Mercredi des Cendres par P. Claude TASSIN (Spiritain)

Commentaires des Lectures du mercredi 18 février 2015

CENDRE

 

Joël 2, 12-18 (Appel à la pénitence)

Qui a vu un paysage ravagé par les criquets comprendra le ton tragique du prophète (vers 400 avant notre ère). Joël 1 voit la campagne judéenne dévastée par les sauterelles. En Joël 2, 3-12 ces insectes deviennent une armée surhumaine qui va s’abattre sur Jérusalem. C’est le terrible « jour du Seigneur ». Il faut réagir.

1) D’abord, il faut instituer un jeûne et une *prière, revenir au Seigneur en déchirant son cœur, et pas seulement les vêtements, comme le prescrivaient les liturgies pénitentielles. Alors, voyant cela, Dieu manifesterait ses quatre qualités : il est tendre, miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour (comparer Exode 34, 6). Il reviendrait sur sa décision de sévir, et les sacrifices du Temple interrompus par le désastre pourraient alors reprendre.

2) Au repentir personnel doit s’ajouter une démarche communautaire. Elle est annoncée au son du cor, comme au jour du Grand Pardon, le Yôm Kippour (Lévitique 25, 9). Ce Kippour exceptionnel devra rassembler tout le peuple, des vieux aux nourrissons et jusqu’aux jeunes mariés nichés dans leur chambre. Les prêtres imploreront la pitié du Seigneur selon le thème suivant : si nous n’avons-nous-mêmes aucun mérite, il y va de ton honneur de mettre fin à à notre punition. Sinon les païens diront, par moquerie : « Qui donc est leur Dieu », impuissant ? Cf. Psaume 41, 4,11.

Joël a peut-être seulement imaginé ce désastre, mais il rappelle à toutes les générations de croyants que l’histoire offre de tristes surprises qui nous remettent devant la fragilité de notre vie. Il faut les devancer par le repentir personnel et communautaire. Tel est aussi le sens du carême.

* Prière, jeûne et miséricorde. « Il y a trois actes en lesquels la foi se tient, la piété consiste, la vertu se maintient : la prière, le jeûne, la miséricorde. La prière frappe à la porte, le jeûne obtient, la miséricorde reçoit. Prière, miséricorde, jeûne : les trois ne font qu’un et se donnent mutuellement la vie… Qui prie doit jeûner; qui jeûne doit avoir pitié. Qu’il écoute l’homme qui demande, et qui en demandant souhaite être écouté. Il se fait entendre de Dieu, celui qui ne refuse pas d’entendre lorsqu’on le supplie » (Pierre Chrysologue, 5e siècle).

 

2 Corinthiens 5, 20 – 6, 2 (« Laissez-vous réconcilier avec Dieu »)

Les Corinthiens ont critiqué les méthodes missionnaires de Paul et de ses coéquipiers, et celui-ci s’est expliqué. Il conclut à présent par un appel pressant à la réconciliation :

1) Les apôtres sont des ambassadeurs, en place et lieu du Christ, pour que, par eux, les chrétiens entendent l’appel de Dieu.

2) L’appel dit ceci : Soyez réconciliés avec Dieu et par lui. En fait, selon le contexte, il s’agit autant d’une *réconciliation avec Paul qu’avec Dieu.

3) Le Christ qui réconcilie est celui que Dieu a identifié au péché. Entendons que, par la croix, Jésus a subi le sort des pécheurs pour que nous nous reconnaissions, nous pécheurs, dans sa déchéance, et que nous comprenions sa solidarité avec nous. Dieu ne demande que cet aveu de notre foi pour nous considérer comme des justes à ses yeux.

4) Paul veut en venir à ceci : Corinthiens, puisque nous (les apôtres) travaillons avec lui (le Christ), votre mépris momentané pour moi s’identifiait à l’humiliation momentanée du Crucifié. Maintenant, laissez enfin agir en vous la grâce de Dieu.

5) Car, dans l’Écriture, ce « maintenant » du salut était la mission du Serviteur prophète (Isaïe 49, 8), figure du Christ et de ses envoyés.

Le carême, temps de la réconciliation, peut être aussi un temps de clarification dans les relations entre les chrétiens et leurs divers « ministres ».

* Réconciliation. C’est saint Paul qui a fait entrer le mot « réconciliation » dans le vocabulaire théologique (voir Romains 5, 8-11). Il est investi du « ministère de la réconciliation » (2 Corinthiens 5, 18), comme il est « ministre d’une alliance nouvelle » (2 Corinthiens 3, 6). Le mot grec katallagè, traduit par « réconciliation », ne désignait pas au départ une démarche impliquant deux partenaires égaux. Il évoquait, dans le domaine politique, la décision d’un souverain restituant à une cité les droits qu’elle avait perdus pour s’être révoltée contre lui. C’est d’ailleurs cette grâce dont, par l’Empereur romain, avait bénéficié la ville de Corinthe.

Matthieu 6, 1-6.16-18 (L’aumône, la prière et le jeûne comme Dieu les aime)

Toute religion a ses « piliers », des pratiques qui unissent ses membres comme des signes d’identité, faute de quoi elle ne serait qu’une idéologie informe. L’islam a ses cinq piliers, expansion des trois piliers du judaïsme : l’aumône, la prière et le jeûne.

La « justice » authentique

Dans l’Église de Matthieu, les chrétiens d’origine juive tenaient à ces trois piliers. Le Sermon sur la montagne en confirme la valeur. Il les appelle, littéralement et en résumé, « votre justice  », c’est-à-dire, au sens religieux du mot, votre manière de vous comporter et d’agir, pour que Dieu vous considère comme des justes à ses yeux. Mais il en définit les conditions d’application. Cette justice cherche l’amitié de Dieu. C’est donc le Père que l’on prendra à témoin de ces trois pratiques. En son jugement final, lui seul nous dira si nous avons agi comme il l’attendait de nous. Mais si l’on veut prendre les gens à témoin de ce que l’on fait de bien, alors qu’on se contente de l’appréciation des gens, et qu’on ne cherche pas d’autre récompense, car on a perverti toute l’affaire. Ceci vaut pour les trois piliers.

L’aumône

Chez les Juifs anciens, l’aumône n’est pas la pièce jetée négligemment au mendiant. Elle joue le rôle de nos institutions d’assistance et de solidarité sociale. On l’appelait « [acte de] justice », un terme qui est passé en arabe dans le Coran. Une riche spiritualité s’était développée autour de ce thème, à savoir, notamment, que l’aumône attire le pardon de Dieu sur celui qui l’exerce. Jésus ne la renie pas ; il en dénonce seulement le caractère ostentatoire chez certains : les dons faits en pleine rue, les « coups de trompette » lors de quêtes fructueuses à la synagogue.

La prière

S’agissant de la *prière personnelle, Matthieu raille deux cas : ceux qui s’arrêtent pile au carrefour pour accomplir à l’heure requise l’une des trois prières quotidiennes prescrites ; ceux qui sont debout tout seuls dans la synagogue pour faire leur prière (tandis que les autres, assis, écoutent les lectures ?). Jésus ne récuse pas la prière en commun. Il dénonce seulement les simagrées d’une piété qui perdrait la spontanéité de l’enfant rejoignant le Père au fond de la maison pour se confier à lui. La liturgie saute ici le texte du Notre Père (versets 7-13), modèle de la prière communautaire et personnelle, et dont les dernières demandes (Donne-nous aujourd’hui notre pain…) auraient paru trop intimes aux scribes de la synagogue.

Le jeûne

Dans l’Ancien Testament, jeûner était un signe de deuil en général, de supplication lors des désastres nationaux. Mais les pharisiens comprirent que le vrai désastre était le péché. Aussi jeûnaient-ils deux fois par semaine (cf. Luc 18, 12). Bien, dit Jésus ! Mais ôtez donc ces signes de deuil (ne pas se laver, ne pas se parfumer) qui, en fait, servent à vous faire bien voir des gens.

Jésus assure l’avenir de ces pratiques, mais d’après les critiques de l’évangile de Matthieu, dans le sens de la discrétion : c’est affaire d’intimité avec le Père. C’est la piste que l’Église propose au seuil du carême. Mais, pour critiquer avec justesse ces pratiques, il faut commencer par les observer.

* Une prière personnelle. « Beaucoup se rendent à l’église, y récitent des milliers de formules de prières ; et quand ils en sortent, ils ne savent pas ce qu’ils ont fait ; ils ont fait mouvoir leurs lèvres, mais n’ont pas eux-mêmes compris ce qu’ils disaient. Toi, donc, qui n’entends point ta propre prière, comment veux-tu que Dieu entende ta prière ? (…) Si tu es hors de l’église, prie et dis « Prends pitié ! » Fais-le, non seulement des lèvres, mais aussi du cœur. Dieu écoute aussi ceux qui se taisent. Il ne demande pas un endroit de prière, il demande un mouvement de l’âme. Tu es le temple de Dieu, ne va pas chercher un endroit, il faut uniquement un mouvement de volonté » (saint Jean Chrysostome).

 

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