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Mc 9,14-29: la victoire de Jésus sur le mal.

Jésus vient d’annoncer pour la première fois à ses disciples sa Passion prochaine : « Et il commença de leur enseigner : Le Fils de l’homme doit beaucoup souffrir, être rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, être tué et, après trois jours, ressusciter » (Mc 8,31). Dans un premier temps, et c’est bien normal, les disciples refuseront une telle perspective : « Dieu t’en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t’arrivera point ! » (Mt 16,22). Comme Jésus, vrai homme lui aussi, aurait aimé qu’il en soit ainsi ! Mais non, tel n’est pas le Chemin de l’Amour qui est venu se donner entièrement entre les mains des pécheurs (Mc 14,41 ; Lc 24,7) pour leur salut ! Et ces derniers, dans leur refus de Dieu, de la Vérité et de l’Amour, lui feront tout ce qu’ils voudront… Et Jésus se laissera faire, offrant ces souffrances pour leur guérison spirituelle, leur salut éternel… Qu’ils soient vraiment, par leur repentir et le renouvellement opéré par la grâce, « à l’image et ressemblance de Dieu » (Gn 1,26-28), et « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16), et Il n’est qu’Amour ! Jésus le montrera lors de sa Passion, ne répondant au mal que par l’amour… « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent » (Lc 6,27)… Ce qu’il nous demande, il a été le premier à le mettre en pratique…

Mis à mort, le Père va ressusciter son Fils par la Toute Puissance de l’Esprit Saint… Cette victoire de la Lumière de l’Amour sur les ténèbres de la haine, Jésus l’a laissée entrevoir à ses disciples lors de sa Transfiguration (Mc 9,1-8). Et il va continuer à la révéler en guérissant un enfant épileptique dans un contexte social et religieux où l’on attribuait la maladie à l’action du démon. « Maître, je t’ai apporté mon fils qui a un esprit muet. Quand il le saisit, il le jette à terre, et il écume, grince des dents et devient raide » (Mc 9,18). Jésus s’adapte à ce contexte et reprend les mots de ce père de famille pour accomplir un signe qui leur révèlera, d’une manière adaptée à leurs croyances, sa victoire sur le mal et tout ce qui peut blesser la vie de l’homme. « « Esprit muet et sourd, je te l’ordonne, sors de lui et n’y rentre plus. » Après avoir crié et l’avoir violemment secoué, il sortit, et l’enfant devint comme mort, si bien que la plupart disaient : « Il a trépassé ! » Mais Jésus, le prenant par la main, le releva et il se tint debout » (Mc 9,14-29).

Jésus ressuscite Adam et Eve

Et c’est ce que ne cessera de faire le Ressuscité jusqu’à la fin des temps : venir à notre rencontre, frapper à la porte de nos cœurs (Ap 3,20), nous tendre la main pour nous proposer sa victoire sur le mal et sur son cortège de ténèbres qui ne sont avant tout que privation de la Plénitude de la Vie de Dieu. Si nous consentons à nous laisser prendre, dès maintenant, dans la foi et par notre foi, nous passerons avec lui de la mort à la Vie, et nous nous retrouverons debout auprès de Lui, dans la Plénitude sa Lumière et de sa Paix (Ep 2,4-5)… « Je viendrai et je vous prendrai près de moi, afin que là où je suis, vous aussi » (Jn 14,3). Et Jésus est dans la Maison du Père, uni au Père dans la communion d’un même Esprit… Voilà où il désire tous nous entrainer, Lui qui est venu non pas pour les justes mais pour les pécheurs (Lc 5,31-32)…

Juste avant le début de la Passion, St Jean écrit que « le diable avait mis au cœur de Judas Iscariote, fils de Simon, le dessein de le livrer » (Jn 13,2). Et la Bible de Jérusalem explique en note : « La Passion est un drame où se trouve engagé le monde invisible : derrière les hommes est à l’œuvre la puissance diabolique » qui n’est en fait que faiblesse, nous le verrons par la suite… En Mc 9,14-29, Jésus va manifester sa victoire sur elle et nous allons profiter de ce passage pour essayer de préciser ce qu’elle est exactement…

 

Les mots « Satan » et « diable »

 

« Satan » vient d’un mot hébreu qui signifie « traiter en ennemi », « attaquer », « avoir de la malveillance pour… », « accuser » (Za 3,1 ; Ap 12,10). Satan est donc « l’adversaire » (2Th 2,4), « l’ennemi » de Dieu et des hommes (Mt 13,39 ; Lc 10,19 ; Jn 8,44 et 10,10) créés à son « image et ressemblance » (Gn 1,26-28), « l’accusateur » (Ap 12,10), le spécialiste des fausses accusations, des calomnies et du soupçon. Mais il est aussi celui qui invite l’homme à désobéir à Dieu pour ensuite « l’accuser » des péchés qu’il a pu commettre ! En agissant ainsi, il l’enferme dans ses limites, dans sa culpabilité, et le conduit au désespoir… Jésus, au contraire, ne condamne jamais qui que ce soit : « Je ne te condamne pas. Va, désormais, ne pèche plus », dit-il à la femme surprise en flagrant délit d’adultère (Jn 8,1-11). « Si quelqu’un vient à pécher », écrit St Jean, « nous avons comme avocat auprès du Père Jésus Christ, le Juste » (1Jn 2,1)… Contrairement à Satan, la vérité n’est jamais séparée en Lui de la compassion et de la miséricorde (Ps 85(84),9-13 ; 89,15)… Et puisque le péché nous détruit, son Amour n’a inlassablement qu’un seul désir : nous pardonner, nous guérir intérieurement pour que nous puissions retrouver avec Lui le chemin de la Paix, de la Joie, de la Plénitude de la Vie… « Le salaire du péché, c’est la mort, mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 6,23).

« Diable » vient quant à lui du mot grec masculin « diabolos » ; ce même mot, au féminin, exprime « une division », « une brouille, une inimitié », mais aussi ce qui a pu provoquer cette division : « une fausse accusation », c’est-à-dire « une calomnie », « une médisance » qui entraînera un soupçon et brisera la confiance … Le diable est donc « le diviseur », celui qui cherche avant tout à diviser : diviser Dieu et l’homme, en suggérant à l’homme une fausse image de Dieu, en essayant de l’entraîner loin de Lui ; diviser les hommes entre eux ; diviser l’homme lui-même ; diviser l’homme et la création qui l’entoure… Le résultat est la mort, sous toutes ses formes… Le Christ fut ainsi soupçonné d’actes qu’il n’avait jamais commis, il fut calomnié, rejeté, cruellement maltraité et crucifié… Mais le Père l’a ressuscité d’entre les morts (Ac 2,22-24 ; 2,32-33 ; 3,13-15 ; 4,10-12 ; 1Co 6,14 ; 2Co 4,13-14 ; Gal 1,1), une résurrection qui révèle la victoire de Dieu sur toutes les formes de mal, malgré bien souvent les apparences…

Le diable dans la Bible

 Existe-t-il parmi nous quelqu’un qui aurait lu tout l’Ancien Testament ? Il suffit de regarder son épaisseur pour avoir des sueurs froides… Et pourtant, nous pouvons être surpris de la rareté avec laquelle le diable y intervient : dans la Bible de Jérusalem, le mot « Satan » n’apparait que 15 fois, « démon » 12 fois, et « diable » une seule fois ! « Yahvé », par contre, apparaît 6784 fois et « Dieu » 3023 fois… Ces chiffres nous donnent déjà une première leçon : dans nos vies, accordons à Satan la place que l’Ancien Testament lui accorde, c’est-à-dire bien peu de chose ! Occupons-nous par contre de Celui qui, comme un Père, nous accompagne sans cesse, nous regarde avec amour, veille sur nous, s’occupe de nous, combat avec nous et pour nous. C’est Lui qui « nous sauve des filets du chasseur et de la peste maléfique » (Ps 91(90)) …

 

Un regard d’ensemble sur le projet créateur de Dieu

 

La Lettre aux Ephésiens nous en offre, au tout début, un résumé saisissant (Ep 1,3-13).

 

Les bénédictions spirituelles du Père dans le Christ, son Fils

 

(3) Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ, 

                   qui nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles,      aux cieux,

                                                                                                                             dans le Christ.

 

Le contenu de ces bénédictions

                             ( Le Père et son projet dans le Fils)

 

(4) C’est ainsi qu’Il nous a élus en lui, dès avant la fondation du monde,

pour être saints et immaculés en sa présence, dans l’amour,

(5) déterminant d’avance que nous serions pour Lui des fils adoptifs par Jésus Christ.

Tel fut le bon plaisir de sa volonté,

(6) à la louange de gloire de sa grâce, dont Il nous a gratifiés dans le Bien-Aimé.

 

                             (Le Fils par lequel le Père réalise son projet)

 

(7) En lui nous trouvons la rédemption, par son sang, la rémission des fautes, selon la richesse de sa grâce,

(8) qu’Il nous a prodiguée, en toute sagesse et intelligence:

(9) Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, ce dessein bienveillant qu’Il avait formé en lui par avance,

(10) pour le réaliser quand les temps seraient accomplis: récapituler toutes choses dans le Christ,

                                           les êtres célestes comme les terrestres, en lui.

                             (L’Esprit qui actualise le projet du Père dans l’aujourd’hui de l’histoire…)

 

                                                (… pour les Juifs)

(11) C’est en lui encore que nous avons été mis à part, désignés d’avance,

                   selon le plan préétabli de Celui qui mène toutes choses au gré de sa volonté,

(12)   pour être, à la louange de sa gloire,

                   ceux qui ont par avance espéré dans le Christ.

 

                                                (… et pour les païens)

(13) C’est en lui que vous aussi, vous avez entendu la Parole de vérité, l’Evangile de votre salut;

en lui encore vous avez cru, et vous avez été marqués d’un sceau par l’Esprit de la Promesse,

cet Esprit Saint qui constitue les arrhes de notre héritage, et prépare la rédemption du Peuple que Dieu s’est acquis,

                        pour la louange de sa gloire.

 

« Toutes les bénédictions spirituelles » que Dieu le Père désire nous communiquer sont déjà « dans le Christ », son Fils. Or « Dieu est Amour », nous dit St Jean par deux fois (1Jn 4,8.16). Le Père est Amour… Et « aimer, c’est tout donner et se donner soi-même » (Ste Thérèse de Lisieux). St Jean ne dit pas autre chose : « Le Père aime le Fils et lui donne tout dans sa main » (Jn 3,35)[1]. Ce principe éternel éclaire non seulement le Mystère du Fils, mais encore le projet de Dieu sur toutes ses créatures… Depuis toujours et pour toujours, « le Père aime le Fils », se donne tout entier au Fils et l’engendre ainsi à la Vie… « Comme le Père a la Vie en Lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir la Vie en lui-même » (Jn 5,26). C’est pourquoi, nous dit Jésus, « je vis par le Père » (Jn 6,57). « Né du Père avant tous les siècles, il est Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu » (Crédo). Et comme « l’Esprit » est « Vie » (Jn 6,63 ; Rm 8,2 ; 8,10-11 ; Ga 5,25 ; 6,8), pour le Père, donner la Vie c’est donner l’Esprit, cet Esprit qui le constitue : « Dieu est Esprit » (Jn 4,24). Et l’on peut dire aussi « Dieu est Saint » (Lv 11,44-45). Ainsi, en se donnant totalement au Fils, le Père le ‘remplit-il’ de toute éternité de ce qu’Il Est Lui-même, et Il Est Esprit, Il est Saint, Il Est Vie. Jésus est donc « rempli d’Esprit Saint » par le Père (Lc 4,1) « avant tous les siècles » et pour tous les siècles et c’est comme cela que le Père « l’engendre » à sa Vie, en lui donnant sa Plénitude d’Être et de Vie…

Et dans l’ordre de la création, le Père sera toujours « Source de Vie » (Jr 2,13 ; 17,13 ; Ps 42-43,2-3), « de qui toute paternité, au ciel et sur la terre, tire son nom » (Ep 3,14). La Bible de Jérusalem écrit ainsi en note : « L’origine de tout groupement humain, ou même angélique, remonte à Dieu, Père suprême ».

Dieu Père (Giovanni Battista Cima)

Nous, les hommes, ses créatures, nous avons donc tous un seul Père. « Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jn 20,17). « Quand vous priez, dites : « Père » » (Lc 11,1-4), comme le Fils le fait lui-même (Jn 17). Nous sommes tous en effet « enfants de Dieu » (Jn 1,12), créés « à l’image du Fils pour qu’il soit l’aîné d’une multitude de frères » (Rm 8,29-30), tous appelés à partager la Plénitude de la Vie divine, cette Vie que le Fils reçoit du Père de toute éternité. Le Père « remplit » le Fils « d’Esprit Saint » depuis toujours et pour toujours ? Nous avons tous été créés « à l’image du Fils » pour qu’il en soit de même pour chacun d’entre nous, selon notre condition commune de créature : que nous soyons « remplis » nous aussi du même « Esprit Saint », cet « Esprit » qui est « Vie » (Ga 5,25), cet « Esprit qui vivifie » (Jn 6,63). L’expression « rempli d’Esprit Saint » se trouve ainsi appliquée dans le Nouveau Testament non seulement au Fils, vrai homme et vrai Dieu, mais aussi à Jean‑Baptiste (Lc 1,15), Elisabeth, sa mère (Lc 1,41), Zacharie, son père (Lc 1,67), Pierre (Ac 4,8), Etienne (Ac 6,5 ; 7,55), Paul (Ac 9,17), etc…

Et en nous donnant l’Esprit, Dieu nous donne tout, tout ce qu’Il Est (Jn 4,24), tout ce qu’il a. C’est ce qu’il fait pour son Fils de toute éternité : « Tout ce qu’a le Père est à moi » (Jn 16,15). Et il nous a créés pour que nous participions nous aussi à ce qu’Il donne à son Fils « avant tous les siècles ». A nous maintenant, avec le secours de sa grâce, d’accepter librement et de tout cœur de nous tourner vers Lui et de nous laisser aimer par Lui. Le père, dans la parabole du fils prodigue, un père qui représente Dieu le Père, dit ainsi à son second fils, le fils aîné : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi » (Lc 15,31). La formule est identique à celle que Jésus utilise pour lui-même (Jn 16,15)… Père, dira-t-il, « tu les as aimés comme tu m’as aimés » (Jn 17,23)…

« Dieu est Esprit » (Jn 4,24), « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5). « L’Esprit » donné par le Père est donc aussi « Lumière »… Et puisqu’il est « l’Esprit » du Dieu « Tout Puissant », il est encore « Puissance » (Lc 1,35 ; 4,14 ; Ac 10,38 ; Rm 1,4 ; 1Co 2,4 ; Ep 3,16 ; 1Th 1,5) et « Force » (Is 11,2 ; Ac 1,8 ; 2Tm 1,7). Or Dieu nous appelle tous à nous tourner vers Lui de tout cœur : « Tournez-vous vers moi et vous serez sauvés, tous les confins de la terre, car Je Suis Dieu, il n’y en a pas d’autre » (Is 45,22). Et Il Est « un Soleil qui donne la Grâce, qui donne la Gloire » (Ps 84(83),12), une « Source d’Eau Vive » (Jr 2,13 ; 17,13) d’où ne cesse de jaillir « l’Eau Vive de l’Esprit » (Jn 7,37-39) par laquelle il engendre le Fils en Dieu né de Dieu de toute éternité… Quiconque acceptera de répondre à son appel à se tourner vers Lui de tout cœur, ne pourra donc que recevoir par le « Oui ! » de sa foi ce que le Fils reçoit déjà du Père depuis toujours et pour toujours : l’Esprit de Vie, de Lumière et de Force. Et ce Don est fait par Amour, gratuitement, au Fils et aux pécheurs que nous sommes puisque Dieu nous a tous créés pour que nous soyons remplis nous aussi, comme le Fils l’est de toute éternité, de sa Lumière et de sa Vie. Nous sommes pécheurs, nous sommes blessés, nous sommes malades ? « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,3-6). St Paul en est sûr : il l’a expérimenté lui-même sur la route de Damas alors qu’il partait y persécuter la communauté chrétienne qui existait là-bas : « Moi, naguère un blasphémateur, un persécuteur, un insulteur, il m’a été fait miséricorde parce que j’agissais par ignorance, étranger à la foi ; et la grâce de notre Seigneur a surabondé avec la foi et la charité qui est dans le Christ Jésus. Elle est sûre cette parole et digne d’une entière créance : le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis, moi, le premier. Et s’il m’a été fait miséricorde, c’est pour qu’en moi, le premier, Jésus Christ manifestât toute sa patience, faisant de moi un exemple pour ceux qui doivent croire en lui en vue de la vie éternelle » (1Tm 1,13-16). « Il n’est donc pas question de l’homme qui veut ou qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde » (Rm 9,16). En effet, « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, l’Unique-Engendré, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé le Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn 3,16-17). Fragile, blessé, marqué par toutes sortes de faiblesses, dès qu’un pécheur répond à l’appel de son Créateur à se tourner vers Lui de tout cœur, il reçoit « le pardon de ses péchés et le Don du Saint Esprit » (Lc 2,37-41 ; 5,29-32 ; 1Th 4,8). « Dieu donne en effet l’Esprit Saint à ceux qui lui obéissent » (Ac 5,32). Il ne peut en être autrement puisqu’Il Est Soleil qui ne cesse de rayonner la Lumière de l’Esprit, Il Est Source qui ne cesse de donner l’Eau Vive de l’Esprit. Et voilà ce que le Fils reçoit du Père de toute éternité puisque Lui, il est toujours « tourné vers le sein du Père » (Jn 1,18) et « fait donc toujours ce qui lui plaît » (Jn 8,29). Ce qui est déjà donné au Fils, voilà ce qu’il veut que nous recevions à notre tour, et il vient Lui-même nous apprendre à nous tourner vers Lui, à nous repentir et à nous repentir encore pour pouvoir recevoir pleinement le Don de Dieu : « l’Esprit qui vivifie »… « Ainsi donc aux païens aussi Dieu a donné la repentance qui conduit à la vie ! » (Ac 11,18 ; 5,31).  C’est Lui qui, petit à petit, nous « rend capable » d’accueillir ses dons ! « Avec joie, vous remercierez le Père qui vous a mis en mesure de partager le sort des saints dans la Lumière. Il nous a en effet arrachés à l’empire des ténèbres et nous a transférés dans le Royaume de son Fils bien-aimé, en qui nous avons la rédemption, la rémission des péchés » (Col 1,11-14) !

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Telle fut l’expérience de Paul, non seulement au jour de sa conversion, mais aussi dans l’expérience quotidienne de sa faiblesse (2Co 12,7-10) : « Il m’a été mis une écharde en la chair, un ange de Satan chargé de me souffleter – pour que je ne m’enorgueillisse pas ! A ce sujet, par trois fois, j’ai prié le Seigneur pour qu’il s’éloigne de moi. Mais il m’a déclaré : « Ma grâce te suffit : car la puissance se déploie dans la faiblesse. » C’est donc de grand cœur que je me glorifierai surtout de mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissance du Christ. C’est pourquoi je me complais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les détresses, dans les persécutions et les angoisses endurées pour le Christ ; car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort. » Ainsi, Dieu remplit-il de son Esprit de Force quiconque reconnaît en vérité sa faiblesse en acceptant de la lui offrir… Et cet Esprit est aussi Lumière… Aussi, « jadis vous étiez ténèbres, mais à présent vous êtes lumière dans le Seigneur ; conduisez-vous en enfants de lumière ; car le fruit de la lumière consiste en toute bonté, justice et vérité » (Ep 5,8-9).

Mais nous avons vu précédemment que le Père est ce Dieu « de qui toute paternité, au ciel et sur la terre, tire son nom » (Ep 3,14). Et la Bible de Jérusalem disait en note : « L’origine de tout groupement humain, ou même angélique, remonte à Dieu, Père suprême ». Dieu le Père est donc aussi Père des anges qu’il a également créés par amour pour leur donner d’avoir part à la Plénitude de son Esprit, de sa Lumière et de sa Vie. Et qui dit « amour » dit aussi « liberté »… Il ne peut y avoir de contrainte dans l’amour… Les anges étaient donc appelés eux aussi à « entrer dans la liberté de la Gloire des enfants de Dieu » (Rm 8,21). Mystérieusement, l’un d’entre eux refusa, « le diable », entraînant avec lui d’autres créatures angéliques, « les démons »… Mais le projet créateur de Dieu est de combler toutes ses créatures, humaines et angéliques, de sa Vie en leur donnant de participer, par leur consentement libre, à la Plénitude de sa nature divine (2P 1,4) qui est « Esprit » (Jn 4,24), « Lumière » (1Jn 1,5), Vie (Ga 5,25) et « Force » (Ac 1,8 ; 2Tm 1,7). De par son refus, « le diable » et « les démons » sont donc « vides » de cette Plénitude de l’Esprit qui est « Vie », « Lumière », « Force »… Leur état est donc celui d’une certaine mort spirituelle, dans les ténèbres et une faiblesse extrême… Face à Dieu, ils ne peuvent donc rien… Que vienne la Lumière du Seigneur ? Ils fuient devant Elle (Jn 1,5 ; 1Jn 2,8). Le Seigneur les commande ? Ils lui obéissent aussitôt (Mc 1,23-28 ; 5,1-13 ; 4,39 ; 9,25). 


Orgueilleux, « menteur et père du mensonge » (Jn 8,44), le diable cherchera à persuader les hommes du contraire pour faire naître en eux la peur… Et ce n’est que par cette peur qu’il aura une influence sur ceux et celles qui lui attribueront un pouvoir qu’il n’a pas. Par contre, quiconque accepte de se tourner de tout cœur vers Dieu, en lui offrant jour après jour sa faiblesse et ses misères, ne pourra que recevoir de ce « Dieu qui est un Soleil, un Bouclier » ((Ps 84(83),12), ce « Père des Lumières » (Jc 1,17) qui est aussi « le Père des Miséricordes » (2Co 1,3), l’Esprit de Lumière et de Vie qu’il donne déjà au Fils de toute éternité. Et par cet Esprit, il règnera dans les cœurs, les délivrant et les protégeant de tout mal… « Notre Père, délivre-nous du mal » (Mt 5,13). En effet, « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5), et la Lumière brille dans les ténèbres sans que celles-ci ne puissent la saisir (Jn 1,4-5). « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16), et l’Amour « a tué la haine » (Ep 2,16). « Dieu est Esprit » (Jn 4,24) et il est aussi « le Dieu de la Paix » (Ph 4,9). En recevant l’Esprit que le Fils reçoit du Père de toute éternité, « la paix du Christ règnera dans nos cœurs » (Col 3,15) et nous délivrera de tous les tourments, de toutes les angoisses, de tout « l’ivraie » que « l’ennemi sème » pourrait y semer (Mt 13,24-30). « Le fruit de l’Esprit est amour, joie, paix » (Ga 5,22). C’est pourquoi, Jésus nous donne d’avoir part à sa Paix et à sa Joie en nous donnant d’avoir part à son Esprit : « Je vous laisse la paix ; c’est ma paix que je vous donne; je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Que votre cœur ne se trouble ni ne s’effraie » (Jn 14,27). « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite » (Jn 15,11). « Je Suis avec vous » et pour vous « jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20 ; Rm 8,31‑39). Aussi, « confiance, n’ayez pas peur » (Mc 6,50 ; Mt 28,20). « C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour » (Ste Thérèse de Lisieux)…

 

Le serpent dans le Livre de la Genèse

 

La création de l’homme, ainsi que son premier péché, nous sont présentés dans le Livre de la Genèse de façon poétique. Mais n’oublions pas que ce poète est inspiré : la Parole qu’il nous transmet est « Parole de Dieu », c’est-à-dire révélation du mystère de Dieu et du mystère de l’homme…

L’homme, dernière créature de Dieu, sommet de la création, est le seul sur cette terre à être « à l’image et ressemblance de Dieu » (Gn 1,26-27), la seule créature spirituelle dont le mystère de la vie s’enracine dans la présence au plus profond de lui-même d’une réalité de l’ordre du Souffle même de « Yahvé Dieu », symbole de son Esprit (Gn 2,7). En employant ce nom « Yahvé », rendu par le mot SEIGNEUR dans la TOB, notre auteur est en avance : ce n’est que bien plus tard que ce Nom divin sera révélé à Moïse dans l’épisode du Buisson Ardent. Le Dieu des Pères, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, est l’unique vrai Dieu, Celui-là seul qui peut s’appeler « JE SUIS », ou « Yahvé » (Ex 3,13-15). Il est Celui qui vit, par amour, en Alliance avec tous les hommes (Gn 9,8-17). Ainsi, avec Moïse, « il se souvient de son Alliance » (Ex 2,24) et lui promet d’être avec lui, jour après jour (Ex 3,12 ; 4,12 et 4,15). Pour Dieu, Il ne peut pas en être autrement car Il désire de toute la force de son Cœur que nous vivions tous avec Lui (Mt 28,20) et de Lui, sous le Soleil de son Amour (Mt 5,43-48 ; 1Jn 4,8.16) :

« Le Seigneur Dieu est un soleil, il est un bouclier ; le Seigneur donne la grâce, il donne la gloire.

Jamais il ne refuse le bonheur, à ceux qui vont sans reproche. 

Seigneur, Dieu de l’univers, heureux qui espère en toi ! »

(Ps 84(83),12-13)

 

Tel est le Dieu Créateur : le Dieu de l’Alliance qui veut vivre en alliance avec l’homme, sa créature, pour le combler de sa Lumière, de sa Grâce, de sa Gloire, en un mot, de son Esprit. Et cet Esprit, l’Esprit même de Dieu (Jn 4,24), est Plénitude de Vie (Ga 5,25 ; Jn 6,63), de Lumière (Jn 4,24 avec 1Jn 1,5), d’Amour, de Joie, de Paix (Ga 5,22 ; Rm 5,5 ; Jn 15,11 ; 14,27 ; Col 3,15) et donc de vrai Bonheur ( Jc 1,25 ; Mt 5,1-12 ; 13,16 ; 16,17 ; 17,4). C’est ce que suggère, de manière poétique, le Livre de la Genèse. En effet, juste après avoir créé l’homme, Dieu « planta un jardin en Éden, et il y mit l’homme qu’il avait modelé » (Gn 2,8). Or, « Éden », en hébreu, renvoie à « une abondance de joie ». La traduction grecque le rendra par « paradis » ! Mais attention, le jardin d’Éden, que Dieu confiera à l’homme pour le cultiver et le garder (Gn 2,15), fait partie intégrante de la création… Il est là, sur cette terre, et c’est déjà « là », ici‑bas, dès maintenant, que Dieu veut notre joie (Is 51,3 et 51,11 ; 9,2 ; 29,18-21 ; 35,1-10 ; 44,21-23 ; 48,20-21 ; 49,13-16 ; 52,7-10 ; 54,1-10 ; 55,12-13 ; 56,6-7 ; 61,1-3 ; 61,10-11). Et notre joie fera sa joie (Is 62,1-5 ; So 3,14-18 ; Jr 32,40-41 ; Lc 15,4-7) !

Eden 2

De plus, ce jardin nous est présenté comme « le jardin de Dieu » qu’il aime parcourir « à la brise du jour » (Gn 3,8). « Brise » traduit ici l’hébreu « ruah », le mot employé habituellement pour évoquer « l’Esprit » de Dieu. La notion de « jour » renvoie souvent de son côté à celle de « lumière ». Comment ne pas penser ici à « l’Esprit de Lumière », principe de ce Mystère de Communion qu’est la Sainte Trinité ? « Moi et le Père, nous sommes un » (Jn 10,30), unis l’un à l’autre dans la communion d’un même Esprit qui est tout en même temps Amour (1Jn 4,8.16), Lumière (1Jn 1,5) et Vie. « Le jardin de Dieu » apparaît ainsi comme une nouvelle expression pour désigner « le Royaume de Dieu » qui est Mystère de Communion dans l’unité d’un même Esprit : « Le Royaume de Dieu est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint » (Rm 14,17). Voilà ce que vit la Trinité « avant tous les siècles »… Et nous avons tous été créés pour participer à ce Mystère de Communion par le Don librement accueilli de l’Esprit Saint : « Père, qu’ils soient un comme nous sommes un » (Jn 17,20-23), unis avec nous (1Co 6,17) et les uns aux autres dans « l’unité de l’Esprit » (Ep 4,1-6).

Bien loin d’évoquer un lieu précis, « le jardin d’Eden », « le jardin de Dieu » nous renvoie plutôt à la simplicité d’une vie avec Lui, en relation de cœur avec Lui, mystère de communion où il fait bon vivre. L’homme ne s’y retrouve pas par lui-même : c’est Dieu qui, juste après l’avoir créé, le « prend » et le « dépose » dans ce jardin qu’il reçoit comme un Don gratuit de son Amour. Dieu lui offre alors « toutes espèces d’arbres séduisants à voir et bons à manger », avec notamment « l’arbre de vie au milieu du jardin », symbole de la vie éternelle, « de l’immortalité », précise en note la Bible de Jérusalem (Gn 2,9)… En ce jardin, tout a donc été prévu pour une vie donnée en surabondance (Gn 2,16 ; Jn 10,10)… Dans le Nouveau Testament, Jésus, « le Verbe fait chair » (Jn 1,14) révèlera aux hommes qui l’avaient oublié que ce jardin, ce Royaume de Dieu, est toujours là, invisible à nos yeux de chair mais « tout proche » (Mc 1,14-15 ; Mt 4,17 après Mt 3,2 ; Mt 10,7 ; Lc 10,8-11), offert à notre foi avec le Don de l’Esprit (Mt 12,28 ; Jn 20,22 ; Ac 2,37-39 ; 1Th 4,8) pour notre vie (Jn 3,14-15 ; 5,24 ; 5,39-40) et notre joie (Jn 17,13). Et puisque Dieu, « Source » éternelle de Vie (Jr 2,13 ; 17,13), « Soleil » (Ps 84(83),12) qui ne cesse de donner « la Lumière de la Vie » (Jn 8,12), nous a tous créés pour nous combler de sa Vie, Lui, le premier, ne cessera de nous inviter à lui rester fidèles, pour notre Bonheur, notre Plénitude (Ep 5,18 ; 3,19). Tel est le sens de l’invitation à ne pas « manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal », car si nous faisons l’expérience du mal, nous prévient Dieu, « de mort tu mourras » (Gn 2,17). En faisant le mal, ce qui revient à nous détourner de Lui, nous ne pouvons que nous priver nous-mêmes de sa Lumière et de sa Vie. La Bible en parle en termes de « ténèbres » et de « mort », deux mots qui évoquent une seule et même « privation » (Rm 3,23) : celle de la Lumière de son Esprit (Jn 4,24 et 1Jn 1,5), celle de la Vie de son Esprit (Is 38,16 ; Ez 37,10 ; 2M 7,22-23 ; Jn 6,63 ; Rm 8,2 ; 8,10-11 ; Ga 5,25 ; 6,8 ; Jn 4,10 et 7,37-39). Et Dieu, de son côté, ne veut pas que ses créatures vivent cet état de « mort » spirituelle (Rm 6,23), synonyme de souffrances et de mal-être profond (Rm 2,9). Qu’elles cessent donc de faire le mal, qu’elles se tournent vers Lui, qu’elles se convertissent et elles vivront (Lv 19,4 et 19,31 avec Is 45,22 ; Ez 18,23 ; 18,32 ; 33,11 ; Dt 30,15-20 en insistant sur le v. 19) !

 Adam et Eve

Dans un tel contexte, le diable, l’ennemi de Dieu et de l’homme, l’ennemi de leur vraie joie, apparaît sous la figure d’un serpent. Les conséquences d’une telle présentation sont nombreuses :

1 – Après l’Exode, Israël s’était installé en terre promise, « le pays de Canaan ». Or ses habitants vouaient un culte « aux forces souterraines », capables, croyaient-ils, d’exercer une influence sur la vie, la santé, la fertilité, la fécondité… Et ils représentaient ces forces sous la forme d’un serpent ! En reprenant ce symbolisme, notre auteur affirme donc indirectement que ces idoles païennes sont trompeuses : bien loin d’être « sources de vie », elles ne conduisent qu’à la désillusion et à la mort…

2 – Le serpent est une créature « que Yahvé Dieu a faite » (Gn 3,1). Le diable, le tentateur, est donc lui aussi une créature et ses possibilités ne sont que celles d’une créature ! Il n’est pas un dieu du mal qui s’opposerait au Dieu Bon, mais un être limité, tout comme nous… De plus, nous l’avons vu, en se détournant de Dieu, il ne peut qu’être vide du Don de Dieu, vide de sa Lumière, vide de sa Force… Sa faiblesse est donc extrême…

3 – Comment ce « serpent » s’appelle-t-il ? L’auteur ne donne pas son nom… Or le nom, dans la Bible, représente la personne qui le porte. Etre sans nom, c’est être un rien du tout !

4 – De plus, en décrivant le serpent comme étant « le plus rusé de tous les animaux des champs que Dieu avait faits » (Gn 3,1), l’auteur nous le présente comme appartenant au monde animal. Bien sûr, il n’en est pas ainsi, mais ce parallèle nous suggère quel type de relation devrait exister entre l’homme et ce serpent. Dieu a en effet donné à l’homme la mission de « dominer tous les animaux qui rampent sur la terre » (Gn 1,28), serpent compris… De par la volonté de Dieu, l’homme a donc la capacité de dominer ce serpent, et c’est bien ce qui arrivera lorsque « le lignage de la femme lui écrasera la tête » (Gn 3,15). Si, dans un premier temps, il semble remporter la victoire en poussant les hommes à faire mourir le Christ sur une Croix, le dernier mot appartiendra finalement au « lignage de la femme », Jésus, le Fils du Père, l’enfant de Marie. Ressuscité par le Père grâce à la Toute Puissance de l’Esprit de Lumière et de Vie, il se révèlera finalement comme le grand vainqueur du mal et de la mort. Et tous ceux et celles qui consentiront à croire en lui et à recevoir de lui Marie pour Mère (Jn 19,25-27) appartiendront eux aussi à ce « lignage de la femme » victorieux du mal…

Notons aussi que l’auteur du Livre de la Genèse ne donne aucune explication sur la présence de « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » dans la création, comme sur celle de ce serpent trompeur. Jusqu’à présent, toutes les créatures de Dieu étaient belles et bonnes : les fruits nourrissaient la vie de l’homme, et les animaux lui venaient en aide (Gn 2,18‑19). « La séduction apparaît ainsi de façon improvisée, comme quelque chose d’absolument inexplicable, au cœur de la bonne création de Dieu. Pour ce qui est de l’origine du mal, il n’y a pas d’explication » (Claus Westermann). Et nous sommes renvoyés à cette liberté de choisir offerte aussi bien aux anges qu’aux hommes…

 

Le serpent s’attaque en premier lieu à Dieu et à sa Parole. Mais avec lui, il ne s’agit déjà plus de « Yahvé Dieu », le Dieu de l’Alliance qui ne cesse de manifester à son Peuple sa tendresse et sa miséricorde. Lui parle de « Dieu » tout court, un nom qui renvoie à la divinité en général (Gn 3,1). L’aspect central de la Révélation s’efface ; la perspective est beaucoup plus vague… Et telle est bien son œuvre : essayer d’occulter le plus possible le vrai visage de Dieu pour le remplacer par une représentation fausse, mensongère et redoutable, que l’homme s’empressera de repousser ! Mais en agissant ainsi, c’est Dieu qu’il rejettera, et le serpent aura gagné…

HST129516Le serpent s’attaque ensuite à la Parole de Dieu : « Alors, comme ça, Dieu a dit : vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? » (Gn 3,1). Il ne retient que la restriction en l’appliquant non pas au seul « arbre de la connaissance du bien et du mal » mais à tous les arbres du jardin, et il laisse de côté l’incroyable générosité de Dieu (Gn 2,16-17). Cette exagération est volontairement énorme. Dieu apparaît alors comme un ennemi déclaré de la vie, un être dominateur et incroyablement sadique : il crée un homme avec des besoins et des désirs, et il lui interdit de les satisfaire alors même qu’une abondance de biens l’entoure ! Il crée un homme vivant et il le condamne à mourir ! La femme va réagir, mais le serpent a atteint son but : semer en elle le doute vis-à-vis des intentions du Créateur… Dieu désire-t-il vraiment la Plénitude de la Vie pour ses créatures ? Est-il vraiment aussi généreux que cela ? Nous cacherait-il quelque part un bonheur qu’il se réserverait pour lui-même ? La réponse de la femme suggère toutes ces questions. En effet, là où Dieu avait dit : « Tu peux manger de tous les arbres du jardin », elle dit : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin » (Gn 3,2). Le « tout » a disparu : la générosité de Dieu n’est plus aussi évidente ! Puis elle rajoute : « Mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sous peine de mort » (Gn 3,3). Et là, que fait-elle ? Elle se trompe d’arbre ! L’arbre qui est au milieu du jardin, c’est « l’arbre de vie » et non « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » (Gn 2,9). La réponse de la femme revient donc à affirmer : « Dieu nous a interdit de manger de l’arbre de vie, il ne veut pas que nous croquions dans la vie à pleines dents, nous ne connaîtrons jamais avec Lui la Plénitude du bonheur » ! En plus, elle rajoute un élément que Dieu n’a jamais dit : « Vous n’y toucherez pas ! » Et aucune raison n’est donnée à cet interdit… Le projet de Dieu n’est plus compris ! Il s’agit maintenant non plus « d’écouter pour vivre », mais « d’obéir pour obéir », comme on le fait vis-à-vis d’un tyran ! Et là encore une question peut surgir : mais qui donc est Dieu pour agir ainsi envers nous ? N’a-t-il créé l’homme que pour le maintenir sous sa coupe ?

Le serpent a gagné du terrain, il le sait… Aussi va-t-il attaquer maintenant à visage découvert en affirmant que Dieu est un menteur : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal. » (Gn 3,5). Tout est mensonger dans cette phrase :

 1 – « Vous ne mourrez pas ? » Si, ils mourront à la Plénitude de la Vie de Dieu, car « le péché est entré dans le monde par un seul homme, et par le péché la mort, et ainsi la mort a passé en tous les hommes, du fait que tous ont péché » (Rm 5,12 ; Sg 2,23-24). Dieu, de son côté, n’a pas fait la mort, et Lui, l’Amoureux de la vie, ne prend pas plaisir à la perte des vivants (Sg 1,12-14). Il veut que tous les hommes, ses enfants, soient remplis de sa Vie…

 2 – « Vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux » ! Ce sera exactement le contraire. Certes, leurs yeux vont effectivement s’ouvrir (Gn 3,7), mais au lieu d’acquérir une connaissance divine, « comme des dieux », ils vont juste prendre conscience d’une seule chose : ils sont nus ! Ils rêvaient d’être « tout puissants », ils se découvrent faibles et désarmés. Ils voulaient se suffire à eux-mêmes ? Chacun est renvoyé à son état de créature, marqué par la différence, la limite, le manque, la finitude, l’impossibilité de s’accomplir tout seul… A leur désir d’indépendance succède le rappel brutal de leur dépendance mutuelle…

Et maintenant, eux qui voulaient voir ne le veulent plus ; mais comme leurs yeux sont désormais ouverts, c’est la réalité qu’ils vont se cacher en se confectionnant des pagnes…

 3 – « Comme des dieux qui connaissent le bien et le mal »… Mensonge… Dieu ne connaît que le bien, il n’a que l’expérience du bien, il ne sait faire que le bien… Et le serpent, en parlant ainsi, suscite l’attrait du mal : il le fait miroiter comme un « plus », c’est-à-dire comme un bien qui viendrait se surajouter au bien lui-même ! Il invite à penser le mal comme un bien (Is 5,20)… Mais là encore, mensonge : le mal n’a aucune existence propre. Il n’est que la négation et la destruction d’un bien. Il ne peut pas être un « plus ». Au contraire, il est un « moins ». « Faire l’expérience du mal » sera donc « faire l’expérience de l’absence d’un bien », ce qui ne peut qu’être source de déception, d’amertume et de regrets… C’est pourquoi le pécheur est avant tout, et Dieu le regarde ainsi, un malheureux (Is 48,22 ; Jr 2,17‑19), un souffrant (Rm 2,9), un blessé (Ps 69(68),30-31 ; Pr 8,35-36 ; Jr 7,18-19 ; Is 30,26 ; 58,6-8) car il est privé par suite de ses fautes de la Plénitude de la Vie de Dieu. Il a besoin d’une guérison intérieure pour retrouver sa propre intégrité, et avec elle, cette Vie qui seule pourra combler son cœur et lui donner de connaître enfin la vraie joie, le vrai bonheur, car c’est pour elle qu’il a été créé. La fin du récit le présente d’ailleurs comme étant « renvoyé » du « jardin d’Eden », ce jardin où Dieu se promène à la brise du jour (Gn 3,8), une image, nous l’avons vu, qui renvoie à son Mystère de Communion dans l’unité de cet Esprit (Jn 4,24) qui est Lumière (1Jn 1,5) et Vie (Gal 5,25). Privé de cette Plénitude, l’homme se peut donc que se retrouver dans les ténèbres intérieures… Alors, « il aura beau regarder, il ne verra pas » (Mt 13,14). Il sera dans la vie comme quelqu’un qui marche de nuit : « il butera, parce que la Lumière n’est pas en Lui » (Jn 11,9-10).

 4 – Enfin, notons que le serpent tente l’homme sur le mystère de sa propre vocation : « être à l’image et ressemblance de Dieu », c’est-à-dire, quelque part, « être comme un dieu » (1Jn 3,1-2). Mais pour lui, « être comme un dieu », c’est être son égal, c’est s’élever à son niveau, c’est renier son état de créature pour prendre la place du Créateur en décidant tout seul ce qui est bien ou ce qui ne l’est pas… L’expression « image et ressemblance » a d’ailleurs disparu de sa bouche, elle qui insiste sur le lien entre Dieu et l’homme mais rappelle la distance qui existe entre le Créateur et sa créature. Le serpent fait donc tout pour que l’homme mette Dieu de côté : il veut casser la relation qui existe entre les deux. Mais cette relation pour l’homme est vitale : Dieu l’a créé en insufflant en lui son Souffle de Vie, son Esprit Saint (Gn 2,7), et il ne cesse de souffler en lui pour le maintenir dans l’existence (Job 34,14-15). Pour l’homme, mettre Dieu de côté, c’est se détourner de la seule et Unique Source de Vie (Jr 2,13), c’est s’engager sur un chemin de mort, de privation de la seule Plénitude qui peut lui apporter le vrai Bonheur : la Plénitude de la Vie de Dieu pour laquelle il a été créé…

 Le serpent est donc une créature au pouvoir limité, un ange qui, librement, a refusé Dieu et ce Don qu’il ne cesse de faire de Lui-même pour le bien de toutes ses créatures, célestes et terrestres. En le rejetant, il a donc aussi rejeté l’Amour, la Force, la Paix, la Joie qui viennent de Lui pour basculer dans la jalousie et la haine, haine de Dieu et haine des hommes créés à son image et ressemblance. Il est en effet jaloux de ce Bonheur que les créatures qui sont demeurées en relation avec Dieu ne cessent de recevoir de Lui, car il ne peut le saisir, le prendre par lui‑même pour lui-même… Sa main qui se referme sur le vent de l’Esprit (Jn 3,8 ; même mot, en hébreu (AT) comme en grec (NT)), sur la Lumière de l’Esprit ne peut que se retrouver vide des vrais biens de l’Esprit… L’Esprit, en effet, ne se prend pas, il ne s’achète pas (Ac 8,18-24), il se reçoit gratuitement de l’Amour dès lors qu’on accepte de se tourner vers Lui de tout cœur en renonçant au mal et à toutes ses séductions trompeuses…

Rempli de jalousie et de haine, le diable cherchera donc, par sa parole, par ses suggestions, à entraîner les hommes loin de Dieu. Pour cela, il prendra le visage bienveillant du Dieu bienveillant, se préoccupant, semble-t-il, du seul bien être de ceux et celles auxquels il s’adresse. Telle est sa ruse… Et il cherchera à leur faire croire que le mal est un bien… Il est ténèbres, mais il se déguise en Ange de Lumière (2Co 11,14) pour les séparer de Celui-là seul qui est Lumière (1Jn 1,5 ; Jn 8,12 ; 12,46). Il est l’adversaire, mais il leur suggère que l’adversaire de leur vrai bonheur, c’est Dieu. Il est jaloux en fait du bonheur que Dieu veut pour les hommes (Et tout ce qu’Il veut, Il le fait (Ps 115(113B),3 ; 135(134),6), mais il cherche à les persuader que le vrai jaloux, c’est Dieu, Lui qui ne voudrait pas que ses créatures aient part à tout ce qu’Il a (Lc 15,31), à tout ce qu’Il Est (2P 1,4)… Il est égoïste, mais il suggère que le vrai égoïste, c’est Dieu, lui qui en se gardant des biens pour lui-même ne penserait finalement qu’à lui-même. Il est dominateur, mais il leur présentera Dieu comme un dictateur qui ne désire qu’une seule chose : être obéi aveuglément, sans chercher à comprendre… « Ne touche pas »… Il est menteur et père du mensonge (Jn 8,44), mais il déclare ouvertement que le vrai menteur, en fait, c’est Dieu. « Mais non, vous ne mourrez pas »… Et pourtant, c’est bien lui qui « est homicide dès le commencement » (Jn 8,44), lui qui ne vient que pour « voler » la seule vraie Vie de l’homme, et donc « égorger et faire périr » (Jn 10,10)… Et lorsque cette logique de la jalousie, de l’égoïsme et de la haine s’installe parmi les hommes, nous en connaissons tous les fruits : mépris de l’autre, violences de toutes sortes, meurtres…

 

Le diable dans le Nouveau Testament

 

Dans le Nouveau Testament, les mots « démons » (62), « diable » (33), « Satan » (36) interviennent beaucoup plus souvent que dans l’Ancien. Le contexte de l’époque avait en effet tendance à attribuer tout mal, et notamment toute maladie, à une action directe du démon, alors que nous parlerions aujourd’hui d’épilepsie (Mc 9,17-18), de troubles du langage (Lc 11,14) ou de la vue (Mt 12,22)… La médecine n’était pas aussi avancée qu’aujourd’hui… Néanmoins, une telle vision avait le mérite de présenter clairement la maladie et la souffrance comme des réalités que Dieu n’a pas voulues et qu’il s’agit de combattre. Aujourd’hui, il nous faut éviter deux extrêmes : voir le diable partout, ou nier totalement son existence.

Poussé au désert par l’Esprit, Jésus commence sa mission en affrontant le démon (Mt 4,1-11). Mais là où Adam et Eve (symboles de toute l’humanité) avaient échoué, l’Homme Jésus va réussir et inaugurer ainsi ces temps nouveaux où il sera donné à tout homme de pouvoir vaincre le mal par sa foi au Christ Jésus…

St Matthieu présente tout de suite le diable comme « le tentateur » qui essaye de détourner les hommes de Dieu. Aussi va-t-il s’attaquer directement au cœur du mystère de Jésus, Lui qui est « Fils de Dieu » (Mt 4,3), « Dieu Fils Unique » (Jn 1,18 ; 1,14 ; 3,16-18), engendré non pas créé (Crédo) et qui, de toute éternité, reçoit son Être et sa Vie du Père (Jn 5,26 ; 3,36 ; 16,15). Sans Lui, le Fils n’est rien, il ne peut rien (Jn 5,19 ; 5,30 ; 8,28-29). Le démon va donc essayer de casser cette relation qui l’unit à son Père en l’invitant à la désobéissance. Remarquons tout de suite que l’influence du démon sur Jésus n’est que de l’ordre de la parole : il suggère, il invite à agir de telle ou telle manière. Jésus l’entend bien sûr, mais personne ne peut l’obliger à lui obéir. Ce point est très important, car l’influence de Satan sur nous est identique : mauvais désirs, mauvaises pensées auxquelles nous donnerons vie si et seulement si nous leur obéissons. Par contre, l’influence de Dieu sur nous, si nous l’acceptons, est incomparablement plus forte : elle est de l’ordre d’un mystère de communion où Dieu s’unit à nous en nous donnant d’avoir part un Unique Esprit (1Jn 1,1-3 ; 1Th 5,9-10). Elle est donc de l’ordre de l’Être et de la Vie…

 Vitail

Jésus devra donc affronter trois tentations (cf Mt 4,1-11) :

 Pains1 – « Si tu es Fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent des pains ». Jésus va-t-il utiliser son état de « Fils de Dieu » pour son propre intérêt en cherchant dans les biens matériels l’apaisement de ses faims ? Non, car le Fils se reçoit entièrement de son Père et c’est de Lui qu’il attend tout : lorsque l’heure sera venue, les anges le serviront (Mt 4,11 ; Mc 1,13). Aussi, Jésus va-t-il opposer à la parole du serpent la seule Parole à laquelle il obéit : celle du Père. Ecouter sa Parole et la mettre en pratique : voilà la vraie Source de Vie (Dt 8,1-3 cité par Jésus ; Si 17,11 ; 45,5 ; 24,19-21 ; Ne 9,29 ; Sg 16,26 ; Ps 119(118),37 ; v. 93), qui, seule, peut combler le cœur de l’homme (Ps 119(118),1-3 et v. 47, 77) alors même que la faim corporelle le tenaille.

 

Tentation-de-Jésus-3« Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas »… Jésus ne peut rien faire de lui-même, il est le Serviteur du Père (Ac 3,13 ; 3,26 ; 4,26-27 ; 4,29-30). Ce n’est donc pas à Lui de dire au Père ce qu’il doit faire ou de lui imposer quoique ce soit. Jésus est doux et humble de cœur (Mt 11,29) : c’est le Père qui, dans sa vie, a la première place, et non lui-même… Ste Thérèse de Lisieux avait la même attitude intérieure : « Je suis trop petite pour avoir la force par moi-même. Si je demandais des souffrances, ce serait mes souffrances à moi, il faudrait que je les supporte seule, et je n’ai jamais rien pu faire toute seule » (cf. Jn 15,5). Et comme on lui proposait de prier la Sainte Vierge pour qu’elle diminue l’oppression créée par sa tuberculose, elle répondit : « Non, il faut les laisser faire là‑haut ». Elle s’était totalement abandonnée dans les bras de son Dieu…

 

suis-roi-monde-L-AqULjo3 – « Tous les royaumes du monde, je te les donnerai, si, te prosternant, tu me rends hommage ». Le démon suggère à Jésus d’être Roi comme, hélas, les grands de cette terre le sont trop souvent. Mais non, Jésus n’est pas venu pour dominer mais pour servir. Il rejette vigoureusement l’idole du pouvoir pour réaffirmer la primauté de sa relation à son Père : « C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, et à lui seul tu rendras un culte » (Dt 6,13).

 

« La victoire de l’homme sur Satan, tel est en effet le but même de la mission du Christ, venu « réduire à l’impuissance celui qui avait l’empire de la mort, le diable » (Hb 2,14), « détruire ses œuvres » (1Jn 3,8), autrement dit substituer le règne de son Père à celui de Satan (1Co 15,24-28 ; Col 1,13-14). Aussi les Evangiles présentent-ils sa vie publique comme un combat contre Satan. La lutte a ainsi commencé avec l’épisode de la tentation où, pour la première fois depuis la scène du paradis, un homme représentant l’humanité, Jésus « fils d’Adam » (Lc 3,38), se trouve face à face avec le diable » et déjoue toutes ses ruses (LYONNET Stanislas, article « Satan », dans le VOCABULAIRE DE THÉOLOGIE BIBLIQUE (Edition du Cerf), colonne 1197).

Ce combat entre cet ange Satan et ses complices, les démons, se poursuit tout au long de l’Evangile. Ils savent bien qui est Jésus lorsqu’ils le rencontrent (Mc 1,23-24 ; 5,6-7), mais il les chasse d’une seule Parole, avec une facilité déconcertante (Mc 1,25 ; 5,8 ; 7,29 ; 9,25).

Les ténèbres s’acharnent contre la Lumière, mais elles ne peuvent rien contre elle (Jn 1,5). Sur Jésus, en effet, Satan, le Prince de ce monde, n’a aucun pouvoir (Jn 14,30). Pourtant, il ne va pas cesser de s’attaquer à lui, excitant la haine contre lui (1Jn 2,9-11 ; Jn 15,23-25 ; Tt 3,3 ; Gal 5,19-21 où le mot « chair » est synonyme de péché) pour finalement se déchaîner au moment de la Passion, poussant les hommes qui ne lui résistent pas à trahir Jésus (Jn 13,2 ; 13,27 ; Lc 22,3), à lui faire violence, à mentir à son sujet (Jn 8,44 ; Mt 26,59-61 à comparer avec Jn 2,19), et cela en totale opposition avec la Loi de Moïse (Ex 20,16 ; Dt 5,20)… Mais l’Amour ne répond pas au mal par le mal. Il ne le peut pas. L’Amour (1Jn 4,8 ; 4,16) ne sait faire qu’une chose : aimer. Aussi, face à ses accusateurs, le Christ se tait (Mc 14,61), il accepte tout, supporte tout, offre tout et espère tout (1Co 13,4-7). Personne ne lui prend sa vie: c’est lui qui la donne (Jn 10,18), transformant en bien tout ce mal qu’on lui fait pour ceux-là même qui lui font du mal (1P 2,21‑24 ; Lc 23,34 ; Ac 3,25-26). Ainsi ce sang, que nous les hommes, nous avons fait couler, Christ nous le donne pour notre salut. L’accueillir par la foi sera passer de la culpabilité au pardon et à la paix (Mt 26,28 ; Ep 1,7 ; Col 1,19-20 ; 1Jn 1,7 ; Ap 1,4-5 ; 7,14), de la séparation d’avec Dieu à la communion avec Lui (Jn 6,56 ; Ep 2,13), de l’esclavage du péché à la liberté des enfants de Dieu (1P 1,18-19), de la mort à la vie (Jn 6,53‑54). Grâce à ce sang versé, nous pouvons à nouveau entrer de cœur, par notre foi et dans la foi, dans ce « jardin d’Éden » où le Dieu de l’Alliance aime à venir à la rencontre de ses créatures (Gn 3,8‑9 ; Mt 26,26-28) pour les combler de ses bienfaits (Ep 1,3) et les unir à Lui dans l’Amour.

Croix de Lumière

Christ meurt… Lui qui se disait « Roi » (Jn 18,36-37), le voilà « jeté bas » au regard des hommes. Mais au moment précis où le Prince de ce monde se croyait certain de sa victoire, c’est lui qui est « jeté bas » (Jn 12,31 ; 16,11) ! Le Père ressuscite son Fils et l’exalte au plus haut des cieux, lui donnant le Nom qui est au-dessus de tout nom (Ph 2,6-11), bien au‑dessus de toute Puissance mauvaise (Ep 1,20-22 ; 1Co 15,24-28) : Christ est bien le Roi de l’univers, victorieux de la mort, des ténèbres et du Prince des ténèbres ! Désormais, tous ceux qui se confieront en lui n’auront plus rien à craindre de Satan et de ses anges car Sa Victoire est désormais la leur (Ap 12,10-11 ; Jn 10,27-29) ! Par le baptême, ils ont reçu l’Esprit Saint, l’Esprit du Christ. Unis par l’Esprit et dans l’Amour à Celui-là seul qui est Lumière du monde (Jn 8,12), ils sont devenus des enfants de la Lumière (Ep 5,8-9), et les ténèbres ne peuvent rien contre elle (Jn 1,5 ; 14,30)… Qu’ils travaillent donc à leur salut (Ph 2,12) en laissant jour après jour la victoire du Christ transformer toute leur vie (1Jn 2,13-14 ; 1Co 10,13). La patience de Dieu est infinie et sa Miséricorde est sans limite : grâce à elle, l’impossible peut se réaliser (Mt 19,23-26). « Il n’y a en effet qu’un mouvement au cœur du Christ : effacer le péché et emmener l’âme à Dieu… Nous sommes bien faibles, je dirais même, nous ne sommes que misère, mais Il le sait bien, Il aime tant nous pardonner, nous relever, puis nous emporter en Lui, en sa pureté, en sa sainteté infinie. C’est comme cela qu’il nous purifiera, par son contact continuel » (Elisabeth de la Trinité).

 

Le regard de Ste Thérèse de Lisieux sur le démon.

 

« Je me souviens d’un rêve que j’ai dû faire vers cet âge et qui s’est profondément gravé dans mon imagination. Une nuit, j’ai rêvé que je sortais pour aller me promener seule au jardin. Arrivée au bas des marches qu’il fallait monter pour y arriver, je m’arrêtai saisie d’effroi. Devant moi, auprès de la tonnelle, se trouvait un baril de chaux et sur ce baril deux affreux petits diablotins dansaient avec une agilité surprenante malgré des fers à repasser qu’ils avaient aux pieds ; tout à coup ils jetèrent sur moi leurs yeux flamboyants, puis au même moment, paraissant bien plus effrayés que moi, ils se précipitèrent au bas du baril et allèrent se cacher dans la lingerie qui se trouvait en face. Les voyant si peu braves je voulus savoir ce qu’ils allaient faire et je m’approchai de la fenêtre. Les pauvres diablotins étaient là, courant sur les tables et ne sachant comment faire pour fuir mon regard ; quelquefois ils s’approchaient de la fenêtre, regardant d’un air inquiet si j’étais encore là et me voyant toujours, ils recommençaient à courir comme des désespérés. Sans doute ce rêve n’a rien d’extraordinaire, cependant je crois que le Bon Dieu a permis que je m’en rappelle, afin de me prouver qu’une âme en état de grâce n’a rien à craindre des démons qui sont des lâches, capables de fuir devant le regard d’un enfant »…

 Therese

« Enfin le beau jour de mes noces arriva » (Jour de son engagement définitif envers Dieu), « il fut sans nuages, mais la veille il s’éleva dans mon âme une tempête comme jamais je n’en avais vue… Pas un seul doute sur ma vocation ne m’était encore venu à la pensée, il fallait que je connaisse cette épreuve. Le soir, en faisant mon chemin de la Croix après matines, ma vocation m’apparut comme un rêve, une chimère… je trouvais la vie du Carmel bien belle, mais le démon m’inspirait l’assurance qu’elle n’était pas faite pour moi, que je tromperais les supérieures en avançant dans une voie où je n’étais pas appelée… Mes ténèbres étaient si grandes que je ne voyais ni ne comprenais qu’une chose : Je n’avais pas la vocation !… Ah ! comment dépeindre l’angoisse de mon âme ?… Il me semblait (chose absurde qui montre que cette tentation était du démon) que si je disais mes craintes ma maîtresse elle allait m’empêcher de prononcer mes Saints Vœux ; cependant je voulais faire la volonté du bon Dieu et retourner dans le monde plutôt que rester au Carmel en faisant la mienne ; je fis donc sortir ma maîtresse et remplie de confusion je lui dis l’état de mon âme… Heureusement elle vit plus clair que moi et me rassura complètement ; d’ailleurs l’acte d’humilité que j’avais fait venait de mettre en fuite le démon qui pensait peut-être que je n’allais pas oser avouer ma tentation. Aussitôt que j’eus fini de parler mes doutes s’en allèrent, cependant pour rendre plus complet mon acte d’humilité, je voulus encore confier mon étrange tentation à notre Mère qui se contenta de rire de moi ».  

« Oui je le sens, lorsque je suis charitable, c’est Jésus seul qui agit en moi ; plus je suis unie à Lui, plus aussi j’aime toutes mes sœurs. Lorsque je veux augmenter en moi cet amour, lorsque surtout le démon essaie de me mettre devant les yeux de l’âme les défauts de telle ou telle sœur qui m’est moins sympathique, je m’empresse de rechercher ses vertus, ses bons désirs, je me dis que si je l’ai vue tomber une fois elle peut bien avoir remporté un grand nombre de victoires qu’elle cache par humilité, et que même ce qui me paraît une faute peut très bien être à cause de l’intention un acte de vertu. Je n’ai pas de peine à me le persuader, car j’ai fait un jour une petite expérience qui m’a prouvé qu’il ne faut jamais juger. C’était pendant une récréation, la portière sonne deux coups, il fallait ouvrir la grande porte des ouvriers pour faire entrer des arbres destinés à la crèche. La récréation n’était pas gaie, car vous n’étiez pas là, ma Mère chérie, aussi je pensais que si l’on m’envoyait servir de tierce, je serai bien contente ; justement mère Sous-Prieure me dit d’aller en servir, ou bien la sœur qui se trouvait à côté de moi ; aussitôt je commence à défaire notre tablier, mais assez doucement pour que ma compagne ait quitté le sien avant moi, car je pensais lui faire plaisir en la laissant être tierce. La sœur qui remplaçait la dépositaire nous regardait en riant et voyant que je m’étais levée la dernière, elle me dit : «Ah ! j’avais bien pensé que ce n’était pas vous qui alliez gagner une perle à votre couronne, vous alliez trop lentement »…»

 

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« Bien certainement toute la communauté crut que j’avais agi par nature et je ne saurais dire combien une aussi petite chose me fit de bien à l’âme et me rendit indulgente pour les faiblesses des autres. Cela m’empêche aussi d’avoir de la vanité lorsque je suis jugée favorablement car je me dis ceci : Puisqu’on prend mes petits actes de vertus pour des imperfections, on peut tout aussi bien se [13v°] tromper en prenant pour vertu ce qui n’est qu’imperfection. Alors je dis avec Saint Paul : Je me mets fort peu en peine d’être jugé par aucun tribunal humain. Je ne me juge pas moi-même, Celui qui me juge c’est le Seigneur. Aussi pour me rendre ce jugement favorable, ou plutôt afin de n’être pas jugée du tout, je veux toujours avoir des pensées charitables car Jésus a dit : Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ».

 

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« On vient me dire: « Vous aviez raison hier d’être sévère, au commencement cela m’a révoltée, mais après je me suis souvenue de tout et j’ai vu que vous étiez très juste… écoutez: en m’en allant je pensais que c’était fini, je me disais: « Je vais aller trouver notre Mère et lui dire que je n’irai plus avec ma Sœur Thérèse de l’Enfant Jésus. » « Mais j’ai senti que c’était le démon qui m’inspirait cela et puis il m’a semblé que vous priiez pour moi, alors je suis restée tranquille et la lumière a commencé à briller, mais maintenant il faut que vous m’éclairiez tout à fait et c’est pour cela que je viens. » La conversation s’engage bien vite »

                                                                                                                                 D. Jacques Fournier

[1] Le verbe donner, didômi, en grec, est conjugué ici au « parfait », Or, « le parfait représente un état présent résultant d’une action passée » (WENHAM J. W., Initiation au grec du Nouveau Testament p. 143). Autrement dit « le Père a donné » au Fils, dans le passé, et le Fils a toujours, au présent, ce qu’il a reçu du Père… Mais le Père est Dieu, le Fils est Dieu, et cela est vrai de toute éternité. Autrement dit, de toute éternité, le Père donne au Fils tout ce qu’Il Est, et Il Est Dieu, et de toute éternité, le Fils reçoit ce Don du Père qui l’engendre en Fils, « Dieu né de Dieu »…

Fiche n°16 (Mc 9,14-29) Document en PDF pour une éventuelle impression.