1

Mc 3,22-35 : La victoire de Jésus sur le démon.

Les mots « Satan » et « diable »

 

accusateur

« Satan » vient d’un mot hébreu qui signifie « traiter en ennemi », « attaquer », « avoir de la malveillance pour… », « accuser » (Za 3,1 ; Ap 12,10). Satan est donc « l’ennemi » de Dieu et des hommes, « l’adversaire ». Il est le spécialiste des fausses accusations, des calomnies, du soupçon, mais il est aussi celui qui invite l’homme à désobéir à Dieu pour ensuite l’accuser des péchés qu’il a pu commettre ! En agissant ainsi, il l’enferme dans ses limites et sa culpabilité, et le conduit au désespoir…

Jésus, au contraire, ne condamne personne : « Si quelqu’un vient à pécher », écrit St Jean, « nous avons comme avocat auprès du Père Jésus Christ, le Juste » (1Jn 2,1)… Contrairement à Satan, Jésus ne sépare jamais la vérité de la compassion et de la miséricorde (Jn 12,46-47 ; 8,1-11 ; 3,16-17 ; Ps 85(84),9-13 ; 89,15)… Et puisque le péché nous détruit, son Amour n’a inlassablement qu’un seul désir : nous pardonner pour que nous puissions retrouver avec Lui le chemin de la Paix, de la Joie, de la Plénitude et de la Vie…

« Diable » vient quant à lui du mot grec masculin « diabolos » ; ce même mot, au féminin, exprime « une division », « une brouille, une inimitié », mais aussi ce qui a pu provoquer cette division : « une fausse accusation », c’est-à-dire « une calomnie », « une médisance » qui entraînera un soupçon et brisera la confiance … Le diable est donc « le diviseur », celui qui cherche avant tout à diviser : diviser Dieu et l’homme, en suggérant à l’homme une fausse image de Dieu, en essayant de l’entraîner loin de Lui ; diviser les hommes entre eux ; diviser l’homme lui-même ; diviser l’homme et la création qui l’entoure… Le résultat est la mort, sous toutes ses formes… Le Christ fut ainsi soupçonné d’actes qu’il n’avait pas commis, il fut calomnié, rejeté, cruellement maltraité et crucifié… Mais le Père l’a ressuscité d’entre les morts (Ac 2,22-24 ; 2,32-33 ; 3,13-15 ; 4,10-12 ; 1Co 6,14 ; 2Co 4,13-14 ; Ga1,1), une résurrection qui révèle la victoire de Dieu sur le mal, malgré bien souvent les apparences…

 

Le diable dans l’Ancien Testament

Existe-t-il parmi nous quelqu’un qui aurait lu tout l’Ancien Testament ? Il suffit de regarder son épaisseur pour avoir des sueurs froides… Et pourtant, nous pouvons être surpris de la rareté avec laquelle le diable y intervient : dans la Bible de Jérusalem, les mots « Satan » n’apparaissent que 15 fois, « démon » 12 fois, et « diable » une seule fois ! « Yahvé », par contre, apparaît 6784 fois et « Dieu » 3023 fois… Ces chiffres nous donnent déjà une première leçon : dans nos vies, accordons à Satan la place que l’Ancien Testament lui accorde, c’est-à-dire bien peu de chose ! Occupons-nous par contre de Celui qui, comme un Père, nous accompagne sans cesse, nous regarde avec amour, veille sur nous, s’occupe de nous, combat avec nous et pour nous. C’est Lui qui « nous sauve des filets du chasseur et de la peste maléfique » (Ps 91(90)).

 

Le serpent dans le Livre de la Genèse

La création de l’homme, ainsi que son premier péché, nous sont présentés dans le Livre de la Genèse de façon poétique. Mais n’oublions pas que ce poète est inspiré : la Parole qu’il nous transmet est « Parole de Dieu », c’est-à-dire révélation du mystère de Dieu et du mystère de l’homme…

L’homme, dernière créature de Dieu, sommet de la création, est le seul sur cette terre à être « à l’image et ressemblance de Dieu » (Gn 1,26-27), le seul à vivre du souffle même de « Yahvé Dieu », symbole de son Esprit (Gn 2,7). En employant ce nom « Yahvé », rendu par le mot SEIGNEUR dans la TOB, notre auteur est en avance : en effet, ce n’est que bien plus tard que ce Nom divin sera révélé à Moïse dans l’épisode du Buisson Ardent. Le Dieu des Pères, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, est l’unique vrai Dieu, Celui-là seul qui peut s’appeler « JE SUIS », ou « Yahvé » (Ex 3,13-15). Il est Celui qui vit, par amour, en Alliance avec tous les hommes (Gn 9,8-17). Ainsi, avec Moïse, « il se souvient de son Alliance » (Ex 2,24) et lui promet d’être avec lui, jour après jour (Ex 3,12 ; 4,12 et 4,15). Pour Dieu, Il ne peut pas en être autrement car Il désire de toute la force de son Cœur que nous vivions tous avec Lui (Mt 28,20), sous le Soleil de son Amour (Mt 5,43-48) :

« Le Seigneur Dieu est un soleil, il est un bouclier ;

le Seigneur donne la grâce, il donne la gloire.

Jamais il ne refuse le bonheur, à ceux qui vont sans reproche.

Seigneur, Dieu de l’univers,heureux qui espère en toi ! » (Ps 84(83),12-13)

Tel est le Dieu Créateur : le Dieu de l’Alliance qui veut vivre en alliance avec l’homme, sa créature, pour le combler de tous ses bienfaits. C’est ainsi que juste après l’avoir créé, Dieu « planta un jardin en Éden, et il y mit l’homme qu’il avait modelé » (Gn 2,8). Or, « Éden », en hébreu, renvoie à « une abondance de joie ». La traduction grecque le rendra par « paradis » !

Eden 2

Mais attention, le jardin d’Éden, que Dieu confiera à l’homme pour le cultiver et le garder (Gn 2,15), fait partie intégrante de la création… Il est là, sur cette terre, et c’est déjà «  », ici‑bas, dès maintenant, que Dieu veut notre joie (Is 51,3 et 51,11 ; 9,2 ; 29,18-21 ; 35,1-10 ; 44,21-23 ; 48,20-21 ; 49,13-16 ; 52,7-10 ; 54,1-10 ; 55,12-13 ; 56,6-7 ; 61,1-3 ; 61,10-11) et notre joie sera sa joie (Is 62,1-5 ; So 3,14-18 ; Jr 32,40-41 ; Lc 15,4-7) !

De plus, ce jardin nous est présenté comme « le jardin de Dieu » qu’il aime parcourir « à la brise du jour » (Gn 3,8). Bien loin d’évoquer un lieu précis, il nous renvoie plutôt à la simplicité d’une vie avec Lui, en relation de cœur avec Lui, mystère de communion où il fait bon vivre : «  », Dieu offre à l’homme « toutes espèces d’arbres séduisants à voir et bons à manger », avec notamment « l’arbre de vie au milieu du jardin », symbole de la vie éternelle (Gn 2,9) qu’il désire nous communiquer en surabondance (Jn 10,10)… Dans le Nouveau Testament, ce jardin aura un autre nom : « le Royaume de Dieu », que Jésus nous révèle comme étant tout proche, offert dès maintenant à notre foi (Mc 1,14-15), pour notre vie (Jn 3,14-15 ; 5,24 ; 5,39-40) et notre joie (Jn 17,13). Mais puisque Dieu veut être pour nous Source de Vie, puisqu’il veut nous combler de ses dons, Lui-même va nous inviter à lui rester fidèle : tel est le sens de l’invitation à ne pas « manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal », sinon, nous prévient Dieu, « de mort tu mourras » (Gn 2,17). Et Lui ne veut pas la mort de ses créatures, mais plutôt qu’ils se convertissent et qu’ils vivent (Ez18,23 ; 18,32 ; 33,11 ; Dt 30,15-20 en insistant sur le v. 19). Précisons que lorsque nous parlons de mort, il s’agit ici de la mort spirituelle, qui est privation de la Plénitude de la Vie divine. « Le salaire du péché, c’est la mort ; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 6,23). Elle est la conséquence du péché qui est abandon de Dieu. Et en se détournant de la « Source d’Eau Vive » (Jr 2,13 ; 17,13 ; Ps 42-43(41-42),2-3 ; Jn 4,1-14 ; 7,37-39), l’homme se prive lui-même de cette Eau Vive, symbole de vie éternelle (Rm 5,12)… La mort physique semble appartenir, elle, au projet de Dieu… En effet, la Vierge Marie, l’Immaculée Conception, celle qui a été préservée des blessures du péché originel par une grâce toute spéciale de Dieu, est passée par la mort physique. Mais son corps, contrairement à ce qu’il va se passer pour nous, pécheurs, n’a pas connu la corruption, la désintégration, le retour à la poussière… Dieu l’a prise auprès de Lui par la Puissance de son Esprit de telle sorte que son tombeau, comme celui du Christ, ne peut qu’être vide… Ainsi, la mort physique, dans le projet de Dieu, correspondait à notre naissance plénière au ciel : elle était ce passage du ventre de la terre à la Plénitude du ciel… Mais maintenant, conséquences du mal qui nous habite et des blessures qu’il a engendrées dans notre condition humaine, la mort s’accompagne pour nous du retour à la poussière… Mais, nous l’espérons, la Puissance Créatrice de Dieu restaurera pleinement notre condition humaine. Nous vivrons alors, gratuitement, par amour, ce que Dieu voulait que nous vivions depuis toujours. Sa Puissance Créatrice nous rétablira auprès de Lui dans la Plénitude de notre « être entier, l’esprit, l’âme et le corps » (1Th 5,23), telle qu’elle aurait dû être si le péché n’avait pas introduit en nous tous ces désordres… La Vierge Marie devient alors l’image parfaite de ce que nous aurions dû, tous, vivre… Mais par la Miséricorde de Dieu, le résultat final sera le même… Nous l’espérons chaque fois que nous reprenons notre Crédo : « J’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir »…

Face à ce projet de Dieu qui nous a tous créés pour que nous partagions la Plénitude de son Être, de son Esprit et de sa Vie, le diable apparaît dans le Livre de la Genèse comme l’ennemi de Dieu, et donc l’ennemi de l’homme créé à son image et ressemblance (Gn 1,26). Il est « menteur, père du mensonge » et « homicide dès le commencement » (Jn 8,44). La Genèse le présente sous la figure d’un serpent qui séduit, trompe en se présentant comme l’ami de l’homme, apparemment préoccupé de son seul bien, mais ne poursuivant finalement que sa destruction. Soulignons quelques points qui s’attachent à cette image (cf. Gn 2,4b-3,24) :

1 – Après l’Exode, Israël s’était installé en terre promise, « le pays de Canaan ». Or ses habitants vouaient un culte « aux forces souterraines », capables, croyaient-ils, d’exercer une influence sur la vie, la santé, la fertilité, la fécondité… Et ils représentaient ces forces sous la forme d’un serpent ! En reprenant ce symbolisme, notre auteur affirme donc indirectement que ces idoles païennes sont trompeuses : bien loin d’être « source de vie », elles ne conduisent qu’à la désillusion et à la mort…

 Adam et Eve

2 – Le serpent est une créature « que Yahvé Dieu a faite » (Gn 3,1). Le diable, le tentateur, est donc lui aussi une créature et ses possibilités ne sont que celles d’une créature ! Il n’est donc pas un dieu du mal qui s’opposerait au Dieu Bon, mais un être limité, tout comme nous… Bien plus, toutes les créatures de Dieu douées de raison ont été créées pour partager la Plénitude de sa Vie. Leur cœur est destiné à être « rempli par l’Esprit Saint » (Lc 4,1 ; 1,67 ; 1,41 ; 1,15), « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63), un Esprit reçu instant après instant de ce Dieu qui n’est qu’Amour et qui, dans son Amour, ne cesse de se donner Lui-même (Jn 3,35)[1]… Le diable, en se détournant de Dieu, est donc vide de tous ses biens, privé de la Plénitude de son Esprit et donc de sa Force. Comme l’écrit le prophète Jérémie, en se détournant de Dieu et en se tournant vers « ce qui n’est rien », il est devenu lui-même « un rien » (Jr 2,5). Le seul pouvoir qui lui reste est celui de faire peur ou d’inspirer de mauvaises idées (Ac 13,10) que nous pouvons, ou non, avec la grâce de Dieu, mettre en pratique…

L’auteur du Livre de la Genèse exprime déjà ce « rien » du serpent par l’intermédiaire de la notion de nom. En effet, nulle part il ne donne pas son nom… Or le nom, dans la Bible, renvoie au mystère de la personne qui le porte. Etre sans nom, c’est être un rien du tout !

3 – De plus, en décrivant le serpent comme étant « le plus rusé de tous les animaux des champs que Dieu avait faits » (Gn 3,1), l’auteur nous le présente comme appartenant au monde animal. Bien sûr, il n’en est pas ainsi, mais ce parallèle nous suggère quel type de relation devrait exister entre l’homme et ce serpent. Dieu a en effet donné à l’homme la mission de « dominer tous les animaux qui rampent sur la terre » (Gn 1,28), serpents compris… De par la volonté de Dieu, l’homme a donc la capacité de dominer ce serpent, et c’est bien ce qui arrivera lorsque « le lignage de la femme lui écrasera la tête » (Gn 3,15). Si, dans un premier temps, il semble remporter la victoire en lui infligeant une blessure mortelle au talon, le dernier mot appartiendra finalement au « lignage de la femme ». Et quel est-il ? Le Christ ressuscité, vainqueur du mal et de la mort, et tous ceux et celles qui, à son invitation, recevront dans leur cœur et dans leur vie Marie pour Mère (Jn 19,25-27). Baptisés au nom du Christ (Mt 28,19), ils recevront le Don de cet Esprit qui remplit le cœur du Christ. Et ils seront invités jour après jour à redire le « Oui ! » de leur foi, à se laisser aimer par ce Père qui n’est qu’Amour, et donc à recevoir et recevoir encore ce Don de l’Esprit. Et si « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), il est aussi Lumière (1Jn 1,5), une Lumière qui brille dans ténèbres et que les ténèbres ne peuvent saisir (Jn 1,4-5). Cette Lumière reçue de Dieu remportera donc en eux la victoire sur le mal. Avec elle et par elle, « le prince de ce monde sera jeté dehors » (Jn 12,31), hors de leur cœur et de leur vie… Ils connaîtront alors le repos (Mt 11,28-30) et la paix (Jn 14,27 ; Col 3,15) et le démon, vide de cette Lumière, ne pourra rien contre eux : « Je connais mes brebis », dit Jésus, « elles me suivent ; je leur donne la vie éternelle » par « l’Esprit qui vivifie », cet Esprit qui est Lumière. « Elles ne périront jamais et nul ne les arrachera de ma main » (Jn 10,27-28).

4 – Notons enfin que l’auteur du Livre de la Genèse ne donne aucune explication sur la présence de ce serpent trompeur, comme sur celle de « l’arbre de la connaissance du bien et du mal ». Jusqu’à présent, toutes les créatures de Dieu étaient belles et bonnes : les fruits nourrissaient la vie de l’homme, et les animaux lui venaient en aide (Gn 2,18-19). « La séduction apparaît ainsi de façon improvisée, comme quelque chose d’absolument inexplicable, au cœur de la bonne création de Dieu. Pour ce qui est de l’origine du mal, il n’y a pas d’explication » (Claus Westermann). Nous retrouvons ici le mystère de cette liberté de choisir offerte aux anges (2Co 11,14) et aux hommes, liberté de dire « Oui ! » ou « Non ! » à Dieu, de se tourner vers Lui ou de se détourner de Lui, de se laisser aimer ou de refuser son Amour…

 HST129516

5 – Le serpent s’attaque en premier lieu en Genèse 3 à Dieu et à sa Parole. « Alors, comme ça, Dieu a dit : vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? » (Gn 3,1). Mais avec lui, il ne s’agit déjà plus comme auparavant de « Yahvé Dieu » (Gn 2,4 ; 2,5 ; 2,7 ; 2,8 ; 2,9 ; 2,15-16 ; 2,18-19 ; 2,21-22 ; 3,1) le Dieu de l’Alliance qui ne cesse de manifester à son Peuple sa Tendresse et sa Miséricorde. Lui parle de « Dieu » tout court, un nom qui renvoie à la divinité en général (Gn 3,1). L’aspect central de la Révélation s’efface ; la perspective est beaucoup plus floue… Et telle est bien son œuvre : essayer d’occulter le plus possible le vrai visage de Dieu pour le remplacer par une représentation fausse, mensongère et redoutable, que l’homme s’empressera de repousser ! Mais en agissant ainsi, c’est Dieu qu’il rejettera, et le serpent aura gagné…

Dieu avait dit : « Tu peux manger à satiété de tous les arbres du jardin. Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, de mort tu mourras » (Gn 2,17). En déclarant, « alors, comme ça, Dieu a dit : vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? » (Gn 3,1), le serpent ne retient que la restriction en l’appliquant non pas au seul « arbre de la connaissance du bien et du mal », qui symbolise ici la liberté de choisir donnée à l’homme, mais à tous les arbres du jardin. Et il laisse de côté l’incroyable générosité de Dieu (Gn 2,16-17). Cette exagération est volontairement énorme. Dieu apparaît comme un ennemi déclaré de la vie, un être dominateur et incroyablement sadique : il crée un homme avec des besoins et des désirs, et il lui interdit de les satisfaire alors même qu’une abondance de biens l’entoure ! Il crée un homme vivant et il le condamne à mourir ! La femme va réagir, mais le serpent a atteint son but : semer en elle le doute vis-à-vis des intentions du Créateur… Dieu désire-t-il vraiment la Plénitude de la Vie pour ses créatures ? Est-il vraiment aussi généreux que cela ? Nous cacherait-il quelque part un bonheur qu’il se réserverait pour lui-même ? La réponse de la femme suggère toutes ces questions. En effet, là où Dieu avait dit : « Tu peux manger de tous les arbres du jardin », elle dit : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin » (Gn 3,2). Le « tout » a disparu : la générosité de Dieu n’est plus évidente ! Puis elle rajoute : « Mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez» (Gn 3,3). Et là, que fait-elle ? Elle se trompe d’arbre ! L’arbre qui est au milieu du jardin, c’est « l’arbre de vie » et non « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » (Gn 2,9). La réponse de la femme revient donc à affirmer : « Dieu nous a interdit de manger de l’arbre de vie, il ne veut pas que nous croquions dans la vie à pleines dents, nous ne connaîtrons jamais avec Lui la Plénitude du bonheur » ! En plus, elle rajoute un élément que Dieu n’a jamais dit : « Vous n’y toucherez pas ! » Et aucune raison n’est donnée à cet interdit… Le projet de Dieu n’est plus compris ! Il s’agit maintenant non plus « d’écouter pour vivre », mais « d’obéir pour obéir », comme on le fait vis-à-vis d’un tyran ! Et là encore une question peut surgir : mais qui donc est Dieu pour agir ainsi envers nous ? N’a-t-il créé l’homme que pour le maintenir sous sa coupe ?

Le serpent a gagné du terrain, il le sait… Aussi va-t-il attaquer maintenant à visage découvert en affirmant que Dieu est un menteur : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal. » (Gn 3,5). Tout est mensonger dans cette phrase… Il est vraiment « menteur et père du mensonge » (Jn 8,44) :

1 – « Vous ne mourrez pas ? » Si, ils mourront en tant qu’ils seront privés par leur désobéissance de la Plénitude de la Vie divine. En effet, « le péché est entré dans le monde et par le péché la mort, une mort qui est passée en tous les hommes, car tous ont péché » (Rm 5,12 ; Sg 2,23-24). Dieu, de son côté, ne veut pas que sa créature soit privé de sa Vie, il n’a pas fait la mort, et Lui, l’Amoureux de la vie, ne prend pas plaisir à la perte des vivants (Sg1,12-14).

2 – « Vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux » ! Faux ! Certes, leurs yeux vont s’ouvrir (Gn 3,7), mais au lieu d’acquérir une connaissance universelle, ils vont juste prendre conscience d’une seule chose : ils sont nus, symbole de faiblesse ! Ils rêvaient d’être « tout puissants », ils se découvrent désarmés. Chacun est alors renvoyé à son état de créature, marqué par la différence, la limite, le manque, l’impossibilité de s’accomplir tout seul… A la volonté d’indépendance succède le rappel brutal de leur dépendance mutuelle… Et maintenant, eux qui voulaient voir ne le veulent plus ; mais comme leurs yeux sont désormais ouverts, c’est la réalité qu’ils vont se cacher en se confectionnant des pagnes (Gn 3,7)…

 3 – « Vous serez comme des dieux qui connaissent le bien et le mal »… Mensonge… Dieu ne connaît que le bien, il n’a que l’expérience du bien, il ne sait faire que le bien… En parlant ainsi, le serpent suscite également l’attrait du mal : il le fait miroiter comme un « plus », c’est-à-dire comme un bien qui viendrait se surajouter au bien lui-même ! Il invite à penser le mal comme un bien… Mais là encore, mensonge : le mal n’a aucune existence propre ; il n’est que la négation et la destruction d’un bien. Il ne peut pas être un « plus ». Au contraire, il est un « moins ». « Faire l’expérience du mal » sera donc « faire l’expérience de l’absence d’un bien », ce qui ne peut qu’être une source de déception, d’amertume et de regrets… C’est pourquoi le pécheur est avant tout, pour Dieu, un malheureux (Is 48,22 ; Jr 2,17-19), un souffrant (Rm 2,9), un blessé (Ps 69(68),30-31 ; Pr 8,35-36 ; Jr 7,18-19 ; Is 30,26 ; 58,6-8) qui a besoin de guérison pour retrouver sa propre intégrité, et avec elle, cette Plénitude de Vie qui seule pourra combler son cœur et lui donner de connaître enfin la joie et le bonheur.

 4 – Notons que le serpent tente l’homme sur le mystère de sa vocation : « être à l’image et ressemblance de Dieu », ce qu’il traduit par « être comme des dieux » (1Jn 3,1-2). Mais pour lui, « être comme un dieu », c’est être son égal, c’est s’élever à son niveau, c’est renier son état de créature pour prendre la place du Créateur en décidant tout seul ce qui est bien ou ce qui ne l’est pas… Le serpent fait donc tout pour que l’homme mette Dieu de côté : il veut casser la relation qui existe entre les deux. Mais celle-ci est vitale  pour l’homme: Dieu l’a créé en insufflant en lui son Souffle de Vie, son Esprit Saint (Gn 2,7), et il ne cesse de souffler en lui pour le maintenir dans l’existence (Jb 34,14-15). Pour l’homme, mettre Dieu de côté, c’est se priver de la Plénitude de ce souffle de vie et donc expérimenter en lui-même un état profond de manque que la Bible appelle la mort… Mais le Christ est « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29) et avec lui toutes ses conséquences… Si nous acceptons de répondre à son appel, si nous renonçons avec lui à tout ce qui porte la trace du mal, nous retrouverons par lui tout ce que nous avions perdu par suite de nos fautes : le Souffle de Vie, l’Esprit Saint, et avec lui, la Plénitude d’Être à laquelle Dieu nous appelle tous… Pour l’exprimer, en actes, le Christ Ressuscité a soufflé sur ses disciples et leur a dit : « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ». C’est le Don de l’Esprit en effet qui, petit à petit, réalise très concrètement notre guérison intérieure vers toujours plus de Vie (Jn 20,22-23).

Le serpent est donc une créature au pouvoir limité, un ange qui, librement, a refusé Dieu et ce Don de l’Esprit qu’il ne cesse de faire de Lui-même[2] pour le bien de toutes ses créatures, célestes et terrestres. En le rejetant, il a donc aussi rejeté l’Amour, la Paix, la Joie qui viennent de Lui pour basculer dans la haine, haine de Dieu et haine des hommes créés à son image et ressemblance (Jn 3,20 ; 7,7 ; 15,18-27 ; 1Jn 3,11-16). Par sa parole, ses suggestions, il essaiera de les entraîner loin de Dieu. Il se présente à eux en ami et veut leur faire croire que le mal est un bien. Il est ténèbres, mais il se déguise en Ange de Lumière (2Co 11,14) pour les séparer de Celui-là seul qui est Lumière (1Jn 1,5 ; Jn 8,12 ; 12,46) et qui désire nous communiquer la Lumière de sa Vie (Jn 12,46 ; 8,12 ; Col 1,12-14). Il est l’adversaire, mais il leur suggère que l’Adversaire de leur vrai bonheur, c’est Dieu. Il est menteur et père du mensonge (Jn 8,44), mais il déclare ouvertement que le vrai menteur, en fait, c’est Dieu. Il est jaloux du bonheur que Dieu veut pour l’homme, mais il cherche à les persuader que le vrai jaloux, c’est Dieu (Gn 3,5). Telle est sa ruse : accuser l’autre de ce qu’il est lui-même, brouiller les cartes pour nous entraîner dans sa perte…

 

Le diable dans le Nouveau Testament

Dans le Nouveau Testament, les mots « démons » (62), « diable » (33), « Satan » (36) interviennent beaucoup plus souvent que dans l’Ancien. Le contexte de l’époque avait en effet tendance à attribuer tout mal, et notamment toute maladie, à une action directe du démon, alors que nous parlerions aujourd’hui d’épilepsie (Mc 9,17-18), de troubles du langage (Lc 11,14) ou de la vue (Mt 12,22)… La médecine n’était pas aussi avancée qu’à notre époque… Néanmoins, une telle vision avait le mérite de présenter clairement la maladie et la souffrance comme des réalités que Dieu n’a pas voulues et qu’il s’agit de combattre. Aujourd’hui, il nous faut éviter deux extrêmes : voir le diable partout, ou nier son existence.

Tentation de Jésus 3

Poussé au désert par l’Esprit, Jésus commence sa mission en affrontant le démon (Mt 4,1-11). Mais là où Adam et Eve (symboles de toute l’humanité) avaient échoué, l’Homme Jésus va réussir et inaugurer ainsi ces temps nouveaux où il sera donné à tout homme de pouvoir vaincre le mal par sa foi au Christ Jésus…

St Matthieu présente tout de suite le diable comme celui qui essaye de détourner les hommes de Dieu. Aussi va-t-il s’attaquer directement au cœur du Mystère de Jésus, Lui qui est « le Fils de Dieu » (Mt 4,3), « Dieu Fils Unique » (Jn 1,18 ; 1,14 ; 3,16-18), engendré non pas créé (Crédo) et qui, de toute éternité, se reçoit de son Père : son Être et sa Vie (Jn 5,26 ; 3,36 ; 16,15). Jésus vit par le Père (Jn 6,57). Sans Lui, il n’est rien, il ne peut rien (Jn 5,19 ; 5,30 ; 8,28-29). Le démon va donc essayer de casser cette relation qui l’unit à son Père en l’invitant à la désobéissance. Remarquons tout de suite que l’influence du démon sur Jésus n’est que de l’ordre de la parole : il suggère, il invite à agir de telle ou telle manière… Jésus l’entend bien sûr, mais personne ne peut l’obliger à lui obéir. Ce point est très important, car l’influence de Satan sur nous est identique : mauvais désirs, mauvaises pensées (Ac 13,10) auxquelles nous donnerons vie si et seulement si nous leur obéissons. Par contre, l’influence de Dieu sur nous, si nous l’acceptons, est incomparablement plus forte : elle est un Mystère de Communion où Dieu s’unit à nous en nous donnant d’avoir part à un Unique Esprit (1Jn 1,1-3 ; 1Th 5,9-10).

 

Jésus devra donc affronter trois tentations (cf Mt 4,1-11) :

Tentation de Jésus pain

1 – « Si tu es Fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent des pains ». Tu es vraiment le Fils de Dieu, « Dieu Fils Unique » ? Tu es donc Tout Puissant… Tu as faim ? Alors, utilise cette Puissance pour toi-même… Rien de plus simple… Dans une telle logique, qui est celle du démon, le Père n’intervient plus… Jésus agit de lui-même pour lui-même… C’est ainsi que le démon conçoit le pouvoir et la force : avoir le pouvoir d’agir c’est avant tout avoir la possibilité de travailler à son propre intérêt. Disposer de la force, c’est tout mettre en œuvre pour arriver à ses fins… Logique du « tout pour soi », de l’égoïsme… Le Fils peut-il vraiment agir ainsi ? Non, car de toute éternité, il se reçoit entièrement de son Père et c’est de Lui qu’il attend tout… Il a faim ?  Mais c’est le Père qui, par son Esprit, l’a conduit au désert (Lc 4,1). Jésus fera donc au mieux la part qui est la sienne, mais le regard tourné vers le Père (Jn 1,18), dans cette certitude d’amour que le Père est là, avec lui (Jn 8,29). Il connaît ses besoins (Mt 6,8), il veille sur lui, il s’occupe de lui… Et de fait, une fois que le diable l’aura quitté, le Père enverra ses Anges, « et ils le servaient » (Mt 4,11 ; Mc 1,13). Et il ira jusqu’au bout de cette confiance en « s’en remettant », lors de sa Passion, « à celui qui juge avec justice » (1P 2,21-25). « Sauve-toi toi-même » lui diront ceux qui le méprisaient (Lc 23,35-38), reprenant pour leur compte la logique du démon. Mais non, « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Lc 23,46). Et le Père répondra à sa confiance en le ressuscitant d’entre les morts…

Le chemin de Jésus fut donc entièrement un chemin d’obéissance à son Père, dans la confiance en son amour… C’est pourquoi, au désert, Jésus oppose systématiquement à la parole du serpent la seule Parole à laquelle il obéit : celle de son Père. Ecouter sa Parole et la mettre en pratique : voilà la vraie Source de Vie (Dt 8,1-3 cité par Jésus ; Si 17,11 ; 45,5 ; 24,19-21 ; Ne 9,29 ; Sg 16,26 ; Ps 119(118),37 ; v. 93), qui, seule, peut combler le cœur de l’homme (Ps 119(118),1-3, v. 47, v.77) alors même que la faim corporelle le tenaille… Jésus nous invitera à entrer dans sa propre expérience : « Ne cherchez pas ce que vous mangerez et ce que vous boirez ; ne vous tourmentez pas. Car ce sont là toutes choses dont les païens de ce monde sont en quête ; mais votre Père sait que vous en avez besoin. Aussi bien, cherchez son Royaume, et cela vous sera donné par surcroît. » Et ce Royaume qu’il nous invite à mettre au cœur de notre vie est lui-même un Don de Dieu : « Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père s’est complu à vous donner le Royaume » (Lc 12,29-32). Et il est « justice, paix et joie dans l’Esprit Saint » (Rm 14,17). Le Royaume de Dieu est un Mystère de Communion avec Dieu dans l’Esprit, cet Esprit Saint qui est offert dès maintenant à notre foi… C’est pour cela qu’il est déjà mystérieusement commencé dans la foi, présent au secret des cœurs comme une force de vie offerte notamment à chacune de nos Eucharisties… « Ce n’est pas pour rester dans le ciboire d’or qu’Il descend chaque jour du Ciel, c’est afin de trouver un autre Ciel qui lui est infiniment plus cher que le premier : le Ciel de notre âme, faite à son image, le temple vivant de l’adorable Trinité (1Co 3,16) ! » (Ste Thérèse de Lisieux ».

 Vitail

– « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas »… Jésus ne peut rien faire de lui‑même, il est le Serviteur du Père (Actes 3,13 ; 3,26 ; 4,26-27 ; 4,29-30). Ce n’est donc pas à Lui de dire au Père ce qu’il doit faire ou de lui imposer quoique ce soit. Jésus est doux et humble de cœur (Mt 11,29) : c’est le Père qui, dans sa vie, a la première place, et non lui-même… Ste Thérèse de Lisieux avait la même attitude intérieure : « Je suis trop petite pour avoir la force par moi-même. Si je demandais des souffrances, ce serait mes souffrances à moi, il faudrait que je les supporte seule, et je n’ai jamais rien pu faire toute seule » (cf. Jn 15,5). Et comme on lui proposait de prier la Sainte Vierge pour qu’elle diminue l’oppression créée par sa tuberculose, elle répondit : « Non, il faut les laisser faire là‑haut ». Elle s’était totalement abandonnée dans les bras de son Dieu…

Tentation Jésus Jérusalem

3 – « Tous les royaumes du monde, je te les donnerai, si, te prosternant, tu me rends hommage ». Mais la vocation même de Jésus est d’être roi « jusqu’aux extrémités de la terre » (Ps 2). Le démon tente donc Jésus sur le Mystère même de sa vocation, tout comme il le fait pour chacun d’entre nous. En effet, Dieu nous a tous créés pour que nous participions à sa Vie et à sa Joie, pour que nous partagions son Bonheur éternel. C’est ainsi qu’il place lui‑même l’homme qu’il vient de créer dans « le jardin d’Eden », un mot qui en hébreu signifie « bonheur, délices » (Gn 2,8). Et lorsque Jésus donne la Loi du Royaume des Cieux, il emploie neuf fois le mot « heureux » (Mt 5,1-12). Mais ce bonheur ne sera pas le résultat de la peine et du travail que l’homme pourrait accomplir par lui-même et pour lui-même en dehors d’une relation avec Dieu. Il sera le résultat même de cette relation. St Matthieu le suggère avec ce chiffre « neuf », trois fois trois, trois dans la Bible renvoyant à Dieu en tant qu’il agit. Seront vraiment « heureux » tous ceux et celles qui accepteront d’ouvrir leur cœur à Dieu. Alors, il déposera aussitôt au plus profond de leur être le Don de son Esprit. Grâce à lui, ils participeront à sa paix, à sa joie (1Th 1,6) et à sa force (Is 11,2 ; Ac 1,8 ; 2Tm 1,7) qui leur donnera de tenir bon dans les épreuves, et d’agir pour les autres avec douceur et bienveillance (Ga 5,22). Il s’agit donc de rejeter, grâce à « la puissance de l’Esprit » (Lc 4,14 ; Ep 3,16), tout ce qui peut nous détourner de Dieu… « C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, et à lui seul tu rendras un culte » (Dt 6,13). Laissons le Christ remporter en nous sa victoire…

Tel est en effet le cœur de la mission de Jésus, « le Sauveur du monde » (Jn 4,42) : manifester la victoire de l’Amour sur toutes les forces du mal pour que cette victoire devienne ensuite la nôtre (cf. Ap 2-3 et toutes les expressions « Au vainqueur… ») Il est venu en effet « réduire à l’impuissance celui qui avait l’empire de la mort, le diable » (Hb 2,14), « détruire ses œuvres » (1Jn 3,8), autrement dit substituer le Règne de son Père à celui de Satan (1Co 15,24-28 ; Col 1,13-14). C’est la raison pour laquelle Jésus est si souvent présenté dans les Evangiles en lutte contre Satan. Ce combat a commencé avec l’épisode de la tentation où, pour la première fois depuis la scène du paradis, un homme représentant l’humanité, Jésus « fils d’Adam » (Lc 3,38), se trouve face à face avec le diable »[3] et déjoue toutes ses ruses… Ce combat entre cet ange Satan et ses complices, les démons, se poursuit tout au long de l’Evangile. Ils savent bien qui est Jésus lorsqu’ils le rencontrent (Mc 1,23-24 ; 5,6-7), mais il les chasse d’une seule Parole, avec une facilité déconcertante (Mc 1,25 ; 5,8 ; 7,29 ; 9,25)…

jesus-desert

En effet, les ténèbres s’acharnent contre la Lumière, mais elles ne peuvent rien contre elle (Jn 1,5). Sur Jésus, Satan, le Prince de ce monde, n’a aucun pouvoir (Jn 14,30). Pourtant, il ne va pas cesser de s’attaquer à lui, excitant la haine contre lui (1Jn 2,9-11 ; Jn 15,23-25 ; Tt 3,3 ; Gal 5,19-21 où le mot « chair » est synonyme de péché) pour finalement se déchaîner au moment de la Passion, poussant les hommes qui ne lui résistent pas à trahir Jésus (Jn 13,2 ; 13,27 ; Lc 22,3), à lui faire violence, à mentir à son sujet (Jn 8,44 ; Mt 26,59-61 à comparer avec Jean 2,19), et cela en totale opposition avec la Loi de Moïse (Ex 20,16 ; Dt 5,20)… Mais l’Amour ne répond pas au mal par le mal. Il ne le peut même pas. L’Amour (1Jn 4,8 ; 4,16) ne sait faire qu’une seule chose : aimer. Aussi, face à ses accusateurs, le Christ se tait (Mc 14,61), il accepte tout, supporte tout, espère tout (1Co 13,4-7) et offre tout pour le salut de ceux qui le tuent ! Personne ne lui prend sa vie : c’est lui qui la donne (Jn 10,18), transformant en bien tout ce mal qu’on lui fait pour ceux-là même qui lui font du mal (1P 2,21‑24) ! Ainsi ce sang, que nous les hommes, nous avons fait couler, Christ nous le donne pour notre salut. L’accueillir par la foi sera passer de la culpabilité au pardon et à la paix (Ep 1,7 ; Col 1,19-20 ; 1Jn 1,7 ; Ap 1,4-5 ; 7,14), de la séparation d’avec Dieu à la communion avec Lui (Jn 6,56 ; Ep 2,13), de l’esclavage du péché à la liberté des enfants de Dieu (1P 1,18-19), de la mort à la vie (Jn 6,53‑54). Grâce à ce sang versé, nous pouvons à nouveau entrer de cœur, par notre foi et dans la foi, dans ce « jardin d’Éden » où le Dieu de l’Alliance aime à venir à la rencontre de ses créatures (Gn 3,8‑9) pour les combler de ses bienfaits (Ep 1,3) et les unir à Lui dans l’Amour.

Christ meurt… Le Roi de l’univers (Jn 18,36-37) est « jeté bas » au regard des hommes. Mais au moment précis où le Prince de ce monde se croyait certain de sa victoire, c’est lui qui est « jeté bas » (Jn 12,31 ; 16,11) ! Le Père ressuscite son Fils et l’exalte au plus haut des cieux, lui donnant le Nom qui est au-dessus de tout nom (Ph 2,6-11), bien au‑dessus de toute Puissance mauvaise (Ep 1,20-22) : Christ est bien le Roi de l’univers, victorieux de la mort, des ténèbres et du Prince des ténèbres ! Désormais, tous ceux qui se confieront en lui n’auront plus rien à craindre de Satan et de ses anges car Sa Victoire est désormais la leur (Ap 12,10-11 ; Jn 10,27‑29) ! Par le baptême, ils ont reçu l’Esprit Saint, l’Esprit du Christ. Unis par l’Esprit et dans l’Amour à Celui-là seul qui est Lumière du monde (Jn 8,12), ils sont devenus des enfants de Lumière (Ep 5,8-9) et les ténèbres ne peuvent rien contre elle (Jn 1,5 ; 14,30)… Qu’ils travaillent donc à leur salut (Ph 2,12) en laissant jour après jour la victoire du Christ transformer toute leur vie (1Jn 2,13-14 ; 1Co 10,13). La patience de Dieu est infinie et sa Miséricorde est sans limite : grâce à elle, l’impossible peut se réaliser (Mt 19,23-26). « Il n’y a en effet qu’un mouvement au cœur du Christ : effacer le péché et emmener l’âme à Dieu… Nous sommes bien faibles, je dirais même, nous ne sommes que misère, mais Il le sait bien, Il aime tant nous pardonner, nous relever, puis nous emporter en Lui, en sa pureté, en sa sainteté infinie. C’est comme cela qu’il nous purifiera, par son contact continuel » (Elisabeth de la Trinité).

 6_christ-triomphe-de-satanTel est le message de Jésus en Mc 3,27 : Lui, le Fils Unique de Dieu, est rempli de cette Force de l’Esprit qu’il reçoit du Père de toute éternité. Avec elle, il va « ligoter » celui qui prétend être « un homme fort », le démon, alors qu’en lui-même il n’est que faiblesse. En effet, en se détournant de Dieu, il s’est privé du Don que le Père, dans son Amour, ne cesse de faire de Lui-même : son Esprit, sa Vie, sa Lumière… Et la Lumière du Christ justement va briller dans les ténèbres et les chasser au loin par sa seule Présence… Elles vont être « jetées dehors » (Jn 12,31), hors des cœurs qui auront accueilli la Lumière… « Ce qui fut en lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes, et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisie » (Jn 1,4-5). « Moi, Lumière, je suis venu dans le monde pour que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres, mais ait la lumière de la vie » (Jn 8,12 ; 12,46). « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5). Tout ceci se réalise donc très concrètement par le Don de l’Esprit. « celui qui s’unit au Seigneur » par sa foi, en se laissant aimer par Lui, « n’est avec Lui qu’un seul Esprit » (1Co 6,17). Or, « sur moi », dit Jésus, « le Prince de ce monde n’a aucun pouvoir » (Jn 14,30). Aussi, tous ceux qui accueillent « Jésus Lumière du monde » (Jn 8,12) accueillent avec Lui la Lumière de son Esprit qui vient s’unir à leur esprit… L’esprit de l’homme reste l’esprit de l’homme, l’Esprit de Dieu reste l’Esprit de Dieu… Mais l’esprit qui accepte de recevoir l’Esprit va bénéficier de toutes les richesses de cet Esprit qui ne sont rien de moins que celles de Dieu Lui-même (« Dieu est Esprit ») ! L’homme pécheur était dans les ténèbres par suite de ses fautes ? Grâce à la Miséricorde de Dieu qui ne cesse de vouloir son bien, il va bénéficier par sa foi au Christ de ce qui n’appartient qu’à Dieu : sa Lumière. L’homme ne cesse de faire l’expérience de sa faiblesse ? Avec le Christ, il va bénéficier de ce qui n’appartient qu’au Christ : la Force de Dieu, la Force de l’Esprit qui se propose sans cesse à notre misère pour nous relever et nous donner de pouvoir marcher « debout » en sa Présence, dans l’Amour… Le pécheur n’a donc qu’une démarche à accomplir : dire un « Oui ! » de tout cœur à Celui qui le presse de se repentir pour lui permettre de recevoir tous ces Dons de l’Esprit qu’il désire lui communiquer de toute éternité. Aussi, « Repentez-vous ! », pressait St Pierre. « Nous vous en supplions au Nom du Christ », écrivait St Paul : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu. » « Et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus Christ pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez alors le don du Saint Esprit » (Ac 2,37-38). Si le pécheur, aidé et soutenu par la grâce, consent à cette action de Dieu en son cœur, il recevra le Don de l’Esprit et vivra, dès maintenant, dans la discrétion de la foi, un Mystère de Communion avec Dieu dans l’Unique Esprit. Il bénéficiera alors de toutes ces richesses qui n’appartiennent qu’à l’Esprit… Et face à cet Esprit, le démon ne peut rien… « Mes brebis écoutent ma voix, je les connais et elles me suivent », dit Jésus. Avec le Don de l’Esprit, « je leur donne la vie éternelle », car « c’est l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63). Alors, « elles ne périront jamais et nul ne les arrachera de ma main », c’est-à-dire de ce Mystère de Communion qui dorénavant les unit au Christ dans l’unité d’un même Esprit. « Mon Père, quant à ce qu’il m’a donné, est plus grand que tous. Nul ne peut rien arracher de la main du Père », qui est tout en même temps « la main » du Fils car l’image renvoie une fois de plus à cet Esprit que le Père et le Fils possèdent en Plénitude de toute éternité. C’est pour cela, conclut, Jésus que « moi et le Père nous sommes un », bien différents, mais unis l’un à l’autre dans la Communion d’un même Esprit (Jn 10,28-30). Et c’est à ce Mystère de Communion que le Père nous appelle tous par son Fils : « Il est fidèle, le Dieu par qui vous avez été appelés à la communion de son Fils, Jésus Christ notre Seigneur » (1Co 1,9). Et Jésus, de son côté, n’a qu’un seul désir : que nous ayons part, nous aussi, à ce Mystère de Communion qu’il vit avec son Père de toute éternité : « Je ne prie pas pour eux seulement », ces disciples qui, à l’époque, l’entouraient, « mais aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi, afin que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi » par l’Esprit que je reçois de toi, « et moi en toi » par ce même Esprit, « qu’eux aussi soient en nous » en ayant aussi en eux-mêmes l’Esprit qui est en nous-mêmes (Jn 17,20-23)… C’est pour cela que l’Esprit est et demeure le grand Don que le Fils est venu nous communiquer au Nom de son Père. Lui, Jésus, le reçoit du Père de toute éternité… Et c’est ce Don, « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63) qui l’engendre ainsi éternellement à la vie… Et c’est ce même Esprit qu’il est venu nous offrir pour nous donner de participer nous aussi à sa vie… Mais ce Don de l’Esprit circule au cœur d’une relation éternelle : celle que vivent le Père et le Fils depuis toujours… C’est cette relation que le démon désirait casser en invitant Jésus à prendre son autonomie vis-à-vis de son Père… Cet Esprit, à notre tour, nous le recevons dans le cadre d’une relation d’amour vécue dans la foi au Christ, une relation toujours possible grâce à cette Miséricorde dont il ne cesse de nous entourer et qui se propose toujours de régner en nous… Le démon va donc chercher à casser cette relation de foi avec le Christ par tous les moyens, en nous poussant à ne plus prier, à ne plus lire la Parole de Dieu, à ne plus aller à la Messe, et en nous invitant à chercher notre bonheur en dehors d’une relation de cœur avec Dieu. Mais ce bonheur ne pourra qu’être fragile et éphémère. Heureux plutôt ceux qui se confient en Dieu ! Ils ne seront jamais déçus…

 

La vraie parenté de Jésus (Mc 3,20-21 ; 3,31-35)

Juste avant tout ce passage sur Satan, St Marc nous a présenté en quelques lignes Jésus, « à la maison », sans plus de précisions. Nous sommes très certainement à Capharnaüm, chez St Pierre, là où il logeait habituellement (Mc 2,1). « A nouveau, la foule se rassemble » pour l’écouter, et à nouveau, Jésus va répondre sans compter à ce besoin, à ce désir, à cette attente… Et il le fait avec une telle générosité « qu’il ne pouvait même pas manger de pain »… En St Jean (Jn 4), lorsqu’il rencontre une Samaritaine au bord d’un puits, à midi, au plus fort de la chaleur, il est « fatigué par la marche », « assis près du puits », et en voyant cette femme s’approcher pour puiser de l’eau avec une corde et un sceau, il lui dit : « J’ai soif ! » Puis, la discussion va se poursuivre, et c’est Jésus qui va lui proposer « l’Eau Vive » de l’Esprit qui, seule, peut combler la soif intérieure de cette femme, son désir légitime de « bien-être »… « Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim, celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif » (Jn 6,35). Jésus pense donc avant tout à elle, il s’est oublié… Et St Jean ne nous dit pas qu’il a bu… Bien plus, lorsque ses disciples reviennent avec de quoi manger, ils le pressent de se nourrir de ce qu’ils ont pu trouver dans les commerces aux alentours. Mais Jésus attend cette femme Samaritaine qui est partie « à la ville » en « laissant là sa cruche »… Il sait qu’elle va revenir avec tous ceux et celles qu’elle aura rencontrés et à qui elle aura raconté ce qu’elle a vécu avec lui… Et à nouveau, il se préoccupera avant tout d’eux en leur parlant du Royaume des Cieux tout proche, de ce Père qui n’est qu’Amour et qui ne désire que le Bien-Être de tous les hommes, ses enfants, et de cet Esprit Saint qu’il donne gratuitement, en surabondance, et qui seul peut combler les cœurs de sa Plénitude d’Être, de Lumière et de Vie… Telle est toute sa mission… « Les disciples », eux, « le priaient : « Rabbi, mange ! » C’est qu’ils ont faim depuis le temps qu’ils marchent ! Mais Jésus leur répondit : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et de mener son œuvre à bonne fin »… « Son œuvre » de salut par le Don de cet « Esprit qui vivifie » donné « en fleuves » : « Je suis venu pour qu’on ait la vie et qu’on l’ait en surabondance » (Jn 10,10 ; 7,37-39)… Telle est sa seule préoccupation… Et le texte ne nous présente pas par la suite Jésus mangeant et buvant, ce qu’il fera certainement en acceptant l’invitation de ces Samaritains à demeurer chez eux. Mais son seul souci sera de donner à nouveau ces Paroles reçues de son Père (Jn 17,8), pour leur vie (Jn 6,68 ; 6,47)… « Et il y demeura deux jours, et ils furent bien plus nombreux à croire à cause de sa Parole »…

 PApe François entouré

Jésus les a enseigné, comme ici, en St Marc, en s’oubliant lui-même et en ne pensant qu’à apaiser leur soif de Bonheur et de Vie… « Les siens l’ayant appris, partirent pour se saisir de lui car ils disaient : « Il a perdu le sens » » (Mc 3,21). Sa famille s’inquiète donc pour lui, et cette réaction nous semble pleine de bon sens… Mais est-ce à nous de donner des leçons de « bon sens » à Jésus ? Ne sait-il pas ce qu’il fait ? Ne commence-t-il pas à nous donner ici l’exemple du « plus grand amour » qui va jusqu’à « donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,13) ? Avec toutes leurs bonnes intentions, la famille de Jésus apparaît ici comme un obstacle à l’accomplissement de sa mission, et St Marc le suggère avec ce verbe « se saisir » qui apparaîtra cinq fois dans le récit de la Passion (Mc 14,1.44.46.49.51)… En cet instant, ils font plus le jeu du démon que celui qui pourrait faciliter « l’œuvre de Dieu »… C’est pour cela que St Marc insère ce bref épisode juste avant cette rencontre houleuse avec « les scribes » au cours de laquelle il sera beaucoup question de « Satan », « le Prince des démons »… Même les disciples, St Pierre en premier, tomberont eux aussi dans ses pièges cachés au cœur des plus belles intentions qui soient… Ainsi, lorsque Jésus leur annoncera sa Passion pour la première fois, St Pierre, « le tirant à lui, se mettra à le réprimander. Mais lui, se retournant et voyant ses disciples, fera de vifs reproches à Pierre en disant : « Passe derrière moi, Satan ! car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ! » (Mc 8,33).

Certains membres de la famille proche de Jésus pouvaient donc être davantage du côté de ses adversaires… Ce que dira aussi St Jean : « Pas même ses frères », c’est-à-dire ses cousins, « ne croyaient en lui ». Et la parole de Jésus qui suit manifeste qu’il les regardait bien, en cet instant, comme faisant partie de ce « monde » gouverné par «  le Prince de ce monde » : « Le monde ne peut pas vous haïr ; mais moi, il me hait, parce que je témoigne que ses œuvres sont mauvaises » (Jn 7,1-9).

Et en St Marc, Jésus va inviter à faire une relecture de cette notion de famille… Certes, rien ni personne ne pourra enlever l’intensité des « liens du sang ». Mais Jésus sait bien, pour l’avoir expérimenté lui-même avec les siens, que les familles se diviseront à cause de lui… « N’allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Car je suis venu opposer l’homme à son père, la fille à sa mère et la bru à sa belle-mère » (Mt 10,34-35).

Par contre, tous ceux et celles qui, en l’acceptant, accepteront à travers Lui le Père venu rassembler en sa Maison tous ses enfants, Jésus les regardera comme sa vraie famille : «  « Qui est ma mère ? Et mes frères ? » Et, promenant son regard sur ceux qui étaient assis en rond autour de lui, il dit : « Voici ma mère et mes frères. Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là m’est un frère et une sœur et une mère » » (Mc 3,33-35). Et quelle est « la volonté de Dieu », pour nous, pécheurs ? C’est que nous nous repentions du mal qui peut encore habiter notre vie, que nous l’offrions à « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29), Lui que le Père a envoyé dans le monde pour nous offrir « le pardon des péchés » (Lc 5,20) et avec lui, la Plénitude de la Vie, de la Paix et de la Joie… « Dieu veut », en effet, « que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,4), c’est-à-dire « rassemblés auprès de lui dans l’Amour » (Ep 1,3-10). C’est « là » qu’est le Fils, de toute éternité, vivant de la Plénitude de Vie qu’il ne cesse de recevoir du Père (Jn 5,26 ; 6,57). C’est « là » aussi qu’il veut que nous soyons tous : « Père, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi » (Jn 17,24). Répondre à cette invitation du Père lancée par le Fils, et à laquelle le Fils va collaborer de tout son être, c’est accomplir la volonté de Dieu… Puissions-nous donc tous l’accomplir, pour notre joie et celle de Dieu.

                                                                                                                       D. Jacques Fournier

 

Le regard de Ste Thérèse de Lisieux sur le démon.

 « Je me souviens d’un rêve que j’ai dû faire vers cet âge et qui s’est profondément gravé dans mon imagination. Une nuit, j’ai rêvé que je sortais pour aller me promener seule au jardin. Arrivée au bas des marches qu’il fallait monter pour y arriver, je m’arrêtai saisie d’effroi. Devant moi, auprès de la tonnelle, se trouvait un baril de chaux et sur ce baril deux affreux petits diablotins dansaient avec une agilité surprenante malgré des fers à repasser qu’ils avaient aux pieds ; tout à coup ils jetèrent sur moi leurs yeux flamboyants, puis au même moment, paraissant bien plus effrayés que moi, ils se précipitèrent au bas du baril et allèrent se cacher dans la lingerie qui se trouvait en face. Les voyant si peu braves je voulus savoir ce qu’ils allaient faire et je m’approchai de la fenêtre. Les pauvres diablotins étaient là, courant sur les tables et ne sachant comment faire pour fuir mon regard ; quelquefois ils s’approchaient de la fenêtre, regardant d’un air inquiet si j’étais encore là et me voyant toujours, ils recommençaient à courir comme des désespérés. Sans doute ce rêve n’a rien d’extraordinaire, cependant je crois que le Bon Dieu a permis que je m’en rappelle, afin de me prouver qu’une âme en état de grâce n’a rien à craindre des démons qui sont des lâches, capables de fuir devant le regard d’un enfant »…

 Therese novice

 « Enfin le beau jour de mes noces arriva » (Jour de son engagement définitif envers Dieu), « il fut sans nuages, mais la veille il s’éleva dans mon âme une tempête comme jamais je n’en avais vue… Pas un seul doute sur ma vocation ne m’était encore venu à la pensée, il fallait que je connaisse cette épreuve. Le soir, en faisant mon chemin de la Croix après matines, ma vocation m’apparut comme un rêve, une chimère… je trouvais la vie du Carmel bien belle, mais le démon m’inspirait l’assurance qu’elle n’était pas faite pour moi, que je tromperais les supérieures en avançant dans une voie où je n’étais pas appelée… Mes ténèbres étaient si grandes que je ne voyais ni ne comprenais qu’une chose : Je n’avais pas la vocation !… Ah ! comment dépeindre l’angoisse de mon âme ?… Il me semblait (chose absurde qui montre que cette tentation était du démon) que si je disais mes craintes ma maîtresse elle allait m’empêcher de prononcer mes Saints Vœux ; cependant je voulais faire la volonté du bon Dieu et retourner dans le monde plutôt que rester au Carmel en faisant la mienne ; je fis donc sortir ma maîtresse et remplie de confusion je lui dis l’état de mon âme… Heureusement elle vit plus clair que moi et me rassura complètement ; d’ailleurs l’acte d’humilité que j’avais fait venait de mettre en fuite le démon qui pensait peut-être que je n’allais pas oser avouer ma tentation. Aussitôt que j’eus fini de parler mes doutes s’en allèrent, cependant pour rendre plus complet mon acte d’humilité, je voulus encore confier mon étrange tentation à notre Mère qui se contenta de rire de moi ».

 Therese charité

« Oui je le sens, lorsque je suis charitable, c’est Jésus seul qui agit en moi ; plus je suis unie à Lui, plus aussi j’aime toutes mes sœurs. Lorsque je veux augmenter en moi cet amour, lorsque surtout le démon essaie de me mettre devant les yeux de l’âme les défauts de telle ou telle sœur qui m’est moins sympathique, je m’empresse de rechercher ses vertus, ses bons désirs, je me dis que si je l’ai vue tomber une fois elle peut bien avoir remporté un grand nombre de victoires qu’elle cache par humilité, et que même ce qui me paraît une faute peut très bien être à cause de l’intention un acte de vertu. Je n’ai pas de peine à me le persuader, car j’ai fait un jour une petite expérience qui m’a prouvé qu’il ne faut jamais juger. C’était pendant une récréation, la portière sonne deux coups, il fallait ouvrir la grande porte des ouvriers pour faire entrer des arbres destinés à la crèche. La récréation n’était pas gaie, car vous n’étiez pas là, ma Mère chérie, aussi je pensais que si l’on m’envoyait servir de tierce, je serai bien contente ; justement mère Sous-Prieure me dit d’aller en servir, ou bien la sœur qui se trouvait à côté de moi ; aussitôt je commence à défaire notre tablier, mais assez doucement pour que ma compagne ait quitté le sien avant moi, car je pensais lui faire plaisir en la laissant être tierce. La sœur qui remplaçait la dépositaire nous regardait en riant et voyant que je m’étais levée la dernière, elle me dit : « Ah ! j’avais bien pensé que ce n’était pas vous qui alliez gagner une perle à votre couronne, vous alliez trop lentement »…»

—————————————————-

[1] Littéralement, St Jean a écrit : « Le Père aime le Fils, et il a tout donné (et il le fait encore) en sa main ». Et nous avons tous été créés à l’image du Fils (Rm 8,29) pour recevoir, comme le Fils, la Plénitude de cette Vie qui ne cesse de jaillir de toute éternité du cœur du Père…

[2] Jn 4,24 : « Dieu est Esprit ». 1Th 4,8 : « Dieu vous a fait le Don de son Esprit Saint »… 1Jn 4,13 : « Il nous a donné de son Esprit »… Par ce Don, Dieu nous associe à ce qu’Il Est : Plénitude de Lumière et de Vie… Et c’est ainsi, patiemment, de Miséricorde en Miséricorde, qu’il nous relève, nous relève encore et nous guérit : « Le Seigneur est sur eux, ils vivent et tout ce qui est en eux est vie de son Esprit. Tu me guériras, fais-moi vivre » (Is 38,16)…

[3] LYONNET Stanislas, article « Satan », dans le VOCABULAIRE DE THÉOLOGIE BIBLIQUE (Edition du Cerf), colonne 1197.

Fiche n°9 (Mc 3,22-35) en format PDF pour une éventuelle impression.