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Quoique nous puissions penser du champ couvert par la vocation contemplative (si elle est ou non, à notre avis, « ouverte à tous »), le fait est que c’est quelque chose d’ordinaire », du moins en droit, dans toutes les religions évoluées. Partout en effet, que ce soit dans le christianisme ou le bouddhisme, l’hindouisme et l’islam, on trouve des exemples de vie contemplative, au moins au sens large. Partout, on trouve au moins une forte aspiration naturelle à l’unité intérieure et à la communion[1] intuitive avec l’Absolu. Et partout, on trouve l’une ou l’autre expression de quelque forme d’expérience spirituelle, souvent naturelle, parfois surnaturelle. Cette dernière est possible théoriquement au moins n’importe où sous le soleil pour n’importe quel homme droit en quête sincère de la vérité, et qui répond aux inspiration de la grâce divine.
C’est ici évidemment un sujet délicat et subtil, e je n’ai pas voulu entrer dans les questions âprement débattues qui surgissent de tous côtés à son propos. Mais il me semble nécessaire d’avoir quelque compréhension des faits, et que pour cela, le mieux est de les voir sous leur angle le plus simple et moins sensationnel. Car il ne faut pas exagérer, déformer, et magnifier, la contemplation. Elle est essentiellement simple et humble. Nul ne peut y entrer que par le chemin de l’obscurité et de l’oubli de soi. Elle implique également toute une discipline, mais par-dessus tout celle, normale, de la vertu quotidienne ; notamment la justice envers autrui, l’honnêteté intellectuelle, beaucoup de travail, l’absence d’égoïsme, la fidélité aux devoirs de son état de vie, l’obéissance, la charité, l’esprit de sacrifice. Nul ne devrait se laisser leurrer par ses aspirations contemplatives s’il n’est pas prêts à assumer, en premier lieu, les travaux et obligations ordinaires de la vie morale. La contemplation n’est pas une espèce de raccourci magique et facile pour arriver au bonheur et à la perfection. Et pourtant, puisqu’elle vous met effectivement en contact avec Dieu dans une relation je-Tu d’amitié mystérieusement expérimentée, elle apporte nécessairement cette paix que le Christ a promise et que « le monde ne peut pas donner ». Il peut y avoir beaucoup de désolation et de souffrance dans l’esprit du contemplatif, mais il y a toujours plus de joie que de chagrin, plus d’assurance que de doute, plus de paix que de désolation. Le contemplatif est un homme qui a trouvé ce que tout homme, d’une façon ou d’une autre, recherche.
S’il en est bien ainsi, il est à coup sûr légitime que tout un chacun désir et recherche cet accomplissement de soi, cette expérience de la réalité, cette voie d’entrée dans la vérité. Mais ici encore, on se heurte à un paradoxe : si ce désir est, en soi, légitime, est-il néanmoins licite pour ceux qui se méprennent totalement à son sujet ? Doit-on encourager quelqu’un à désirer la contemplation s’il est pour le moment incapable d’en saisir la vraie nature et plus encore, de remplir les conditions requises ?
Laissons tout un chacun la désirer, dirai-je, pourvu seulement qu’il soit sincère et réfléchi et qu’il reste ouvert à la vérité. Rigidité et préjugés sont les grands obstacles à la contemplation. Celui qui croit savoir à l’avance ce qu’elle est s’empêche d’en découvrir la vraie nature puisqu’il est hors d’état de changer d’avis[2] et d’admettre quelque chose de totalement nouveau. Celui qui croit que la contemplation est chose sublime et spectaculaire n’est pas réceptif à l’intuition d’une Réalité suprême et transcendante, et en même temps immanente à son moi ordinaire. Celui qui a besoin d’être exalté, et pour qui le mysticisme est le summum de l’ambition humaine, ne pourra jamais connaître la libération accordée à ceux-là seuls qui ont renoncé à réussir. Et puisque nous sommes pour la plupart rigides, attachés à nos idées, convaincus de notre sagesse, fiers de nos capacités, et livrés à l’ambition personnelle, le désir de la contemplation est dangereux pour n’importe lequel d’entre nous. Mais si nous voulons vraiment nous libérer de ces péchés, il y a des chances pour que le désir de la liberté contemplative et de l’expérience de la réalité transcendante s’éveille en nous de lui-même, à notre insu ; et que ce désir soit satisfait presque avant que nous en prenions conscience. C’est ainsi que se réalise une vraie vocation contemplative.
Extrait de « L’expérience intérieure », par Thomas Merton (Editions du Cerf)
[1] « communion » remplace « contact ».
[2] En anglais : change his mind, expression toute faite équivalente en général à un simple changement d’avis ou d’opinion. Faute de mieux, j’ai utilisé la traduction habituelle même si elle laisse ici à désirer dans la mesure où il s’agirait en fait d’une véritable conversion de l’esprit (N. d. T.).
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PAPE FRANÇOIS
AUDIENCE GÉNÉRALE
Place Saint-Pierre
Mercredi 8 Août 2018
Frères et sœurs, nous approfondissons aujourd’hui le thème de l’idolâtrie avec l’idole par excellence, le veau d’or. Dans le désert, lieu où règnent la précarité et l’insécurité, alors que Moïse tarde à redescendre de la montagne, le peuple demande un dieu visible pour pouvoir s’identifier et s’orienter. Car la nature humaine, pour fuir la précarité, cherche une religion « à faire soi-même ». Nous comprenons ainsi que l’idole est un prétexte pour se placer au centre de la réalité, en adorant les œuvres de ses propres mains. De fait, le peuple obtient d’Aaron un veau d’or, symbole de la richesse et de tous les désirs qui donnent l’illusion de la liberté mais qui asservissent l’homme en réalité. Tout vient de l’incapacité à faire confiance à Dieu, à placer en lui notre assurance, à lui laisser donner une vraie profondeur aux désirs de notre cœur. Or, quand on accueille le Dieu de Jésus-Christ, on découvre que la reconnaissance de notre faiblesse n’est pas un malheur mais la porte par laquelle entre le salut de Dieu qui nous permet de refuser les idoles de notre cœur. Ainsi, en Jésus-Christ, visage du vrai Dieu, notre fragilité n’est plus une malédiction mais le lieu de la rencontre avec le Père et la source d’une nouvelle force venue d’en haut.
Je suis heureux de saluer les pèlerins venus de France, de Côte d’Ivoire et de divers pays francophones. Je souhaite que cette période estivale nous aide à tourner notre regard vers le Christ crucifié qui a pris jusqu’au bout notre précarité pour la combler d’amour et de force. Que le Seigneur nous aide ainsi à refuser les idoles de notre cœur. Que Dieu vous bénisse !
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Évangile selon saint Jean 6, 41-51
« Moi, je suis le pain vivant,
qui est descendu du ciel. »
La semaine dernière, la première lecture nous parlait de la manne donnée par Dieu pour que son peuple puisse continuer à vivre dans le désert. Cette semaine, c’est le prophète Elie qui n’en peut plus, moralement et physiquement, et qui s’allonge en demandant à Dieu de lui reprendre la vie, et s’endors. Par deux fois il est réveillé par un ange qui lui ordonne de manger du pain et boire de l’eau pour qu’il puisse aller à la rencontre du Seigneur. C’est le pain qui redonne courage et force pour continuer la mission, pour ne pas se laisser aller à la mort.
Le pain que propose Jésus, dans l’évangile, n’est pas pour nous permettre de ne pas mourir physiquement, mais il nous permet de passer la mort physique pour aller vers la vie éternelle. Et c’est une certitude, Jésus l’affirme : « Il a la vie éternelle, celui qui croit. ». Le verbe est au présent, et pas au futur ; dès maintenant, au cours de notre vie terrestre, nous avons déjà la vie éternelle ; à une condition toutefois : que nous croyons !
Dans ce court extrait de l’évangile, par trois fois Jésus parle du « pain descendu du ciel », mais avec chaque fois une petite différence.
La première fois, il dit : « Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel. ». En fait, il n’avait pas dit exactement cela, mais c’est ce qu’on retenu les gens qui l’écoutaient : ils n’avaient seulement retenu qu’il parlait de pain, et qu’il venait du ciel. Pour eux, il est le seul concerné. Mais pas eux. Ils ne comprennent pas ce qu’il veut dire.
La deuxième fois, « Moi, je suis le pain de la vie », celui qui donne la vie. Et ici, c’est tout le monde qui est concerné, et pas seulement lui. Et une vie qui dure même après la mort …
La troisième fois, « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel ». Cette fois-ci, cela ne concerne que Jésus. Mais si Jésus insiste sur le fait qu’il est vivant, c’est pour signifier qu’il va mourir et que le pain qu’il va donner, c’est sa « chair, donnée pour la vie du monde. ».
Cette dernière phrase donnera lieu à une nouvelle incompréhension entre les juifs et Jésus, que nous verront la semaine prochaine.
Mais revenons sur l’incompréhension du début de cet évangile. Comment Jésus peut-il affirmer qu’il est descendu du ciel alors que, eux, les juifs, ils connaissent d’où il vient : de Nazareth ! Ils connaissent ses parents : Joseph et Marie ! Certains l’ont connu lors de sa vie cachée. Enfants, ils ont joué avec lui. Ils sont allés à la synagogue ensemble, ils lui ont commandé du travail. Comment peut-il dire des choses pareilles ?
Jésus lui-même l’a dit : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison. » (Mc 6,4). Et même encore maintenant, on comprend fort bien la réaction des juifs. Surtout dans un cas comme celui-ci qui mélange des éléments qui viennent du ciel, la demeure des ‘dieux’, et des gens de la terre. Les faits paraissent toujours suspects, on se méfie, on se demande si les gens ont bien toute leur tête …
On a bien du mal à croire ceux qui disent avoir vu une soucoupe volante, ou qui disent avoir vu ou avoir été enlevés par des extra-terrestres…
On a du mal à y croire, surtout si on est catholique. Et surtout si ça touche la religion.
Quelle a été la réaction des gens de Lourdes quand Bernadette dit qu’elle a vu une belle dame à Massabielle ? Les parents lui interdisent de retourner à la grotte, on la traite de folle, la population est partagée entre ceux qui croient que Bernadette a vu une personne, la Vierge, et ceux qui pensent qu’elle affabule. Et il faudra attendre que la belle dame dise son nom pour que les prêtres de la paroisse la prennent en considération. Même chose au début pour les voyants de Fatima… Sans parler des ‘apparitions’ de Medjugorje qui durent depuis 27 ans et pour lesquelles aucune décision officielle n’a encore été formulée de la part de l’Église sur leur véracité : il y a ceux qui y croient, et ceux qui n’y croient pas …
« Prenez un bel arbre, son fruit sera beau ; prenez un arbre qui pourrit, son fruit sera pourri, car c’est à son fruit qu’on reconnaît l’arbre. » (Mt 12,33).
Mais il faut parfois beaucoup de temps pour que l’arbre porte un fruit, … et qu’on puisse apprécier ce fruit en termes spirituels. Parlant des faux prophètes, Jésus dit : « C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. » (Mt 7,16). Et l’on se souvient de l’engouement qui a suivi les ‘révélations’ du ‘Petit lys d’amour’, malgré les mises en garde de l’évêque, et ce qu’il en est advenu par la suite…
Que les juifs ne comprennent pas Jésus, c’est tout à fait compréhensible. Jésus lui-même le dit : « Celui qui est de la terre est terrestre, et il parle de façon terrestre. Celui qui vient du ciel est au-dessus de tous, il témoigne de ce qu’il a vu et entendu, et personne ne reçoit son témoignage. » (Jn 3,31-32).
Pour nous, il s’agit de recevoir le témoignage de Jésus, de croire en lui, de croire qu’il nous donne la vie éternelle par ce pain qu’il nous invite à manger, « sa chair donnée pour la vie du monde. ».
Et comme pour Elie, il faudra le reprendre, une fois, deux fois, … une multitude de fois, « car il est long le chemin qui te reste » pour rencontrer Dieu.
Seigneur Jésus,
je tends les mains vers toi,
pour t’offrir le peu que j’ai,
mais surtout pour recevoir de toi
ce qui est la source de ma vie :
ton corps sous la forme de l’hostie consacrée,
pain de vie vivifiant pour cette terre,
chemin d’accès pour te rencontrer.
Francis Cousin
Pour accéder à cette prière et à son illustration cliquer sur le titre suivant : Prière dim ord B 19° A6
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Selon l’affirmation de Rudolf Bultmann, célèbre théologien, exégète et historien allemand du XXe siècle, ce que l’on pourrait estimer de sûr quant à l’existence de Jésus de Nazareth tiendrait en à peine une page. Si, depuis cette conclusion, les recherches ont permis de faire avancer notre connaissance et nos certitudes, il est du devoir de l’historien d’admettre que peu de faits sont saisissables en dehors du prisme de la foi. Devenir spécialiste des origines du christianisme – et notamment de l’historicité de Jésus – est un pari audacieux que l’on ose par passion et conviction. S’il est un point sur lequel nous pouvons être en accord avec Bultmann et qui concilie Histoire et croyance, c’est que la crucifixion de Jésus de Nazareth est à la foi le pilier de l’identité chrétienne mais également l’événement historique le plus assuré concernant la réalité physique de son existence.
Dans l’optique de la conférence exceptionnelle qui se tiendra le 1er septembre prochain à la Maison Diocésaine de Saint-Denis relative au Suaire de Turin, il a paru important de présenter quelques rappels historiques majeurs sur les circonstances ayant entouré le procès, la condamnation et l’exécution de Jésus de Nazareth. Il n’est pas du ressort de l’historien de traiter de la Résurrection dont la réalité si évidente pour la foi du chrétien ne peut être envisagée sous l’angle de la recherche pragmatique. Il s’agit avant tout de proposer aux participants de cette conférence des clés de compréhension permettant de saisir ce qui y sera abordé.
Un procès en deux temps
Lorsque Jésus est arrêté au Jardin de Gethsémani, il s’agit de l’initiative des Saducéens (les prêtres du Temple de Jérusalem) dont l’origine se trouve probablement dans ce que l’on appelle communément l’ « Attentat du Temple », à savoir l’expulsion des marchands et changeurs ayant provoqué sans doute une grave crise dans l’économie du sanctuaire. Le rôle de Judas l’Iscariote est difficile à cerner et pourrait faire l’objet d’une analyse à part entière ; il n’est donc pas utile de l’aborder ici. Tout le monde sera d’accord pour reconnaitre la première phase de procès si bien décrite par Jn notamment, celle de la comparution devant Anne et Caïphe. Nous tenons ici le cœur même de cette procédure : Jésus est appréhendé sur décision du Sanhédrin pour un motif ayant trait au judaïsme de son époque. Il ne faut pas oublier que si l’autorité romaine détient seule à cette époque le droit de vie ou de mort, les prêtres ont tout à fait possibilité de statuer sur des motifs religieux en tant qu’assemblée souveraine en ce domaine. Il n’y a rien donc rien d’anormal. Le Talmud présente d’ailleurs ce procès sous l’angle d’une démarche purement doctrinale. La difficulté pour les Saducéens sera de traduire cette condamnation quasi-unanime des autorités sacerdotales en langage juridique familier au Préfet (Ponce Pilate) devant lui-même être en accord avec les impératifs de la Loi de Rome (Mos Maiorum). Celui-ci est le seul habilité à prononcer une condamnation à la peine capitale mais ne peut le faire arbitrairement, au vu du contrôle strict exercé par le pouvoir impérial sur la droiture de ses représentants. Il est important de souligner ici que l’objectif des prêtres est d’obtenir une condamnation à la crucifixion (ce sur qui nous reviendrons plus bas), châtiment très employé par les Romains bien qu’ils ne l’aient pas inventé. Deux options s’offrent alors : soit le Préfet reconnaît l’accusé coupable en vertu de la Loi romaine, soit il accepte d’accorder aux autorités du Temple le droit d’exécution de manière exceptionnelle afin d’éviter tout trouble en cette période agitée de Pâque juive (Pessah). Commence alors la seconde phase du procès, celle se déroulant devant Pilate. Avec un peu d’honnêteté intellectuelle, tout lecteur du Nouveau Testament constatera que le Préfet n’a aucun motif de prononcer une condamnation à la croix concernant Jésus. Historiquement, cela se vérifie aisément car il n’est pas passible de cette mort honnie des citoyens romains dans les textes de la Loi. Pilate ne reconnaît pas en lui un séditieux avéré (seul motif qui aurait pu s’appliquer). A Rome, la crucifixion est le châtiment des esclaves et des grands criminels ; elle n’est pas décidée à la légère et est totalement exclue dans le cadre de la condamnation d’un citoyen romain (Cicéron en sera l’un des meilleurs démonstrateurs en tant qu’avocat). Sous la pression des prêtres, Pilate finira par opter pour la seconde solution : livrer l’accusé en autorisant les gardes du Temple à procéder à l’exécution. Mais pourquoi avoir réclamé à grands cris la croix alors que la peine qui aurait du être appliquée (toujours selon le Talmud) est la lapidation ?
Le châtiment et l’exécution de Jésus : retour sur un événement obscur
Selon Deutéronome 21, 23, celui qui est pendu sur le bois (comprenons crucifié) est maudit. Cela implique dans le judaïsme du Ier siècle un effacement total de la mémoire du condamné devenu impur aux yeux de l’Eternel. En ce qui concerne Jésus, on aperçoit alors aisément l’utilité d’une telle exécution : l’enseignement dispensé par le maître deviendra caduc. La portée symbolique est d’une importance considérable. Certains ont rétorqué pendant longtemps que la croix était un supplice totalement romain dans ces contrées (Flavius Josèphe racontera son utilisation intensive par le général et futur Empereur Titus lors du siège de Jérusalem en 70 ; on peut également citer les nombreuses mises en croix épisodiques de Zélotes par les soldats ou, bien avant, les 2000 crucifiés par ordre du légat Varus à la mort d’Hérode le Grand). En réalité, il a été clairement démontré que la croix était utilisée par les autorités judéennes (notamment par Emile Puech, professeur à l’Ecole Biblique et Archéologique Française de Jérusalem). En définitive, Pilate n’est responsable que de deux faits : la flagellation (prescrite pour corriger un trublion) et la crucifixion des brigands relevant bel-et-bien de l’autorité impériale cette fois. C’est ce qui expliquera la présence de soldats romains au pied de la croix lorsque Jésus expire. Le Suaire de Turin montre effectivement l’image d’un homme indubitablement crucifié à la manière antique ; s’il s’agit de Jésus de Nazareth, nous sommes probablement en présence d’un témoignage unique de crucifixion judéenne. On peut néanmoins remarquer sur le corps de l’homme les nombreuses marques de flagellation. Extrêmement rigoureux et codifié, ce supplice pouvait effectivement coûter la vie à celui qui y était soumis. Les bourreaux utilisaient un flagrum, fouet à plusieurs lanières de cuir terminées par des éclats de plomb ou d’ossements destinés à déchirer les chairs du malheureux. La perte de sang devait être importante, ce qui explique l’état de faiblesse de Jésus lors du sinistre parcours vers le Golgotha. Pilate ayant concédé aux autorités sacerdotales la permission de mettre à mort l’accusé, Jésus sera placé dans le cortège expédiant deux autres « larrons » à la mort. Il porte alors le patibulum, c’est-à-dire la poutre transversale du gibet et non la croix dans son intégralité (nous le savons par les dires de nombreux auteurs antiques). Sur ce qui se passe au lieu de l’exécution, les évangiles sont extrêmement peu clairs. C’est en 1968 que des archéologues retrouveront auprès de Jérusalem les ossements d’un homme crucifié et établiront le déroulement probable de la mise à mort. Au début du siècle dernier, un médecin bien connu – le Dr Barbet – avait déjà abouti à de solides conclusions, confirmées par la découverte des ossements mais aussi le Suaire. Jésus a certainement été cloué sur le patibulum par les poignets (voire entre les os de l’avant bras) et ensuite hissé sur la poutre verticale (appelée stipes et plantée en permanence sur le lieu des supplices). La section du nerf médian au poignet entraine chez le condamné la rétraction incontrôlable du pouce au cœur de la paume ; ceci explique certainement le fait que l’homme du Suaire ne possède que quatre doigts visibles à chaque main… Ceci n’est qu’un exemple des multiples détails révélés par l’analyse minutieuse de la relique. Les pieds sont ensuite eux-mêmes cloués (le crucifié retrouvé en 1968 avait été fixé par les talons, le clou étant encore fixé dans son calcaneum). Le mort se produit ensuite par lente asphyxie, le crucifié devant se hisser pour respirer et donc s’appuyer sur ses blessures. L’agonie est estimée à une dizaine d’heures en moyenne avant que l’effort intense ne provoque une tétanie complète du corps et une incapacité à reprendre son souffle. Les évangiles relatent une période de six heures avant que Jésus meure ; Mc évoque d’ailleurs un épisode unique, celui de Pilate s’étonnant d’une mort aussi rapide. De nombreuses théories ont été évoquées, toutes défendables : arrêt cardiaque, rupture d’anévrisme, accélération de la mort par le fait d’avoir bu la boisson vinaigrée, apoplexie… On remarque que l’homme du Suaire, de même que Jésus, n’a pas subi le crurifragium ou brisement des jambes bien connu par les sources antiques, destiné à abréger les souffrances en provoquant une asphyxie quasi-instantanée. En revanche, une plaie rappelant une lance plate (lancea) est bien visible au côté gauche. Selon Jn, il en coula du sang et de l’eau ; effectivement, porté dans la région de la plèvre et du péricarde, il a été constaté que la blessure transperce une zone contenant un important œdème très certainement accentué par les efforts fournis par le supplicié. Restent les coulées de sang au front rappelant sans équivoque les épines de la couronne de dérision, détail totalement propre à l’exécution de Jésus. On pourrait également évoquer les ecchymoses, tuméfactions et traumatismes divers. Constatation ultime : l’homme n’a pas été laissé à la merci des oiseaux de proie ou des chacals, sort hélas ordinaire des cadavres abandonnés sur les croix. Deux pièces de monnaie ont été posées sur ses yeux lors de sa probable mise au tombeau, conformément à l’usage du Ier siècle. On est bien entendu tentés de reconnaître ici l’intervention de Joseph d’Arimathie ayant évité au maître de connaître le sort des condamnés anonymes. On peut également y voir l’impératif de la Pâque nécessitant un retrait rapide des corps en vertu de la Loi de Moïse. L’homme a été mis au sépulcre à la manière attestée dans les coutumes judéennes de l’époque. Mais nous entrons à présent dans un mystère qui n’est plus du ressort de l’historien et vit pleinement dans le cœur du croyant : celui du troisième jour.
Abordé ici de manière succincte – voire lapidaire, l’épisode de la mort de Jésus est aux yeux de l’historien un événement de première importance. Il faut souligner qu’il est le seul datable avec précision (même si cela ne demeure pas sans polémiques). La présentation ici réalisée n’a qu’un objectif : donner au croyant des éléments de réponse et de compréhension, que ce soit pour la conférence qui se tiendra prochainement mais aussi pour sa réflexion de tous les jours. Le Suaire de Turin est un témoignage unique et presque insaisissable du lien existant entre la foi et l’étude des faits. Les deux ne sont pas contradictoires. L’Histoire n’a pas pour vocation de détruire la foi. L’Histoire nourrit la foi. Elle a consolidé la mienne…
Yannick Leroy
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Peu de textes concernant le Ier siècle et les racines de la foi chrétienne sont parvenus jusqu’à nous en dehors des écrits contenus dans le Nouveau Testament. Un ouvrage fut pourtant mentionné dans l’Histoire Ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée (IVe siècle) ainsi que dans de nombreuses listes anciennes se référant au Canon. Il s’agit de la Didachè, manuel à l’intention des premiers fidèles, se réclamant de l’autorité des douze Apôtres. Rédigé à la fin du Ier siècle, probablement en Syrie ou Palestine, ce précieux opuscule n’avait jamais mis au jour jusqu’en 1873 lorsqu’il fut découvert par le Métropolite Philothée Bryennios de Nicomédie dans la bibliothèque du Patriarcat Grec de Jérusalem sur une copie réalisée en 1056 et contenant également l’intégralité du texte de l’Epître de Barnabé. Rédigée en grec, la Didachè se présente effectivement sous forme d’un cours ouvrage mettant en avant l’enseignement des Douze à l’intention du croyant, à travers des préceptes moraux directement inspirés des racines judéennes de la foi dans le Christ. Son titre signifie « enseignement » ou « doctrine » ; l’ouvrage existe d’ailleurs également en latin, dans une version légèrement différente, sous l’appellation Doctrina Duodecim Apostolorum. Fondée sur un écrit très ancien appelé Les Deux Voies (Duae Viae) et perdu depuis longtemps, l’œuvre s’organise sur la distinction essentielle entre le chemin de la lumière et le chemin des ténèbres afin d’orienter le Chrétien sur la juste attitude à adopter dans l’attente de la Parousie. Bien que non intégrée au sein du Canon de l’Eglise Catholique, la Didachè n’a jamais été considérée comme ouvrage déviant et bénéficie jusqu’à nos jours d’une large estime de la part des milieux ecclésiastiques. Il convient de préciser qu’elle fut d’ailleurs incluse parmi les écrits canoniques par certaines des premières listes d’ouvrages reçus comme tels. Son statut est par ailleurs celui d’un écrit inspiré reconnu par l’autorité pontificale jusqu’à notre époque. Sa lecture révèle au croyant la profondeur de la foi des premiers Pères et démontre une incroyable actualité des propos choisis pour nourrir l’espérance intemporelle de ceux qui placent leur cœur dans le Christ.
Bibliographie élémentaire
• La Doctrine des Douze Apôtres, W. Rordorf (éd. et trad.), Sources Chrétiennes, Le Cerf, Paris, 1998
• AUDET, J.-P., La Didachè, instructions des Apôtres, Etudes Bibliques, Gabalda, Paris, 1958
Extraits
Il y a deux chemins : l’un de la vie, l’autre de la mort ; mais il est entre les deux chemins une grande différence. Or le chemin de la vie est le suivant : d’abord, tu aimeras Dieu qui t’a créé ; en second lieu, tu aimeras ton prochain comme toi-même ; et ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait, toi non plus ne le fais pas à autrui. Et voici l’enseignement signifié par ces paroles : « Bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour vos ennemis, jeûnez pour ceux qui vous persécutent. Quel mérite, en effet, d’aimer ceux qui vous aiment ! Les païens n’en font-ils pas autant ? Quant à vous, aimez ceux qui vous haïssent », et vous n’aurez pas d’ennemis. Abstiens-toi des désirs charnels et corporels. Si quelqu’un te donne un soufflet sur la joue droite, présente lui l’autre aussi, et tu seras parfait ; si quelqu’un te requiert de faire un mille, fais-en deux avec lui ; si quelqu’un t’enlève ton manteau, donne-lui encore ta tunique ; si quelqu’un t’a pris ton bien, ne le réclame pas, car tu n’en as pas le pouvoir. Donne à quiconque t’implore, sans rien redemander, car le Père veut qu’il soit fait part à tous de ses propres largesses. Heureux celui qui donne, selon le commandement car il est irréprochable. Malheur à celui qui reçoit ! Certes si le besoin l’oblige à prendre, il est innocent ; mais, s’il n’est pas dans le besoin, il rendra compte du motif et du but pour lesquels il a pris ; il sera mis en prison, examiné sur sa conduite et il ne sortira pas de là qu’il n’ait rendu le dernier quart d’as. Mais il a été dit également à ce sujet : « Laisse ton aumône se mouiller de sueur dans tes mains, jusqu’à ce que tu saches à qui tu donnes ».
Didaché I, 1-6
Mon enfant, souviens-toi nuit et jour de celui qui t’annonce la parole de Dieu ; honore-le comme le Seigneur, car là où est annoncée sa souveraineté, là est aussi le Seigneur. Recherche tous les jours la compagnie des Saints, afin de te réconforter par leurs conversations. Tu ne feras point de schisme, mais tu mettras la paix entre ceux qui se combattent. Tu jugeras avec justice ; tu ne feras pas acception de la personne en reprenant les fautes. Tu ne demanderas pas avec inquiétude si une chose arrivera ou non. Ne tiens pas les mains étendues quand il s’agit de recevoir, et fermées quand il faut donner. Si tu possèdes quelque chose grâce au travail de tes mains, donne afin de racheter tes péchés. Ne balance pas avant de donner, mais donne sans murmure et tu reconnaîtras un jour qui sait récompenser dignement. Ne repousse pas l’indigent, mets tout en commun avec ton frère et ne dis pas que tu as des biens en propre, car si vous entrez en partage pour les biens immortels combien plus y entrez-vous pour les biens périssables ?
Didachè, IV, 1-8
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Évangile selon saint Jean 6, 24-35
« L’œuvre de Dieu,
c’est que vous croyez à celui qu’il a envoyé. »
Tout au long de l’évangile de ce jour, on va voir une incompréhension entre ce que dit et fait Jésus et ce que comprennent les juifs.
Les juifs sont à la recherche de Jésus car ils voulaient « l’enlever pour faire de lui leur roi » (Jn 6,15), un roi terrestre qui pourrait les libérer de l’occupation romaine. Et quand ils le trouvent, Jésus leur reproche de ne pas avoir vu de « signes » dans ce qu’il avait fait auparavant : les guérisons, l’eau changé en vin, les pains multipliés … Ils avaient vu les faits, mais sans réfléchir au pourquoi de ces faits, leurs significations, de quoi étaient-ils le symbole.
Et rappelant la journée précédente, il fait la différence entre ‘la nourriture qui se perd’ et ‘la nourriture qui demeure’.
On retrouve deux mots courants chez Jean : recherche et demeurer. On les a déjà vus dans le chapitre 1, quand André et un autre disciple suivent Jésus : « Que cherchez-vous ? » demande Jésus ; « ils allèrent … virent où il demeurait, et ils restèrent auprès de lui… » (v. 38-39). Eux étaient des chercheurs de Dieu, sont allés à sa rencontre en le suivant, l’ont écouté, ont ouvert leur cœur à sa Parole, et ont vu où il demeurait et sont restés avec lui, ont demeuré avec lui. Mais c’étaient des chercheurs de Dieu, de la transcendance … Et ils ont cru en Jésus.
Ce qui n’était pas le cas des juifs qui ne cherchaient qu’à manger gratuitement. Ils cherchaient le pain matériel, et non le pain spirituel, la Parole de Dieu, un pain qui nous amène plus loin, jusque dans la vie éternelle.
Alors, quand Jésus parle de ce pain ‘qui dure’, que leur « donnera le Fils de l’homme, lui que Dieu, le Père, a marqué de son sceau. », ils sont d’accord qu’on leur donne un pain qui dure pour toute la vie, ils sont prêts à tous : « Qu’est-ce qu’on doit faire ? » Ils avaient déjà dans la loi quelques 613 commandements à respecter, alors quelques uns de plus pour « les œuvres de Dieu », quelques actions à faire … Cela ne les dérange pas. Ils sont dans le domaine de la loi, des pratiques, du permis et du défendu.
Mais Jésus leur répond au singulier : « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyez à celui qu’il a envoyé. ». Il ne s’agit plus de faire … mais de croire.
« Oui, d’accord, on veut bien te croire, mais quel signe vas-tu accomplir pour que nous pussions te croire ? »
Un signe ?! Une preuve ! Eux qui avaient bénéficié de la multiplication des pains la veille, ils n’ont pas compris que c’était déjà un signe de la puissance de Dieu qui donne gratuitement. Pourtant, ils connaissaient les écritures : « Venez acheter et consommer, … sans argent, sans rien payer. Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez-moi bien, et vous mangerez de bonnes choses, vous vous régalerez de viandes savoureuses ! » (Is 55,1-2). Et Isaïe est bien un prophète reconnu, envoyé par Dieu ! Mais ils sont dans leur monde, marqué par la loi de Moïse ; et c’est en référence à Moïse qu’ils parlent de la manne, le pain venu du ciel. Ils attendent peut-être un signe supérieur à celui de la manne !
Mais Jésus remet les pendules à l’heure : « ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel … et qui donne la vie au monde. ».
Là, c’est sûr que Jésus les embrouille. Ils ne comprennent plus rien. Un pain, qui vient du ciel, donné, gratuit, qui donne la vie au monde ! Ils sont preneurs : « Donne-nous toujours de ce pain-là. ».
« Moi, je suis le pain de la vie. », « Ego eimi … » Jésus utilise la même expression que Dieu a utilisée quand il s’est fait connaître à Moïse. C’est le bouquet ! Déjà Jésus parle de Dieu en disant ‘mon Père’, et maintenant il s’approprie le nom de Dieu ! Ils ne comprennent plus.
Vraiment, les pensées de Dieu ne sont pas les pensées des hommes.
Et c’est encore vrai maintenant !
Nous avons bien du mal à comprendre la pensée de Dieu.
Nous aussi, nous devons passer des œuvres à faire pour ’’gagner le ciel’’, à faire l’œuvre de Dieu : croire en celui qu’il a envoyé : Jésus le Christ. Passer des ‘pratiques’, des actions, qui ne sont certes pas mauvaises, qui sont mêmes nécessaires (cf Jc 2,17), mais qui ne sont pas suffisantes : l’essentiel, c’est de croire en Dieu, croire que Jésus est le Fils de Dieu, ouvrir notre cœur humain à l’amour de Dieu pour qu’il puisse y pénétrer, y demeurer, « lui près de nous, et nous près de lui » (cf Ap 3,20). Que nous mettions en œuvre la Parole de Jésus dans les évangiles qui est amour, humilité, service …
« Ce ne sont pas les diverses espèces de fruits qui nourrissent l’homme, mais c’est ta parole qui conserve ceux qui croient en toi. » (Sg 16,26).
Seigneur Jésus,
souvent nous n’avons pas le temps de penser à toi
car nous sommes occupés par ‘nos affaires’,
et quand on pense à toi,
nous voulons faire quelque chose, des œuvres …
Mais ce que tu veux,
c’est que nous croyons en toi, en ton Père, en l’Esprit.
Et que nous écoutions ta Parole …
avec notre cœur !
Francis Cousin
Pour accéder à cette prière et à son illustration cliquer sur le titre suivant : Prière dim ord B 18° A6