1

6ième Dimanche de Pâques par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 10 Mai 2015

 

Actes 10, 25-26.34-35.44-48 (« Même sur les nations païennes le don de l’Esprit Saint avait été répandu»)

Ce dimanche ne garde qu’un résumé squelettique de la visite de Pierre chez Corneille. Les ciseaux liturgiques sautent notamment le discours de l’Apôtre, que nous entendons chaque année le jour de Pâques. Contentons-nous de ce découpage et relevons quatre points.

1. La rencontre est riche : Pierre n’est « qu’un homme ». Mais le fait qu’il est un homme, comme Corneille, abat la barrière qui interdisait au Juif de fréquenter le païen. Pierre « relève » le centurion et il dit : « lève-toi ». Par ces verbes résurrection, une nouvelle vie s’offre à Corneille.

2. Pour la première fois, à cause de l’accueil d’un païen, Corneille, un officier romain qui a sous ses ordres de nombreux soldats samaritains, l’Apôtre découvre que Dieu est « impartial », ne fait pas de différence entre les humains. Pierre pouvait, selon le scénario de l’auteur des Actes des Apôtres, se rappeler Deutéronome 10, 17-19 et Isaïe 56, 6-7.

3. Quand on compare Actes 11, 18, on comprend mieux la logique du récit : si l’Esprit tombe sur Corneille et les siens, c’est parce qu’ils croient et se convertissent en « écoutant la parole » de Dieu proclamée par Pierre. Selon certains théologiens d’aujourd’hui et à partir de l’épisode de Corneille, l’Esprit saint précède l’annonce de l’Évangile. C’est une manière légitime de comprendre l’histoire du salut. Mais, pour les auteurs du Nouveau Testament, au contraire, le don de l’Esprit est le résultat et le couronnement de l’écoute de la Parole (comparer Actes 2,38 et 1 Corinthiens 12, 3).

4. Luc souligne la stupéfaction des chrétiens d’origine juive qui accompagnent Pierre. Car ce qui arrive aux païens est une nouvelle Pentecôte, produisant les mêmes effets. C’est ce que souligne l’expression « tout comme nous ». Ici le don de l’Esprit précède le *baptême. Dieu montre, par ce scénario insolite, qu’il veut absolument l’entrée des païens dans son peuple. Mais le rite baptismal reste nécessaire : il montre ici que l’Église comprend le signe donné par Dieu et elle l’accepte.

* Le baptême. Pierre « donna l’ordre de les baptiser ». Cette traduction liturgique trahit Luc qui évite toujours la voix active du verbe « baptiser » (sauf en Actes 8, 38). Il écrit, littéralement, au passif : « il ordonna qu’ils soient baptisés ». Mais baptisés par qui ? Certes, Luc sait bien que c’est un ministre de l’Église qui baptise. Mais, au sens profond, c’est le Christ qui baptise, comme Jean Baptiste l’avait promis (Luc 3, 3). Luc envisage ainsi le sacrement du baptême : l’homme écoute la parole de Dieu, il se convertit. Il est baptisé par le Christ, « par le nom de Jésus Christ », qui lui obtient le pardon des péchés et lui accorde le don du Saint Esprit (voir Actes 2, 38). Car le Père, lors de l’Ascension, a remis à Jésus la plénitude de l’Esprit, et cet Esprit fait du baptisé un prophète, membre à part entière du peuple de Dieu.

 

1 Jean 4, 7-10 (« Dieu est amour»)

Sous la douceur d’un style envoûtant, Jean mène un combat acharné. Rappelons sa première grande déclaration : «Dieu est lumière» ( 1 Jean 1, 5). Il visait des chrétiens errant dans la nuit, en raison d’une foi en Jésus, qu’il juge superficielle. Il proclame à présent que «Dieu est amour». Il vise les mêmes gens qui, dans leur suffisance, méprisent leurs frères à la foi simple et profonde. Ils ne connaissent donc pas le vrai Dieu.

1) l’amour (en grec agapè) véritable «vient de Dieu» qui nous l’a donné comme on transmet la vie à ses enfants. Ainsi, l’homme qui ne sait pas aimer n’a pas l’expérience de Dieu, ne peut pas connaître Dieu. Nous ne saurons jamais traduire correctement le grec agapè. Le terme charité peut être banal, voire méprisant («je ne te demande pas de me faire la charité») ; le mot amour, certes préférable, se heurte au registre ambiant des affections saisonnières, voire à l’érotisme.

2) «Voici comment l’amour de Dieu s’est manifesté parmi nous» cet amour qui n’est pas un sentiment variable, mais un engagement sans retour : il a envoyé «son Fils unique», son autre lui-même. Et si nous croyons en cette mission, nous sommes sauvés, nous recevons une vie pleine. Et «voici en quoi» se reconnaît le total désintéressement de Dieu : il a pris l’initiative de nous aimer alors que, pécheurs, nous ne méritions pas cet amour. Voilà pourquoi, comme l’écrivait déjà Paul (Romains 3, 25-26 et 5, 6-8), la mort du Christ équivaut à un sacrifice offert pour le pardon de nos péchés.

 

Jean 15, 9-17 (« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime »)

Rappelons-le, ce discours d’adieu de Jésus au soir du jeudi saint est à la fois, sous la plume de l’évangéliste, le bilan du ministère terrestre de Jésus et le discours pascal à nous adressé, en nos jours, par le Ressuscité.

Le passage d’aujourd’hui approfondit, en fait, l’image de la vigne et des sarments (cf. dimanche dernier) en langage plus direct. À présent, du début à la fin de cette page, tout est centré sur l’amour et Jésus ne s’adresse plus qu’à ses *« amis ». Il ne parle pas de l’amour dû à tous les hommes, même aux ennemis (cf. Matthieu 5, 44-45). Il vise la relation divine et intime – et c’est un commandement – qui soude les croyants entre eux. Par là se précise ce « fruit » que produisent les sarments. De ce sublime testament pascal du Seigneur, retenons trois aspects : le primat du commandement de l’amour, un amour fondé sur le don total de soi, un amour qui seul peut faire, dans le croyant, une vie fructueuse.

Le commandement de l’amour

Normalement, on attend ici un jeu simple de réciprocité : Le Père aime Jésus, et Jésus aime le Père. Tel n’est pas le mouvement du discours. Comme dans la 1ère  lecture, l’amour qui a sa source dans le Père, est un élan, une cascade d’eau vive qui descend du Père au Fils, du Fils aux disciples, et aboutit à l’amour des disciples entre eux.

Un tel amour ne se laisse pas conditionner par les hauts et les bas de notre affectivité. On « demeure dans l’amour » ; on s’y tient parce qu’il s’agit d’un engagement total. Bref c’est un «commandement». Jésus a gardé les commandements de son Père : Dieu lui a ordonné de révéler son amour. C’est ce qu’il a fait. Il nous invite à notre tour à manifester ce même amour.

La « joie » du Christ, c’est celle d’avoir accompli sa mission. Nous devons partager sa joie (cf. Jean 14, 28 ; 17, 13) en nous aimant les autres pour poursuivre cette même mission d’amour.

Le plus grand amour

L’amour suprême, qui va jusqu’à «déposer» sa vie pour ses amis (traduction littérale), comme Jésus «déposait» symboliquement son vêtement (Jean 13, 4.12) au soir du jeudi saint, à se dessaisir de soi-même, c’est l’amour qui se révèle au Calvaire. Car, en disant «comme je vous ai aimés», c’est bien la Croix que Jésus évoque. Il ne meurt pas parce que nous sommes ses amis («ce n’est pas vous qui m’avez choisi»), mais pour faire de nous ses amis et nous le manifester. Il fait ainsi de nous ses confidents : il nous a fait connaître, dit-il, ce qu’il a appris du Père, c’est-à-dire que l’amour de Dieu n’a pas de limite. Dans l’Ancien Testament, seuls Abraham et Moïse sont déclarés «amis» intimes de Dieu (Isaïe 41, 8 ; Exode 33, 11). Ce sont désormais tous les croyants que Jésus appelle «amis». Nous conservons ce titre d’honneur si nous faisons ce qu’il nous commande, c’est-à-dire de nous aimer mutuellement, à la lumière de la Croix.

Donner du fruit

Cette conclusion ramène à l’image de la vigne et des sarments. À première vue, ce fruit serait l’amour mutuel des croyants. Mais la raison pour laquelle les chrétiens s’aiment ne vient pas de leurs affinités mutuelles. C’est leur volonté de révéler au monde la source de leur charité : l’amour infini du Père, manifesté dans la croix de son Fils. C’est pour cette mission que Jésus nous a tous choisis, en tant que croyants. Il n’est pas question, malgré la traduction, d’ «aller» en mission au loin. Selon le génie sémitique de Jean, mieux vaudrait traduire : «afin que vous vous mettiez à porter du fruit». Il reste que certains, comme Pierre (1ère lecture), ont une mission plus précise et plus large.

* Amitié… et commandement. « L’affirmation de Jésus : « Vous êtes mes amis si vous faites de ce que je vous commande » n’est paradoxale que si l’on méconnaît le lien qui unit « commander » à « amis ». En vérité, obéissance et amour vont de concert. « Je ferai tout ce que tu voudras » n’est pas une parole de subordonné, mais d’amoureux » (X. Léon-Dufour).