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Méliton de Sardes

Bien qu’il soit un auteur majeur au sein des Pères de l’Eglise, on sait relativement peu de choses concernant Méliton. Originaire de Sardes (ancienne capitale du Royaume de Lydie) en Asie Mineure (Turquie actuelle), Polycarpe de Smyrne y place le lieu de sa sépulture. Eusèbe de Césarée en fait l’épiscope de la cité mais il semble qu’aucun autre élément ne puisse le confirmer. Il meurt vers 180-190 et on date son œuvre des années 160-180. Quoi qu’il en soit, sa réputation semble notable à l’époque et on note qu’il est le premier Père connu à réaliser un pèlerinage en Palestine afin d’y faire des recherches portant sur la Bible hébraïque. On estime qu’il fut originaire du milieu quartodéciman, c’est-à-dire le courant judéo-chrétien célébrant le temps pascal en même temps que la Pâque juive, à une époque où le conflit est très vif avec la communauté de Rome dont l’épiscope Victor souhaite imposer une date différente pour commémorer la Passion et la Résurrection (ce qui ne l’empêche pas d’être à l’origine de la « théologie de la substitution » en ce qu’il considère que le salut du christianisme rend caduque l’élection d’Israël).

         Méliton est essentielle connu de l’Histoire pour une œuvre majeure nous étant parvenue tardivement (1936) ; il s’agit du livre Sur la Pâque, un traité poétique portant sur la Passion du Christ et sa symbolique quant à la destinée d’Israël. Texte éminemment intéressant par la conception qu’il renferme, il n’en demeure pas moins d’une grande violence vis-à-vis du judaïsme qu’il n’hésite pas à accuser de déicide (l’ouvrage est considéré comme le premier témoin littéraire de cet antijudaïsme qui persistera durant des siècles en insistant sur le rôle joué par Israël dans la mort de Jésus de Nazareth). Il est cependant capital de constater que Méliton lui-même est totalement versé dans la connaissance des Ecritures et manifeste ainsi son appartenance plus ou moins éloignée à la foi juive. Il est d’ailleurs fort probable que l’auteur – fortement marqué par l’Evangile de Jean – ait utilisé l’Evangile selon Pierre, texte judéo-chrétien fortement imprégné de ressentiment envers Israël responsable de la mise à mort du Messie. On estime que cette œuvre marque la rupture définitive entre christianisme et judaïsme (notamment d’après S.-C. Mimouni, grand spécialiste des rapports entre christianisme et judaïsme aux origines).

         Méliton de Sardes aurait également rédigé une Apologie destinée à défendre la foi chrétienne auprès de l’empereur Marc-Aurèle (uniquement trois fragments ont été transmis dans l’Histoire Ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée). Par ailleurs, plusieurs fragments nous sont parvenus, provenant d’œuvres méconnues, manifestant une interprétation dite « typologique » de la conception du Christ (notamment à travers la figure d’Isaac considéré comme une figure du Christ sacrifié).

         Bien que faisant preuve d’une grande hostilité envers Israël (en réalité le rabbinisme naissant), l’œuvre de Méliton est également empreinte d’une grande maîtrise poétique et d’une christologie très profonde renvoyant aux racines mêmes de la foi nazaréenne. Il est important de lire le traité Sur la Pâque pour comprendre les origines de ce que l’on appelle (bien souvent à tort) l’antijudaïsme chrétien primitif et qui est en réalité le témoignage d’une virulente polémique inter-juive présente également dans le Talmud.

 

                                                                                                    Yannick Leroy

 

Bibliographie élémentaire

  • MELITON DE SARDES, Sur la Pâque – Fragments, O. Perler (éd. et trad.), Paris, Cerf, 1966.

  • MELITON DE SARDES, Sur la Pâque, F. Bouet de Quatrebarbes (trad.), in Premiers écrits chrétiens, La Pléiade, Paris, Gallimard, 2016, pp. 231-246.

  • B. POUDERON, Les Apologistes grecs du IIè siècle, Paris, Cerf, 2005, pp. 227-240.

  • E. NORELLI, C. MORESCHINI, Histoire de la littérature chrétienne ancienne grecque et latine, T. I, Genève, Labor et Fides, 2000 pp. 170-175.

  • S.-C. MIMOUNI, P. MARAVAL, Le Christianisme, des origines à Constantin, Paris, PUF, 2006, pp. 265-267.

 

Extraits

 

[…]O mystère étrange et inexplicable !

L’immolation du mouton se trouve être le Salut d’Israël,

Et la mort du mouton devint la vie du peuple,

Et le sang intimida l’Ange.

Dis-moi, ô Ange, ce qui t’a intimidé :

L’immolation du mouton ou la vie du Seigneur ?

La mort du mouton ou la préfiguration du Seigneur ?

Le sang du mouton ou l’Esprit du Seigneur ?

Il est clair que tu as été intimidé parce que tu as vu le mystère du Seigneur

S’accomplissant dans le mouton,

La vie du Seigneur dans l’immolation du mouton,

La préfiguration du Seigneur dans la mort du mouton.

                                                                                Sur la Pâque 31-34.

 

C’est Lui qui fut mis à mort ! Et où fut-il mis à mort ? Au milieu de Jérusalem. Pourquoi ?

Parce qu’Il guérit leurs boiteux,

Et qu’Il purifia leurs lépreux,

Et qu’Il amena leurs aveugles à la lumière,

Et qu’Il ressuscita leurs morts.

Voilà pourquoi Il souffrit.

Et il est écrit quelque part dans la Loi et les Prophètes :

« Ils m’ont rendu le mal pour le bien et à mon âme l’abandon. Ils méditèrent contre moi le mal, disant : Lions le juste car il est embarrassant pour nous. »

                                                                                        Sur la Pâque 72

 

Etant Seigneur,

Ayant revêtu l’homme,

Et ayant souffert pour celui qui souffrait,

Et ayant été lié pour celui qui était détenu,

Et ayant été jugé pour le coupable,

Et ayant été enseveli pour celui qui avait été enseveli,

Il ressuscita des morts et fit entendre ceci à haute voix :

« Qui disputera contre moi ?

Qu’il se mette en face de moi !

C’est moi qui ai délivré le condamné ;

C’est moi qui ai vivifié le mort ;

C’est moi qui ai ressuscité l’enseveli.

Qui est mon contradicteur ?

C’est moi, dit-il, le Christ,

C’est moi qui ai détruit la Mort,

Et qui ai triomphé de l’ennemi,

Et qui ai foulé aux pieds l’Enfer,

Et qui ai lié le fort,

Et qui ai ravi l’homme vers les hauteurs des cieux,

C’est moi, dit-il, le Christ. »

                                                            Sur la Pâque 100-102.

 

Si cela est fait par ton ordre, que ce soit bien! Car un Empereur juste n’ordonnerait jamais rien injustement, et nous-mêmes supportons avec plaisir la récompense d’une telle mort. Mais nous t’adressons cette seule requête, afin que tu connaisses d’abord les auteurs d’une telle jalousie et que tu décides avec justice s’ils sont dignes de la mort et du châtiment, ou bien du salut et de la tranquillité. Mais si la résolution-même et ce nouvel édit ne sont pas de toi – il ne conviendrait même pas contre des ennemis barbares – nous te demandons bien davantage de ne pas nous abandonner à un tel brigandage public.

Fragment de l’Apologie à Marc-Aurèle,

                                           in EUSEBE DE CESAREE, Histoire ecclésiastique IV, 24, 6.

 

     Car Il a été lié comme un bélier – cela est dit au sujet de Notre Seigneur Jésus-Christ – et Il a été tondu comme un agneau et conduit comme un mouton et Il a été crucifié comme un agneau et Il porta le bois sur ses épaules, conduit pour être immolé comme Isaac par son père. Mais le Christ a souffert ; Isaac par contre n’a pas souffert, car il était figure de Celui qui souffrirait un jour, le Christ. Mais étant devenu la figure du Christ, il inspira aux hommes de l’étonnement et de la crainte. On pouvait en effet contempler un mystère inouï : un fils conduit par son père sur la montagne pour être immolé, fils qu’il plaça, les pieds liés, sur le bois du sacrifice, après avoir soigneusement préparé ce qui était nécessaire à son immolation. Isaac se tait, lié comme un bélier. Il n’ouvre point la bouche, il ne dit mot. Ni effrayé par le poignard, ni terrifié par le feu, ni attristé par la souffrance, courageusement, il était la figure du Seigneur. Il y avait donc Isaac placé au milieu, lié comme un bélier, et à ses côtés Abraham, le poignard hors du fourreau, sans honte de mettre à mort son fils.

 

Fragment, œuvre indéterminée (J. B. PITRA, Spicilegium Solesmense, II, p. LXIII)