à partager son intimité et sa paix. «  », dans un mystère de communion et d’amour, il découvre le vrai repos (Mt 11,28-30). Le Sabbat est ainsi fait pour l’homme (Mc 2,27) : déjà, dans la foi, il lui est donné de pressentir combien le Seigneur est bon (Ps 34(33),9), et à quelle Plénitude Dieu l’appelle (Ep 5,18)…

Mais au fil du temps, le but et la raison d’être du Sabbat s’étaient perdus : ce « jour pour Dieu » était devenu un jour où il fallait seulement « ne rien faire » (Ex 20,9-10). Jésus sera souvent attaqué lorsque Lui ou ses disciples « feront » quelque chose le jour du Sabbat (Lc 6,1-2 ; 6,6-11). Mais en fait Jésus « accomplit » le Sabbat car il est venu avant tout pour réconcilier tous les hommes avec Dieu, et leur permettre ainsi de vivre le mieux possible ce mystère de communion auquel nous sommes tous appelés (Ep 2,18). Les guérisons physiques ne sont que les signes extérieurs de cette guérison plus profonde qu’il est venu nous offrir, celle du cœur. Sauvé, pardonné, purifié et guéri par le Christ le jour du Sabbat, l’homme peut alors vivre pleinement sa relation à Dieu en ce jour du Sabbat…

 

5 – Mc 1,32-34 : guérisons multiples

Le Sabbat fini, au coucher du soleil, les Juifs pouvaient de nouveau « faire » ce qui leur était jusqu’alors interdit, et notamment porter un malade sur un brancard. Ceux qui avaient des malades les amènent donc à Jésus, mais la perspective est encore plus grande ici car St Marc précise bien que « la ville entière était rassemblée devant la porte » (Mc 1,33). Or Capharnaüm était une ville proche de la frontière avec la Trachonitide et la Décapole, et beaucoup d’étrangers y habitaient. La foule qui se rassemble autour de Jésus est donc composée de Juifs et de païens, et « beaucoup de malades » seront guéris, nous dit St Marc, sans nous préciser leur origine. St Luc écrira de son côté qu’il guérissait « chacun des malades » (Lc 4,41). Nous voyons donc ici, en actes, combien le salut de Dieu est offert gratuitement à tous les hommes, sans exception… Dieu est le Père de tous…

« Jésus ne laissait pas parler les démons, parce qu’ils savaient qui il était ». La Bible de Jérusalem écrit en note : « Aux démons (Mc1,25 ; 1,34 et 3,12), comme aux miraculés (1,44 ; 5,43 ; 7,36 ; 8,26) et même aux apôtres (8,30 ; 9,9), Jésus impose sur son identité messianique une consigne de silence qui ne sera levée qu’après sa mort, (Mt 10, 27) ». Le Peuple d’Israël « se faisant alors du Messie une idée nationaliste et guerrière fort différente de celle que voulait incarner Jésus, il lui fallait user de beaucoup de prudence pour éviter des méprises fâcheuses sur sa mission (cf. Jn 6, 15 ; Mt 13, 13). Cette consigne du “ secret messianique ” n’est pas une thèse artificielle inventée après coup par St Marc, ainsi que certains l’ont prétendu ; elle répond à une attitude historique de Jésus, encore que Marc en ait fait un thème sur lequel il aime à insister ».

 

6 – Mc 1,35-39 : Jésus quitte secrètement Capharnaüm et parcourt la Galilée

Alors que tout le monde dort encore, Jésus se lève et va prier dans un endroit désert. Toute la vie de Jésus était enracinée dans une relation de cœur avec son Père. « Il est Dieu né de Dieu, Lumière né de la Lumière, vraie Dieu né du vrai Dieu », disons‑nous dans notre Crédo. Jésus se recevait du Père, car le Fils se reçoit du Père de toute éternité… Dans la prière, il rejoignait les racines les plus profondes de son Être : le Père, par le Don de l’Esprit… Et nous, nous avons tous été créés « à l’image du Fils » (Rm 8,29). Nous sommes donc tous appelés, comme le Fils, à nous recevoir de Dieu dans la prière. Vivons‑nous assez cette aventure où nous ne pourrons, à notre tour, que trouver dans le silence et la paix du cœur, les racines de notre être ? « Il m’entraîne dans des silences profonds d’où je voudrais ne jamais sortir » (Elisabeth de la Trinité). « Comme le Père a la vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir la vie en lui-même… Comme je vis par le Père, de même celui qui me mangera », qui me recevra par sa foi et dans la foi, « lui aussi vivra par moi » grâce au Don de « l’Esprit qui vivifie » (Jn 5,26 ; 6,57 ; 6,63), cet Esprit dont un des fruits est la paix du cœur (Ga 5,22 ; Rm 14,17), « silence profond »…

Notre relation au Christ ressuscité est-elle le fondement de notre vie, « l’ancre » vers laquelle nous revenons sans cesse (Hb 6,18b-20) ? Le Christ nous donne ici l’exemple : commençons-nous notre journée par un instant de prière ? Il suffit d’un petit endroit tranquille : « Le Père est là dans le secret » (Mt 6,6), l’Esprit Saint, présent lui aussi à la demande expresse du Fils (Jn 14,15-17) « vient à notre secours, car nous ne savons pas prier comme il faut » (Rm 8,26-27). Et le Ressuscité lui-même est là lui aussi, avec nous, « tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20)…

Pour nous aider à vivre cette aventure de la prière du cœur comme Source de Vie, l’Eglise met à notre disposition « Prière du Temps Présent » où des prières (la prière de l’Eglise) fondées sur les Psaumes et réparties sur quatre semaines pourront nourrir notre prière du matin et du soir. N’oublions pas que ces Psaumes ont nourri avant nous la prière de Jésus (Mt 26,30 ; Mt 27,46 (Ps 22(21),2 ; Jn 19,28-30 (Ps 69(68),22).

En Mc 1,38, Jésus nous livre le cœur de sa mission : non pas guérir d’un coup de baguette magique toutes nos maladies mais proclamer « la Bonne Nouvelle » d’un Dieu  « tout proche » (Mc 1,15). Avec son Fils et par Lui, il vient s’offrir pour régner dans nos cœurs et dans nos vies, pour notre vrai bonheur, envers et contre tout… Le verbe sortir a ici un double sens : certes, Jésus est sorti de Capharnaüm, mais il est aussi « sorti » d’auprès du Père et venu dans le monde pour notre salut (Jn 8,42 ; 16,26-30 ; 17,8), pour nous donner d’avoir part à sa vie, en surabondance (Jn 10,10). Heureux alors tous ceux et celles qui accepteront de l’accueillir (Jn 20,29 car Jn 20,30-31)…

Fiche n°4 (Mc 1,14-39) – PDF en vue d’une éventuelle impression