Commentaires des Lectures du dimanche 05 juillet 2015
Ézékiel 2, 2-5 (« C’est une engeance de rebelles ! Qu’ils sachent qu’il y a un prophète au milieu d’eux ! »)
Ézékiel, prêtre et prophète exilé à Babylone, a un sens aigu de la noblesse de Dieu. Il n’imagine pas que le Seigneur puisse lui parler directement. Il faut d’abord que l’esprit lui soit donné. Cet esprit faisait entrer en extase les anciens prophètes (cf. 1 Samuel 10, 10). Cet esprit renouvellera le cœur humain et ressuscitera les morts (Ézékiel 36 – 37). Ici, cet Esprit met Ézékiel debout, comme au garde-à-vous, pour que retentisse l’ordre de mission. Plus de quatre-vingt-dix fois au long du livre, l’envoyé s’entendra appeler par Dieu « fils d’homme », comme pour entretenir son humilité. Il n’est qu’un humain. Un abîme de sainteté le sépare du Créateur qui seul est responsable du message dont il charge le prophète.
D’emblée, dans sa vocation, Ézékiel apprend qu’il s’adressera à un peuple rebelle, obstiné. Car les Israélites déportés à Babylone n’ont pas encore compris que leur exil est la conséquence de leur révolte contre Dieu, à travers l’idolâtrie et l’injustice sociale, et qu’ils doivent réformer leur conduite. Le mot hébreu traduit ici par « rebelle » désigne plusieurs fois dans l’Ancien Testament les révoltes des rois d’Israël à l’égard des souverains voisins avec qui, de gré ou de force, ils avaient fait alliance (par exemple 2 Rois 18, 7.20 ; 24, 1).
Les prophètes emploient la formule des messagers royaux (Ainsi parle le roi) : « Ainsi parle le Seigneur Dieu ». En entendant ces mots, les Israélites exilés sauront qu’Ézékiel s’engage comme prophète, messager du Seigneur. Libre à eux de refuser de l’écouter. Mais, au moins, Dieu aura tout fait pour engager avec eux un nouveau dialogue.
Ce texte est choisi en raison de la dernière phrase : « Ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux. » Et cette déclaration veut introduire le constat de Jésus à Nazareth (évangile) : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison. »
2 Corinthiens 12, 7-10 (« Je mettrai ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure. »)
A Corinthe, certains missionnaires rivaux de Paul font leurs tournées. Ils ont leur succès. Car ils se prévalent de leurs expériences mystiques. Paul pourrait, lui aussi, se vanter de « révélations extraordinaires ». Pour comprendre ces quelques versets, victimes de l’amputation liturgique, on doit absolument lire 2 Corinthiens 12, 1-6.
Mais, même s’il le voulait, ces révélations exceptionnelles n’auraient aucune valeur pour le service apostolique. Car ce qui saute aux yeux de tous dans la personne de Paul, c’est l’énigmatique « *écharde pour la chair » qu’inflige à l’Apôtre, littéralement, « un ange du satan ».
Pour Paul, l’Évangile se résume en la puissance du Christ qui transforme la vie des hommes. Or, cette puissance a pour terreau nourricier la faiblesse de la Croix. Quand donc l’Apôtre traduit-il ce paradoxe fécond ? Quand il accepte « les faiblesses, les insultes, les contraintes… », bref, quand il assume la faiblesse du Crucifié, celui-là même que contestaient les gens de Nazareth (évangile).
« Lorsque je suis faible, écrit-il, c’est alors que je suis fort ». Je suis fort parce que je prouve ceci : Ce ne sont pas mes capacités humaines qui agissent, mais la puissance du Christ qui habite en moi. Être apôtre, c’est accepter une forme particulière du mystère pascal. Ainsi, écrit encore Paul, « la mort fait son œuvre en nous (les apôtres), et la vie en vous (les croyants) » (2 Corinthiens 4, 12).
* « L’écharde pour la chair ». Quelle écharde ? Pour certains, il s’agirait d’une tentation obsédante, de type sexuel. Mais Paul ne donne pas l’impression d’être un obsédé. En outre, sous sa plume, le mot « chair » désigne simplement la fragilité de l’existence humaine, non le sexe. D’autres, plus nombreux, pensent à une maladie chronique de l’Apôtre, voire une affection des yeux. Ils relient astucieusement Galates 4, 13.15 et 6, 11. Mais il s’agit d’une attaque venue du dehors, infligée par « un ange du satan ». Dans la Bible, « l’écharde dans les flancs » (Nombres 33, 55) désigne les ennemis d’Israël. En résumé, Paul évoque ici ses adversaires, des missionnaires éloquents et autoritaires. Il vient justement de les traiter de « serviteurs du satan » (2 Corinthiens 11, 13-15) parce qu’ils déforment le sens de l’Évangile. Paul a prié le Seigneur « par trois fois » d’écarter cet obstacle de son apostolat, de les faire taire. Mais le Christ semble mieux supporter la contestation que son Apôtre. Et les oppositions aideront Paul à approfondir le sens de sa mission.
Marc 6, 1-6 (« Un prophète n’est méprisé que dans son pays. »)
Trois aspects sont à souligner dans cet épisode. C’est l’amorce d’une rupture décisive de Jésus avec « son pays », Nazareth, une rupture liée à l’absence d’écoute du « fils de Marie » et, finalement, liée à la non-foi.
Vers une rupture
Pour ceux qui l’écoutaient, Jésus a manifesté sa « sagesse » par son discours en paraboles. Pour ceux qui l’ont suivi, il s’est révélé par de « grands miracles » (cf. Marc 4–5). L’évangéliste avait déjà signalé une tension entre Jésus et sa famille, en Marc 3, 21.31-5. Avec l’ultime visite à Nazareth, la rupture sera consommée.
L’enseignement de Jésus et les réactions
Le passage évangélique, avec quelque dédain, estime inutile de nommer ce « pays » (Nazareth) peu accueillant. En revanche, Marc souligne la présence des disciples. Bientôt Jésus les enverra eux-mêmes en mission (6, 7-12). Il importe donc qu’ils voient à l’œuvre leur Maître et modèle.
La réaction des auditeurs est une surprise à la fois émerveillée et sceptique. Ils s’expriment par des questions. Les trois premières portent sur son enseignement, sa sagesse et ses miracles. « D’où cela lui vient-il ? » Puisque l’on connaît sa famille, somme toute banale, qui lui a « donné » ces talents ? Cela vient-il de Dieu, d’une prétention humaine outrancière, voire d’une manipulation par le satan ? Comparer Marc 3, 22.30 ; 11, 30.
Les deux dernières questions portent sur l’origine de Jésus. On connaît sa mère, ses *frères et ses sœurs. Si donc on connaît si bien sa famille, comment pourrait-il être le Messie caché ? L’appellation traditionnelle « le fils du charpentier » devient ici « le charpentier, fils de Marie ». Car sans doute Joseph est-il déjà mort lorsque la tradition compose cet épisode. Notons en passant que le mot grec téktôn traduit traditionnellement par « charpentier » désigne en fait un artisan travaillant le bois, les métaux, la pierre et jouissant souvent d’une belle notoriété dans les bourgades de Palestine.
Le manque de foi
Les auditeurs sont « choqués », plus exactement ils buttent sur ce qui leur semble non crédible parce qu’ils ne sortent pas de leurs idées toutes faites. Un tel refus ne dessert pas l’identité de Jésus. Au contraire, il replace celui-ci dans la lignée des vrais prophètes, tel Ézékiel (1ère lecture) et surtout Jérémie (11, 21 ; 12, 6), haï des gens d’Anatot, son village. Mais le refus est profond. Car en énumérant le pays, la parenté et la maison, le texte évoque les relations sociales les plus étroites.
Jésus n’accomplit aucun miracle, non pas par impuissance. L’impossibilité vient de la non-foi des gens. Car le miracle n’est jamais qu’une réponse à la foi. Mais comment ne pas croire, quand on a entendu ce que Jésus a déjà fait ? Marc insère quand même la mention de quelques guérisons, soulignant par là la miséricorde de Jésus et préparant ainsi la mission prochaine des disciples qui guériront les malades (cf. Marc 6, 13, dimanche prochain). D’ailleurs, nullement rebuté par le mépris, le Missionnaire du règne de Dieu poursuit son œuvre dans « les villages d’alentour ».
* Les frères de Jésus. Le Nouveau Testament mentionne plusieurs fois les frères de Jésus. Le plus célèbre est Jacques, « le frère du Seigneur » (Galates 1, 19) qui dirigera l’Église de Jérusalem (Actes 21, 18). De nombreux interprètes comprennent le mot « frère » au sens strict d’enfants de mêmes parents et admettent que Marie a eu d’autres enfants. La tradition catholique, qui souligne le titre de « Marie toujours Vierge », exclut cette interprétation. Elle donne au mot « frère » un sens sémitique large de cousin, beau-frère… Relevons trois points : 1) L’examen rigoureux du Nouveau Testament ne permet pas de trancher entre le sens strict et le sens large. 2) La position protestante ne remet pas en question la conception de Jésus comme un acte créateur de Dieu se substituant à l’engendrement ordinaire. 3) « La virginité perpétuelle de Marie est quelque chose qui va au-delà de toute la documentation dont nous disposons et qui représente un éloge de Marie jailli de notre foi (…), de la réflexion chrétienne sur la sainteté de Marie… » (R. E. Brown).