Troisième Dimanche du Temps Ordinaire par P. Claude Tassin (Dimanche 24 janvier 2016)

Néhémie 8, 1-4a.5-6.8-10 (Le peuple de Dieu redécouvre la Parole)

Grandiose scène du Livre ! C’est la fête des Tentes, au septième mois, celui du nouvel an religieux. Tout Jérusalem s’assemble près d’un portail du palais royal pour entendre la Parole. Mais c’est une fête exceptionnelle, résultat d’une longue histoire, et dans un contexte peu clair.

Le cadre historique supposé par l’auteur biblique

À partir de 538, certains exilés de Babylone revinrent en Judée. Mais leur élan religieux fit long feu. Aussi, entre 445 et 398, deux réformateurs juifs vinrent de Babylone : Esdras, un prêtre versé dans les écrits mosaïques, et Néhémie, un gouverneur laïc. On ignore si les deux personnages travaillèrent jamais ensemble. Mais leur réforme réussit en partie. Elle visait, avec l’aval du gouvernement perse, à régler la vie de la Judée, sous l’égide de la Loi de Moïse comme constitution politique légitime.

La scène symbolique d’un nouveau départ de la communauté des croyants

La présente scène solennise cet engagement : on y sent quelque tristesse, celle d’avoir été infidèle aux commandements, et la joie de repartir à neuf avec Dieu. La joie du Seigneur est notre rempart, dit le texte : Jérusalem s’est déjà reconstruit une muraille, un rempart, mais encore bien fragile et le Temple reconstruit, telles chez nous les églises reconstruites après la Guerre, n’a plus la splendeur de celui de Salomon, mais la fidélité du Seigneur envers son peuple, quels que soient les constructions de clochers et autres minarets, est la meilleure des protections et des remparts.
Dans cette scène grandiose profile déjà *l’office synagogal du temps de Jésus. C’est, selon saint Luc, lors d’un office de la synagogue de Nazareth (évangile), un jour de sabbat, que Jésus proposera à son peuple une route nouvelle.

Quand des églises rurales ou urbaines sont « désaffectées », voire démolies, quel avenir construisent, dans l’espérance, les communautés concernées ? Églises détruites au Proche Orient…, transformées en mosquées ailleurs…

*L’office synagogal. Dans la scène de Néhémie 8, l’auteur a en tête le scénario d’un office à la synagogue, le matin du sabbat. Le lecteur (Esdras) lit la Loi sur l’estrade qu’on appellera la chaire de Moïse (Matthieu 23, 2-3). On commence par des bénédictions et des prières (Quand il ouvrit le livre…). Puis vient la lecture. Esdras lisait un passage…, c’est-à-dire le texte hébreu; les lévites traduisaient, en araméen, qui était la langue du peuple – et cette traduction s’appelait le targoum ; et ils donnaient le sens : c’est l’homélie.

Psaume 18B (« La loi du Seigneur est parfaite »)

Ce psaume 18B appartient à un poème qui chante d’abord (psaume 18A) la création divine qui est un récit silencieux pour l’homme : « Pas de voix dans ce récit, pas de voix qui s’entende. » (verset 4). Mais le soleil de la création prend lumière et voix (Psaume 18B) dans la Loi, la Parole, que Dieu offre aux croyants.
Bien entendu, ce psaume 18B fait aujourd’hui écho à la redécouverte de la Loi, de la Parole de Dieu chez les croyants juifs revenus de l’exil de Babylone. Nous notons les termes par lesquels le poète évoque cette Parole divine : charte, préceptes, commandements, décisions. Ajoutons ses effets. Cette parole redonne vie ; elle rend intelligents les moins instruits ; elle réjouit le cœur, rend clair le regard sur le quotidien et sur le monde. Du point de vue moral, elle inspire la justice et l’équité. Elle suscite, chez ceux qui la reçoivent, la joie, l’intelligence, la crainte respectueuse. D’où le murmure du croyant apaisé qui récite la Loi s’appuie sur le roc et son défenseur qu’est Dieu.
Le lectionnaire a sauté cette expression du psaume : « Les décisions du Seigneur sont (…) plus savoureuses que le miel qui coule des rayons. » On comprend cette omission. De nos cinq sens, les chants liturgiques d’aujourd’hui les plus beaux évoquent la vue, l’ouïe, le toucher (« la main »). Mais où sont le goût (du miel !) et l’odorat (« la myrrhe et l’aloès parfument ton vêtement », Psaume 44, 9) ? Le sentir et le goûter entrent aussi dans l’expérience symbolique de la foi.

 

1 Corinthiens 12, 12-30 (Diversité des membres dans l’unité du corps du Christ)

Nous avons vu dimanche dernier à quel problème Paul répond en 1 Corinthiens 12. Pour conjurer les divisions dans l’Église de Corinthe, il recourt à présent à l’image du corps :
1. Notre corps est la figure qui unifie nos membres ; de même le Christ : lui seul unifie en lui les chrétiens de toute condition sociale, grâce à l’Esprit reçu dans le baptême et l’eucharistie.
2. Le corps n’est pas un seul membre… Paul insiste sur la nécessaire diversité des *membres et leur interdépendance. Puis il souligne ceci (Bien plus, les parties du corps …) : si nous vêtons décemment nos membres dits « honteux » (les parties génitales), honorons aussi les membres les plus fragiles de la communauté et vivons un soutien mutuel qui manifeste l’unité du corps du Christ.
3. Concrètement, parmi ceux que Dieu a placés dans l’Église au service de ses membres, il y a les trois ministères de la Parole (apôtre, prophète, enseignant), puis divers services. En queue, Paul met à dessein le « parler en langues » (en langage mystérieux ; voir 1 Corinthiens 14, 2.23), parce que les Corinthiens ont une admiration exagérée pour ce phénomène.
Tout le monde ne fait pas tout ! Pour Paul, l’unité ne réside pas dans l’uniformité, mais dans la reconnaissance mutuelle des dons de Dieu à son Église. Une lecture détaillée de la liste des ministères montre que ceux-ci répondent aux besoins fondamentaux de tout groupe humain : le sens de l’unité, le souci de l’objectif et l’attention aux faibles.

*Le corps et les membres. Au 5e siècle avant notre ère, la plèbe de Rome se révolta contre le Sénat jugé improductif et nuisible pour les basses couches du peuple. Le consul Ménénius Agrippa résolut le conflit en racontant la fable des membres et de l’estomac, reprise souvent depuis (cf. La Fontaine), à savoir, sans le gouvernement (le cerveau, dirait-on aujourd’hui !), les pauvres seraient encore plus pauvres. Paul connaît cet apologue. Mais, pour lui et contre la simple interprétation politique de la fable, les chrétiens sont membres les uns des autres parce qu’ils sont ensemble corps du Christ : leur unité ne vient pas d’une complémentarité sociale, mais du fait que tous et chacun, quelles que soient leurs classes sociales, appartiennent au Christ, à égalité – qu’ainsi soit-il !


Luc 1, 1-4 ; 4, 14-21 (« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture »)

Nous entendons d’abord *le Prologue de Luc (Luc 1, 1-4) ; car aujourd’hui commence la lecture suivie de cet évangéliste (avant l’entrée en Carême). On saute ensuite au discours inaugural de Jésus dans la synagogue de Nazareth (Luc 4), le jour du sabbat. Mais nous ne lisons que la première partie de la scène : la suite viendra dimanche prochain !

Le cadre : une première tournée en Galilée

Selon le prélude à ce sabbat, Jésus entreprend en Galilée une brillante tournée et sa tribune favorite, comme celle des apôtres plus tard, est la synagogue, lieu central de la vie juive. C’est « avec la puissance de l’Esprit » que Jésus inaugure sa mission, l’Esprit qui s’est emparé de lui au baptême (Luc 3, 22) et l’a conduit au désert pour y être mis à l’épreuve, au seuil de sa mission (4, 1). Quel est cet Esprit qui marque tant les débuts de Jésus ? À cette question répond la scène de la synagogue de Nazareth.

La mise en scène de l’office synagogal du sabbat

En Terre sainte, on lisait d’abord, en hébreu, un passage de la Loi de Moïse et sa traduction dans la langue vivante, l’araméen. Puis venait un petit texte tiré des prophètes éclairant le passage de la Loi. On passait alors à l’homélie. Au temps de Jésus, n’importe qui pouvait, à l’invitation du chef de la synagogue, faire la lecture et l’homélie, et le choix des textes bibliques était assez libre. Jésus s’arrête à Isaïe 61, 1-2. Il aurait donc déroulé presque tout le rouleau d’Isaïe qui comporte 66 chapitres : c’est bien un choix. Ensuite, il prononcera l’homélie (cf. dimanche prochain).

Une lecture du livre d’Isaïe

Le texte d’Isaïe 61, 1-2 (« l’Esprit du Seigneur est sur moi ») présentait la vocation d’un prophète qui recevrait l’onction de l’Esprit pour proclamer une Bonne Nouvelle (un « évangile ») de libération en faveur des pauvres et de tous ceux qui considèrent leur vie comme un cachot sans lumière. Bien sûr, c’est l’évangéliste qui reconstruit cette scène pour nous expliquer quelle est la mission de Jésus. C’est aussi pourquoi il n’hésite pas à supprimer la promesse « du jour de vengeance » que l’on trouve en Isaïe 61, 2. « L’annonce d’une année de bienfaits accordée par le Seigneur » est une allusion à l’institution juive de l’année jubilaire (tous les 49 ans, voir Lévitique 25, 10-13) en laquelle les dettes étaient remises, les esclaves libérés, les captifs amnistiés. Jésus vient inaugurer une sorte d’année jubilaire définitive.

Le Seigneur m’a oint

Dans l’Ancien Testament, trois personnages peuvent être appelés « messies », c’est-à-dire oints, consacrés par l’Esprit en vue d’une fonction et d’une mission : le roi d’Israël, le grand prêtre, le prophète. Pour saint Luc, Jésus sera consacré comme messie royal par son Ascension auprès du Père (voir Actes 2, 36). Durant sa vie terrestre, il est messie en tant que prophète envoyé aux pauvres, à ceux qui sont opprimés par la société ou par leur propre conduite de pécheurs. Nous savons à présent que l’Esprit apparu au Jourdain pour investir Jésus est celui qui anime les prophètes. Oui, « aujourd’hui », jusque dans notre aujourd’hui, avec les actes et les paroles à venir de Jésus, la prophétie d’Isaïe 61,1-2 « s’accomplit », trouve sa pleine réalité. Dimanche prochain, en effet, nous découvrirons que la mission de ce prophète-messie déborde les frontières d’Israël.

*Le Prologue de l’Évangile de Luc 1, 1-4. En rédigeant ses quatre premiers versets à la manière des prologues aux traités scientifiques ou historiques des auteurs de son temps, Luc fait entrer l’Évangile dans la grande littérature. Comme dans ces prologues, il s’adresse à un destinataire, Théophile, un païen devenu chrétien, qui a peut-être une place en vue dans l’Empire, à moins qu’il ne s’agisse, comme il arrivait dans cette manière d’écrire, d’un personnage fictif représentant tous les lecteurs (vous et moi !). Luc, il le précise lui-même, ne fait pas partie des « témoins oculaires », les apôtres, qui devinrent ensuite des prédicateurs, « serviteurs de la Parole », comme le raconteront les Actes des Apôtres. Il appartient à la seconde génération chrétienne. Il travaille sur les traditions qu’ont « transmises » les premiers témoins « dès le commencement », c’est-à-dire, selon la pensée de Luc, depuis le baptême de Jésus par Jean, véritable commencement de l’Évangile (voir Actes 10, 37 – les récits de l’enfance de Jésus sont, pour Luc, une préface). L’évangéliste se propose d’écrire « un exposé suivi », non point tant chronologique que théologique, pour montrer comment, avec le Christ, Dieu est intervenu dans notre histoire. L’Évangile n’est pas un reportage, mais un murissement de la foi des premières générations chrétiennes.

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