13ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 28 juin 2015

 

Sagesse 1, 13-15 ; 2, 23-24 (« C’est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde « ) 

Vers 50 avant notre ère, l’auteur anonyme invite ses contemporains juifs d’Alexandrie à chercher Dieu sous la conduite de sa Sagesse. Il use de la fiction, en laissant supposer que c’est le roi Salomon qui écrit, un roi réputé pour sa sagesse (voir 1 Rois 5, 9-14, passage fort éclairant pour l’ensemble du Livre de la Sagesse). Notre auteur attaque rudement (ch. 2) les impies qui ne croient qu’en la vie terrestre, suivent leur plaisir et traquent ceux qui les dérangent par leur conduite exemplaire. Au contraire, aux « justes » qui cherchent et font la volonté de Dieu, celui-ci promet le don de l’immortalité auprès de lui.

  « Dieu n’a pas fait la mort ». L’auteur ne parle pas de la mort physique, laquelle est naturelle : « Je suis moi aussi un être mortel, pareil à tous, un descendant du premier être formé de la terre » (Sagesse 7, 1 ; comparer 9, 15). Il évoque une réalité révoltante : la Mort qui ampute l’homme de ses relations, celle qu’il s’inflige, par ses péchés, en se séparant de son Créateur. Dieu ne veut pas cette mort-là. Il a tout créé pour la vie. Si des poisons poussent sur la terre, aucun d’eux n’engendre une telle mort spirituelle, et celui qui pratique la justice est voué à l’immortalité. L’auteur médite sur le récit des origines (Genèse 1 – 3). L’homme avait pour vocation d’être l’image de Dieu, et ce lien incluait l’immortalité. C’est le *diable, jaloux de la destinée immortelle des humains, qui a introduit la mort en les séparant de leur Dieu.

  Jésus apparaîtra comme le vainqueur de la mort en ressuscitant la fille de Jaïre (évangile de ce jour) ; il révélera ainsi le projet tenace d’un Dieu qui veut la vie de ses créatures. 

* Le diable. Ce texte est le premier, dans la Bible, à identifier le serpent de la Genèse (ch. 3) au démon. Voir, par la suite, Apocalypse 12, 9 ; 20, 2. Selon de belles légendes juives anciennes, l’ange déchu a été chassé des cieux parce qu’il a refusé de reconnaître en Adam la gloire de Dieu. La tentation d’Ève fut sa vengeance. 

 

2 Corinthiens 8, 7.9.13-15 (« Ce que vous avez en abondance comblera les besoins des frères pauvres « ) 

L’Église de Jérusalem avait dispensé les chrétiens d’origine païenne de l’observance des lois de Moïse, à la différence des Églises d’origine juive. Comment éviter alors le paradoxe d’Églises parallèles et indépendantes ? Par la réalisation d’une collecte des chrétiens grecs en faveur des pauvres de l’Église de Jérusalem. L’opération avait commencé dans les Églises turques. Les Corinthiens avaient adhéré au projet (1 Corinthiens 16, 1-4), puis les Macédoniens, c’est-à-dire les Églises de Philippes et de Thessalonique (2 Corinthiens 8, 1-5). Mais les Corinthiens, eux, n’avaient toujours pas ouvert leurs porte-monnaie, et Paul revient donc ici à la charge.

  La collecte signifie une communion concrète (lire Romains 15, 25-27). Les Corinthiens sont comblés de tous les dons spirituels – « que vous tenez de nous », les apôtres, souligne l’ironie de Paul, et non de vos propres talents. Alors, sachez manifester votre reconnaissance !

  Le Christ « est devenu pauvre », en sa passion, pour enrichir les croyants par les énergies de sa résurrection. Voilà la source de la générosité des chrétiens qui ont tout reçu du Christ, « le don généreux » qui fait de la collecte une grâce accordée à la communauté des donateurs. Ce don de soi, essence de l’Évangile, se traduira, non par l’impossible imitation du Crucifié, mais par la recherche d’une égalité entre les communautés. Tout ce que nous avons est don de Dieu, comme la manne du désert que nul ne pouvait s’approprier sans dommage (cf. l’incident rapporté en Exode 16, 18-21).

  Contre ceux qui ne veulent « pas de bruit d’argent autour de l’autel », Paul affirme avec vigueur que l’eucharistie est vaine si elle ne traduit pas l’Évangile par une charité bien concrète et matérielle.

 

Marc 5, 21-43 (« Jeune fille, je te le dis : lève-toi « ) 

Puissant en paroles dans le discours en paraboles (Marc 4), Jésus se révèle tout aussi puissant en actes. Après avoir calmé la tempête et libéré le possédé de Gérasa, en terre païenne, il guérit une femme malade depuis douze ans et ressuscite une enfant de douze ans. La répétition du chiffre cimente les deux récits emboîtés l’un dans l’autre. L’imbrication numérique (comparer Luc 13, 4 et 13, 11 !) sert une progression dramatique : Jésus allait guérir la fille de Jaïre. Mais ce nom a valeur de programme ; Il signifie « Dieu illumine » ou « Dieu resssuscite ». Avec le retard dû à l’intervention de la femme, c’est un cadavre que Jésus trouvera chez le « chef de la synagogue », une fonction importante, qui compte pour le renom de Jésus. 

Ma fille, ta foi t’a sauvée 

La femme semble souffrir d’une métrorragie chronique. La perte du sang fait d’elle non seulement une malade, mais une impure contagieuse qui ne peut plus, depuis douze ans, participer aux assemblées religieuses (cf. Livre des Lévites 15, 19-30). Marc n’a point de mépris particulier contre le corps médical, quand il dit que la malheureuse s’était ruinée chez les médecins. L’évangéliste emprunte un lieu commun des ex-voto des temples grecs : quand tout remède a échoué, on recourt, dans un temple réputé, à un dieu guérisseur. De la culture antique viennent aussi deux détails : 1) l’idée que le contact physique du guérisseur, de son vêtement (comparer Marc 3, 10 ; 6, 56), agit comme une anti-contagion ; c’était même une vertu que l’on attribuait aux vêtements de l’empereur Vespasien ; 2) l’idée que la guérison s’opère par une force émanant du thaumaturge (comparer Luc 6, 19). Enfin, selon les règles juives, la suppliante contamine Jésus en touchant son vêtement. D’où sa crainte, lorsqu’elle se voit démasquée.

  Sur cet arrière-fond culturel, le récit souligne la confiance audacieuse de la malade. Elle dit « toute la vérité », elle confesse sa foi. En Jésus, elle ne cherchait pas seulement la guérison, mais à être « sauvée » de son exclusion. Jésus réintègre la femme dans la vie sociale et religieuse. Il la renvoie « en paix », c’est-à-dire dans la santé, l’intégrité personnelle, le bien-être, fruits de la foi en lui.

  En effet, le plus étonnant dans ce récit tient en cela que Jésus semble n’avoir rien fait, et, en vérité, il n’a rien fait. D’où la question de Jésus : « Qui m’a touché ? » et la réponse étonnée et bien normale des disciples. La foi de cette femme a tout fait. On mettra en regard l’échec de la visite de Jésus à Nazareth, visite qui va suivre ce chapitre : « Là, il ne pouvait accomplir aucun miracle, si ce n’est qu’il guérit quelques infirmes (…). Et il s’étonna de leur manque de foi » (Marc 6, 5-6, évangile de dimanche prochain). 

Jeune fille, lève-toi 

L’acte II s’orne d’un scepticisme qui n’imagine pas le Maître éveillant une morte. Mort bien réelle, comme l’atteste le concert des lamentations traditionnnelles. Quand Jésus dit : « elle dort », la caméra de l’évangéliste élargit son champ jusqu’au contexte de l’Église de son temps, lorsque, depuis la résurrection de Jésus, les chrétiens voient dans la mort un sommeil temporaire et s’interdisent tout deuil trop démonstratif (voir 1 Thessaloniens 4, 13), malgré les moqueries des païens qui pensent que les chrétiens ne savent pas honorer leurs morts.

  Comme tout thaumaturge d’alors, juif ou païen, Jésus opère dans le secret de la maison. Ainsi avaient agi Élie et Élisée (1 Rois 17, 17-24 ; 2 Rois 4, 18-37). Mais chez Jésus, plus grand qu’eux, ni prière ni mise en scène laborieuse. Le contact de sa main et sa simple parole suffisent à rendre la vie. La parole est prononcée en araméen, langue maternelle de Jésus : « Talitha koum » (avec une faute de syntaxe dans la transmission : ce devrait être koumi, au féminin !) Pour des lecteurs grecs, en tout cas, ce langage étranger rejoignait le charabia des exorcistes de leur temps.

La fillette marche et mange, preuve de son retour à la vie. Mais on doit garder le secret. Ce miracle révèle Jésus comme le Messie. Or Jésus ne peut être reconnu comme Messie qu’à travers toute sa destinée : la passion et la gloire, tout cela dont les trois disciples privilégiés, Pierre, Jacques et Jean, seront les témoins (en Marc 9, 2.9 ; 14, 32-42). « Les portes de la mort sont à Dieu, le Seigneur » (Psaume 68 [67], 21). En Jésus, Dieu manifeste sa victoire sur la mort, puisque « Dieu n’a pas fait la mort » (1ère lecture).

 

 

 

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