6ième Dimanche Temps Ordinaire (Mc 1, 40-45) – Homélie du Père Louis DATTIN

Le lépreux

Mc 1, 40-45

Pour bien comprendre le récit de la guérison de ce lépreux, il est nécessaire de situer la lèpre, et le lépreux, au temps de Jésus. Il faut savoir que le lépreux était un homme totalement exclu de la société. Atteint d’une maladie grave et contagieuse, il était tenu à l’écart de la collectivité. Il ne devait toucher personne et personne ne devait le toucher, « il portera ses vêtements déchirés et des cheveux en désordre ».

Bien plus, la lèpre, pour les Hébreux, était le signe même du péché : la marque du péché, du châtiment divin pour des fautes particulièrement graves. Depuis toujours, le lépreux était considéré comme un mort ambulant, rejeté comme un cadavre encore vivant. Sa guérison (et on voit là toute la portée du miracle) n’était réservée qu’à Dieu seul. C’était « l’excommunié » par excellence et sa guérison équivalait à une purification qui pouvait être constatée, non par des médecins, mais par des prêtres. Dès qu’ils voyaient des « biens portants » aller vers eux, ils devaient crier : « impur, impur » derrière un voile qui devait leur protéger la bouche. Encore au Moyen-âge, ils devaient porter avec eux une sonnette pour avertir les gens qu’ils étaient là et donc de ne pas s’approcher.

Que fait Jésus ? Va-t-il violer la loi ? Ces tabous seront-ils plus forts que sa pitié ? Oui, il va violer les interdits. Il se laisse approcher par le lépreux qui tombe à ses genoux et le supplie et il entend ce cri admirable : « Si tu le veux, tu peux me purifier ». Vous le voyez, ce lépreux, dans ses haillons crasseux, il s’agenouille, il tend la main qui n’est peut-être plus qu’un moignon.

 « Ah, surtout qu’il ne me touche pas, il est répugnant, ce lépreux, contagieux, incurable ». Si nous avions été là, dans l’entourage de Jésus, qu’aurions-nous fait ? Vous rappelez-vous le moment précis où St-François d’Assise a eu le sentiment physique de la présence du Christ : il caracole sur un chemin désert, le jeune François Bernardone, beau, élégant, délicat et soudain son cheval se cabre ; il y a dans la poussière, un paquet difforme ! C’est un lépreux ! François saute de cheval et saute à son cou. C’est fait : pour toujours, il a embrassé Jésus lui-même qui s’identifie au rebut de l’humanité.

Maintenant, regardez Jésus : comme pour le provoquer, ce lépreux s’écrie : « Si tu le veux, tu peux me purifier ». Jésus sait bien ce qu’il a devant lui, c’est la mort ? Notre mort à nous chemine d’une manière clandestine : des cellules s’atrophient, quelques rides de plus et moins de souplesse, des cheveux blancs ou plus de cheveux. La lèpre, c’est la vision brutale de ce que la mort fera de notre corps : les chairs rongées, les os friables. C’est la mort en face et à cette répulsion physique s’ajoute à l’époque une répulsion morale. La lèpre est une malédiction et le lépreux est un maudit : Dieu le punit à cause de lui ou de quelqu’un de sa race. C’est le fruit d’une culpabilité religieuse :

« Va te montrer au prêtre et fais l’offrande prescrite », dit Jésus.

Le roi de France, voici cinq siècles, publie un édit autorisant la persécution des Juifs et des lépreux ! Regardez Jésus : d’abord, lui, il ne le condamne pas, il est au contraire « plein de pitié » et puis, il pourrait guérir à distance. Or, il tend la main, il touche de ses doigts la chair meurtrie, il arrête la mort, c’est-à-dire son ennemie : s’il perd contre la mort, sa vie n’a plus de sens.

Jésus se bat pour la vie : il va donc guérir le lépreux. Jésus ne cesse de sauver ce qui était perdu. Alors, il touche l’intouchable et il dit : « Je le veux, sois guéri ! »

 Sa parole fait toujours ce qu’il dit : « A l’instant même, sa lèpre le quitta ». Loin d’être gagné par la contagion, c’est Jésus qui devient contagieux à son tour et qui lui communique sa vraie santé : la sainteté, c’est la pureté qui est contagieuse ! En somme, une histoire très simple : Jésus guérit un lépreux, juste quelques lignes, mais elles cassent tout. Elles cassent la maladie, elles cassent surtout ce dont la lèpre était le symbole : elles cassent le péché. Pas de discours sur la bonté du Père, pas de morale sur l’inconduite de l’homme, seule, une action, une parole efficace relie ces deux contagions : « Je le veux, sois purifié » (Jésus ne dit pas « sois guéri » tout comme de son côté le lépreux avait dit non pas « guéris-moi », mais « purifie-moi« ). Et voilà maintenant notre homme guéri, attestation d’une nouvelle guérison, contagieuse, elle aussi, celle de l’apostolat. Il se met à proclamer et à répandre la bonne nouvelle ! Et cette mission qui l’habite est si efficace « qu’on venait à lui de partout ».

La simple bienséance voudrait que le chrétien, s’il est un tant soit peu conscient de l’immense grâce dont il bénéficie de la part de Dieu, ait au moins le bon sens de renouveler auprès de ses frères le même geste audacieux, courageux dont il a été, lui aussi, le bénéficiaire, au moment de son Baptême, à chaque fois qu’il a eu recours au Sacrement de Réconciliation. Beaucoup de chrétiens l’ont compris qui ont offert leur vie à s’occuper des malades. Il y a des signes d’autres maladies plus graves encore, pas tant dans les corps, mais dans leurs cœurs : égoïstes, orgueilleux, jaloux, méchants, débauchés, rongés par l’envie, la calomnie, la médisance, la haine, le mépris.

Raoul Follereau, un français de notre siècle, a consacré sa vie à soigner les lépreux. Des prêtres passent parfois leurs journées à guérir, au nom de Jésus, d’autres lèpres spirituelles rongeant une âme, plus sûrement que l’autre lèpre ronge leurs membres. Le chrétien doit toujours s’exposer au combat pour la vie contre la mort.

 A notre époque, il y a aussi des lèpres modernes qui peuvent nous trouver en position de fraternité envers tous ceux qui en sont les victimes, victimes totalement innocentes des guerres, des épidémies, des migrations. Il y a aussi tous les autres : les exclus du chômage, les injustices de toutes sortes. Les exclusions se présentent toujours comme une réaction de défense de la société, de l’église, de la famille contre des contagions possibles.

En Jésus, tous les obstacles sont abolis : que nous soyons à notre tour des agents de réconciliation, de réintégration, de l’accueil à tous. Nous qui avons été guéris par Jésus, que notre guérison soit pour tous un témoignage : le Royaume progresse quand l’exclusion régresse.  AMEN

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