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Mc 1,2-13 : La prédication de Jean-Baptiste, le baptême de Jésus.

La prédication de Jean-Baptiste :

                                l’accomplissement des Ecritures.

St Marc commence tout de suite par citer l’Ancien Testament pour bien montrer que le Christ accomplit toutes les prophéties et toutes les promesses (2Co 1,19-20) qu’il contient. C’est d’ailleurs ce qu’il déclare lui-même au moment de son arrestation, juste avant sa Passion : « Suis-je un brigand, que vous vous soyez mis en campagne avec des glaives et des bâtons pour me saisir ! Chaque jour j’étais auprès de vous dans le Temple, à enseigner, et vous ne m’avez pas arrêté. Mais c’est pour que les Écritures s’accomplissent » (Mc 14,48‑49).

Dieu « a parlé par les prophètes », disons-nous dans notre Crédo. Il leur a révélé ses volontés, ses projets. Isaïe avait ainsi annoncé la venue d’un mystérieux Serviteur « objet de mépris, abandonné des hommes, homme de douleur, familier de la souffrance. Or ce sont nos souffrances qu’il portait et nos douleurs dont il était chargé… Il portait le péché des multitudes, il intercédait pour les criminels… Par lui, la volonté du Seigneur s’accomplira : le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes en s’accablant lui-même de leurs fautes » (Is 52,13-53,12).

Jésus savait que tous ces textes le concernaient. Quand il les lisait, il découvrait quelles seraient les grandes lignes de sa mission. « Alors j’ai dit : « Voici, je viens, car c’est bien de moi qu’il est écrit dans le rouleau du livre : je suis venu, ô Dieu, pour faire ta volonté » (Hb 10,7). Et à ses disciples, il dira : « Voici que nous montons à Jérusalem et que s’accomplira tout ce qui a été écrit par les Prophètes pour le Fils de l’homme » (Lc 18,31). « Il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes » (Lc 24,44).

Ces Écritures lui révélaient quelle était la volonté de son Père. Et son seul désir, par amour, était de lui obéir le plus parfaitement possible. « Je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé » (Jn 6,38). Et « il faut que le monde reconnaisse que j’aime le Père et que je fais comme le Père m’a prescrit ». (Jn 14,31). Or « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés », écrit St Paul (1Tm 2,4). En effet, « Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn 3,17). Le Père a donc donné tous les hommes à son Fils pour qu’il les conduise au salut : « Et c’est la volonté de mon Père que je ne perde rien de tout ce qu’il m’a donné » (Jn 6,39)…

Aimer Dieu, accomplir sa volonté, c’est donc aimer les hommes et tout faire pour qu’ils puissent être sauvés… Ce désir de nous voir tous ensemble avec Lui, dans sa Lumière et dans sa Vie, est si fort que Jésus acceptera de mourir sur une Croix pour qu’il en soit effectivement ainsi… « En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis », dit-il à l’un des « malfaiteurs » qui fut crucifié avec lui et qui acceptait de se repentir (Lc 23,39-43)… Ce « bon larron » nous représente tous, si nous acceptons, comme lui, de reconnaître le mal qui a habité notre vie pour le regretter ensuite sincèrement. « Père, je veux que là où je suis », dans ta Maison, uni à toi dans la communion d’un même Esprit, « eux aussi soient avec moi » (Jn 17,24). Ce désir du Christ, qui est aussi le désir du Père, commençait à s’accomplir… Le « bon larron » en fut un superbe exemple…

Sauver tous les hommes de tous les temps… Voilà l’œuvre que Jésus voudra réaliser le plus parfaitement possible, par amour de Dieu, par amour pour chacun d’entre nous… Sur la croix, il dira ainsi « J’ai soif » « pour que l’Ecriture fût parfaitement accomplie » (Jn 19,28-30). Les soldats lui donneront alors la boisson réservée aux suppliciés : du vinaigre. Et ce geste « accomplira » le Psaume 69,22 : « Quand j’avais soif, il m’ont donné du vinaigre ».

« Il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit de lui dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes »… Telle est la conviction qui habite St Marc lorsqu’il commence à écrire « la Bonne Nouvelle de Jésus Christ Fils de Dieu ». Aussi ouvre-t-il son Evangile par une citation du prophète Isaïe…

 

Avec Jésus, Dieu Lui-même vient à notre rencontre…

Mais lorsque nous comparons le texte cité avec celui d’Isaïe, nous constatons que St Marc a combiné en fait deux textes de l’Ancien Testament. Le début de sa citation est extrait du prophète Malachie (Ml 3,1 ; vers 450 av JC) : « Voici que j’envoie mon messager pour qu’il prépare le chemin devant moi … dit le Seigneur tout-puissant », un texte très proche d’Isaïe 40,3 (Partie du Livre écrite vers 550 av JC, bien après le prophète Isaïe qui a vécu dans les années 750 av JC) : « Une voix proclame :« Préparez à travers le désert le chemin du Seigneur. Tracez dans les terres arides une route aplanie pour notre Dieu ».

La combinaison de ces deux textes a permis à St Marc de préciser qui est cette « voix » anonyme en Isaïe : grâce à Malachie, elle devient celle du « messager »… Or, dans l’Evangile, le « messager » est « Jean le Baptiste ». Et en Isaïe, tout comme en Malachie, c’est le Seigneur lui-même, c’est-à-dire Dieu en personne, qui annonce sa venue : « Qu’il prépare le chemin devant moi, dit le Seigneur tout-puissant. » St Marc a changé ce « moi » en « toi » : « Voici que j’envoie mon messager devant toi, pour préparer ta route ». Or ce « toi », c’est Jésus ! Avec le Christ, c’est donc Dieu en personne qui vient… Tout de suite, une question se pose : « Mais qui donc est Jésus ? »

Deux points peuvent être soulignés. Tout d’abord, Jésus est « le Fils de Dieu », « l’Unique Engendré » (Jn 1,14.18 ; 3,16.18). En tant que Personne divine, il existe depuis toujours et pour toujours. Avant tout commencement, il « était Dieu » (Jn 1,1), « né de Dieu, Lumière né de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu », disons-nous dans notre Crédo. De toute éternité, il est « engendré non pas créé », et le Père « l’engendre » en se donnant totalement à lui. Le Fils de son côté, se reçoit totalement du Père. Ce mouvement en Dieu est éternel, il est celui de l’Amour… « Je vis par le Père », dit Jésus (Jn 6,57)… « Tout comme le Père a la vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir la vie en lui-même » (Jn 5,26). Ainsi, « le Père aime le Fils et a tout donné en sa main » (Jn 3,35) : tout, « tout ce qu’il a » (Jn 16,15), tout ce qu’il est… Le Père est Dieu ? Voilà ce qu’il donne au Fils depuis toujours et pour toujours de telle sorte que le Fils lui aussi est Dieu… Le Père est Lumière ? Voilà ce qu’il donne au Fils depuis toujours et pour toujours de telle sorte que le Fils lui aussi est Lumière… Le Fils est ainsi « Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu ».

De toute éternité, le Père donne donc tout ce qu’il est au Fils, et en se donnant à Lui, il l’engendre… Et le Fils de son côté se reçoit entièrement du Père de telle sorte que tout ce qu’est le Père, le Fils l’est lui aussi… Cet « être », notre Crédo l’appelle « la nature » divine. Et nous disons : « Engendré, non pas créé, de même nature que le Père »… Le Père et le Fils sont deux personnes bien distinctes. Mais de toute éternité, le Fils est engendré par le Père en tant qu’il se reçoit entièrement du Père qui, de son côté, ne cesse de se donner à lui… Pour le Fils, la relation à son Père est donc la Source de son être et de sa vie… Et Jésus passait des nuits à prier Dieu (Lc 6,12), c’est-à-dire à se laisser aimer par le Père, à se laisser combler par le Père… Il demeurait en son Amour (Jn 15,10)…

Nous venons de le voir : la Personne divine qui a assumé notre nature humaine et que nous appelons Jésus est « Dieu », en tant qu’elle se reçoit du Père de toute éternité… La venue de Dieu parmi les hommes s’accomplit donc avec Jésus, comme l’annonçaient les prophètes Isaïe et Malachie. Mais chez eux, le mot « Dieu » renvoie plutôt à la Personne divine que nous appelons « Notre Père » dans le Nouveau Testament. Alors, comment la venue du Père s’accomplit-elle avec celle du Fils ? Jésus nous le révèle en St Jean : « Moi et le Père nous sommes un » (Jn 10,30). Jésus n’est pas le Père, mais il est uni au Père dans la communion d’un même « être », d’une même Lumière, d’une même Vie, en un mot, d’une même « nature divine ». Et cette « nature divine », il la reçoit du Père de toute éternité. Il est « vrai Dieu né du vrai Dieu »… Or « Dieu est Esprit » nous dit-il en St Jean (Jn 4,24). Le Père possède donc la Plénitude de cet Esprit, et il la donne au Fils de toute éternité de telle sorte que lui aussi possède cette même Plénitude. Ils sont ainsi unis l’un à l’autre dans la communion d’un même Esprit. Et c’est ce que Jésus déclare lorsqu’il dit : « Moi et le Père, nous sommes un ».

Alors, par ce Mystère de Communion, là où est Jésus, là est le Père : « Celui qui m’a envoyé est avec moi, il ne m’a pas laissé seul » (Jn 8,29). Préparer le chemin du Fils, c’est aussi préparer celui du Père. Et quand Jésus vient à la rencontre des hommes, le Père lui aussi vient à leur rencontre, avec son Fils et par lui… « Qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé » (Mc 10,40), « et qui me rejette rejette Celui qui m’a envoyé » (Lc 10,16)…

 

La mission de Jésus à la lumière des prophètes Malachie et Isaïe

Mais si le Fils Unique nous rejoint en celui que nous appelons « Jésus Christ », ce n’est pas simplement pour être à nos côtés : il va agir pour nous et les textes de Malachie et d’Isaïe vont nous aider à mieux comprendre ce qu’il fera.

Malachie commence d’abord par évoquer la venue de Dieu : « Et soudain, il entrera dans son sanctuaire, le Seigneur que vous cherchez ». Nous venons de voir comment cette perspective s’accomplit. Puis, intervient une figure mystérieuse : « Et l’Ange de l’Alliance que vous désirez, le voici qui vient » (Ml 3,1). Le mot « ange » vient du grec « angéllô » qui signifie « annoncer ». Un ange est donc un messager qui vient transmettre une Parole de Dieu à ceux et celles à qui il est envoyé. Ce verset prend tout son sens à la lumière du Christ. Bien sûr, il est beaucoup plus qu’un ange, comme il est beaucoup plus qu’un prince lorsque nous l’appelons « le Prince de la vie » (Ac 3,15). Mais il est vraiment Celui que le Père nous a envoyé pour nous transmettre sa Parole. « Celui que Dieu a envoyé prononce les paroles de Dieu » (Jn 3,34). « Ainsi donc, ce que je dis, tel que le Père me l’a dit, je le dis » (Jn 12,50). « Père, les paroles que tu m’as données, je les leur ai données » (Jn 17,8). Et il est aussi Celui qui est venu inaugurer, au Nom de son Père, une Alliance nouvelle et éternelle avec tous les hommes… « J’ai fait de toi l’Alliance du Peuple, la lumière des nations » prophétisait Isaïe à son sujet (Is 42,6). Et juste avant de s’offrir sur la Croix pour le salut du monde, Jésus instituera l’Eucharistie en présentant son sang comme «  le sang de l’alliance, qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés » (Mt 26,28). Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang, versé pour vous » (Lc 22,19-20)

Dans cette Alliance, Dieu se révèle, avec son Fils et par Lui, comme étant « tout proche » de tous les hommes (Mc 1,15), présent à leur vie pour leur bien, imperturbablement fidèle et bienveillant à leur égard. « Il ne les abandonnera jamais (Is 49,14‑15 ; 54,10 ; 2 Tim 2,13), il ne cessera pas de les suivre pour leur faire du bien (Jr 32,40-41), il cherchera la brebis perdue, il ramènera celle qui s’est égarée, il pansera celle qui est blessée, il fortifiera celle qui est malade, il veillera sur celle qui est grasse et bien portante » (Ez 34,15-16). A tous, il ne cessera d’offrir son Amour, sa Miséricorde et sa Paix par le don de son Esprit (Jl 3,1‑2 ; Col 3,15 ; Ph 4,7).

Voilà l’Amour Fidèle et Miséricordieux que Ste Thérèse de Lisieux avait découvert. Elle écrira à la fin de sa vie : « Comment s’achèvera-t-elle, cette « histoire d’une petite fleur blanche ? » Peut-être la petite fleur sera-t-elle cueillie dans sa fraîcheur ou bien transplantée sur d’autres rivages… Je l’ignore, mais ce dont je suis certaine, c’est que la Miséricorde du Bon Dieu l’accompagnera toujours »…

Jésus est donc cet « Ange de l’Alliance » annoncé par Malachie, venu révéler à tous les hommes l’éternelle bienveillance du Père à leur égard… Et c’est à la lumière de cet Amour Miséricordieux qu’il faut comprendre toute la suite. Le Christ sera en effet « comme le feu d’un fondeur, comme la lessive des blanchisseurs » (Ml 3,2-3). Les deux images contraires du feu et de l’eau sont associées pour évoquer une seule et même action : la purification des péchés que le Christ réalisera gratuitement en ceux et celles qui accepteront de se confier totalement en son Amour. Ce pardon sera très concrètement mis en œuvre dans les cœurs par l’Esprit Saint qui est tout à la fois « feu » (Mt 3,11) et « eau » (Is 44,3 ; Ez 36,25-28), une « Eau Vive » qui, tout en purifiant, communique la Vie même de Dieu (Jn 7,37-39), cette Vie dont nous étions tous privés par suite de nos fautes. « Le salaire du péché, c’est la mort », écrit St Paul. « Mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 6,23).

Ainsi, le Christ « viendra pour fondre et purifier… Il purifiera les fils de Lévi et les affinera comme or et argent, et ils deviendront pour le Seigneur ceux qui présentent l’offrande selon la justice » (Ml 3,3). Le résultat de l’action purificatrice du Christ sera donc de permettre aux pécheurs de « présenter » à Dieu « l’offrande selon la justice ». Grâce à lui, ils pourront vivre une relation juste avec lui. Tel sera le fruit du baptême : « Vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés, vous avez été justifiés par le nom du Seigneur Jésus Christ et par l’Esprit de notre Dieu » (1Co 6,11). Et cet Esprit reçu nous apprendra à vivre une relation juste avec Dieu : « L’Esprit en effet vient au secours de notre faiblesse ; car nous ne savons que demander pour prier comme il faut ; mais l’Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements inexprimables, et Celui qui sonde les cœurs sait quel est le désir de l’Esprit et que son intercession pour les saints correspond aux vues de Dieu » (Rm 8,26-27). Grâce à lui, la prière devient « juste », « l’offrande est présentée selon la justice ». Et c’est lui aussi qui donnera à ceux et celles qui acceptent de le recevoir d’accomplir des actions « justes » : « Le fruit de l’Esprit est amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, humilité et maîtrise de soi » (Ga 5,22). Grâce à lui, toute la vie pourra devenir, petit à petit, une offrande « vivante, sainte, agréable à Dieu » (Rm 12,1-2), « agréée par Dieu » (Ml 3,4)… Et si le Christ se déclarera « contre les devins, les adultères et les parjures, contre ceux qui oppriment le salarié, la veuve et l’orphelin, et qui violent le droit de l’étranger » (Ml 3,5), ce ne sera pas pour les condamner (Jn 8,11) mais pour les inviter au repentir : « Car Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive » (Ez 33,11).

La section du prophète Isaïe, au chapitre 40 a déjà été abordée précédemment dans la notion d’Evangile, de « Bonne Nouvelle ». Insistons simplement sur le fait qu’il s’agit de « préparer le chemin du Seigneur » car il vient lui-même, en personne, pour consoler son peuple des conséquences de ses infidélités passées. Oui, ils ont péché en cherchant à se libérer du joug des Babyloniens par une alliance avec l’Egypte. Le prophète Jérémie les avait prévenus… Mais ils ne l’ont pas écouté… Et Nabuchodonosor, Roi de Babylone, est revenu dix ans après sa première attaque. Il a assiégé Jérusalem. Six mois après, il l’a prise et il a tout détruit : ses murailles, le Palais Royal, le Temple de Dieu… Maintenant, tout est en ruines… « N’as-tu pas provoqué cela pour avoir abandonné le Seigneur ton Dieu alors qu’il te guidait sur ta route ?… Comprend et vois comme il est mauvais et amer d’abandonner le Seigneur ton Dieu » (Jr 2,17-19).

Mais Dieu, de son côté, est resté fidèle. « Comment t’abandonnerais-je ? Mon cœur en moi est bouleversé, toutes mes entrailles frémissent ». « Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles ? Même si les femmes oubliaient, moi, je ne t’oublierai pas » (Os 11,8 ; Is 49,15). Face à leur détresse, il est bouleversé, … Certes, ils sont responsables de tout ce qui est arrivé et ils doivent le reconnaître pour ne plus se retrouver à l’avenir dans une situation semblable. Mais pour l’instant, Dieu ne désire qu’une seule chose : qu’ils se relèvent et reconstruisent, avec son aide, ce qui a été détruit… Et si leur moral est au plus bas, Dieu va les réconforter, les encourager, les « consoler » par ses prophètes… « Consolez, consolez mon peuple. Parlez au cœur de Jérusalem », une expression qui, dans la Bible, renvoie au langage de l’amour. Le cœur de Sichem, par exemple, « s’attacha à Dina, fille de Jacob, il eut de l’amour pour la jeune fille et il parla à son cœur » (Gn 34,3). Et Dieu, dans le prophète Osée, se comparant à un mari délaissé par son épouse infidèle, déclare : « Elle courait après ses amants (les idoles étrangères), et moi, elle m’oubliait ! Oracle du Seigneur. C’est pourquoi je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur » (Os 2,16). Le langage d’Isaïe est donc celui de l’amour… Dieu en personne vient vers son peuple découragé : ils n’ont pas écouté sa voix, ils lui ont désobéi, ils ont agi à leur guise, et maintenant, toute leur vie est détruite… Mais le Seigneur est toujours là, et sa Miséricorde leur est offerte en surabondance. Autrefois, il fallait offrir des sacrifices de réparation pour obtenir le pardon de ses péchés, et donc débourser une certaine somme pour acheter les animaux nécessaires aux sacrifices. Ici, Dieu se présente comme celui qui a déjà payé « deux fois le prix de toutes leurs fautes » (Is 40,2)… Il a déjà tout pardonné, en surabondance… Il suffit d’accepter cet Amour, et une vie nouvelle pourra commencer… Et Dieu sera le premier à se réjouir en voyant son Peuple retrouver goût à la vie…

En faisant allusion à ces deux textes de Malachie et d’Isaïe, St Marc nous présente donc déjà ce que sera l’œuvre du Christ : il agira comme un Bon Pasteur venu « rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11,52). « De son bras, il rassemblera les agneaux, et il les portera sur son cœur » pour les ramener là dans cette Maison du Père qu’ils n’auraient jamais dû quitter (Is 40,10 ; Lc 15,4-7 ; Jn 14,1-3). Leur joie retrouvée sera alors sa joie, « la récompense » de ses peines, « le salaire » de son travail… Et le Christ offrira sa vie sur la croix pour qu’il en soit ainsi… Tel est « le prix » qu’il a accepté de « payer » pour que nous soyons un jour avec lui, au ciel… Si nous acceptons de nous laisser ainsi aimer, notre présence à ses côtés sera sa joie : il ne sera pas mort pour rien.

 

Marc 1,4-8 : la figure de Jean le Baptiste

Après avoir évoqué « la Bonne Nouvelle de Jésus Christ », « livré pour nos fautes et ressuscité pour notre justification » (Rm 4,25), St Marc va maintenant présenter avec la figure de Jean le Baptiste le tout premier cadeau que le Christ offrira aux hommes : « le pardon des péchés ». Nous sommes bien dans la dynamique ouverte par Malachie et Isaïe…

Jean-Baptiste « proclamait » en effet « un baptême de repentir en vue de la rémission des péchés ». Ce baptême n’apportait pas « la rémission des péchés », mais il était proposé « en vue de la rémission des péchés » qu’offrira le Christ et Lui seul. Le seul but poursuivi par Jean Baptiste était donc d’apprendre aux foules à se reconnaître pécheurs. Ceux et celles qui acceptaient cette démarche d’humilité et de vérité étaient alors prêts à accueillir Celui qui venait derrière lui : Jésus, le seul et unique Sauveur du monde (Jn 4,42 ; 1 Jn 4,14)… « Mon enfant, tes péchés sont pardonnés », commencera-t-il par dire au paralytique, alors que tous attendaient sa guérison physique (Mc 2,5)…

Ainsi, le baptême de Jean Baptiste n’était qu’un « baptême d’eau » s’inscrivant dans la longue tradition des bains rituels juifs qui n’apportaient qu’une purification toute extérieure, superficielle… Celui de Jésus sera « un baptême d’Esprit Saint » qui agira vraiment, au plus profond des cœurs, pour les purifier de tout péché et leur donner de pouvoir se lancer dans une vie nouvelle… Là encore, toutes les prophéties de l’Ancien Testament s’accomplissent pleinement : « Je vous prendrai,… je vous rassemblerai… Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés ; de toutes vos souillures et de toutes vos ordures je vous purifierai. Et je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, j’ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai mon Esprit en vous et je ferai que vous marchiez selon mes lois et que vous observiez et pratiquiez mes coutumes… Vous serez mon peuple et moi je serai votre Dieu. Je vous sauverai de toutes vos souillures » (Ez 36,22-32).

Avec le Christ et le don de l’Esprit Saint, la grande prière du pécheur souffrant par suite de ses fautes est enfin exaucée : « Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton Amour. Selon ta grande Miséricorde efface mon péché. Lave-moi tout entier de ma faute, purifie‑moi de mon offense… Purifie-moi et je serai pur, lave-moi et je serai blanc plus que la neige. Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu, renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit… Rends-moi la joie d’être sauvé, que l’Esprit généreux me soutienne » (Ps 51(50)).

« Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur » (Ps 34(33),9). Voilà ce que le Christ est venu révéler aux hommes en leur offrant de pouvoir « faire l’expérience du salut par la rémission de leurs péchés, grâce aux entrailles de miséricorde de notre Dieu dans lesquelles nous a visités l’Astre d’en Haut, pour illuminer ceux qui demeurent dans les ténèbres et l’ombre de la mort, pour conduire nos pas au chemin de la paix » (Lc 1,76-79)…

Après avoir présenté « le baptême de repentir » proposé par Jean le Baptiste, St Marc prend soin ensuite de le décrire comme étant « vêtu d’une peau de chameau et mangeant des sauterelles et du miel sauvage ». Et telle était autrefois l’apparence d’Elie : «  C’était un homme avec une toison et un pagne de peau autour des reins » (2 R 1,8). Or, à l’époque de Jésus, beaucoup attendaient le retour d’Elie comme un signe de la venue du « Jour du Seigneur », ce Jour où il interviendrait avec une intensité toute particulière pour sauver son Peuple . C’est ce qu’avait annoncé autrefois le prophète Malachie (Ml 3,23-24). En effet, selon la tradition, Elie n’était pas mort : il avait été enlevé au ciel dans un char de feu (2 R 2,11-12). Et s’il était parti ainsi, il pouvait revenir de même… En nous présentant Jean-Baptiste habillé comme Elie, St Marc nous suggère que cette prophétie du retour d’Elie s’est accomplie. Certes, Jean-Baptiste n’est pas Elie, mais, comme l’écrit St Luc en citant Malachie, il marchera « avec l’esprit et la puissance d’Elie pour ramener le cœur des pères vers les enfants » (Lc 1,17). L’Esprit Saint qui habitait le cœur d’Elie et qui avait fait de lui ce grand prophète « remplit » maintenant le cœur de Jean Baptiste (Lc 1,15) : c’est donc « comme si » Elie était revenu… Et de fait Jésus dira à propos de Jean Baptiste : « Si vous voulez bien comprendre, le prophète Elie qui doit venir, c’est lui » (Mt 11,14)…

Le retour d’Elie devait être le signe de la venue imminente de la fin des temps. Avec Jean Baptiste et Jésus, il en est bien ainsi : « le temps est accompli » (Mc 1,15), et nous vivons en ce moment « ces derniers temps » où « le Seigneur est tout proche », offert à notre foi… Cette période ne prendra fin qu’avec « le dernier jour du monde », à une date que le Père seul connaît (Mt 24,36)… Pour l’instant, « veillez donc » nous dit Jésus, « et priez en tout temps, afin d’avoir la force d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme » lorsqu’il viendra « sur les nuées du ciel avec puissance et grande gloire »(Lc 21,36 ; Mt 24,30 ; Mc 13,26)…

Marc 1,9-11 : le baptême de Jésus

« Vient derrière moi celui qui est plus fort que moi » dit Jean-Baptiste, et « je ne suis pas digne, en me courbant, de délier la courroie de ses sandales »… A cette époque, les routes n’étaient pas goudronnées comme aujourd’hui : les chemins étaient très poussiéreux, les pieds des marcheurs se salissaient vite. Aussi, quand un hôte arrivait dans une maison, le plus humble des serviteurs venait lui délier la courroie de ses sandales. Puis, il les nettoyait pendant que d’autres serviteurs lui lavaient les pieds (cf. Lc 7,36-50). Il pouvait ensuite entrer dans la maison, sans craindre de salir tapis et coussins… Jean Baptiste déclare donc ici n’être pas digne d’accomplir pour Jésus le service le plus humble qui soit… Quelle est donc sa dignité ? St Marc nous suggère ainsi qu’elle est bien celle de Dieu Lui-même…

Après cette déclaration de Jean-Baptiste, Jésus peut venir se faire baptiser dans le Jourdain. Personne ne se trompera sur l’identité du plus grand : Jésus est bien « le Maître et le Seigneur » (Jn 13,13), « il sera grand » (Lc 1,32) mais non à la manière des hommes… « Quel est en effet le plus grand, celui qui est à table ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Et moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert ! » Car « Il est venu non pas pour être servi, mais pour servir » (Lc 22,27 ; Mc 10,45), et c’est bien Lui qui s’agenouillera devant ses disciples pour leur laver les pieds (Jn 13,2-5 et 13,12-15)…

Rappelons que le baptême de Jean-Baptiste s’inscrivait dans tout un contexte de rituels d’aspersions de toutes sortes. St Marc nous en a gardé le souvenir (Mc 7,3-4) : « Les Pharisiens, et tous les Juifs ne mangent pas sans s’être lavé les bras jusqu’au coude, conformément à la tradition des anciens, et ils ne mangent pas au retour de la place publique avant de s’être aspergés d’eau, et il y a beaucoup d’autres pratiques qu’ils observent par tradition : lavages de coupes (Littéralement, « baptême de coupes »), de cruches et de plats d’airain» Ceux et celles qui acceptaient de recevoir ce baptême se reconnaissaient donc pécheurs et ils priaient pour la purification de toutes leurs fautes. Et voilà que Jésus se met dans la file… Pourtant, « il n’a jamais connu le péché » (2 Co 5,21), « il a toujours fait ce qui plaît au Père » (Jn 8,29), « personne ne peut le convaincre de péché » (Jn 8,46), il est « le Saint, le Juste » (Ac 3,14), « l’agneau sans tache » (1P 1,19)… D’ailleurs, lorsqu’il reçoit le baptême de Jean, il ne confesse pas ses péchés comme tous les autres (Marc 1,9). Nous voyons à quel point Jésus se présente ici, en actes, comme celui qui est « doux et humble de cœur » (Mt 11,29). Qu’importe ce que les gens peuvent dire de lui. Il est venu pour montrer le chemin qui mène au salut, et c’est très concrètement ce qu’il fait ici. Jésus dans les eaux du Jourdain représente toute l’humanité que Dieu appelle au baptême… Alors, chacun entendra le Père lui dire : « Tu es mon enfant bien-aimé, en toi, j’ai mis tout mon amour » (Mc 1,11)…

Jésus manifeste donc par son attitude sa solidarité avec les pécheurs que nous sommes. Il est venu nous rejoindre dans nos ténèbres pour nous révéler le chemin qui mène à la Lumière. Et lui, le premier, par amour, a voulu l’emprunter. Immergé au milieu des pécheurs au tout début de l’Evangile, il mourra crucifié au milieu des pécheurs, pour le salut de tous les pécheurs… « Pour nous, c’est justice », dira l’un d’eux, « nous payons nos actes ; mais lui n’a rien fait de mal » (Lc 23,41). Mais, il a voulu « payer tous nos actes » par son offrande pour nous racheter de la mort et nous donner de vivre ce que nous n’aurions jamais pu vivre par nous-mêmes : la communion à sa vie éternelle…

Cette solidarité ira même encore plus loin car « c’étaient nos péchés qu’en son propre corps, il portait sur le bois, afin que morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par tes blessures, ô Christ, nous sommes guéris ! » (1P 2,21-25). St Matthieu citera le prophète Isaïe : « Il a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies » (Mt 8,17 ; Is 53,4). St Paul écrira de son côté que le Christ s’est fait « péché pour nous afin qu’en lui nous devenions justice de Dieu » (1Co 5,16-21). Par amour, il a voulu vivre en son cœur et en son corps toutes les conséquences de nos fautes. Il a pris sur lui toutes nos souffrances pour nous en libérer. Sa Croix est en fait la nôtre… En la portant, c’est notre vie de péché qu’il a voulu porter pour nous permettre d’en triompher… A nous maintenant d’accepter de tout lui offrir : nos fautes, nos misères, nos faiblesses, nos lâchetés, nos remords, tout ce qui en fait alourdit notre vie au point, parfois, de l’écraser. Et notre joug deviendra le sien : il le portera avec nous. « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai. Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes. Oui, mon joug est aisé et mon fardeau léger » (Mt 11,28‑30). Le joug du Christ, c’est donc notre vie blessée qu’il désire porter avec nous. Et cet amour, il va le manifester jusqu’à « l’extrême de l’amour » (Jn 13,1) en mourant sur la Croix de notre mort à tous afin que nous puissions tous vivre de sa vie…

Voilà ce que préfigure son baptême au tout début de l’Evangile : la mort du Christ au milieu des pécheurs pour le salut des pécheurs. Le Christ va s’immerger dans notre mort pour ensuite, si nous l’acceptons, nous entrainer dans sa Résurrection. Jésus reprendra d’ailleurs le vocabulaire du baptême pour évoquer sa Passion : elle sera « le baptême dont je vais être baptisé » (Mc 10,38). Et nous allons le constater : les circonstances mêmes du baptême de Jésus vont encore nous ramener à sa Passion…

En effet, lorsque Jésus fut baptisé, « aussitôt, remontant de l’eau, il vit les cieux se déchirer et l’Esprit descendre vers lui comme une colombe » (Mc 1,10)… Les cieux se déchirent… Selon la tradition juive, ils s’étaient fermés après la disparition des derniers prophètes (Aggée, Zacharie, Malachie). La communication entre Dieu et les hommes passait pour être rompue. Aussi la prière d’Israël s’élevait-elle avec ardeur : « Ah ! Si tu déchirais les cieux et si tu descendais » (Is 63,19)… Avec Jésus, elle sera exaucée… Dieu va prendre l’initiative de « déchirer les cieux », c’est-à-dire de balayer tous les obstacles qui pourraient se dresser entre Lui et les hommes. Puis, il envoie l’Esprit Saint qui fera le lien entre le ciel et la terre : « Il est celui qui fait que la rencontre s’accomplit », écrit le P. Jacques Guillet (Vocabulaire de Théologie Biblique, article « Esprit »). C’est lui qui est au cœur de la relation entre le Père et le Fils. Il est cet Amour qui, recevant tout du Père, donne tout au Fils. En Dieu, il est l’artisan de toute relation, de toute communion. Ce n’est d’ailleurs qu’une fois l’Esprit « descendu » sur le Fils que la voix du Père se fait entendre… Jésus apparaît donc dans ce texte comme Celui sur qui repose la Plénitude de l’Esprit, Celui qui vit une parfaite relation avec le Père, en communion avec Lui. Toute sa mission sera de nous donner de pouvoir vivre ce qu’il vit. « Par lui, nous avons libre accès auprès du Père en un seul Esprit » (Ep 2,18). Oui, écrira St Jean, « ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie ; – car la Vie s’est manifestée : nous l’avons vue, nous en rendons témoignage et nous vous annonçons cette Vie éternelle, qui était tournée vers le Père et qui nous est apparue – ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, afin que vous aussi soyez en communion avec nous. Quant à notre communion, elle est avec le Père et avec son Fils Jésus Christ. Tout ceci, nous vous l’écrivons pour que notre joie (ou « votre joie ») soit complète » (1 Jn 1,1-4).

Remarquons que St Marc n’emploie le verbe « se déchirer » que deux fois dans tout son Evangile, ici et en 15,38 : « Jésus, jetant un grand cri, expira. Et le voile du Sanctuaire se déchira en deux, du haut en bas ». Ce voile séparait dans le Temple de Jérusalem la pièce où, croyait-on, Dieu habitait (le Saint des Saints), de l’autre (le Saint) où les prêtres pouvaient entrer pour brûler de l’encens (Lc 1,8-10) et déposer des offrandes… La signification de ce voile « déchiré de haut en bas » est identique à celle des « cieux déchirés » au moment du baptême de Jésus. Il se déchire à partir du haut, car c’est Dieu qui agit pour enlever toutes les barrières qui le séparent des hommes tout comme celles qui séparent les hommes entre eux (Ep 2,14-18)… Désormais, il n’existe plus aucun obstacle, aucun « voile », qui pourrait empêcher la libre circulation entre « le lieu de Dieu » et « celui des hommes ». Avec le Christ, les deux ne font plus qu’un… Là où est Dieu, là sont les hommes qui accepteront de répondre à son invitation et d’entrer dans la maison de sa Communion. Et là où sont les hommes, là est Dieu, par amour pour eux… « Sa Lumière éclaire déjà tout homme » (Jn 1,9). Et il est là, présent dans le secret de notre chambre, dès que nous nous tournons vers lui pour le prier (Mt 6,6). Et par l’Esprit, jour après jour, il continue de chercher toutes les brebis perdues jusqu’à ce qu’il les retrouve (Lc 15,4-7).

Notons enfin la correspondance entre la symbolique du baptême et l’événement de la passion. Jésus est baptisé par Jean-Baptiste et il descend dans les eaux du Jourdain, une descente qui symbolise son immersion dans notre mort. Et ce n’est que lorsqu’il va atteindre le point le plus profond et commencer à remonter que les cieux vont se déchirer. De même, ce n’est qu’une fois mort sur la Croix que le voile du sanctuaire va se déchirer.

« Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j’ai mis toute ma faveur ».

         Cette Parole du Père renvoie à trois textes de l’Ancien Testament :

1 – Psaume 2,7: « Tu es mon Fils »… Dans la scène du baptême de Jésus, St Luc cite d’ailleurs entièrement ce verset : « Tu es mon fils ; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré » (Lc 3,22). Ce psaume était chanté lors de la cérémonie d’intronisation d’un nouveau roi. Jésus est donc présenté ici comme ce Messie royal tant attendu… Tout comme David reçut autrefois l’onction royale du prophète Samuel (1 Sm 16,12-13), Jésus la reçoit ici du prophète Jean-Baptiste. Avec ce psaume, nous découvrons déjà que la royauté de Jésus sera universelle : il recevra du Père « les nations en héritage » et son Royaume s’étendra jusqu’aux « extrémités de la terre ».

2 – Isaïe 42,1 : « Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu que j’ai moi-même en faveur, j’ai mis mon Esprit sur lui ». Lorsque le Père dit à Jésus : « Tu as toute ma faveur » (Bible de Jérusalem), « il m’a plu de te choisir » (TOB), il fait allusion à ce texte d’Isaïe (Is 42,1-7: premier poème dit « du serviteur »; les autres sont : 49,1-7; 50,4-11; 52,13-53,12)). Jésus apparaît alors comme le Serviteur de Dieu, qui sera « l’Alliance du Peuple, la lumière des nations, pour ouvrir les yeux des aveugles, pour extraire du cachot le prisonnier, et de la prison ceux qui habitent les ténèbres ». Et c’est bien ce qui arrivera : Christ instaurera en son sang une Alliance Nouvelle et Eternelle dans laquelle le Dieu de Miséricorde ne cessera de se proposer aux pécheurs que nous sommes pour nous arracher à tous nos liens, nous libérer de nos ténèbres, et nous donner de nous réjouir de sa Lumière et de sa Vie…

3 – Genèse 22,2 (22,12 et 22,16). Isaac est appelé ici « fils unique », mais Abraham a eu d’autres enfants (Genèse 16,1-16 ; 25,1-6) ! « Unique » signifie donc ici « infiniment cher », car c’est avec lui et par lui que s’accompliront toutes les promesses que Dieu avaient faites à Abraham: promesse de bénédiction (Gn 12,1-4; promesse d’une terre (Gn 15), promesse d’une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel (Gn 15,5; 22,17; 26,4), la poussière de la terre (Gn 13,16; 28,14), le sable au bord de la mer (Gn 22,17)… La traduction grecque du texte hébreu original, réalisée au 3° s avant JC par la communauté juive d’Alexandrie, a bien, non pas « unique – un seul », mais « unique – bien-aimé », le mot repris par St Marc ! Tout comme Abraham est prêt à offrir Isaac sur le bois du bûcher, Dieu offrira son Fils Unique, son Bien-Aimé sur le bois de la Croix pour le salut du monde… et cette offrande sera bien sûr aussi celle, totalement libre, par amour, du Fils lui-même pour notre salut à tous… « 

Dès le début de l’Evangile, Jésus est ainsi présenté comme le Bien-Aimé offert en sacrifice, l’Oint royal consacré comme Maître des nations, le Serviteur mis à part pour révéler le salut. Toute la suite ne fera que développer ce qui est suggéré ici à demi-mot

                                                                                                                     D.Jacques Fournier

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