Mc 6,1-52 : Je Suis avec vous, pour vous, pour votre Vie…
La visite à Nazareth (Mc 6,1-6a)
Grâce à Jésus, le Serviteur du Père, la petite fille de Jaïre, l’un des chefs de la synagogue de Capharnaüm, vient de revenir à la vie. Jésus décide maintenant de retourner dans la ville de son enfance, Nazareth, située à environ 30 kilomètres à vol d’oiseau au sud ouest de Capharnaüm. Comme d’habitude, il a pris l’initiative de cette démarche mais « le Fils ne peut rien faire de lui-même qu’il ne le voie faire au Père ; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement, car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait » (Jn 5,19-20). Et Jésus le répètera un peu plus loin : « Je ne puis rien faire de moi-même » (Jn 5,30). Rien… C’est donc le Père qui l’invite ici à retourner à Nazareth et le Christ vit cette nouvelle étape comme toutes les précédentes dans une obéissance et une confiance totales vis-à-vis de Celui qui le guide dans l’accomplissement de sa mission… « Je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé. Or c’est la volonté de celui qui m’a envoyé que je ne perde rien de tout ce qu’il m’a donné, mais que je le ressuscite au dernier jour. Oui, telle est la volonté de mon Père, que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour » (Jn 6,38-40). Le Père lui a donc donné l’humanité à sauver : il est « le Sauveur du monde » (Jn 4,42). Il se doit donc d’aller vers tous, sans exception, encore et encore, d’une manière ou d’une autre…
Nazareth, basilique de l’Annonciation
« Etant sorti de là, il se rend dans sa patrie, et ses disciples le suivent »… Le Fils obéit donc au Père, par amour et dans l’amour, dans la certitude que le Père ne peut que vouloir le meilleur pour lui… Et les disciples sont invités à leur tour à obéir à Jésus, car avec Lui et par Lui, l’Amour avec un grand A se manifeste, un Amour qui ne désire et ne recherche que le meilleur pour chacun d’entre nous… Certes, les difficultés de la vie seront toujours là, et il nous aidera à combattre celles qui peuvent l’être… Mais pour le reste, il sera avec nous pour que notre chemin d’épreuve soit tout en même temps un Chemin de Lumière et de Paix… « Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20). Cette attitude d’obéissance et de disponibilité des disciples est donc toujours d’actualité… Certes, l’Eglise n’a plus cette perception visuelle, humaine et immédiate du Christ, mais la dynamique est toujours la même car « Jésus Christ est le même hier et aujourd’hui, il le sera à jamais » (Hb 13,8). Alors, aujourd’hui encore, il s’agit tout simplement de le suivre, pas à pas, sur ce chemin de notre vie où il est déjà présent…
Vieille Eglise à l’emplacement d’une ancienne synagogue de Nazareth
« Le sabbat venu, il se mit à enseigner dans la synagogue » de Nazareth, car tel est le cœur de sa mission : « Un jour, il se rendit dans un lieu désert. Les foules le cherchaient et, l’ayant rejoint, elles voulaient le retenir et l’empêcher de les quitter. Mais il leur dit : « Aux autres villes aussi il me faut annoncer la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu, car c’est pour cela que j’ai été envoyé. » Et il prêchait dans les synagogues » (Lc 4,42‑44)… Et que disait-il ? « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur »… Et c’est « aujourd’hui que s’accomplit à vos oreilles ce passage » d’Isaïe (Lc 4,16s ; Is 61,1-2). Alors, « celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende » (Lc 14,35) « ce que l’Esprit dit aux Eglises » (Ap 2,7.11.17.29 ; 3,6.13.22) car c’est par l’Esprit que le Fils reçoit ces Paroles de son Père (Jn 3,34 TOB ; 17,8), et c’est ce même Esprit qui vient ensuite les dire au cœur de tous ceux et celles qui les entendent de Jésus… Il s’agira donc avant tout de prêter l’oreille de son cœur…
En effet, lorsque Jésus donne ces Paroles qu’il a reçues du Père, il a bien conscience « qu’il dit la vérité qu’il a entendue de Dieu » (Jn 8,40 ; 8,45-46). Et une des missions de « l’Esprit de Vérité » est de rendre témoignage à cette vérité : « L’Esprit de Vérité qui vient du Père me rendra témoignage » (Jn 15,27). Mais encore faut-il accueillir cette « Parole de vérité » (Ep 1,13), lui ouvrir son cœur, accepter qu’elle nous remette en question… « Vous cherchez à me tuer », disait Jésus à ses adversaires, « parce que ma parole ne pénètre pas en vous » (Jn 8,37). L’Esprit qui se joint toujours à elle (Jn 3,34 BJ) ne pouvait donc pas lui aussi pénétrer en eux. Or cet Esprit est Amour (Jn 4,24 et 1Jn 4,8.16). Aussi, disait Jésus, « je vous connais : vous n’avez pas en vous l’amour de Dieu » (Jn 5,42). Ce même Esprit est Lumière (Jn 4,24 avec 1Jn 1,5). Mais, hélas, « la Lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la Lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises » (Jn 3,19).
Impossible donc en refusant d’accueillir la Parole du Christ et avec elle l’Esprit de Lumière, de « revenir des ténèbres à la Lumière, de l’empire de Satan à Dieu, et d’obtenir par la foi en lui, la rémission de ses péchés et une part d’héritage avec les sanctifiés » (Ac 26,18). Enfin, cet Esprit est Vie (Jn 4,24 avec 1Jn 1,5 et Jn 1,4 et 8,12). Refuser d’accueillir la Parole et avec elle l’Esprit qui vient la dire en nos cœurs, c’est donc au même moment se priver de cette Plénitude de Vie spirituelle et éternelle… Les pécheurs apparaissent peut-être comme des vivants aux yeux du monde, mais en fait, ils sont morts : « Le salaire du péché, c’est la mort ; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 6,23).
Par contre, ceux et celles qui accueillent de tout cœur les Paroles du Christ, accueillent avec elles l’Esprit qui est Vie (Jn 6,63 ; Ga 5,25), une Vie qui, par sa simple Présence est témoignage rendu à ces Paroles qui nous parlent de la Vie éternelle. C’est ainsi que Pierre pouvait dire à Jésus : « Tu as les Paroles de la Vie éternelle » (Jn 6,68). En l’écoutant, il vivait cette Vie, il expérimentait une réalité nouvelle, spirituelle, qui se manifestait à son cœur. C’est donc par cette Vie reçue que l’on peut constater, en la vivant, la Vérité des Paroles du Christ et, petit à petit, croire en lui : « En vérité, en vérité, je vous le dis : celui qui croit a la vie éternelle »… Et « c’est l’Esprit qui rend témoignage… Celui qui croit au Fils de Dieu a ce témoignage en lui… Et voici ce témoignage : c’est que Dieu nous a donné la vie éternelle et que cette vie est dans son Fils. Qui a le Fils a la vie ; qui n’a pas le Fils n’a pas la vie. Je vous ai écrit ces choses, à vous qui croyez au nom du Fils de Dieu, pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle » (1Jn 5,5‑13).
Cette Vie de l’Esprit se reçoit au plus profond du cœur, dans l’invisible de la foi… Percevoir sa Présence, d’une manière ou d’une autre, c’est cela, dans la foi, « entendre » et « voir »… C’est donc avant tout au cœur que le Christ s’adresse lorsqu’il dit : « Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage » d’Isaïe (Lc 4,16-22)… Alors, « celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende » (Lc 14,35) « ce que l’Esprit dit » à nos cœurs en nous communiquant sa Vie, une Vie qui, par sa simple Présence, sera « Lumière » (Jn 1,4 ; 8,12) et Paix… St Paul, tout comme le Christ, se désolait lorsqu’il constatait que trop nombreux étaient ceux qui « ont des oreilles, et ils n’entendent pas, des yeux et ne voient pas. C’est que le cœur de ce peuple s’est épaissi » (Ac 28,27 ; Mt 13,15 ; Jn 12,37-40 ; cf. Is 6,10 ; Jr 5,21 ; Ez 12,2)… Heureusement, nous dit Jésus, « ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs » au cœur épaissi (Lc 5,31-32 ; Mc 8,17 ; 6,52)… Qu’ils acceptent seulement de faire la vérité dans leur vie, car « celui qui fait la vérité vient à la Lumière » (Jn 3,21), la Lumière du « Père des Miséricordes » (2Co 1,3) qui, avec son Fils et par Lui, est venu frapper à la porte de nos cœurs (Ap 3,20) pour « enlever le péché du monde » (Jn 1,29) et toutes ses conséquences. Alors, la Lumière de la Miséricorde, donnée gratuitement, par amour, viendra « briller » au cœur de tous et celles qui acceptent de la recevoir en se repentant du mal qu’ils ont pu commettre. « En Lui », le Fils, « était la Vie, et la Vie était la Lumière des hommes, et la Lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas saisie » (Jn 1,4-5). Cette victoire de la Lumière sur nos ténèbres permet à nos cœurs aveugles de voir, à nos cœurs sourds d’entendre. Il suffit d’apprendre à se laisser pardonner en acceptant au même moment de repartir dans ce combat toujours à refaire de notre liberté… « Ils n’auront plus à instruire chacun son prochain, chacun son frère, en disant : « Ayez la connaissance du Seigneur ! » Car tous me connaîtront, des plus petits jusqu’aux plus grands – oracle du Seigneur – parce que je vais pardonner leur crime et ne plus me souvenir de leur péché… Alors ils connaîtront que je suis le Seigneur leur Dieu car je leur donnerai un cœur et des oreilles qui entendent » (Jr 31,34 ; Ba 2,31).
Mais tel n’est pas encore le cas des habitants de Nazareth qui écoutent Jésus enseigner dans la synagogue. Ils sont pourtant étonnés, « frappés », par ce qu’ils voient et entendent… Ils reconnaissent sa sagesse… « D’où cela lui vient-il ? Et qu’est ce que cette sagesse qui lui a été donnée ? ». Souvenons-nous de la parole d’Isaïe que Jésus a lue, d’après St Luc, en cette circonstance : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a consacré par l’onction. »
Et cette autre parole d’Isaïe s’accomplit également : « Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur, Esprit de sagesse et d’intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de connaissance et de crainte du Seigneur, car son inspiration est dans la crainte du Seigneur » (Is 11,2-3). En effet, « le Fils Unique est toujours tourné de tout cœur vers le sein du Père » (Jn 1,18) qui, de toute éternité, est « Source d’Eau Vive » (Jr 2,13 ; 17,13), c’est-à-dire Source d’Esprit (Jn 7,37-39), de Lumière (Jn 4,24 et 1Jn 1,5) et de Vie (Jn 1,4 ; 8,12). Et dans cette Lumière de l’Esprit, le Fils dit ce qu’il vit. Sa Parole est ainsi un témoignage de Vie qui nous est adressé dans le seul but de nous permettre, à nous aussi, de participer à cette Vie. « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14,6). Si vous acceptez de vivre à ma suite dans la vérité, vous ne pourrez que trouver vous aussi la Lumière de la Vie que je reçois du Père de toute éternité… Mais il faut pour cela adopter l’attitude du Fils et donc se tourner de tout cœur vers le sein du Père en abandonnant au même moment tout ce qui lui est contraire… Tel est l’appel que le Père, dans sa Miséricorde et sa Tendresse, ne cesse de nous adresser par son Fils car il désire, plus que nous-mêmes, nous combler nous aussi, comme son Fils, de la Lumière et de la Vie de l’Esprit. Nous avons tous été créés pour cela… Et le Fils, de son côté, ne cesse de nous révéler ce désir du Père : « Les paroles que tu m’as données, je les leur ai données » (Jn 17,8). « Ainsi donc, ce que je dis, tel que le Père me l’a dit, je le dis » (Jn 12,50). Alors, cette sagesse lui a été donnée par qui ? Par Dieu son Père, tout comme « ces grands miracles qui se font par ses mains » et qui sont « les œuvres du Père » (Jn 10,37-38) que le Fils accomplit pour nous réveiller de notre torpeur. Et pourtant, le déclic de la foi ne se fait pas… Les habitants de Nazareth en restent au visible sans remonter à la source invisible des Paroles et des actes de Jésus : le Père qui est « Esprit » (Jn 4,24) et qui échappe donc, par nature, à l’emprise immédiate de nos sens corporels. De leurs yeux de chair, ils voient bien, de leurs oreilles de chair, ils entendent bien, mais « vous aurez beau entendre, vous ne comprendrez pas ; vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas. C’est que l’esprit de ce peuple s’est épaissi : ils se sont bouché les oreilles, ils ont fermé les yeux, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n’entendent, que leur esprit ne comprenne, qu’ils ne se convertissent, et que je ne les guérisse » (Mt 13,14-15).
La seule solution ? Ne pas se boucher les oreilles, ne pas fermer ses yeux à la vérité de notre être si souvent défaillant… L’accepter, c’est quelque part se présenter devant Dieu avec « un cœur brisé » (Ps 34(33),19 ; 51(50),19 ; 147,3) : « Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, je ne mérité plus d’être appelé ton fils » (Lc 15,21). Cette attitude est vérité, humilité et abandon entre les mains de Celui qui nous connaît déjà à fond et qui ne cesse de nous appeler, de nous aimer, de nous renouveler sa confiance… Alors que sa Passion approchait, Jésus savait que Pierre allait défaillir… Aussi va-t-il prier pour que sa foi, elle, ne défaille pas, pour que Pierre continue de croire, envers et contre tout, à l’infini de la Miséricorde de Dieu (1Jn 3,20) : « J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères ». Et Pierre de lui répondre : « Seigneur, je suis prêt à aller avec toi et en prison et à la mort » (Lc 22,31-34). « Si tous succombent à cause de toi, moi, je ne succomberai jamais. » Jésus lui répliqua : « En vérité, je le dis : cette nuit même, avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois » (Mt 26,30-35). Et c’est bien ce qui arriva… Mais juste après sa défaillance, Pierre croisera le regard d’Amour de Jésus, « et sortant dehors, il pleura amèrement » (Lc 22,62). Son cœur vient de se briser… Il reconnaît sa faiblesse… Jamais plus il ne dira : « Si tous succombent à cause de toi, moi, je ne succomberai jamais ». Il vient de faire l’expérience du contraire, mais il a aussi expérimenté juste après l’amour indéfectible de Dieu à son égard… Et voilà ce dont il sera le témoin jusqu’à la fin de sa vie, car cet Amour du Père est le même pour tous ses enfants, pour tous les hommes…
Par son pardon, Dieu nous donne ainsi un cœur pour voir, un cœur pour entendre… Il nous éveille à la réalité de sa Lumière et de sa Vie qu’il veut voir régner dans nos cœurs… « Je suis émerveillé et étonné du changement que la grâce a opéré en moi. Comme le dit Claudel, « l’état d’un homme qu’on arracherait d’un seul coup de sa peau pour le planter dans un corps étranger, au milieu d’un monde inconnu » » (Jacques Fesch)…
Mais pour l’instant, les habitants de Nazareth en restent à cet « humain » immédiatement perceptible de ce Jésus qu’ils croient si bien connaître… « Celui-là, n’est-il pas le charpentier (ho tektôn) ? » « Notons, au passage, qu’à l’époque, ce métier s’étendait, au delà du bois, au travail de tous les matériaux : le charpentier faisait les maisons »[1]. « Celui-là, n’est-il pas… le fils de Marie? » C’est vrai et St Marc ne nomme pas Joseph car il sait bien, par sa foi, que l’humanité de Jésus a été engendrée en Marie par le Père qui a déployé en elle la Puissance du Saint Esprit (Lc 1,35 ; Mt1,20‑21). St Luc, qui raconte le récit de l’Annonciation à Marie, évoquera bien clairement la méprise de tous ceux et celles qui croyaient si bien connaître Jésus : « Lors de ses débuts, il avait environ trente ans, et il était, à ce qu’on croyait, fils de Joseph » (Lc 3,23). Et dans le passage parallèle à celui que nous lisons en St Marc, il écrit : « Tous lui rendaient témoignage et étaient en admiration devant les paroles pleines de grâce qui sortaient de sa bouche. Et ils disaient : « N’est-il pas le fils de Joseph, celui‑là ? » » (Lc 4,22). Philippe, au début de l’Evangile de Jean, semble lui aussi faire la même erreur : « Philippe trouve Nathanaël et lui dit : « Celui dont Moïse a écrit dans la Loi, ainsi que les prophètes, nous l’avons trouvé ! C’est Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth » (Jn 1,45). Et plus loin, dans son discours dans la synagogue de Capharnaüm, où il se présentera comme « le Pain de Vie », ses interlocuteurs s’étonneront eux aussi : « Ils disaient : « Celui-là n’est-il pas Jésus, le fils de Joseph, dont nous connaissons le père et la mère ? Comment peut-il dire maintenant : Je suis descendu du ciel ? » » (Jn 6,42). Nous le voyons avec ce dernier verset : ils sont tellement sûrs de ce qu’ils croient savoir au sujet de ses origines qu’ils ne peuvent envisager autre chose. Ils connaissent son père ? Mais non, ils ne le connaissent pas ! Et s’ils étaient seulement honnêtes vis-à-vis d’eux-mêmes et de Dieu dont ils se réclament, « si Dieu était vraiment votre Père », leur dit Jésus, « vous m’aimeriez, car c’est de Dieu que je suis sorti et que je viens » (Jn 8,41-42). En plus, il existait également une croyance en Israël qui disait que lorsque le Messie tant attendu arrivera, « personne ne saura d’où il est » : « Lui, nous savons d’où il est, tandis que le Christ, à sa venue, personne ne saura d’où il est » (Jn 7,27), disent-ils. Et la note de la Bible de Jérusalem explique : « On savait bien que le Messie devait naître à Bethléem (Jn 7,42 ; Mi 5,1), mais la croyance commune était qu’il devait demeurer caché en un lieu inconnu (cf. Mt 24,26), certains disaient « au ciel », jusqu’au jour de son avènement. Par son origine céleste, Jésus répond à cette croyance, mais à l’insu de ses interlocuteurs »…
Comment comprendre l’expression « frères et soeurs de Jésus » ?
Et ses frères, ils les connaissent bien eux aussi… N’est-il pas « le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Et ses sœurs, ne sont-elles pas ici chez nous ? » Le mot « frère » peut avoir de multiples sens selon le contexte :
1 – Frères de sang comme Simon et André, Jacques et Jean (Mc 1,16.19).
2 – Demi-frère comme Philippe et Hérode Antipas, avec un même père, Hérode le Grand, mais avec deux mères différentes, Cléopâtre et Malthacé.
3 – Cousins, parents éloignés comme ici Joset et Jacques qui sont les fils d’une autre Marie qui sera présente elle aussi lors des évènements tragiques de la Passion (Mc 15,40.47).
4 – Disciples de Jésus, recevant par leur foi la même Vie éternelle que celle que le Fils Unique reçoit du Père de toute éternité. « « Qui est ma mère ? Et mes frères ? » Et, promenant son regard sur ceux qui étaient assis en rond autour de lui, il dit : « Voici ma mère et mes frères. Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là m’est un frère et une sœur et une mère » » (Mc 3,31‑35). Et une fois ressuscité d’entre les morts, il dira à Marie de Magdala : « Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jn 20,17). Cette parole, adressée aux disciples, est valable à travers eux pour tous les hommes de tous les temps…
Ses interlocuteurs de Nazareth le connaissent donc trop bien, du moins le croient-ils… « Ils savent », et refusent de remettre en question leur savoir… « Ils étaient choqués à son sujet » car ce qu’ils entendaient de lui, sa « sagesse », et ce qu’ils voyaient, « ces grands miracles qui se font par ses mains », ne correspondait pas à l’image qu’ils se faisaient de ce « charpentier » qu’ils côtoyaient depuis sa plus tendre enfance… Jésus ne peut que le constater : « Un prophète n’est méprisé que dans sa patrie, dans sa parenté et dans sa maison. » Le terme employé rappelle « le mépris des orgueilleux » (Ps 123,4), une attitude comparable à celle de certains Pharisiens « qui se flattaient d’être des justes et n’avaient que du mépris pour les autres » (Lc 18,9-14). Eux aussi « savaient », même s’ils allaient bien plus loin dans leur jugement que ces habitants de Nazareth : « Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur », disaient-ils, car Jésus faisait ce que, d’après eux, il était interdit de faire le jour du sabbat… « Cessez de juger selon l’apparence, jugez selon la justice » (Jn 7,24), leur avait-il pourtant répondu. Mais non, ils demeuraient enfermés dans la tour d’ivoire de leur savoir… « C’est pour un discernement que je suis venu en ce monde : pour que ceux qui ne voient pas voient (les aveugles de cœur qui acceptent de se reconnaître comme tels en tant que pécheurs) et que ceux qui voient deviennent aveugles (les aveugles de cœur qui prétendent, dans l’illusion et la folie de leur orgueil, tout savoir, tout voir, tout comprendre et donc pouvoir juger de tout). Des Pharisiens, qui se trouvaient avec lui, entendirent ces paroles et lui dirent : « Est-ce que nous aussi, nous sommes aveugles ? » Jésus leur dit : « Si vous étiez aveugles (si vous acceptiez de vous reconnaître blessés, imparfaits), vous n’auriez pas de péché (ce « grand péché » qu’est l’orgueil (Ps 19(18),14) et qui ne permet pas au Christ Sauveur d’accomplir son œuvre : enlever le péché du monde (Jn 1,29) ; mais vous dites : « Nous voyons ! » Votre péché demeure. » » (Jn 9,39-41).
A Nazareth aussi, la réaction du plus grand nombre, ne permit pas à Jésus d’agir comme il aurait voulu : « Il ne pouvait faire là aucun miracle », la porte de leur cœur étant fermée… Quelques infirmes acceptèrent pourtant de s’abandonner entre ses mains, tels qu’ils étaient, une infirmité qui, à l’époque, était comprise comme la conséquence du péché… Jésus les guérit en « leur imposant les mains. Et il s’étonna de leur manque de foi »…
Mission des Douze (Mc 6,6b-13)
Jésus poursuit son œuvre essentielle : « Il parcourait les villages à la ronde en enseignant » la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu. Il disait : « Repentez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche » (Mt 3,2 ; 4,17 ; 10,7 ; Mc 1,15 ; Lc 10,9.11).
Puis il décide d’envoyer les Douze annoncer à leur tour cette Bonne Nouvelle (Lc 9,6). Ils partiront « deux par deux » car toute affaire, à l’époque, devait se régler « sur la parole de deux ou trois témoins » (Dt 19,15). Leur mission sera donc avant tout de rendre témoignage à ce Royaume de Lumière, de Paix et de Vie qu’ils ont expérimenté avec Jésus grâce « aux entrailles de Miséricorde de notre Dieu » (Lc 1,76-79). Eux aussi se sont repentis, eux aussi ont reçu le pardon de toutes leurs fautes, et jour après jour ils comptent sur cette Miséricorde pour les soutenir dans leurs combats… Je porte « une écharde en ma chair », disait St Paul.
« A ce sujet, par trois fois, j’ai prié le Seigneur pour qu’il l’éloigne de moi. Mais il m’a déclaré : « Ma grâce te suffit : car la puissance se déploie dans la faiblesse. C’est donc de grand cœur que je me glorifierai surtout de mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissance du Christ » (2Co 12,7-10). Les disciples auront donc à proclamer la Bonne Nouvelle de ce « Père des Miséricordes » (2Co 1,3) qui ne cesse d’offrir largement son pardon à quiconque accepte de se repentir… Et c’est par sa Miséricorde surabondante qu’il remporte la victoire sur le mal, une victoire pleinement manifestée par la Résurrection de son Fils crucifié alors « qu’il n’avait rien fait de mal » (Lc 23,41). C’est donc avant tout de cela que les disciples doivent être les témoins, à l’invitation même du Christ Ressuscité, et donc victorieux : « Il leur dit : « Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et qu’en son Nom le repentir en vue de la rémission des péchés serait proclamé à toutes les nations, à commencer par Jérusalem. De cela vous êtes témoins » (Lc 24,47). Et pour manifester cette victoire de la Miséricorde, une des toutes premières œuvres du Ressuscité sera de bénir tous ceux et celles qui, d’une manière ou d’une autre, avaient contribué à sa mise en croix. C’est ce que St Pierre leur dira : « Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères a glorifié son serviteur Jésus que vous, vous avez livré et que vous avez renié devant Pilate, alors qu’il était décidé à le relâcher. Mais vous, vous avez chargé le Saint et le Juste ; vous avez réclamé la grâce d’un assassin, tandis que vous faisiez mourir le prince de la vie. Dieu l’a ressuscité des morts : nous en sommes témoins… (Et) c’est pour vous d’abord que Dieu a ressuscité son Serviteur et l’a envoyé vous bénir, du moment que chacun de vous se détourne de ses perversités » (Ac 3,13-26). « D’entendre cela, ils eurent le cœur transpercé, et ils dirent à Pierre et aux apôtres : Frères, que devons-nous faire ? Pierre leur répondit : Repentez-vous, et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus Christ pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez alors le don du Saint Esprit. Car c’est pour vous qu’est la promesse, ainsi que pour vos enfants et pour tous ceux qui sont au loin, en aussi grand nombre que le Seigneur notre Dieu les appellera » (Ac 2,37-39). Et la foule des hommes appelés au salut est « immense, innombrable » (Ap 7,9-10), aussi grande que l’humanité elle-même, car « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,3-6), tous, sans exception, grâce à sa Miséricorde infinie… « Et tout ce que veut le Seigneur, il le fait au ciel et sur la terre, dans les mers et jusqu’au fond des abîmes » (Ps 135(134),6). A chacun d’entre nous maintenant de lui dire un « Oui ! » de tout cœur en lui offrant tout le mal qui a pu habiter notre vie, et en le regrettant bien sûr…. « On pourrait croire que c’est parce que je n’ai pas péché que j’ai une confiance si grande dans le bon Dieu. Dites bien, ma Mère, que si j’avais commis tous les crimes possibles, j’aurais toujours la même confiance, je sens que toute cette multitude d’offenses serait comme une goutte d’eau jetée dans un brasier ardent » (Ste Thérèse de Lisieux).
En Mc 6,7-13, le Christ envoie donc pour la première fois les Douze en mission, deux par deux, en témoins de ce Royaume des Cieux que le Père des Miséricordes donne gratuitement, par amour, à tous ceux et celles qui acceptent de se repentir de tout cœur : qu’ils se détournent du mal, qu’ils se tournent vers lui, et se laissent combler par son Pardon, sa Tendresse et la surabondance de sa Vie ! Ce premier envoi en mission des Douze sera pour eux une répétition générale de ce qui les attend après la mort et la résurrection du Christ : partir « dans le monde entier » pour « proclamer l’Évangile à toute la création » (Mc 16,15)… Et là aussi, ils partiront en équipes, en témoins : Paul et Barnabé (Ac 13,2), Jude et Silas (Ac 15,27)…
Et pour que cette première expérience missionnaire les marque à jamais, Jésus leur demande expressément de partir dans le dénuement le plus complet : « ni pain », ni « sac » pour mettre le pain, ni « menue monnaie » pour acheter du pain… « Ne mettez pas deux tuniques »… Ils ne disposent donc d’aucun habit de rechange… Pourtant, avec la chaleur et la poussière de la route, les vêtements se salissent vite… Ils ne pourront emporter « qu’un bâton seulement » et se « chausser de sandales » ; ainsi, ils souffriront moins des aspérités du chemin… Et en regardant leur bâton, peut-être se souviendront-ils du Ps 23(22),4 : « Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi ; ton bâton me guide et me rassure »…
Pourquoi de telles dispositions ? Jésus veut que ses disciples fassent l’expérience de la Providence divine. Dès lors qu’ils vivent l’obéissance au Père, dès lors qu’ils cherchent avant tout l’accomplissement de sa volonté, ils ne manqueront jamais de rien : par les uns, par les autres, d’une manière ou d’une autre, ils recevront la nourriture et les vêtements propres dont ils ont besoin…
« Jésus dit à ses disciples : « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. Car la vie est plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement. Considérez les corbeaux : ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n’ont ni cellier ni grenier, et Dieu les nourrit. Combien plus valez-vous que les oiseaux ! Qui d’entre vous d’ailleurs peut, en s’en inquiétant, ajouter une coudée à la longueur de sa vie ? Si donc la plus petite chose même passe votre pouvoir, pourquoi vous inquiéter des autres ? Considérez les lis, comme ils ne filent ni ne tissent. Or, je vous le dis, Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux. Que si, dans les champs, Dieu habille de la sorte l’herbe qui est aujourd’hui, et demain sera jetée au four, combien plus le fera-t-il pour vous, gens de peu de foi ! Vous non plus, ne cherchez pas ce que vous mangerez et ce que vous boirez ; ne vous tourmentez pas. Car ce sont là toutes choses dont les païens de ce monde sont en quête ; mais votre Père sait que vous en avez besoin. Aussi bien, cherchez son Royaume, et cela vous sera donné par surcroît. Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père s’est complu à vous donner le Royaume » (Lc 12,22-32).
Jésus Lui-même vivait ainsi… « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids ; le Fils de l’homme, lui, n’a pas où reposer la tête » (Lc 9,58). Il comptait sur le Père, il espérait en lui, il savait qu’il veillait sur lui et s’occupait de tout jusques dans les moindres détails… Et tout cela, il l’accomplissait par la bonne volonté des uns et des autres… « Et il advint ensuite qu’il cheminait à travers villes et villages, prêchant et annonçant la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu. Les Douze étaient avec lui, ainsi que quelques femmes qui avaient été guéries d’esprits mauvais et de maladies : Marie, appelée la Magdaléenne, de laquelle étaient sortis sept démons, Jeanne, femme de Chouza, intendant d’Hérode, Suzanne et plusieurs autres, qui les assistaient de leurs biens » (Lc 8,1-3).
Jésus désire donc que ses disciples fassent l’expérience de cette Providence de Dieu par les uns, par les autres, dans le plus concret de leur existence… Et ils en prendront d’autant plus conscience qu’ils n’auront rien… Ils ne pourront alors que constater que tout arrive au moment où ils en ont besoin… Cela les aidera plus tard à se libérer de toute préoccupation matérielle pour se consacrer le plus pleinement possible à leur mission, dans la confiance et dans la paix, sûrs que leur Dieu et Père veille sur eux et s’occupe très concrètement d’eux… « Votre Père sait bien ce qu’il vous faut avant même que vous le lui demandiez » (Mt 6,8)…
Jésus leur demande donc de partir dans le dénuement le plus complet, et ils vont obéir… A leur retour, ils lui raconteront « tout ce qu’ils avaient fait et tout ce qu’ils avaient enseigné » (Mc 6,30)… Et peu avant de mourir, Jésus leur rappellera cet épisode fondateur de leur vie… Même s’ils n’ont rien « vu » de particulier, ce regard en arrière leur permettra de constater que, de fait, ils n’ont manqué de rien… Et cette simple constatation contribuera à fortifier leur foi : « Quand je vous ai envoyés sans bourse, ni besace… avez-vous manqué de quelque chose ? – De rien, dirent-ils. Et il leur dit : Mais maintenant, que celui qui a une bourse la prenne, de même celui qui a une besace, et que celui qui n’en a pas vende son manteau pour acheter un glaive » (Lc 22,35-36). Il va bientôt mourir, ressusciter, disparaître à leurs yeux… Mais « il sera avec eux tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20). Lui et son Père veilleront sur eux, prendront soin d’eux, mettront les bonne personnes sur leur route, comme lors de leur premier envoi en mission… Et ils ne manqueront de rien pour accomplir cette œuvre de salut qui est avant tout celle de Dieu Lui-même : « Ils s’en allèrent prêcher en tout lieu, le Seigneur agissant avec eux et confirmant la Parole par les signes qui l’accompagnaient » (Mc 16,20). « Qu’est-ce donc qu’Apollos ? Et qu’est-ce que Paul ? Des serviteurs par qui vous avez embrassé la foi, et chacun d’eux selon ce que le Seigneur lui a donné. Moi, j’ai planté, Apollos a arrosé ; mais c’est Dieu qui donnait la croissance. Ainsi donc, ni celui qui plante n’est quelque chose, ni celui qui arrose, mais celui qui donne la croissance : Dieu… Nous sommes les coopérateurs de Dieu ; vous êtes le champ de Dieu, l’édifice de Dieu » (1Co 3,5-9). « Grâces soient à Dieu qui, dans le Christ, nous emmène sans cesse dans son triomphe et qui, par nous, répand en tous lieux le parfum de sa connaissance » (2Co 2,14-3,3). « Je vous ai écrit assez hardiment par endroits, comme pour raviver vos souvenirs, en vertu de la grâce que Dieu m’a faite d’être un officiant du Christ Jésus auprès des nations, ministre de l’Évangile de Dieu, afin que les nations deviennent une offrande agréable, sanctifiée dans l’Esprit Saint. Je puis donc me glorifier dans le Christ Jésus en ce qui concerne l’œuvre de Dieu. Car je n’oserais parler de ce que le Christ n’aurait pas fait par moi pour obtenir l’obéissance des nations, en parole et en œuvre, par la vertu des signes et des prodiges, par la vertu de l’Esprit de Dieu : ainsi, depuis Jérusalem en rayonnant jusqu’à l’Illyrie, j’ai procuré l’accomplissement de l’Évangile du Christ » (Rm 15,14-21).
Lors du premier envoi en mission, Jésus avait demandé à ses disciples de ne prendre ni « sac », ni « bourse », pour qu’ils puissent bien reconnaître la Providence de Dieu à l’œuvre. « Mais maintenant, que celui qui a une bourse la prenne, de même celui qui a une besace ». Qu’ils partent donc avec tous les moyens dont ils disposent, en essayant de les gérer au mieux, avec prudence, et en veillant à garder une vie simple, à l’image de celle de leur Maître. Et le jour où, ayant fait tout ce qui était en leur pouvoir, ils se retrouveront dans le dénuement, qu’ils n’oublient pas ce qu’ils ont vécu autrefois à l’invitation du Christ… Qu’ils continuent dans la confiance à accomplir leur mission, et une fois l’épreuve passée, ils ne pourront que constater, une fois de plus, qu’ils n’ont jamais manqué du nécessaire… Ce ne fut peut-être pas facile, mais Dieu était là et ils s’en sont sortis…
« Vendre son manteau pour acheter un glaive » ne doit pas être pris au pied de la lettre ! Juste après, au moment de son arrestation, « voyant ce qui allait arriver », certains disciples demandèrent : « Seigneur, faut-il frapper du glaive ? » Et sans attendre la réponse de Jésus, « l’un d’eux », Simon-Pierre, « frappa le serviteur du grand prêtre », Malchus, « et lui enleva l’oreille droite. Mais Jésus prit la parole et dit : « Restez-en là. » Et, lui touchant l’oreille, il le guérit » devant tout le monde (Lc 22,47-51 ; Jn 18,10), ce qui n’empêchera pas les gardes d’obéir aux ordres et de l’arrêter… « Vendre son manteau pour acheter un glaive » est donc une expression imagée de Jésus par laquelle il évoque toutes les difficultés que ses disciples rencontreront dans l’accomplissement de leur mission… « Dieu, il me semble », écrit St Paul, « nous a, nous les apôtres, exhibés au dernier rang, comme des condamnés à mort ; oui, nous avons été livrés en spectacle au monde, aux anges et aux hommes. Nous sommes fous, nous, à cause du Christ, mais vous, vous êtes prudents dans le Christ ; nous sommes faibles, mais vous, vous êtes forts ; vous êtes à l’honneur, mais nous dans le mépris. Jusqu’à l’heure présente, nous avons faim, nous avons soif, nous sommes nus, maltraités et errants ; nous nous épuisons à travailler de nos mains. On nous insulte et nous bénissons ; on nous persécute et nous l’endurons ; on nous calomnie et nous consolons. Nous sommes devenus comme l’ordure du monde, jusqu’à présent l’universel rebut » (1Co 4,9-13). Et la Bible de Jérusalem donne en note : « Souvent, Paul revient sur les peines et les persécutions qu’il rencontre dans son apostolat et la façon dont Dieu lui donne de les surmonter (2Co 4,7-12 ; 6,4-10 ; 11,23-33 ; 1Th 3,4 ; 2Tm 3,10-11). Selon lui, la faiblesse de l’apôtre démontre la puissance de celui qui l’envoie (2Co 12,9-10 ; Ph 4,13) parce que la grandeur de l’œuvre accomplie ne peut être attribuée à la seule action de l’envoyé ».
La mission ne sera donc pas toujours de tout repos ! Et Jésus le sous entend ici en évoquant la possibilité « qu’un endroit ne vous accueille pas » (Mc 6,11). Ils feront alors comme lui, ils ne s’imposeront pas (Mc 5,17 ; Lc 9,51-56). Ils respecteront ce refus, et partiront en « secouant la poussière qui est sous leurs pieds, en témoignage contre eux »… « Le rite ici décrit relève d’un antique usage oriental : on secouait la poussière de ses pieds en quittant un lieu hostile pour marquer la rupture »[2]. Nous pressentons ici le respect que Dieu a vis-à-vis de notre liberté, et donc au même moment la responsabilité qui est la nôtre dans la réponse ou non que nous lui faisons… « N’entrera pas au paradis celui qui ne voudra pas y entrer » (P. Adolphe, Abbaye Sainte Marie du Désert). Quel dommage si la raison en est une méconnaissance de Dieu ou une prise de conscience aigüe de sa misère qui fait qu’il apparaît alors impossible de tenir en sa Présence. Il s’agit donc dès maintenant d’apprendre à se laisser apprivoiser par Dieu en découvrant, jour après jour, qu’il nous aime tels que nous sommes, qu’il nous accueille les bras grands ouverts malgré « toutes nos souillures et toutes nos ordures » et que son seul désir est de nous laver, de nous purifier (Ez 36,24-28), si nous acceptons seulement de nous laisser faire…
« Étant partis, ils prêchèrent qu’on se repentît ; et ils chassaient beaucoup de démons et faisaient des onctions d’huile à de nombreux infirmes et les guérissaient » (Mc 6,12). Nous nous rappelons le « principe de vie » de Jésus : « En vérité, en vérité, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de lui-même qu’il ne le voie faire au Père ; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement, car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait » (Jn 5,19-20). Et puisque nous sommes tous appelés à devenir « à l’image du Fils » (Rm 8,28-30) grâce au « Père des Miséricordes », ce principe nous concerne nous aussi, et Jésus le dit explicitement à ses disciples dans le cadre de la relation continuelle qu’ils sont invités à vivre avec Lui, unis à Lui dans la communion d’un même Esprit… « Je suis la vigne ; vous, les sarments. Celui qui demeure en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit ; car hors de moi vous ne pouvez rien faire… Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez donc en mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez en mon amour, comme moi j’ai gardé les commandements de mon Père et je demeure en son amour » (Jn 15,1-11).
« Comme le Père m’a aimé »… « Le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait », invitant ainsi son Fils à collaborer à son œuvre… Or « le Fils aime le Père et fait comme le Père lui a commandé » (Jn 14,31)… Mais répétons-nous, dans l’amour, il ne s’agit pas de « commandements » au sens d’imposer quelque chose, mais d’invitation à collaborer… C’est ce que fait le Fils vis-à-vis du Père… « Je fais toujours ce qui lui plaît » (Jn 8,29), et ce qui plaît au Père, c’est que le Fils travaille avec lui au salut du monde… Les disciples de Jésus sont invités à entrer dans la même attitude : le Fils les associe à son œuvre qui consiste avant tout à se faire serviteur du Père… Alors, quand ils chassent beaucoup de démons, ce n’est pas eux qui les chassent, mais c’est le Père, et ils agissent en communion avec le Christ, en serviteurs du Père… Et quand ils font « des onctions d’huile à de nombreux malades », ce n’est pas eux qui les guérissaient, mais le Père…
L’Eglise continue aujourd’hui à faire des « onctions d’huile », avec l’huile consacrée par l’Evêque lors de la Messe Chrismale. Elle symbolisme le Don de l’Esprit Saint par lequel Dieu fait toutes choses nouvelles (CEC (Catéchisme de l’Eglise Catholique) & 695). Elle est utilisée dans le sacrement du baptême (CEC 1237 et 1241), de la confirmation (CEC & 1289-1294), l’ordination des prêtres et des évêques (CEC & 1574) et l’onction des malades (CEC & 1510). « Quelqu’un parmi vous est-il malade ? Qu’il appelle les presbytres de l’Église et qu’ils prient sur lui après l’avoir oint d’huile au nom du Seigneur. La prière de la foi sauvera le patient et le Seigneur le relèvera. S’il a commis des péchés, ils lui seront remis » (Jc 5,13-15). Seuls les prêtres, et bien sûr les évêques, sont les ministres de ce sacrement. « Sa grâce première est une grâce de réconfort, de paix et de courage pour vaincre les difficultés propres à l’état de maladie grave ou à la fragilité de la vieillesse. Cette grâce est un don du Saint-Esprit qui renouvelle la confiance et la foi en Dieu et fortifie contre les tentations du malin, tentation de découragement et d’angoisse de la mort. Cette assistance du Seigneur par la force de son Esprit veut conduire le malade à la guérison de l’âme, mais aussi à celle du corps, si telle est la volonté de Dieu » (CEC &1520).
Hérode, Jésus et Jean-Baptiste (Mc 6,14-29)
Hérode est ici « Hérode Antipas », fils d’Hérode le Grand (37-4 av JC) et de Malthace. Son père est donc celui qui, au moment de la naissance de Jésus, accueillit « les mages venus d’orient » et décida ensuite de « la mort de tous les enfants de moins de deux ans, dans Bethléem et tout son territoire » (Mt 2). Et puisque nous connaissons la date de sa mort, mars-avril de l’an 4 avant JC, cet ordre ayant été donné bien sûr de son vivant, en tenant compte de la fourchette de deux ans précisée précédemment, nous arrivons à une naissance de Jésus entre 4 et 7 avant Jésus Christ. « Cette anomalie est due à une erreur de calcul. Jusqu’en 533 de l’ère chrétienne, les années étaient fixées à partir de la fondation de Rome. En 533, un moine latin, Denys le Petit, entreprit de compter le temps à partir de la naissance de Jésus, et de faire, en conséquence, le calcul à rebours. Il considéra l’année 754 de la fondation de Rome comme la première année de l’ère chrétienne. Mais, d’après cette façon de compter, Hérode est mort en l’an 750 de la fondation de Rome, soit en l’an 4 de l’ère chrétienne »[3]…
Hérode Antipas pensait donc que Jésus était « Jean le Baptiste ressuscité d’entre les morts » et donc doué de pouvoirs que ne peuvent avoir les simples vivants : « d’où les pouvoirs miraculeux qui se déploient en sa personne ». Cette dernière expression a du vrai… Nous avons vu que Jésus vrai Dieu et vrai homme est tout entier au service du Père : il collabore à l’accomplissement de ses œuvres, il les révèle, il les manifeste… Avec lui et par lui, ce sont « les pouvoirs » miraculeux du Père « qui se déploient en sa personne » pour le plus grand bien de tous ceux et celles qui lui donnent leur confiance…
Jésus est le Fils Unique du Père, son Serviteur, dans l’amour… Il n’est pas « Jean le Baptiste ressuscité d’entre les morts ». Marc racontera d’ailleurs sa mort juste après… La foi en la résurrection des morts n’est attestée dans la Bible qu’au 2° siècle avant JC, dans les Livres de Daniel et des Maccabées. A l’époque de Jésus, les Pharisiens croyaient en elle (Mc 12,18-27 ; Ac 23,8)…
« D’autres disaient : « C’est Elie. » », ce grand prophète qui vécut à l’époque du roi Achab (874 à 853 av JC). D’après 2R 2,11-12, comme Elie et son disciple Elisée « marchaient en conversant, voici qu’un char de feu et des chevaux de feu se mirent entre eux deux, et Élie monta au ciel dans le tourbillon. Élisée voyait et il criait : « Mon père ! Mon père ! Char d’Israël et son attelage ! » Puis il ne le vit plus »… Enlevé vivant au ciel, il pouvait donc en redescendre vivant… Le prophète Malachie annonçait d’ailleurs son retour qui devait être le signe de l’imminence du « Jour du Seigneur », ce Jour grand et redoutable où Dieu interviendrait dans le monde de manière décisive en faveur de son peuple… « Voici que je vais vous envoyer Élie le prophète, avant que n’arrive le Jour de Yahvé, grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères vers leurs fils et le cœur des fils vers leurs pères, de peur que je ne vienne frapper le pays d’anathème » (Ml 3,23-24).
« D’autres disaient enfin : « C’est un prophète comme les autres prophètes. » » Beaucoup pensaient à l’époque de Jésus que le mouvement prophétique s’était éteint depuis deux ou trois siècles… Il se réveillait donc pour eux avec Jésus…
Le texte de la mort de Jean-Baptiste est d’une incroyable humanité, mais hélas, dans ce qu’elle peut avoir de plus horrible. Hérode Antipas avait pris auprès de lui Hérodiade, la femme de son demi-frère Philippe. Et Jean disait tout simplement à Hérode la vérité : « Il ne t’est pas permis d’avoir la femme de ton frère. »
Hérodiade l’avait appris et comme cette situation devait lui plaire, elle refusait bien sûr de se repentir et de changer quoique ce soit dans sa conduite. Jean-Baptiste était pour elle un « empêcheur de tourner en rond » et elle se mit à le haïr (cf. Jn 15,18-27) : « elle était acharnée contre lui et voulait le tuer, mais elle ne le pouvait pas ». Elle avait quand même certainement pesé de tout son poids auprès d’Hérode pour qu’il soit mis en prison : c’était lui en effet « qui avait envoyé arrêter Jean et l’enchaîner en prison, à cause d’Hérodiade, la femme de Philippe son frère qu’il avait épousée. » Mais Hérode était partagé : « il l’écoutait avec plaisir », car il savait bien que « c’était un homme juste et saint ; et il le protégeait ». Mais quand il l’avait entendu, il était « fort perplexe » (BJ ; TOB), « il ne savait vraiment que penser » (Osty). Les dictionnaires donnent pour le verbe grec employé, « aporéô », « être dans l’embarras, dans l’incertitude, être perplexe, ne pas savoir quoi faire, être incertain ». Nous avons donc ici une première faiblesse d’Hérode : face aux interpellations de Jean-Baptiste, il reste incapable de prendre une décision, de trancher, par peur du « qu’en dira-t-on », par respect humain, par lâcheté… Il est le parfait exemple de celui qui prend plaisir à écouter la Parole de Dieu mais qui demeure incapable de la mettre en pratique en prenant les décisions qui s’imposent… Le Christ et St Jacques mettent en garde contre une telle attitude… « Ce n’est pas en me disant : Seigneur, Seigneur, qu’on entrera dans le royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est dans les cieux » (Mt 7,21 ; cf. Mt 7,13-27). « Rejetez donc toute malpropreté, tout reste de malice, et recevez avec docilité la Parole qui a été implantée en vous et qui peut sauver vos âmes. Mettez la Parole en pratique. Ne soyez pas seulement des auditeurs qui s’abusent eux-mêmes ! Qui écoute la Parole sans la mettre en pratique ressemble à un homme qui observe sa physionomie dans un miroir. Il s’observe, part, et oublie comment il était. Celui, au contraire, qui se penche sur la Loi parfaite de liberté et s’y tient attaché, non pas en auditeur oublieux, mais pour la mettre activement en pratique, celui-là trouve son bonheur en la pratiquant » (Jc 1,21-25). On pourrait redire : « Qui écoute la Parole de Dieu en la mettant en pratique ressemble à un homme qui observe sa physionomie dans un miroir. » La Parole en effet le révèle à lui-même : il est un fils du Père appelé à vivre la Plénitude de la Vie du Père dans l’amour et le service d’autrui. Il pressent déjà, au plus profond de lui-même, « la liberté de la Gloire des enfants de Dieu » (Rm 8,21), à laquelle nous sommes tous appelés. Et puisque l’homme est tout un (corps, âme et esprit (1Th 5,23)), la fidélité de cœur à l’Esprit donné s’exprime par les actes du corps. Or, « le fruit de l’Esprit est amour, paix, joie » (Ga 5,22), Plénitude (Ep 5,18) et donc bonheur profond…
Certes, pour un homme pécheur, arrêter de faire le mal, rejeter « toute malpropreté, tout reste de malice » est un réel sacrifice, car il ne commettrait pas tout cela s’il n’y trouvait pas une satisfaction immédiate. C’est pourquoi Jésus disait : « Entrez par la porte étroite. Large, en effet, et spacieux est le chemin qui mène à la perdition, et il en est beaucoup qui s’y engagent; mais étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la Vie, et il en est peu qui le trouvent » (Mt 7,13-14). Renoncer à la satisfaction immédiate apportée par le péché, mourir à son égoïsme, telle est « la porte étroite », « le chemin resserré », une réelle crucifixion intérieure… Les vrais sacrifices sont là… Et comme il est facile d’aller dans l’autre sens ! « Large et spacieux est le chemin qui mène à la perdition »… En tant que renoncement au péché, la croix est donc la porte d’entrée du Royaume. Mais après avoir vu tous ces points si rébarbatifs, pour nous, pécheurs, il est bon de souligner le but recherché : non pas la croix pour la croix, mais « la Vie », la Plénitude de la Vie, « la Liberté », « le Bonheur trouvé » en mettant effectivement la Parole en pratique… Ce bonheur, Hérode ne l’a jamais connu, même s’il prenait plaisir à écouter la Parole : il est resté dehors, à la Porte du Royaume, sans jamais y entrer tout entier…
Et puis, « un jour propice » arriva… Pour son anniversaire, Hérode fit « un banquet pour les grands de sa cour, les officiers et les principaux personnages de Galilée. La fille de ladite Hérodiade entra, dansa et plut à Hérode » qui, grisé par ses passions et emporté par son orgueil, se mit à lui promettre ce que personne d’autre ne pourrait lui donner : « Demande-moi ce que tu voudras, je te le donnerai ». Et il insiste solennellement par « un serment : « Tout ce que tu me demanderas, je te le donnerai, jusqu’à la moitié de mon royaume ! »
Hérode s’est construit lui-même son propre piège. Pour ne pas perdre la face devant « les grands de sa cour », lui, le plus grand des grands, il devra effectivement donner ce qu’il n’aurait jamais offert de lui-même… Orgueil, faiblesse, lâcheté, respect humain… Il prenait beaucoup de plaisir à écouter Jean-Baptiste, mais il n’avait pas le courage de passer aux actes… Il est ici « très contristé », car il n’a pas le courage d’accepter de perdre la face devant sa cour : il préfère la gloire humaine à la gloire de Dieu… Jésus a exactement l’attitude inverse : « De la gloire, je n’en reçois pas qui vienne des hommes… Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez votre gloire les uns des autres, et ne cherchez pas la gloire qui vient du Dieu unique ? » (Jn 5,41.44). Et il vivra le châtiment le plus humiliant qui soit à l’époque, la crucifixion, nu devant la foule, pour l’amour du Père et le salut du monde… Les deux sont inséparables puisque le désir le plus cher du Père vis-à-vis du monde est son salut, sa vie, son bonheur plénier, durable, éternel…
Après un instant de passion d’un puissant de ce monde, mélangé à beaucoup d’orgueil et de lâcheté, « le garde s’en alla et décapita Jean dans sa prison »… La vie d’un homme, fut-il « un homme juste et saint », n’a pas beaucoup de prix pour ceux qui ne pensent qu’à eux-mêmes et se laissent guider par la seule recherche de leur plaisir ou de leur gloire… Bientôt Jésus, « le Saint et le Juste, le Prince de la Vie » (Ac 3,14), aura le même sort pour notre Vie à tous…
Première multiplication des pains (Mc 6,30-44)
Les apôtres reviennent de mission, « se réunissent auprès de Jésus, et ils lui rapportèrent tout ce qu’ils avaient fait et tout ce qu’ils avaient enseigné ». Et une fois de plus, Jésus va faire preuve de sa si belle humanité. Il regarde ses disciples, il les écoute. Ils se sont donnés de la peine pour annoncer la Parole, ils sont fatigués, ils ont faim… Jésus le voit et va au devant de leurs désirs : « Il leur dit : « Venez vous-mêmes à l’écart, dans un lieu désert, et reposez-vous un peu ». De fait, les arrivants et les partants étaient si nombreux que les apôtres n’avaient pas même le temps de manger ». Aussitôt dit, aussitôt fait : « Ils partirent donc dans la barque vers un lieu désert, à l’écart ».
Mais les foules sont assoiffées de cette Parole de Vie… Alors en regardant la direction prise leur barque, ils devinent où ils vont accoster et ils les devancent en marchant le long de la berge… « En débarquant, Jésus vit une foule nombreuse » qui espère en sa Bonté, et, littéralement, « il fut bouleversé jusqu’au plus profond de lui-même », « il ressentit une viscérale compassion » (P. C. Spicq). Pourquoi ? « Parce qu’ils étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger »… Pourtant, Israël avait bien des scribes, des Pharisiens, des Prêtres, un Grand Prêtre… Mais dans l’ensemble, ils étaient infidèles à leur mission… Il faudrait relire tout Ezéchiel 34. « Malheur aux pasteurs d’Israël qui se paissent eux-mêmes. Les pasteurs ne doivent-ils pas paître le troupeau ? » Ils sont bien là, et pourtant, tout se passe comme s’ils n’existaient pas… « Mon troupeau est mis au pillage et devient la proie de toutes les bêtes sauvages, faute de pasteur, parce que mes pasteurs ne s’occupent pas de mon troupeau, parce que mes pasteurs se paissent eux-mêmes sans paître mon troupeau »… Puisqu’il en est ainsi, « voici que j’aurai soin moi-même de mon troupeau et je m’en occuperai. Comme un pasteur s’occupe de son troupeau, quand il est au milieu de ses brebis éparpillées, je m’occuperai de mes brebis. Je les retirerai de tous les lieux où elles furent dispersées, au jour de nuées et de ténèbres. Je leur ferai quitter les peuples où elles sont, je les rassemblerai des pays étrangers et je les ramènerai sur leur sol. Je les ferai paître sur les montagnes d’Israël, dans les ravins et dans tous les lieux habités du pays. Dans un bon pâturage je les ferai paître, et sur les plus hautes montagnes d’Israël sera leur pacage. C’est là qu’elles se reposeront dans un bon pacage; elles brouteront de gras pâturages sur les montagnes d’Israël. C’est moi qui ferai paître mes brebis et c’est moi qui les ferai reposer, oracle du Seigneur Yahvé. Je chercherai celle qui est perdue, je ramènerai celle qui est égarée, je panserai celle qui est blessée, je fortifierai celle qui est malade. Celle qui est grasse et bien portante, je veillerai sur elle. Je les ferai paître avec justice ». Cette prophétie s’accomplit maintenant avec Jésus, le Fils, vrai homme et vrai Dieu… C’est Lui désormais le Pasteur du troupeau. Il prendra soin de lui, il veillera sur lui, il le nourrira de la Parole de Vie : « Et il se mit à les enseigner longuement », et non pas cinq minutes pour se débarrasser d’eux et être ensuite tranquille… Il donne largement, sans compter, à plein cœur et bientôt à pleines mains…
Mais le soleil a commencé sa chute depuis longtemps… Il ne serait pas raisonnable de poursuivre… Les disciples décident d’intervenir. « Ils s’approchèrent et lui dirent : « L’endroit est désert et l’heure est déjà très avancée ; renvoie-les afin qu’ils aillent dans les fermes et les villages d’alentour s’acheter de quoi manger ». Il faut qu’ils se mettent en route sans tarder avant que la nuit ne tombe complètement autrement ils ne pourraient plus rejoindre les lieux habités les plus proches pour trouver de quoi manger. Eux aussi sont humains, et ils réfléchissent avec les éléments dont ils disposent… La simplicité avec laquelle ils s’adressent à Jésus, en lui donnant, semble-t-il, des ordres montre le climat confiance, de liberté et d’accueil mutuel qui existe dans le groupe… Jésus n’est pas un commandeur qui ne supporte pas d’être dérangé, qui sait ce qu’il a à faire et qui n’a d’ordre à recevoir de personne… Mais à une invitation cordiale, il va répondre par une autre invitation cordiale : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Surprise… Jésus vient de les inviter à se reposer à l’écart, et il faudrait qu’ils fassent des kilomètres aller et des kilomètres retour, chargés comme des mulets, pour acheter des pains pour toute cette foule ? Et le coût ? Ils l’estiment à « deux cents deniers », c’est-à-dire le salaire de deux cents journées de travail pour un ouvrier agricole… Il est fort peu probable qu’ils aient une telle somme avec eux… Devant leur étonnement et leur désarroi, Jésus reprend les choses en main… « Combien de pains avez-vous ? Allez voir. » Et sans un mot, ils obéissent… Notons à nouveau la confiance immédiate, la docilité. L’amour règne dans le groupe. Leur réponse ici est brève, efficace : « Cinq, et deux poissons. » En St Jean, le sentiment d’une tâche impossible transparaît : « Il y a ici un enfant, qui a cinq pains d’orge et deux poissons ; mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ? » (Jn 6,9). Mais Jésus continue de prendre les choses en mains… « Alors il leur ordonna de les faire tous s’étendre par groupes de convives sur l’herbe verte », pour manifestement prendre un repas… Le détail de l’herbe est très certainement un clin d’œil au texte d’Ezéchiel abordé précédemment : « Dans un bon pâturage, je les ferai paître » (Ez 34,14). Le Psalmiste reprend lui aussi cette image (Ps 22(21)) : « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre »… C’est ce que Jésus, « le Bon Pasteur » (Jn 10,11‑18.27-30) vient de faire en leur donnant la Parole de Dieu, et avec elle l’Eau Vive de l’Esprit (Jn 3,34 BJ), en surabondance, l’Esprit qui vivifie (Jn 6,63) et qui pacifie (Ga 5,22 ; Rm 14,17 ; Jn 14,27 ; Col 3,15 avec Rm 8,9 et Ph 1,19). En effet, « celui que Dieu a envoyé prononce les Paroles de Dieu car il donne l’Esprit sans mesure » (Jn 3,34)… En donnant la Parole longuement, sans mesure, Jésus donne aussi avec elle l’Esprit Saint, et là encore, « sans mesure »… Puis le Psaume poursuit : « Tu prépares la table pour moi »… Et c’est bien ce qui se met en place : « Et ils s’allongèrent à terre par carrés de cent et de cinquante ». Mais les disciples n’ont toujours rien à leur donner !
« Prenant alors les cinq pains et les deux poissons, Jésus leva les yeux au ciel, il bénit et rompit les pains, et il les donnait à ses disciples pour les leur servir. Il partagea aussi les deux poissons entre tous ». St Marc fait exprès de reprendre ici une formule très proche de celle de l’institution de l’Eucharistie qui aura lieu peu de temps avant la Passion : « Tandis qu’ils mangeaient, il prit du pain, le bénit, le rompit et le leur donna en disant : « Prenez, ceci est mon corps » » (Mc 14,22). Ce pain multiplié annonce donc le repas de l’Eucharistie où le Christ Ressuscité nous partage cette Vie qu’il reçoit de son Père de toute éternité… Et là aussi, l’Eucharistie commencera par un long temps de lecture de la Parole de Dieu, accompagnée d’un commentaire… Au bord de ce lac de Tibériade, Jésus se révèle donc déjà, en actes, comme étant « Pain de Vie » par sa Parole et par sa chair offerte pour notre salut à tous… Et par ces deux tables, ce sera toujours l’Esprit donné et accueilli par la foi qui sera source, au plus profond de notre être, d’une Vie nouvelle et plénière : la Vie même de Dieu. Après avoir insisté sur l’accueil dans la foi de sa chair offerte, Jésus lui-même donnera la clé de compréhension de ses paroles : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une boisson. Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. » Quelle insistance sur « la chair » et « le sang » ! Pour ensuite déclarer : La chair ne sert de rien, c’est l’Esprit qui vivifie. Les Paroles que je vous ai dites son Esprit et elles sont Vie » (Jn 6,53-58.63). Alors, s’il nous invite à lui ouvrir nos cœurs et nos mains pour recevoir le Pain de sa Parole, de sa chair et son sang, c’est pour que nous lui disions le « Oui ! » de notre liberté. Et ce n’est qu’une fois ce « Oui ! » donné, ainsi va l’Amour, qu’il pourra nous combler de tous les trésors de son Esprit et de sa Vie, qu’il reçoit éternellement du Père en Fils Unique…
« Tous mangèrent et furent rassasiés »… Ce rassasiement physique est le signe visible et palpable d’un rassasiement plus profond, celui des cœurs recevant « la Plénitude de l’Esprit » (Ep 5,18). Oui, « de sa Plénitude, nous avons tous reçu, et grâce pour grâce » (Jn 1,16)…
« Et l’on emporta les morceaux, douze couffins pleins »… Le chiffre Douze fait d’abord allusion aux Douze tribus qui, à l’époque des Juges, formaient le Peuple d’Israël. Le point de départ d’une telle structure avait été les Douze fils de Jacob (Gn 35,22-26), lui‑même fils d’Isaac (Gn 25,19-26) qui était, lui, le fils d’Abraham (Gn 17,15-22), l’ancêtre par excellence d’Israël, celui par qui tout avait commencé (Gn 12,1-4)… Et la symbolique des chiffres continue de nous orienter vers Israël. « Cinq », en effet, renvoie à la première partie de la Bible qui contient cinq livres. Elle s’appelle en hébreu « la Torah, la Loi », et en grec « le Pentateuque, les cinq livres ». Ils rassemblent tous les textes de Loi qui régissaient la vie d’Israël. Le chiffre « mille » évoquant une multitude, les « cinq mille hommes » représentent donc ici le Peuple d’Israël appelé à trouver le chemin de la vie dans l’obéissance aux cinq livres de la Loi…
Mais lorsque Jésus prend dans ses mains les cinq pains pour les briser et les donner à la foule, il suggère que le temps de la Loi et de l’Ancienne Alliance est maintenant fini. Mais notons bien qu’il part non pas de rien mais de ces cinq pains, de la Loi, pour instaurer le régime nouveau de la Nouvelle Alliance. « N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir » (Mt 5,17). Désormais, la Plénitude de la Parole de Vie est donnée en sa Parole qui sera, jusqu’à la fin des temps, la référence ultime de ses disciples. « Vous avez entendu qu’il a été dit, « tu ne tueras pas. » Eh bien ! moi, je vous dis… » (Mt 5,21‑22 ; 5,20-48). Et de fait, son commandement, « tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et ton prochain comme toi-même » (Mt 22,34‑40), englobe tous les autres commandements et les dépasse : « En effet, le précepte : Tu ne commettras pas d’adultère, tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne convoiteras pas, et tous les autres se résument en cette formule : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. La charité ne fait point de tort au prochain. La charité est donc la Loi dans sa plénitude » (Rm 13,9-10 ; Ex 20,1-17).
Nous assistons donc ici au passage de l’Ancienne à la Nouvelle Alliance qui repose entièrement sur « le fondement » du Christ (1Co 3,11) venu nous entraîner dans le Mystère de sa relation à son Père pour que nous soyons à notre tour des fils, à son image (Rm 8,28-30), vivants de sa Vie, cette Vie que lui-même reçoit du Père… C’est pour suggérer ce passage vers une nouvelle Alliance qu’il avait choisi les Douze apôtres qui seront désormais « les colonnes » nouvelles du Peuple nouveau (Ga 2,9) constitué non plus cette fois des seuls Juifs, mais des Juifs et des païens, c’est-à-dire de tous les hommes appelés à être « un » dans l’amour comme le sont le Père, le Fils et le Saint Esprit : « Père, qu’ils soient un comme nous sommes un » (Jn 17,20-23). « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), « Dieu est saint » (Ps 99(98),3.5.9). En nous donnant « l’Esprit Saint » (1Th 4,8), Dieu nous donne de « devenir participants de la nature divine » (2P 1,4) et d’entrer ainsi dans le Mystère de sa communion (2Co 13,13 ; 1Jn 1,1-7) qui est participation commune à un unique Esprit … Aussi, écrit St Paul, « appliquez-vous à conserver l’unité de l’Esprit par ce lien qu’est la paix » (Ep 4,3-6)…
Et les Pères de l’Eglise diront que les Douze apôtres ont reçu chacun une corbeille pleine de morceaux pour aller les distribuer dans le monde entier… Alors tous ceux et celles qui accepteront de la recevoir entreront, par elle, dans la communion d’un même Esprit, d’un même Amour, d’une même Vie…
Jésus marche sur la mer (Mc 6,45-52)
« Et aussitôt il obligea ses disciples à monter dans la barque et à le devancer sur l’autre rive vers Bethsaïde, pendant que lui-même renverrait la foule ». Cette obligation suggère une réticence de leur part… Peut-on la deviner ? En souriant, on pourrait peut-être se rappeler qu’ils partaient pour « se reposer un peu, à l’écart »… Certes, ils ont écouté Jésus, ils n’ont rien fait, ils se sont reposés « un peu », pas assez peut-être pour certains ! Plus sérieusement, Jacques Hervieux écrit dans son commentaire : « Bethsaïde est située à l’est du Jourdain. Cette ville sert de frontière entre Israël et le territoire des païens. On peut comprendre la réticence des disciples à gagner cette zone païenne si inhospitalière (depuis l’affaire de Gérasa : Mc 5,1-20). Jésus a donc dû les forcer à prendre le large, à se tourner délibérément vers la mission auprès des païens. Il lui est alors offert le temps de s’éloigner, seul sur la montagne, pour prier (v. 46) »[4].
Lac de Tibériade, entre ombre et lumière…
Il en sera de même dans le livre des Actes des Apôtres qui nous raconte les premiers pas de la mission de l’Eglise. Quel mal les disciples ont-ils eu pour aller vers les païens, ces gens considérés comme impurs. En effet, ne connaissant pas la Loi, ils ne pouvaient pas la pratiquer. Et « maudit soit quiconque ne s’attache pas à tous les préceptes écrits dans le livre de la Loi pour les pratiquer » (Ga 3,10 ; Dt 27,26)…Il faudra « une vision » pour que Pierre accepte d’aller chez un centurion romain, Corneille, et donc de laisser de côté toutes ces notions de pur et d’impur pour ne regarder que le salut, le bien-être et la vie de tout homme, quel qu’il soit… Et alors qu’il lui annonçait la Parole, à lui et à tous les siens, « Pierre parlait encore quand l’Esprit Saint tomba sur tous ceux qui écoutaient la parole. Et tous les croyants circoncis (et donc Juifs) qui étaient venus avec Pierre furent stupéfaits de voir que le don du Saint Esprit avait été répandu aussi sur les païens. Ils les entendaient en effet parler en langues et magnifier Dieu. Alors Pierre déclara : Peut-on refuser l’eau du baptême à ceux qui ont reçu l’Esprit Saint aussi bien que nous ? Et il ordonna de les baptiser au nom de Jésus Christ ». Dieu les avait devancés pour leur montrer qu’il désirait autant le salut de ces païens que le leur … De retour à Jérusalem, Pierre racontera cette expérience à la communauté chrétienne qui désormais se tournera sans crainte vers les païens pour leur annoncer la Bonne Nouvelle de « ce Père des Miséricordes » qui veut le salut de tous les hommes, ses enfants (2Co 1,3 ; 1Tm 2,3-6). « Si donc Dieu leur a accordé le même don qu’à nous, pour avoir cru au Seigneur Jésus Christ, qui étais-je, moi pour faire obstacle à Dieu. Ces paroles les apaisèrent, et ils glorifièrent Dieu en disant : Ainsi donc aux païens aussi Dieu a donné la repentance qui conduit à la vie ! » (Ac 10,1-11,18).
Une fois la foule congédiée, « il s’en alla dans la montagne pour prier »… Tout ce qui suit et qui concerne la révélation de son Mystère sera donc l’œuvre du Père accomplie dans l’obéissance à son égard, pour faire grandir la foi des disciples…
« Le soir venu » évoque les ténèbres qui, dans la Bible, renvoient souvent aux forces du mal (Mt 8,12 ; 22,13 ; 25,30 ; Lc 22,53 ; Jn 3,19 ; 12,35 ; Ac 26,18 ; Rm 2,19 ; 13,12 ; Ep 5,8.11 ; 6,12 ; Col 1,13). Nous sommes également au milieu de la mer, considérée dans l’imaginaire religieux de l’époque comme le lieu d’habitation des démons (Is 27,1 ; Am 9,3 ; Ez 28,2 ; Ps 74,13 ; 89,10 ; Job 7,12 ; 26,12-13 ; Dn 7,3 ; Ap 13,1 ; 20,13 ; 21,1) : lorsque Jésus les chassa du possédé, ils revinrent chez eux, dans la mer (Mc 5,1-13)… Et juste avant, il avait apaisé la mer par quelques mots, « Silence ! Tais-toi ! », manifestant ainsi la victoire de Dieu sur le mal… Ici, il marche sur la mer, comme un général vainqueur sur ses ennemis vaincus… Mais à la lumière du Livre de Job, Jésus il fait plus : il agit comme Dieu seul peut le faire : « Lui seul a déployé les Cieux et foulé le dos de la Mer » (Job 9,8).
De plus, juste après, il va dire à ses disciples : « Ayez confiance, Je Suis, n’ayez pas peur ! » Or « Je Suis » est le Nom que Dieu a révélé à Moïse dans le buisson ardent (Ex 3,14), une Plénitude d’Être qui sera avec lui lorsqu’il devra affronter le Pharaon d’Egypte… Ici, cette Plénitude se manifeste aux disciples après un long temps d’absence, alors qu’ils s’épuisaient à ramer en cet environnement hostile, luttant contre un « vent contraire »… Nous sommes souvent ainsi dans les difficultés de nos vies marquées par une apparente absence de Dieu… Où est-il ? Que fait-il ? Souffrance, angoisses… Et puis, il vient, au moment peut-être où on ne l’attendait plus, il nous rejoint « vers la quatrième veille de la nuit », juste avant le lever du soleil, car avec Lui présent en nos cœurs, même si nous ne le voyons pas encore, « les ténèbres s’en vont et la véritable lumière brille déjà » (1Jn 2,8). Pour reprendre l’expression de Ste Thérèse de Lisieux, ce « je ne sais quoi » au plus profond nous dit, en acte, en le vivant, que Dieu est là, présent, qu’il veille sur nous, s’occupe de nous et nous protège… « Ayez confiance, Je Suis, soyez sans crainte »… « Je Suis » est au centre ; la confiance et la disparition de la peur, malgré les difficultés à affronter, sont les fruits de sa Présence qui « monte auprès de nous dans la barque » de nos vies… La réaction des disciples est conforme à celle des hommes pécheurs lorsque Dieu se manifeste : peur, cris, stupeur, tremblements (Gn 3,10 ; 18,15 ; 28,17 ; Ex 20,18)…. Ils ne connaissent pas encore Dieu : l’Être le plus humble, le plus doux (Mt 11,29), le plus petit dans le Royaume des Cieux (Mt 11,11)… « Leur esprit est bouché » comme peut l’être celui d’un pécheur (Is 6,1-10 ; Jr 5,21 ; Mt 13,14‑15 ; Mc 8,14-21 ; Jn 12,37-40 ; Ac 28,26-27). « Derrière les images du récit, il faut lire l’expérience de foi des premiers chrétiens. Pris dans la tourmente de la persécution romaine et d’autres adversités, ils sont tentés par le découragement. Le Christ est physiquement absent. Il s’est retiré dans l’intimité du Père (v. 46). On pourrait le croire étranger aux entreprises qu’il a lui-même engagées. Or il fait sentir, dans l’angoisse, sa présence efficace. Son Eglise, embarquée dans sa difficile mission auprès des païens, peut se rassurer : le Sauveur est bien là, vivant, pour la délivrer de tout péril » (J. Hervieux).
D. Jacques Fournier
[1] HERVIEUX J., « L’Evangile de Marc », dans LES ÉVANGILES, textes et commentaires (Bayard Compact ; Paris 2001) p. 381.
[2] HERVIEUX J., « L’Evangile de Marc », dans LES ÉVANGILES, textes et commentaires p. 387.
[3] GUILLAUME J.-M., « Jésus Christ en son temps « (Paris 1997) p. 16.
[4] HERVIEUX J., « L’Evangile de Marc », dans LES ÉVANGILES, textes et commentaires p. 395.
Fiche n°12 (Mc 6,1-52) : Document PDF pour une éventuelle impression