7ième Dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Père Louis DATTIN (Mt 5, 38-48)

Aller plus loin que la loi

Mt 5, 38-48

            En parcourant les lectures de ce dimanche, un souvenir me revient à la mémoire. C’était dans les Alpes, devant le refuge du « Glacier Blanc ». Des hommes, des femmes de tous âges étaient là, marquant la halte, restaurant leurs forces avant d’entreprendre, pour la plupart, une seconde étape qui va les conduire jusqu’au ‘’refuge des Ecrins’’.

– Ils contemplent ce spectacle grandiose d’un immense glacier bordé par deux crêtes de montagne se rejoignant à « la Barre des Ecrins ». A côté du refuge, il y a un énorme rocher de cinq ou six mètres de hauteur. Debout sur ce rocher, un adulte regardait en contre-bas du rocher : là, un tout jeune enfant, cinq-six ans, peut-être, ce devait son fils, s’agrippait et peu à peu, montait. Plaçant ses petites mains là où lui indiquait son père, centimètre après centimètre, il s’élevait et là-haut, son père le regardait, l’encourageait, le guidait et l’attendait.

Spectacle émouvant que de voir cet enfant s’accrocher à la moindre aspérité du rocher !

Spectacle émouvant que de voir l’enfant, enfin parvenu jusqu’à son père, se jeter dans ses bras avec un grand rire en réponse au sourire plein de tendresse de son père !

Etait-ce un spectacle banal ? Je ne sais pas et pourtant je ne l’ai pas oublié car il m’a fait réfléchir.

– Cet enfant, s’élevant peu à peu, collé au rocher, et regardant la surface un peu plus haut pour y poser sa main, n’est-ce pas l’image de notre condition : hommes et de femmes, agrippés à notre terre, pour la gravir, pour nous hisser plus haut, la dominer et devenir des hommes debout.

N’est-ce pas aussi l’image de notre Dieu, nous encourageant à nous mesurer avec notre condition humaine pour en tirer le meilleur et nous invitant à ce face à face où se révèle l’étrange ressemblance du Père et du fils ? Notre Dieu, aujourd’hui encore dans l’Evangile, nous donne des conseils, nous encourage, nous indique le chemin. Mais il se garde bien de nous empoigner et de nous hisser vers lui.

Non, notre Dieu nous aime trop, nous respecte trop pour agir à notre place, il nous sait capables de progrès. Il sait qu’avec ses indications, nous pouvons nous hisser nous-mêmes. Il nous croit capables d’avancer avec nos frères et il nous sait capables de confier à nos descendants les progrès accomplis.

            Ce qu’il y a d’admirable dans cet Evangile, c’est que Dieu a tellement confiance en l’homme, en sa capacité de monter et de s’élever vers lui, qu’il va nous demander des efforts que nous, nous croyons surhumains et trop difficiles à accomplir. « Soyez parfaits comme votre Père du ciel ».

Oui, vous êtes capables d’aller jusque-là ; or nous pensons qu’il n’y a rien de plus idéaliste et irréalisable que cette parole de Jésus. Retirer de son contexte, elle pourrait même paraitre dérisoire : nous demander de ressembler à quelqu’un que l’on n’a jamais vu et qui nous dépasse infiniment !

En fait, Dieu nous espère, Dieu attend l’homme… Un jour, il espère contempler en nous les traits de sa divinité : il espère faire de nous ses partenaires. Il n’en finit pas de nous créer et de nous recréer, de nous promouvoir. Vous le savez, tous les paléontologues nous le rappellent, l’homme vient de loin, de très loin. Il vient de l’infrahumain et tous les atavismes primitifs sont encore là, en nous, qui risquent même de nous faire retomber, loin en arrière. C’est ce qui risque de se passer à notre époque, comme à toutes les époques de décadence.

Mais, vaille que vaille, l’humanité reprend son chemin. On dirait qu’elle est toujours en travail de naissance, dès qu’elle se met à regarder de nouveau vers le haut, au lieu de regarder seulement d’où elle vient. Voilà pourquoi Dieu aujourd’hui, dans cet Evangile, nous semble terriblement exigeant.

Au début, il y avait la loi de Moïse avec ses dix commandements, ça allait encore. C’était raisonnable. C’était humain. Le niveau de cette loi se place au niveau de la justice et c’était déjà un progrès énorme. La loi du talion qui coupait la main à celui qui avait coupé la main de l’autre, c’était raisonnable ; cela empêchait qu’on ne lui coupe la tête dans la revanche d’une main coupée : une sorte d’équilibre s’installait.

Quel progrès déjà par rapport aux lois païennes où la condamnation était toujours plus forte que le délit !

 «Tu ne voleras pas, tu ne mentiras pas, tu honoreras ton père et ta mère ».

Pour certaines générations primitives, c’était déjà beaucoup demander, mais le commandement était assorti de peines importantes. La peur était là pour freiner nos pulsions. Mais, avec Jésus, avec l’Evangile, nous assistons à un renversement radical de toutes ces valeurs humaines.

Il n’est plus question de peur, pour nous conduire plus haut. Il y est question d’amour : l’attirance du cœur plus forte que les pulsions d’un homme qui monte vers Dieu parce qu’il sait qu’il est « fils » de ce Dieu qui l’attire vers lui et qui veut entreprendre le même itinéraire et les mêmes moyens que lui pour arriver jusqu’en haut. Désormais, il n’est plus seulement question de  » raisonnable « , plus question de justice ou d’équilibre, il s’agit d’une passion, d’un amour qui passe comme un cyclone sur les structures de la loi et qui emporte tout sur son passage.

C’est d’ailleurs pourquoi ces exigences du Christ nous paraissent si extravagantes : « Ne riposte pas au méchant, tends l’autre joue à celui qui t’a giflé. Donne ton manteau aussi à celui qui veut te prendre ta tunique. Fais deux milles pas avec celui qui t’a réquisitionné pour en faire mille avec toi. Donne à qui te demande. Ne te détourne pas de celui qui veut t’emprunter. Aimez vos ennemis ».

Si encore, c’était nos amis, ce serait normal, mais nos ennemis ?

  • « Priez pour ceux qui vous persécutent ».

Pourquoi, mais pourquoi donc demander aux hommes ce qui est si peu raisonnable, si injuste ? Pourquoi renverser les fondements de notre société et encourager nos adversaires et tous les parasites de la société ? Cela va encourager le mal chez les uns, sans pour cela bonifier les autres qui se sentiront frustrés ?

Réponse de Jésus : « … afin d’ être vraiment les fils de Votre Père qui est dans les cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, tomber la pluie sur les justes et les injustes ».

Ce qu’il nous demande aujourd’hui nous parait surhumain et de fait, ça dépasse l’homme dans ses réactions raisonnables : se laisser malmener sans se défendre, aller jusqu’à aimer ses ennemis, n’est-ce pas une aventure insensée ?

Rappelez-vous l’enfant sur son rocher, beaucoup ont dû se dire :

« Mais ce père est fou d’exiger et d’encourager ce petit bonhomme à monter jusqu’à lui. Cet enfant est « naïf » d’entreprendre cette ascension dangereuse. Assez naïf ? Ou assez simple, assez confiant pour écouter les conseils de son père qui lui indique ce qu’il faut faire ? L’esprit d’enfance ne serait-il pas la clé de cet Evangile ?

« Si vous ne changez pas et ne devenez comme des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux ».

Vous n’irez pas jusqu’en haut du rocher pour rejoindre votre Père.

Frères et sœurs, en face de toutes ces exigences qui nous paraissent si peu raisonnables, devenez comme un enfant : osez croire en Jésus, allez le rejoindre sans ménager votre peine, ni craindre le combat. « Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait ».

Le seul secret de l’amour véritable, c’est de faire comme Jésus qui a donné sa vie pour ses frères, les hommes. AMEN

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