26ième Dimanche du Temps Ordinaire (Mc 9, 38-48) – Homélie du Père Louis DATTIN

Une Eglise sans frontières

Mc 9, 38-48

Vous avez pu le constater autour de vous, mes frères, les hommes sont très forts, souvent très habiles pour tracer entre eux des lignes de démarcation soit entre les races, entre les classes sociales, entre les idées politiques et même, parfois surtout, entre les religions. Ils décident, qu’ici triomphe le bien et que, , règne le mal. Ici, c’est la vérité et , l’erreur ; de ce côté-là, c’est le ciel et de l’autre, l’enfer. C’est un monde en noir et blanc, où tout est bon d’un côté, où tout est mauvais de l’autre. Ils en viennent même à incorporer Dieu, lui-même, dans leur camp. Ils le réquisitionnent à leur service. Les soldats allemands portaient un ceinturon, pendant la guerre, où était gravé « Dieu avec nous », tandis que les français chantaient « Sauvez, sauvez la France au nom du Sacré-Cœur », et les soldats s’entre-tuaient avec ardeur en se réclamant du même Dieu, lui demandant de les soutenir dans leurs « justes » combats.

Mais ne faudrait-il pas demander son avis à Dieu ? Or, justement, cet avis, il nous le donne aujourd’hui par deux textes de la liturgie.

Tout d’abord celui de l’Ancien Testament : Moïse s’est retiré pour prier avec soixante-dix Anciens et voici que l’Esprit vient sur eux et qu’ils se mettent à prophétiser, mais horreur ! On vient prévenir Moïse que deux anciens qui ne se sont pas joints à eux, se mettent à prophétiser eux aussi ! Il faut les arrêter ! Et Moïse intervient : « Seriez-vous jaloux ? » « Ah, si le Seigneur pouvait mettre son Esprit sur tous, pour faire de tout son peuple, un peuple de prophètes ! »

Le 2e texte est tiré de l’Evangile de Marc : cette fois, c’est un apôtre qui réagit violemment : « Maître, nous avons vu quelqu’un chasser les esprits mauvais en ton nom, alors que cet homme n’est pas de ceux qui nous suivent et nous avons voulu l’en empêcher ».

Jésus, lui, se réjouit : « Ne l’empêchez pas ! Car celui qui n’est pas contre nous, est avec nous ».

Nul ne peut prétendre posséder, confisquer, monopoliser l’Esprit. « L’Esprit, il souffle où il veut », rappelle Jésus à Nicodème. « Nul ne sait, ni d’où il vient, ni il va » et ceux qui agissent par lui ne sont pas nécessairement des disciples patentés, des apôtres désignés, des chrétiens baptisés et mandatés.

 

Grâce à Dieu, l’Esprit n’est pas enfermé dans les registres de nos sacristies. « Dans l’Eglise catholique, écrivait St-Augustin, se trouve des non-catholiques, mais on peut trouver aussi du « catholique » en dehors de l’Eglise ». Beaucoup de ceux qui semblent être dehors sont dedans. Beaucoup de ceux qui paraissent être « en dedans » sont « en dehors ». Personne ne peut prétendre posséder tout seul la vérité de Dieu.

Les frontières du Royaume ne sont pas balisées et nul n’est assuré d’en être le citoyen !

Nous avons parfois, en face tel homme non-chrétien qui a forcé notre admiration et qui a eu une réaction plus évangélique que celle que nous aurions eue, la tentation de poser au Seigneur cette question : « Seigneur, dis-nous, « de quel camp tu es « ? Le camp du Seigneur ? » Frères, il n’est pas ici ou  : il est partout. Il n’est pas avec telle ou telle catégorie d’hommes. Il est avec tous les hommes ! Mais, rassurez-vous, j’ajoute immédiatement qu’il y a, en effet, des lieux ou des moments où l’Esprit du Christ agit, et d’autres où il n’agit pas. Oui, il y a des lignes de démarcation, des rideaux de fer, des ghettos, des clans… que sais-je.

Mais ces frontières-là ne sont pas nous les dressons. Elles ne se situent pas entre tel groupe et tel autre, pas même entre tel homme et tel autre. Cette frontière-là, elle passe dans le cœur de chacun et de tous les hommes sans exception !

 Le bien et le mal, il est dans notre cœur à nous. Nous le savons par expérience quotidienne : nous sommes partagés, divisés et si nous sommes loyaux, nous reconnaissons que si l’Esprit est capable de faire le bien par nous, un autre esprit, celui du mal, est aussi capable de nous entraîner vers le mal, vers l’égoïsme, vers l’orgueil, vers la haine et St-Paul avouait avec un rien de découragement : « Le bien que je désire, je n’arrive pas à le réaliser, tandis que le mal que je hais, je tombe dedans régulièrement ». St-Jean est catégorique : « Tout amour vient de Dieu : celui qui n’aime pas demeure dans la mort ». « S’il n’aime pas et qu’il prétend être dans la lumière, il se fait illusion : il est encore dans les ténèbres ».

Enfin, Jésus lui-même, nous rappelle dans l’Evangile du jugement dernier, que chacun de nous sera jugé sur son amour, son attitude envers les autres et spécialement les plus petits, les plus pauvres, et cela, qu’ils sachent ou non, qu’en les servant, c’est ce Jésus, lui-même, qu’ils servent.

Alors, frères, je vois déjà votre question sur vos lèvres : « Chrétiens ou non ? ».

Quelle est la différence ? Nous sommes un peu comme le fils aîné de la parabole du prodigue qui s’étonne que son fêtard de frère, qui a tout dépensé, soit aussi bien reçu par le père. Nous avons du mal à admettre que tous ces gens qui ne sont pas invités au festin soient installés les premiers à la table du Royaume et nous réagissons devant ces ouvriers de la onzième heure qui sont payés autant que nous, qui travaillons depuis la 1ère heure !…

Alors, pourquoi être chrétien ? Essayer péniblement de suivre Jésus-Christ sur cette terre, si certains qui ne le connaissent pas, vivent aussi bien que nous, sont quelquefois meilleurs que nous et qu’ils risquent de nous précéder au Royaume des cieux ? « Ce n’est pas juste ! Il y a sûrement une différence ! »

 Frères, rassurez-vous. Oui, il y a une différence ! Pour vous la faire sentir, permettez-moi une image : vous avez peut-être vu à la télévision, je ne sais plus quelle émission, un jardinier aveugle ; c’était impressionnant ! On le voyait, semant, plantant, faisant pousser des fleurs et des fruits et on ne nous disait pas que ces fleurs ou ces fruits étaient de moins bonne qualité que ceux que plantaient des jardiniers aux yeux ouverts.

La seule différence entre lui et les autres, terrible différence, c’est que l’aveugle, lui, travaillait dans la nuit totale !

Frères, nous, chrétiens, nous sommes des voyants. Que nous apporte la foi ? Un regard :

   * foi qui nous permet de reconnaître en Jésus de Nazareth, le fils du Dieu Vivant

   * foi qui nous permet de voir au cœur du monde, l’Esprit de Jésus ressuscité qui travaille au cœur des hommes

   * foi qui nous permet de voir, à travers les sacrements de l’église, Jésus, qui continue de s’offrir, vivant.

Parfois, hélas, notre vue baisse. Nous devenons des malvoyants et c’est encore notre foi qui nous permet de faire confiance à l’Eglise qui nous dit : « Ici travaille l’Esprit de Jésus, , non ».

Chrétiens, nous avons le privilège de travailler « les yeux ouverts »… Alors, nous sommes davantage responsables ? Oui, d’une certaine façon, mais tout homme, quel qu’il soit, est responsable de sa vie et de celle de ses frères. La vraie différence, c’est que, nous, nous voyons celui avec qui nous travaillons et, croyant en lui, nous ne pouvons pas nous décourager.

Aussi, nous devrions être, dans la paix et dans la joie parce que le phare de l’Evangile éclaire notre vie. AMEN

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