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Mc 7,1-8,10 : Le Salut et la Vie, pour les Juifs et les païens…

Discussion sur les traditions pharisaïques (Mc 7,1-23)

 

Les Pharisiens[1], prêtres ou laïcs, étaient issus de toutes les couches sociales de la société. Ils travaillaient comme tout le monde, mais ils se regroupaient par souci d’être les plus fidèles possibles à la Loi de Moïse : ils l’étudiaient régulièrement et se proposaient de mettre en pratique les 613 préceptes en vigueur à l’époque…

Rouleau Loi

Le rouleau de la plus vieille Torah du monde, datant vraisemblablement du XIIe siècle, 

retrouvé dans les archives de l’université de Bologne (centre-nord de l’Italie).

Leurs références étaient non seulement la Loi écrite, mais aussi les ajouts subtils de la tradition orale. Cette « Loi qui est sur la bouche » regroupait en fait l’ensemble des commentaires de la Loi écrite, transmis et élaborés de génération en génération. Elle avait pour but de faciliter l’application concrète de la Loi écrite dans les multiples situations de la vie quotidienne. La vie sociale évoluant avec le temps, on comprend que cette tradition orale était elle aussi en perpétuelle évolution… Pour les Pharisiens, elle avait la même importance que les préceptes écrits : « Les Pharisiens », écrit Flavius Josèphe, un historien juif du 1°s après JC, « ont transmis au peuple certaines coutumes qu’ils tenaient de la tradition des Pères mais qui ne sont pas inscrites dans la Loi. » Pour asseoir son autorité, ils la faisaient remonter au Sinaï et à Moïse lui‑même !

Cette présence d’une tradition vivante à côté de l’Ecriture permettait à celle‑ci d’être adaptée aux conditions nouvelles, à l’évolution des idées religieuses… Avec elle le mouvement pharisien était ouvert aux doctrines nouvelles, ce qui les a souvent fait passer pour des progressistes face aux Sadducéens conservateurs. Ces derniers rassemblaient de riches familles sacerdotales, leur nom venant de « Sadoq », Grand Prêtre institué par le roi Salomon, fils de David. Les descendants de Sadoq assuraient le service du Temple…

Le mouvement pharisien n’était pas homogène : il a toujours admis en son sein une variété de tendances parfois opposées sur leur interprétation de la Loi écrite et de la tradition orale. L’exemple le plus fameux de cet esprit libéral est la coexistence, peu de temps avant le Christ, de deux écoles fameuses, celle de Shammaï, très stricte, et celle de Hillel, plus libérale. Gamaliel, qui forma St Paul dans sa jeunesse, était fils et successeur de Hillel.

pharisiens1Les Pharisiens tenaient beaucoup aux « Lois sur la pureté » qui, dans le Livre du Lévitique, concernent surtout l’accès des prêtres et des lévites au Temple, pour l’exercice de leurs fonctions. Ils doivent se tenir à l’écart du culte des idoles, et donc des païens, et de tout ce qui concerne la mort (cadavres, gens en deuil, sépultures).

Mais l’idéal des Pharisiens était d’étendre toutes ces règles au peuple, afin de faire d’Israël un peuple saint. D’où l’importance pour eux des ablutions et des bains rituels pour retrouver « l’état de pureté ».

Nous avons ici un exemple très concret de cette exigence de pureté attribuée à « la tradition des anciens » (Mc 7,3.4.5), cette tradition orale propre aux Pharisiens… Au marché, ils ont pu toucher, sans le savoir, un païen impur, et donc devenir eux aussi impurs à cause de lui. C’est pourquoi « ils ne mangent pas au retour de la place publique sans s’être aspergés d’eau ».

Une telle manière de concevoir la vie religieuse est dangereuse… En effet, pratiquer avec toute sa bonne volonté l’ensemble des règles prescrites risque de conduire à un sentiment trompeur d’autosatisfaction : la conviction, par exemple, d’être un bon Pharisien puisque tous les préceptes demandés sont accomplis, et cela, répétons-nous, avec la meilleure bonne volonté possible… Un Pharisien, dont la sincérité ne peut être à priori remise en cause, priait ainsi dans le Temple de Jérusalem : «  Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères ; je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que j’acquiers » (Lc 18,11-12)… Il constatait les gestes concrets accomplis pour répondre aux multiples exigences de la Loi : son obéissance était objectivement parfaite. A la lumière de sa fidélité, il va se juger lui‑même et s’autoproclamer « homme généreux, juste et fidèle »… Mais hélas, toutes ces pratiques n’ont fait que nourrir son orgueil… Il se croyait dans la lumière ? « Il se reposait sur la Loi, il se glorifiait en Dieu, il connaissait sa volonté, il discernait le meilleur, instruit par la Loi, il se flattait lui-même d’être le guide des aveugles, la lumière de qui marche dans les ténèbres » (Rm 2,17-24) ? Il était « aveuglé par l’orgueil » (1Tm 6,4 ; 2Tm 3,4) et lui-même dans les ténèbres ! « Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, quelles ténèbres ! » (Mt 6,23). « Malheur à vous, guides aveugles » (Mt 23,16), car « ce sont des aveugles qui guident des aveugles ! Or si un aveugle guide un aveugle, tous les deux tomberont dans un trou » (Mt 15,14). Jésus disait encore : «  « C’est pour un discernement que je suis venu en ce monde : pour que ceux qui ne voient pas voient et que ceux qui voient deviennent aveugles ». Des Pharisiens, qui se trouvaient là, entendirent ces paroles et lui dirent : « Est-ce que nous aussi, nous sommes aveugles ? » Jésus leur dit : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché; mais vous dites : Nous voyons ! Votre péché demeure » » (Jn 9,39-41). « Tous les hommes en effet ont péché et sont privés de la Gloire de Dieu » (Rm 3,23), de sa Lumière et de sa Vie… En tant que pécheurs, nous sommes donc tous aveugles. Accepter de le reconnaître n’est pas facile pour notre orgueil… Le Christ nous invite néanmoins à entrer petit à petit et de tout cœur dans une telle démarche de vérité sur nous-mêmes, car « celui qui fait la vérité vient à la Lumière » (Jn 3,21), la Lumière de Celui qui est tout en même temps « Vérité » (Jn 14,6) et « Lumière » (1Jn 1,5 ; Jn 9,5). En tant que « vrai Dieu né du vrai Dieu, Lumière née de la Lumière » (Crédo), si le Fils n’est pas le Père, la Lumière du Fils est identique à celle du Père… Elle est la  Lumière qui rayonne de la Plénitude de cette nature divine qu’il reçoit du Père de toute éternité en tant qu’Unique Engendré, « non pas créé »… prodigueC’est pourquoi Jésus déclare : « Qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14,9), un Père qui est avant tout « le Père des Miséricordes » (2Co 1,3). Accepter de faire la vérité avec le Christ, c’est donc tout en même temps accepter la Vérité de la Lumière du « Père des Miséricordes » qui est venue nous rejoindre avec le Fils et par le Fils, et accepter la vérité de notre misère dans cette Lumière de Miséricorde qui nous précède et nous environne. Ainsi, la prise de conscience de l’Amour inconditionnel de Dieu à notre égard précède celle de l’étendue de nos ténèbres et c’est grâce à cet Amour qui nous réconforte et nous console que nous trouverons le courage de nous reconnaître petit à petit tels que nous sommes… Avant de regarder sa faute, le Psalmiste contemple l’Amour et « la grande Miséricorde » de Dieu pour lui. Et ce n’est qu’après l’avoir contemplé qu’il ose lui parler de son péché (Ps 51(50))… En effet, « qui regarde vers Lui resplendira, sans ombre ni trouble au visage » (Ps 34(33,6) car « si notre cœur nous condamne, Dieu est plus grand que notre cœur », sa Miséricorde est sans limite, « et devant lui nous apaiserons notre cœur » (1Jn 3,19-20)… Regarder sa faute sans avoir tout d’abord tourné les yeux vers l’Amour risque de conduire au désespoir et au découragement, comme Judas…  Et que voit-on dans l’Amour ? Dieu qui n’a de cesse de poursuivre le bien de sa créature, désirant par dessus tout qu’elle participe à la Plénitude de sa Vie. C’est pour cela qu’il nous a créés, par Amour… Alors, puisque le péché nous souille, nous blesse, nous tue intérieurement, Dieu n’a qu’un seul désir : l’enlever au plus vite pour que nous puissions vivre le plus « à fond » possible de sa Vie, dans sa Lumière, sa Paix et sa Joie (Jn 14,27 ; 15,11).

Avec et par son Fils, le Père nous invite donc à faire la vérité sur nos ténèbres pour qu’il puisse les enlever bien vite et nous introduire ainsi dans « la Lumière de sa Vie » (Jn 8,12). Car Jésus est « le Sauveur du monde » (Jn 4,42), « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29) avec toutes ses conséquences : « Moi, Lumière, je suis venu dans le monde pour que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres », mais ait « la Lumière de la vie » (Jn 12,46 ; 8,12). Ainsi, « faire la vérité » avec « l’Esprit de Vérité » envoyé par le Père à la prière du Fils (Jn 14,15-17 ; 15,26), c’est au même moment dire « Oui ! » à ce Dieu qui n’est que Miséricorde : « Je Suis miséricordieux » (Jr 3,12). Telle est « sa Vérité » avec toute la force et la Plénitude du « Je Suis » d’Ex 3,14. Avec Lui, « Amour et Vérité se rencontrent » vraiment et portent comme fruit le pardon : « Seigneur, tu es pardon et bonté, plein d’amour pour tous ceux qui t’appellent »… Ainsi, « près de toi se trouve le pardon pour que l’homme te craigne. » Or, « est-il un homme qui craigne le Seigneur ? Il le remet aussitôt dans la voie qu’il faut prendre, et son âme habitera le bonheur », car il aura retrouvé, grâce au « Dieu de Miséricorde » qui « gouverne l’univers avec Miséricorde » le Chemin qui conduit à la Vie (Ps 85(84),11 ; 86(85),5 ; 130(129),4 ; 25(24),12-13 ; Tb 3,11 ; Sg 9,1 ; 15,1).

Jésus guérit un aveugleLe seul désir de Dieu est donc de nous guérir de notre aveuglement, conséquence de notre péché, pour que nous puissions « entrer » dans sa Vie (Mt 18,8-9 ; 19,17.23), sa Lumière et sa Paix… C’est pourquoi Jésus disait : « Je suis venu pour que ceux qui ne voient pas » et qui acceptent de le reconnaître en vérité en se reconnaissant « pécheurs », « voient », et que « ceux qui voient » ou du moins qui prétendent « voir » en se disant « généreux, justes, fidèles » alors qu’ils sont pécheurs comme tout le monde, « deviennent aveugles »… Les Pharisiens ont bien compris que cette Parole les concernait : « Est-ce que nous aussi, nous sommes aveugles ? » « Si vous étiez aveugles », leur répond Jésus, si vous acceptiez de reconnaître en vérité votre misère, vos désirs mauvais, vos pensées et vos actions mauvaises, en un mot votre péché, « vous n’auriez pas de péché » car aussitôt, « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » l’aurait « enlevé », et cette démarche difficile d’humilité prouverait que vous commencez à être libérés de « l’orgueil, ce grand péché » (Ps 19(18),14). « Mais vous dites : Nous voyons ! », vous continuez à prétendre « voir » alors que cela n’est pas vrai, « votre péché demeure »…

De plus, la conséquence immédiate de l’orgueil est non seulement l’aveuglement personnel mais aussi le mépris et le dénigrement de tous ceux et celles qui vivent différemment… Prenons l’exemple du Pharisien : il connaît la Loi, il évalue son obéissance concrète par rapport à ses préceptes, et à cette lumière il s’autoproclame juste. Il va maintenant appliquer cette même lumière à tous ceux et celles qui l’entourent. Leur pratique est différente ? Ils ne peuvent qu’être dans l’erreur… « Mais cette foule qui ne connaît pas la Loi » et qui ne peut donc pas la mettre en pratique comme il le faudrait, « ce sont des maudits » (Jn 7,49). Et l’orgueil, au même moment, poussera ces Pharisiens à se croire « supérieurs » à ces « maudits ». Vis-à-vis de Jésus, leur référence ne sera ainsi rien de moins qu’eux-mêmes ! « Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur » (Jn 9,24). « Est-il d’ailleurs un des notables qui ait cru en lui ? Ou un des Pharisiens ? » (Jn 7,48). Un tel jugement, une telle condamnation revient donc à élever des barrières entre ceux qui jugent et ceux qui sont jugés. Et cette attitude peut aller jusqu’à vouloir éliminer physiquement tous ceux que l’on considère alors comme de dangereux hérétiques… « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés. Montrez-vous miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Pardonnez et il vous sera pardonné » dira Jésus (Lc 6,36-38 ; Ep 4,32), Lui qui est venu « détruire la barrière qui séparait » les Juifs et les païens, « en supprimant en sa chair la haine, cette Loi des préceptes avec ses ordonnances, pour créer en sa personne les deux en un seul Homme Nouveau, faire la paix, et les réconcilier avec Dieu, tous deux en un seul Corps » (Ep 2,14-18).

St PaulSt Paul était « Pharisien, fils de Pharisien » (Ac 23,7), « le parti le plus strict de la religion » (Ac 26,5). Il fut « formé, aux pieds de Gamaliel, à l’exacte observance de la Loi de nos pères » (Ac 22,3) : « Je surpassais la plupart de ceux de mon âge, en partisan acharné des traditions de mes pères » (Ga 1,14). Notons que nous retrouvons avec lui les deux références de base pour tout Pharisien : la Loi et la tradition des pères… « J’étais rempli du zèle de Dieu, comme vous l’êtes tous aujourd’hui » (Ac 22,3), dira-t-il à ses compatriotes Juifs. « Pour moi donc, j’avais estimé devoir employer tous les moyens pour combattre le nom de Jésus le Nazôréen. Et c’est ce que j’ai fait à Jérusalem ; j’ai moi-même jeté en prison un grand nombre de saints, ayant reçu ce pouvoir des grands prêtres, et quand on les mettait à mort, j’apportais mon suffrage » (Ac 26,9-11), comme lors du martyr d’Etienne où, n’ayant certainement pas encore l’âge légal requis pour participer à une lapidation, il gardait les vêtements de ceux qui le tuaient (Ac 7,55-60)…

St Paul était sincère, à ce moment là. Il croyait bien faire, nul doute à ce sujet… Et pourtant, il était aveugle… Mais Dieu voyait sa bonne volonté, et le Christ se révèlera à lui sur le chemin qui le conduisait à Damas « pour qu’il recouvre la vue et soit rempli de l’Esprit Saint » (Ac 9,17 ; Ga 1,15). St Paul cherchait vraiment la vérité : il ne se fermera pas les yeux, il ne se bouchera pas les oreilles (cf. Ac 7,57), il acceptera avec docilité la Révélation qui lui est donnée et il passera avec le Christ des ténèbres à sa Lumière. Plus tard, il ne cessera de dénoncer le danger d’un état d’esprit semblable à ceux des Pharisiens, avec d’autant plus de force qu’il le connaissait bien pour l’avoir vécu lui-même… « « Ne prends pas, ne goûte pas, ne touche pas », tout cela pour des choses à périr par leur usage même ! Voilà bien les prescriptions et doctrines des hommes ! Ces sortes de règles peuvent faire figure de sagesse par leur affectation de religiosité et d’humilité qui ne ménage pas le corps ; en fait, elles n’ont aucune valeur pour l’insolence de la chair » (Col 2,21-23). Au contraire, elles ne peuvent que conduire à devenir « bouffi d’un vain orgueil » (Col 2,18) en se complaisant dans sa propre sagesse (Rm 12,16)…

aimez-vous-comme

C’est à tout cela que le Christ s’attaque ici… Les Pharisiens étaient très méticuleux à observer leurs multiples préceptes, allant jusqu’à payer « la dîme » sur des points de détail que la Loi ne mentionnait pas, « la menthe, le fenouil et le cumin » : « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui acquittez la dîme de la menthe, du fenouil et du cumin, après avoir négligé les points les plus graves de la Loi, la justice, la miséricorde et la bonne foi ; c’est ceci qu’il fallait pratiquer, sans négliger cela » (Mt 23,23). « Allez donc apprendre ce que signifie : C’est la miséricorde que je veux et non le sacrifice » (Mt 9,13). Autrement dit, Jésus cherche non pas l’obéissance toute extérieure à des préceptes qui ne concernent que le comportement visible, mais le cœur avec tout ce « potentiel » d’amour dont il est capable en accueillant l’amour même de Dieu : « L’amour a été versé dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5)… « Le Royaume des Cieux n’est donc pas une histoire de nourriture et de boisson » (Rm 14,17), certains aliments étant « purs », permis, d’autres « impurs », interdits… En effet, les aliments qui « pénètrent du dehors, dans l’homme », vont « dans le ventre » et ensuite « aux lieux d’aisance »… Tout cela appartient aux nécessités matérielles inhérentes à notre nature de chair et de sang. L’essentiel n’est pas là. Il est dans le cœur, et concerne l’amour. « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16) et la seule réalité qu’il désire voir régner parmi les hommes, c’est l’Amour qui, face au péché, prend inlassablement le visage de la Miséricorde… Et ce « Dieu Esprit » (Jn 4,24) « ami des hommes » (Sg 1,6 ; 7,23) ne peut supporter tout ce qui blesse et souille l’homme en « sortant du dedans », du cœur même : desseins pervers, cupidité, ruse, impudicité, envie… qui conduisent au vol, meurtre, adultères, méchancetés… Aussi ne cesse-t-il d’inviter les pécheurs au repentir. Qu’ils se détournent vraiment du mal pour se tourner de tout cœur vers Dieu. Ils recevront alors gratuitement, par amour, ce Don de l’Esprit « Eau Vive » qui les purifiera de toute souillure et leur donnera la force de pouvoir aimer, petit à petit, comme Dieu le désire (Ez 36,24-28)… « Là » est le Chemin de la Vie (Jn 14,6)…

Jesus,Eglise St Etienne, Fécamp, Normandie

Détail d’un vitrail de l’Eglise St Etienne à Fécamp (Normandie)

Et Jésus part également en guerre ici contre « les traditions » qui viennent des hommes, qui sont attribuées à Moïse ou à Dieu par ceux qui les pratiquent, et qui vont à l’encontre de la volonté de Dieu ! Sommet de perversion… « Vous annulez la Parole de Dieu par la tradition que vous vous êtes transmise. » Il était ainsi possible de faire une promesse de don au Temple de Jérusalem, et de déclarer « korbân, c’est à dire offrande sacrée » la somme promise. Mais un certain laps de temps pouvait s’écouler entre la promesse et le don effectif, laps au cours duquel le donateur jouissait toujours de ses biens et les faisait fructifier. Et si à ce moment-là ses parents âgés venaient lui demander de l’aide, il pouvait se dérober en déclarant que la somme qu’il aurait pu leur consacrer ne lui appartenait plus… A une époque où aucune structure d’état n’était en place pour venir en aide aux plus anciens et aux plus démunis, ce devoir incombait tout particulièrement aux membres les plus proches de la famille… Et telle est bien la volonté de Dieu : avoir un minimum de reconnaissance et d’attention pour ceux qui nous ont donné la vie et qui nous ont entourés de leur affection pendant tout ce temps de notre enfance où notre vie était comme livrée entre leurs mains… « Honore ton père et ta mère »… Souviens-toi donc de tout ce que tu as reçu d’eux autrefois et manifeste-leur aux jours de leur vieillesse un peu de reconnaissance et de compassion… Ils ont pris de la peine, ils ont souffert, ils se sont parfois sacrifiés pour que tu deviennes l’homme ou la femme que tu es aujourd’hui, et toi tu n’accepterais pas de faire quelques sacrifices pour leur venir en aide ?

 

Guérison de la fille d’une Syrophénicienne (Mc 7,24-30)

 

Jésus n’avait fait jusqu’à présent qu’une rapide excursion en terre païenne, de l’autre côté du lac de Tibériade, chez les Géraséniens (Mc 5,1-20). Ces pays étaient considérés par les Juifs comme les lieux privilégiés d’habitation des démons, et Jésus, rencontrant « un homme possédé d’un esprit impur » l’en avait rapidement libéré… La Bonne Nouvelle du Royaume des Cieux n’est donc pas réservée exclusivement aux Juifs… En fait, Jésus est venu renouveler Israël dans sa vocation résumée dans l’appel d’Abraham : « Sois une bénédiction. Par toi se béniront toutes les familles de la terre » (Gn 12,1-4). Aussi avait-il commencé par inviter Israël au repentir… « Reviens ! », aurait dit le Prophète Jérémie (Jr 3,12 ; 4,1 ; 15,19 ; 31,21). Rappelons-nous les premières paroles de Jésus en St Marc : « Le temps est accompli », les annonces prophétiques de l’Ancien Testament vont pleinement se réaliser, « et le Royaume de Dieu est tout proche ». En fait, il l’a toujours été puisque Dieu vit en « Alliance éternelle » avec sa création tout entière (Gn 9,8-17 avec ses quatre « toute chair », le chiffre 4 (les 4 points cardinaux), étant symbole d’universalité). Israël était donc invité, par révélation, à prendre conscience d’une réalité déjà présente à la vie de tout homme et offerte, par amour, à sa bonne volonté.« Et toi, Israël, mon serviteur, Jacob que j’ai choisi, race d’Abraham, mon ami… Moi, le Seigneur, je t’ai appelé dans la justice, je t’ai saisi par la main, et je t’ai modelé, j’ai fait de toi l’alliance du peuple, la lumière des nations, pour ouvrir les yeux des aveugles, pour extraire du cachot le prisonnier, et de la prison ceux qui habitent les ténèbres » (Is 41,8 ; 42,1‑7). Israël rempli par la bénédiction de Dieu, c’est-à-dire par l’Esprit de Vie, de Lumière et de Paix, devait donc être le témoin de cette bénédiction pour « toutes les familles de la terre », pour toutes les « nations »… C’est pourquoi Jésus s’adresse d’abord à Israël, pour lui rappeler l’appel sans retour que Dieu leur a adressé, et donc pour les relancer dans leur vocation universelle à être « lumière des nations » en rendant témoignage à « la lumière de l’Esprit » reçue de Dieu : « Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu en qui mon âme se complait. J’ai mis sur lui mon Esprit, il présentera aux nations le droit, et les îles attendent son enseignement »…

Roi Mages exotiques

Trois rois mages des îles…

Dieu n’appelle cependant pas les hommes de l’extérieur, mais de l’intérieur, en vivant le premier ce qu’il leur demande et en se faisant ainsi l’exemple de tous… Jésus, fils de Marie, est un Israélite fils d’Israélite et ceci est d’autant plus vrai qu’on est Juif par sa mère… Cette vocation d’Israël est donc tout d’abord la sienne, et de fait, elle s’accomplira pleinement dans sa vie… Jésus, dans un premier temps, va donc s’adresser d’abord à Israël : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël » (Mt 15,24). Tous ses premiers disciples, et notamment les Douze, seront donc Juifs. Avec eux et par eux, la vocation d’Israël s’accomplira et ils seront bien envoyés ensuite dans le monde entier pour être les heureux témoins de la Bonne Nouvelle de cette Bénédiction que Dieu veut régner, pour leur bonheur, dans le cœur de tous les hommes : « Allez dans le monde entier, proclamez l’Evangile à toute la création » (Mc 16,15) . St Paul, Juif, ira ainsi vers les païens pour leur dire qu’ils sont eux aussi les bien‑aimés de Dieu et donc les bénéficiaires de toutes ces promesses que Dieu avaient faites autrefois à Israël : « Rappelez-vous donc qu’autrefois, vous les païens, (…) rappelez-vous qu’en ce temps-là vous étiez sans Christ, exclus de la cité d’Israël, étrangers aux alliances de la Promesse, n’ayant ni espérance ni Dieu en ce monde ! Or voici qu’à présent, dans le Christ Jésus, vous qui jadis étiez loin, vous êtes devenus proches, grâce au sang du Christ… Ce Mystère n’avait pas été communiqué aux hommes des temps passés comme il vient d’être révélé maintenant à ses saints apôtres et prophètes, dans l’Esprit : les païens sont admis au même héritage, membres du même Corps, bénéficiaires de la même Promesse, dans le Christ Jésus, par le moyen de l’Évangile ». En effet, « c’est en lui », le Christ, « que vous aussi », les païens, «  après avoir entendu la Parole de vérité, l’Évangile de votre salut, et y avoir cru, vous avez été marqués d’un sceau par l’Esprit de la Promesse, cet Esprit Saint qui constitue les arrhes de notre héritage, et prépare la rédemption du Peuple que Dieu s’est acquis, pour la louange de sa gloire » (Ep 2,11‑13 ; 3,5-6 ; 1,13-14). Les païens sont donc « bénéficiaires de la même promesse » en tant que Dieu veut communiquer à tout homme la Plénitude de « l’Esprit de la promesse », « l’Esprit promis » (TOB) dans l’Ancien Testament. Et « vivre de l’Esprit » (Ga 5,25) c’est « recevoir les arrhes de notre héritage », c’est-à-dire entrer dans ce Royaume des Cieux que Dieu ouvre largement à tout homme… « Le Règne de Dieu est en effet justice, paix et joie dans l’Esprit Saint » (Rm 14,17). C’est pour cela qu’il est déjà commencé dès ici-bas dans le secret des cœurs dès lors que l’on accepte de renoncer au mal pour se tourner vers « le Père des Miséricordes », une aventure à renouveler chaque jour « car, sachez-le bien, ni le fornicateur, ni le débauché, ni le cupide – qui est un idolâtre – n’ont droit à l’héritage dans le Royaume du Christ et de Dieu » (Ep 5,5). Alors, si nous acceptons de répondre à cet appel au repentir que Dieu ne cesse de nous lancer, « avec joie, vous remercierez le Père qui vous a mis en mesure de partager le sort des saints dans la lumière. Il nous a en effet arrachés à l’empire des ténèbres et nous a transférés dans le Royaume de son Fils bien-aimé, en qui nous avons la rédemption, la rémission des péchés » (Col 1,11-14). Par le Don de l’Esprit qui nous purifie et nous vivifie tout en même temps, « nous obtenons alors dès maintenant en espérance », par notre foi et dans la foi, « l’héritage de la vie éternelle » (Tt 3,7).

Dieu Père (Giovanni Battista Cima) 2

Ce sont les prémices de cette mission vers les païens que St Marc nous présente ici avec l’épisode de la Syro-phénicienne. Nous sommes dans la région de Tyr, au nord d’Israël, dans l’actuel Liban. Jésus entre « dans une maison ». Si elle appartient à un païen, voilà un cas d’impureté rituelle (cf. Jn 18,28), car un païen, ne connaissant pas la Loi, ne peut pas la mettre en pratique. Il est donc automatiquement impur, comme tout pécheur public (Mc 2,15-17), comme tout malade (cf. Mc 1,41), comme toute femme ayant des écoulements de sang (Mc 5,27). Les Pharisiens interdisaient tout contact direct avec ces gens là, mais Jésus n’en a cure… Il est venu renverser toutes les barrières que les hommes dressent entre eux… Souvenons-nous d’Ep 2,14 : il a « détruit la barrière qui séparait » les Juifs des païens, « cette Loi des préceptes avec ses ordonnances »… Il l’a détruite sans « l’abolir » (Mt 5,17-19), mais en l’accomplissant par le commandement de l’Amour qui porte à sa perfection tous les préceptes de la Loi car « celui qui aime autrui a de ce fait accompli la Loi. En effet, le précepte : Tu ne commettras pas d’adultère, tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne convoiteras pas, et tous les autres se résument en cette formule : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. La charité ne fait point de tort au prochain. La charité est donc la Loi dans sa plénitude » (Rm 13,8-10).

« Il ne voulait que personne ne sache qu’il était là », une précision qui appartient au secret messianique que nous avons déjà rencontré en St Marc, cette consigne de silence sur sa messianité, pour éviter d’être mal compris (cf. Fiche n°4 p. 9 et Fiche n°5, p. 9-10)… Et ce n’est qu’au moment de la Passion qu’elle sera levée : Jésus sera alors proclamé « Roi » pour la première fois dans l’Evangile (Mc 15,2.9.12.18.26.32) et cette fois, devant ce Messie en Croix, plus personne ne pourra l’interpréter en termes de royauté terrestre… Jésus est le Roi du Royaume des Cieux, ce Royaume de l’Amour où l’on ne cesse de répondre au mal par le bien, car Dieu ne désire qu’une seule chose : le bien profond de tous les hommes, surtout des pécheurs qui se font du mal en faisant le mal … « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ».

Nous l’avons vu, la terre païenne était considérée comme une terre impure, le lieu privilégié d’habitation des démons, et il s’agira ici encore, comme pour le Gérasénien, « d’une petite fille possédée par un esprit mauvais ». Quantité de pathologies étaient directement attribuées au démon à l’époque, comme par exemple l’épilepsie (Mc 9,17-22)… Nous n’avons pas ici de précisions sur les souffrances de cette petite fille. St Marc ne s’y attarde pas car le cœur du message qu’il veut transmettre n’est pas là. Jésus a depuis longtemps manifesté sa victoire sur toutes les forces de mal. Ici, l’évangéliste va se centrer sur le fait que la Bonne Nouvelle est aussi destinée aux païens…

Miniature Codex Egbert

Miniature du Codex Egbert (vers 980)

Cette mère va presser Jésus de guérir sa fille. Son attitude est bien compréhensible : quelle mère ne ferait pas tout ce qui est possible pour obtenir la guérison de son enfant ? La fin de non-recevoir que Jésus lui adresse semble dure… « Laisse d’abord les enfants se rassasier, car il ne sied pas de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens ». Mais la pointe du texte est tout de suite donnée avec ce « d’abord »… Jésus ne refuse pas sa demande… Les païens ne sont pas exclus de l’Amour de Dieu, bien au contraire… Dieu se préoccupe de tout homme comme s’il était unique à ses yeux, et de fait il l’est, car nous sommes tous différents les uns des autres… Et à situation unique réponse unique : Dieu nous aime tous d’un amour unique qui s’ajuste à nos spécificités uniques qu’il connaît bien puisque c’est Lui qui nous a faits ! « Laisse d’abord »… La Bonne Nouvelle doit être « d’abord » annoncée à Israël, et c’est ensuite Israël même qui se fera Serviteur de tous en l’annonçant à tous… Cette perspective s’accomplira avec l’Eglise constituée de Juifs et de païens…

« Laisse d’abord les enfants manger à leur faim, car il n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux petits chiens ». Certains pensent que Jésus reprend ici les termes mêmes d’une injure autrefois fréquente en Israël pour désigner les païens, ces « chiens »… Mais la haine fait place ici à la tendresse, et l’image employée par Jésus est celle « d’enfants » et de « petits chiens »… « Les enfants », ce sont les fils d’Israël… Jésus employait cette expression pour s’adresser à ses disciples : « Petits enfants, c’est pour peu de temps que je suis encore avec vous », leur dit-il juste avant sa Passion (Jn 13,33). Et à ce paralytique qu’on lui présentait, il dit : « Aie confiance, mon enfant, tes péchés sont remis » (Mt 9,2). Or, qui écoute Jésus écoute Celui qui l’a envoyé (cf. Lc 10,16 ; Jn 12,50 ; 17,8), le Père rempli de Tendresse (Ps 103,13). C’est donc toute cette Tendresse du Père envers Israël qui transparaît à nouveau ici avec cette image des « enfants » (cf. Os 11,1-4)… Et l’attitude habituelle « des enfants » vis-à-vis des « petits chiens » est celle d’une affection débordante avec des gestes dont ils ne perçoivent pas toujours la portée… Et ce sont souvent « les enfants » qui, à table, se font gronder par leurs parents quand ils donnent à manger aux « petits chiens » ce qui est dans leur assiette… Voilà comment Dieu aimeraient que les Fils d’Israël se comportent vis-à-vis des païens : comme des « enfants » qui jouent avec des « petits chiens »…

La femme accepte les modalités pratiques de mise en œuvre du projet de Dieu. « C’est vrai Seigneur », mais que « les enfants » mangent en premier n’interdit pas aux « petits chiens qui sont sous la table de manger les miettes des petits enfants »… Cette femme fait ainsi preuve d’humilité, manifestée dans son obéissance, une obéissance qui suppose la confiance… Et l’amour qu’elle porte à sa fille lui donne aussi l’audace de l’espérance… Elle ne sera pas déçue car Dieu ne déçoit jamais : « C’est en toi que nos pères espéraient, ils espéraient et tu les délivrais. Quand ils criaient vers toi, ils échappaient ; en toi ils espéraient et n’étaient pas déçus » (Ps 22(21),5-6). « C’est par la confiance et rien que la confiance que l’on va à l’Amour » (Ste Thérèse de Lisieux)… « Alors Jésus lui dit : « À cause de cette parole, va, le démon est sorti de ta fille. » Elle retourna dans sa maison » sans avoir encore constaté de ses yeux la guérison de sa fille, une obéissance qui manifeste à nouveau sa confiance, « et elle trouva l’enfant étendue sur son lit », dans la paix, « le démon parti »…

 

La guérison d’un sourd bègue (Mc 7,31-37)

 

« S’en retournant du territoire de Tyr, il vint par Sidon vers la mer de Galilée, à travers le territoire de la Décapole », l’actuelle Jordanie. Jésus est donc toujours en territoire païen. La guérison accomplie sera à nouveau un signe de l’universalité de ce Salut que le Christ est venu offrir à tout homme…

« On lui amène un sourd, qui de plus parlait difficilement, et on le prie de lui imposer la main ». « Quelqu’un te requiert-il pour une course d’un mille, fais-en deux avec lui. À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos » (Mt 5,41-42). Jésus est le premier à mettre en pratique ce qu’il nous demande… Ici, « on le prie » d’agir pour ce « sourd qui parlait difficilement » ? Aussitôt, il obéit…

La demande qui lui est faite est précise : « On le prie de lui imposer les mains »… Jésus agira différemment, mais dans le contexte de l’Eglise primitive dans lequel St Marc écrit, ce geste était compris comme un signe visible du Don de l’Esprit Saint… C’est ainsi que les Apôtres « Pierre et Jean se mirent à imposer les mains » à des Samaritains « et ils recevaient l’Esprit Saint » (Ac 8,17). Ananie imposera les mains à Paul en lui disant : «  Saoul, mon frère, celui qui m’envoie, c’est le Seigneur, ce Jésus qui t’est apparu sur le chemin par où tu venais ; et c’est afin que tu recouvres la vue et sois rempli de l’Esprit Saint » (Ac 9,17). Paul imposera les mains aux chrétiens d’Ephèse et « quand il leur eut imposé les mains, l’Esprit Saint vint sur eux, et ils se mirent à parler en langues et à prophétiser » (Ac 19,6). « Je t’invite » écrira-t-il plus tard à Timothée « à raviver le don spirituel que Dieu a déposé en toi par l’imposition de mes mains », (2Tm 1,6). Le geste accompli par Jésus, l’Envoyé du Père, renvoie donc au Don de l’Esprit Saint avec lequel et par lequel Dieu veut faire toutes choses nouvelles dans nos cœurs et dans nos vies. Toute la suite sera donc à interpréter à la lumière de l’action de cet Esprit Saint que Dieu offre gratuitement à quiconque accepte de le recevoir dans un cœur droit et sincère…

Le-Christ3

« Jésus l’emmena à l’écart loin de la foule », dans un endroit désert pourrait-on ajouter. L’homme se retrouve donc seul à seul avec lui, et donc par lui seul à seul avec Dieu à qui il pourra consacrer toute son attention… « Je le conduirai au désert, et là, je parlerai à son cœur » (Os 2,16)…

« Jésus annonçait la Parole dans la mesure où ils étaient capables de la comprendre » (Mc 4,33). Il s’adapte donc à son auditoire en employant un langage et des attitudes que les personnes de son époque pouvaient comprendre… Et c’est ce qu’il va faire ici en reprenant à son compte le langage très concret des médecins d’autrefois : « Il met ses doigts dans les oreilles et de sa salive sur la langue du malade. Cette manipulation peut choquer notre sensibilité moderne, notre souci d’hygiène. Jésus ne fait là qu’emprunter à la médecine de son temps certains de ses usages : le contact physique localisé et la salive, source présumée de vie, proche de la parole »[2]. Jésus se présente donc par ses gestes comme un médecin… Mais quelle maladie est-il venu guérir ? Celle du péché et de ses conséquences destructrices au plus profond de notre être… Il disait ainsi : « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecin, mais les malades ; je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, au repentir » (Lc 5,31-32). Voilà donc le médecin des cœurs blessés, celui qui vient nous rendre la Plénitude de la Vie alors que nous, nous l’avions perdue par suite de nos fautes… Et cette Vie est celle de « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63), « l’Esprit » qui est appelé à devenir « notre vie » (Ga 5,25), la Vie de notre vie… La guérison de ce malade va être une nouvelle fois le signe visible de la guérison spirituelle que Dieu accorde en communiquant le Don de l’Esprit Saint à quiconque se tourne vers Lui avec un cœur sincère … Il est la Lumière qui vient illuminer nos ténèbres, l’Eau Vive qui purifie nos âmes, la Force qui vient nous arracher à tous nos esclavages pour nous faire passer de la prison de nos misères à « la liberté de la gloire des enfants de Dieu » (Rm 8,21). Le vocabulaire employé en Mc 7,35 le suggère : « Le lien de sa langue se dénoua », en signe visible de tous ces liens qui peuvent nous emprisonner intérieurement, de toutes ces chaines mauvaises qui nous maintiennent dans les filets du mal… « Recevez l’Esprit Saint » dira le Ressuscité à ses Apôtres. « Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leurs seront remis » (Jn 20,22-23). « En vérité je vous le dis : tout ce que vous délierez sur la terre sera tenu au ciel pour délié » (Mt 18,18). « Déliez-le et laisser le aller » dit Jésus à ceux qui l’accompagnaient lorsque, d’une Parole, il invita Lazare à sortir du tombeau, « et le mort sortit, les pieds et les mains liés de bandelettes, et son visage était enveloppé d’un suaire » (Jn 11,32-43). Lazare nous représente tous, blessés à mort, plongé dans les ténèbres… Mais « en vérité, en vérité, je vous le dis, l’heure vient – et c’est maintenant – où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront » (Jn 5,25). Déliés, à la Parole du Fils et par l’action de l’Esprit, des liens intérieurs de mort, il goûteront à la liberté des enfants de Dieu… Et une fois le suaire enlevé du visage, ils verront la Lumière… C’est ainsi que le Christ Sauveur du monde continue, avec et par son Eglise,  à nous délivrer du mal et de ses conséquences. Son seul désir est de nous introduire, dès maintenant, dans la Maison du Père, ce Mystère de communion avec le Père dans l’unité d’un même Esprit de Lumière, de Paix et de Vie, pour que nous y demeurions à jamais (Jn 8,34-36).

Communion des saints

Et « ils étaient frappés au-delà de toute mesure et disaient : « Il a bien fait toutes choses: il fait entendre les sourds et parler les muets » ». Les prophéties d’Isaïe sont accomplies… « En ce jour-là, les sourds entendront les paroles du livre et, délivrés de l’ombre et des ténèbres, les yeux des aveugles verront. Les malheureux trouveront toujours plus de joie dans le Seigneur, les plus pauvres des hommes exulteront à cause du Saint d’Israël » (Is 29,18-19). « Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des Cieux est à eux » (Mt 5,3), et « le Règne de Dieu est justice, paix et dans l’Esprit Saint » (Rm 14,17), donné gratuitement (1Th 4,8 ; Ac 5,29-32) à quiconque accepte de se tourner vers Dieu de tout cœur en se détournant donc, au même moment, de toute forme de mal… « Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et les oreilles des sourds s’ouvriront. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la langue du muet criera sa joie. Parce qu’auront jailli les eaux dans le désert », l’Eau Vive de l’Esprit que Dieu fait jaillir dans nos cœurs desséchés et arides par suite de nos fautes… Telle est l’œuvre du Père des Miséricorde, une œuvre qui fait toute notre joie… « La terre brûlée deviendra un marécage, et le pays de la soif, des eaux jaillissantes » (Is 35,5-7)… Alors, « fais sortir un peuple aveugle qui a des yeux, et des sourds qui ont des oreilles. Que toutes les nations se rassemblent, que tous les peuples s’unissent !… C’est vous qui êtes mes témoins, oracle du Seigneur, vous êtes le serviteur que je me suis choisi, afin que vous le sachiez, que vous croyiez en moi et que vous compreniez que c’est moi : avant moi aucun dieu n’a été formé et après moi il n’y en aura pas. Moi, c’est moi le Seigneur, et en dehors de moi il n’y a pas de sauveur. C’est moi qui ai révélé, sauvé et fait entendre… Vous, vous êtes mes témoins, oracle du Seigneur, et moi, je suis Dieu » (Is 43,8-12).

 

La seconde multiplication des pains (Mc 8,1-10)

 

La première multiplication des pains est rapportée en Mc 6,30-44. Nous avons vu, par la symbolique des chiffres, qu’elle s’adressait au Peuple d’Israël. C’est lui en effet qui devait recevoir en premier l’annonce de la Bonne Nouvelle du Royaume des Cieux : toutes les prophéties de l’Ancien Testament s’accomplissaient enfin avec Jésus, le Christ, le Fils de Dieu. La raison qui avait motivé ce signe était la suivante : « Jésus vit une foule nombreuse et il fut bouleversé jusqu’au plus profond de lui-même », « il ressentit une viscérale compassion », « parce qu’ils étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger » du fait de l’infidélité de leurs pasteurs (Mc 6,34 ; cf. Ez 34). Alors, il s’était mis à les enseigner longuement…

Ici, les mêmes termes sont employés : « Je suis bouleversé jusqu’au plus profond de moi‑même car voilà déjà trois jours qu’ils restent auprès de moi et ils n’ont pas de quoi manger. Si je les renvoie à jeun chez eux, ils vont défaillir en route, et il y en a parmi eux qui sont venus de loin ». Cette foule ne dit rien, ne demande rien… Elle suit Jésus, elle l’écoute. Mais « ils n’avaient pas de quoi manger ». La situation devient donc difficile pour certains… Jésus le voit, il le sait… Face aux détresses des hommes, Dieu est « bouleversé de compassion » et il ne peut rester sans rien faire… « Le Seigneur dit : « J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte. J’ai entendu son cri devant ses oppresseurs ; oui, je connais ses angoisses. Je suis descendu pour le délivrer et le faire monter de cette terre de souffrance, de pleurs et de cris vers une terre vaste qui ruisselle de lait et de miel » » (Ex 3,7-8 ; Ap 21,1-4).

« Il y en a parmi eux qui sont venus de loin »… N’oublions pas que nous sommes dans « le territoire de la Décapole » (Mc 7,31), en pleine terre païenne… Et l’expression « de loin » est un clin d’œil lancé à quantité de textes bibliques qui évoquent avec elle les nations païennes : « Écoutez, vous qui êtes loin » (les païens), « ce que j’ai fait, sachez, vous qui êtes proches » (Israël), « quelle est ma puissance ». « Je dirai au Nord : Donne ! et au Midi : Ne retiens pas ! Ramène mes fils de loin et mes filles du bout de la terre », de ces terres païennes où ils étaient en exil (Is 33,13 ; 43,6 ; 60,4)… St Paul reprendra ce langage en Ep 2,11-18 : « Rappelez-vous donc qu’autrefois, vous les païens, vous étiez sans Christ, exclus de la cité d’Israël, étrangers aux alliances de la Promesse, n’ayant ni espérance ni Dieu en ce monde ! Or voici qu’à présent, dans le Christ Jésus, vous qui jadis étiez loin, vous êtes devenus proches, grâce au sang du Christ… (C’est lui) qui est venu proclamer la paix, paix pour vous qui étiez loin et paix pour ceux qui étaient proches : par lui nous avons en effet, tous deux en un seul Esprit, libre accès auprès du Père ». Avec le Christ, Juifs et païens ont part « au même héritage », à la même Vie, au même Esprit… Tous sont invités à se laisser rassembler par Dieu dans « l’unité de l’Esprit » pour former l’unique famille humaine des enfants de Dieu (Ep 3,5-6 ; 4,1-6).

PainsLa symbolique des chiffres employée ici conduit à la même conclusion. Jésus prend en effet « sept pains » et il en restera « sept » corbeilles. Or le chiffre 7 est « traditionnellement celui des païens (en Grèce, les cités étaient gouvernées par sept sages) »[3]. Et la TOB précise dans une note que le monde des païens était autrefois divisé en 70 nations… De plus, « sept » est très souvent employé dans la Bible pour évoquer la plénitude… Ces « sept pains » sont donc multipliés ici pour nourrir la multitude des hommes que Dieu appelle au salut, une nourriture donnée à l’initiative de Dieu, gratuitement, par amour… « Le salut est donné par notre Dieu » (Ap 7,10 ; Ep 2,1-10). Il suffit de consentir à le recevoir, avec reconnaissance, en « rendant grâce (« eukaristéo » dans le grec des Evangiles) pour tout cet amour. « On dira, en ce jour-là : Voyez, c’est notre Dieu, en lui nous espérions pour qu’il nous sauve ; c’est le Seigneur, nous espérions en lui. Exultons, réjouissons-nous du salut qu’il nous a donné » (Is 25,9). Et si « le péché est entré dans le monde par un seul homme, et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort a passé en tous les hommes, du fait que tous ont péché » (Rm 5,12), le salut est entré dans le monde par un seul homme, le Christ, et par son obéissance la vie, et ainsi la vie est destinée à passer en tous les hommes s’ils consentent à lui obéir en tournant vers lui leur cœur et en acceptant de recevoir gratuitement ce qu’il est venu leur donner par amour… « Je ne vais faire qu’une seule chose », écrit Ste Thérèse de Lisieux au début « d’Histoire d’une âme » : « Commencer à chanter ce que je dois redire éternellement : Les Miséricordes du Seigneur !!! »

« Ils mangèrent donc et furent rassasiés… Or, ils étaient environ quatre mille »… Le chiffre « quatre » est symbole d’universalité (les quatre points cardinaux : nord, sud, est, ouest), et « mille » renvoie à une multitude innombrable. Nous retrouvons ainsi la multitude des hommes, Juifs et païens, que Dieu appelle à partager la Plénitude de sa Lumière et de sa Vie… « J’ai encore d’autres brebis (les païens) qui ne sont pas de cet enclos » (les Juifs) ; « celles-là aussi » (les païens) « il faut que je les mène ; elles écouteront ma voix ; et il y aura un seul troupeau » (les Juifs et les païens), « un seul pasteur » (Jn 10,16) et « tous seront un comme le Père et le Fils sont un », unis l’un à l’autre dans la communion d’un même Esprit (Jn 10,30 ; 17,20-23).

« Ils furent rassasiés »… Lorsque Dieu donne, il donne en ‘Dieu’, avec une « surabondance » (Jn 10,10 ; 1Th 1,5) qui ne peut que « rassasier » (Mc 8,8) tous ceux et celles qui acceptent de recevoir le cadeau de sa Vie… « Je Suis le pain de vie. Qui vient à moi n’aura jamais faim ; qui croit en moi n’aura jamais soif » (Jn 6,35). En effet, « si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi ! selon le mot de l’Écriture : De son sein couleront des fleuves d’eau vive. Il parlait de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui avaient cru en lui » (Jn 7,37-39). Et « celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissant en vie éternelle » (Jn 4,14).

Jésus Sr Faustine

Et comme la première, cette seconde multiplication des pains est le signe de l’Eucharistie que le Christ instituera peu avant sa mort et sa résurrection (Mc 14,22-25). Il suffit de comparer les textes pour se convaincre du lien que l’Evangéliste a voulu établir entre eux :

 

Marc 6,41 (1° multiplication) Marc 8,6 (2° multiplication) Marc 14,22 (Institution)
Prenant alors les cinq pains

il bénit

et rompit les pains,

et il les donnait à ses disciples

pour les leur servir.

 prenant les sept pains,

il rendit grâces (« eukaristéo »)

les rompit

et il les donnait à ses disciples

pour les servir…

il prit du pain,

le bénit,

le rompit

et le leur donna en disant :

« Prenez, ceci est mon corps. »

 

De plus, souvenons-nous… Dans la première multiplication des pains, « il se mit à les enseigner longuement » en leur donnant, en surabondance, « les Paroles de la Vie éternelle » qu’il avait reçues de son Père (Jn 6,68 ; 17,8). Dans la seconde, il leur donne avec la même surabondance le pain multiplié… Nous retrouvons ainsi les deux tables de l’Eucharistie : celle de la Parole et celle du Pain Consacré. Et dans les deux, Jésus nous communique sa Vie par le Don de l’Esprit. En effet, « celui que Dieu a envoyé prononce les Paroles de Dieu car il donne l’Esprit sans mesure ». Ainsi, « les paroles que je vous ai dites sont Esprit et elles sont Vie ». De plus, « qui mange ma chair et boit mon sang a la Vie éternelle », mais « la chair ne sert de rien, c’est l’Esprit qui vivifie » (Jn 3,34 ; 6,53-63). Ainsi, aux pécheurs blessés à mort par suite de leurs fautes, Jésus est venu offrir gratuitement, par amour, la Parole et le Pain, la seule nourriture qui demeure en Vie éternelle (Jn 6,27)…

                                                                                                                                   Diacre Jacques Fournier

[1] Présentation rapide à l’occasion de la lecture de Mc 2,15-17 dans la Fiche n° 7 p. 7.

[2] HERVIEUX Jacques, « L’Evangile de Marc », Les Evangiles textes et commentaires (Bayard Compact, Paris 2001) p. 403.

[3] HERVIEUX J., « L’Evangile de Marc » dans « Les Evangiles, textes et commentaires » p. 406.

Fiche n°13 (Mc 7,1-8,10) Document en PDF pour une éventuelle impression