4ième Dimanche de Carême – Homélie du Père Louis DATTIN (Jn 9, 1-41)

 L’aveugle né

Jn 9, 1-41

Essayons d’imaginer ce que peut être l’univers intérieur, l’imagination et les phantasmes d’un aveugle  : jamais il n’a rien vu, il ne sait pas ce que c’est qu’une couleur. Rouge, vert ou jaune : cela ne lui dit rien ; il ne peut s’appuyer sur aucun souvenir visuel. Il n’a jamais rien vu auparavant.  Jamais il n’a pu apprécier la beauté d’une fleur, d’un coucher de soleil, la bonté d’un visage, une larme ou le sourire d’un enfant, ni le relief d’un paysage de montagne, ni le reflet de la lumière sur un cours d’eau, ni même la décoration de son gâteau d’anniversaire surmonté de bougies qui, pour lui, ne signifient rien.

 A la différence de beaucoup de guérisons, celle-ci n’est pas due à une demande. C’est Jésus qui prend personnellement l’initiative : « Jésus vit un aveugle » = Jésus me voit, tel que je suis, avec mes épreuves, mes difficultés.

Tout ce récit, savamment construit, nous fait parcourir l’itinéraire de la foi : depuis les ténèbres les plus épaisses jusqu’à la lumière la plus diffuse. Cet itinéraire, c’est celui de notre Baptême qui nous fait passer du monde des ténèbres aux fils de lumière capables de voir et de témoigner.  Cet itinéraire est progressif, gradué. C’est peu à peu que la lumière, celle de la foi va inonder l’âme de cet aveugle même si sa guérison physique est rapide. Ce miracle, ce  » signe  » comme dit St-Jean, va révéler qui est Jésus : il est « “la lumière du monde ” » et va contraindre chacun à prendre position à son égard à travers quatre procès successifs, où, à chaque fois, l’aveugle va y voir un peu plus clair en contemplant celui qui l’a guéri.

  • 1er procès: L’aveugle a recouvré la vue, mais il est isolé (Jésus a disparu avec ses disciples) et débute un débat sur son identité.  Tout d’abord avec ceux qui l’entourent : ses voisins, ceux qui étaient habitués à le rencontrer.

 « N’est-ce-pas celui qui était mendiant ? » 

Les uns disaient : « C’est lui ! ».

Les autres : «   Non ! Mais c’est quelqu’un qui lui ressemble ».

Et lui dit : « C’est bien moi » et il raconte comment l’homme qu’on appelle Jésus (il n’en sait pas plus actuellement) a fait de la boue, lui a frotté les yeux, lui a dit d’aller à la piscine de Siloé.

« Et lui, où est-il ? »

« Je ne sais pas ».

Pour le moment, ce n’est qu’un mouvement de curiosité sympathique.

Pour beaucoup de nos contemporains, la religion, c’est ça ; on s’intéresse à Jésus jusque- là : un miracle, ça pique au vif, ça intrigue, ça fait poser des questions, mais on ne veut pas se compliquer la vie et on ne va pas plus loin.  Quant à l’aveugle guéri, notons en passant qu’il ne sait rien du Christ : si, il sait son nom, on l’appelle et on le nomme Jésus.

Procès d’une foi superficielle : nous demeurons à la surface de l’évènement, comme des badauds qui s’attroupent après que quelque chose vient de se passer ; on s’arrête et on continue son chemin, sans plus penser à rien.

  • 2e procès : On amène l’aveugle devant les pharisiens, procès du soupçon: « Il a fait ce miracle un jour de sabbat », cela ne peut donc venir de Dieu.

« Oui, répondent les autres, mais un signe pareil ne peut pas être accompli par un pécheur ».

Divisés, ils interrogent l’aveugle, qui lui, dans sa réponse va déjà beaucoup plus loin :

« Que dis-tu de lui ? »

Il répond: « C’est un prophète ».

Procès où les uns sont pour, les autres sont contre, mais où l’homme de bonne volonté commence à progresser : « C’est un prophète ».

« Seigneur, aide-nous à progresser dans la foi ».

  • 3e procès : On fait venir ses parents. Pour nier un miracle, le meilleur moyen, c’est de dire qu’il n’a pas eu lieu : « Faisons venir les parents », sans doute n’était-il pas vraiment aveugle, il faisait semblant pour mendier. 

« Mais non, disent les parents, c’est bien notre fils ; il était bel et bien aveugle : comment cela se fait-il ? »

Ça, c’est une autre affaire : ils ne veulent pas se mouiller, prendre parti. « Interrogez-le, il est assez grand pour s’expliquer ». 

Ils avaient peur, autre attitude devant Jésus : la dérobade. On n’a pas la foi parce qu’on refuse de se poser des questions et leurs réponses pourraient nous entrainer trop loin.  Si, un jour, ma foi devait changer ma vie, vous vous rendez compte ? Quelle histoire ! Et que ne ferait-on pas pour ne pas avoir d’histoires !

  • 4e procès: Pour la 2e fois, les pharisiens convoquent notre homme et pour le faire mentir, ils mentent eux-mêmes.

« Rends gloire à Dieu, nous savons que cet homme est un pécheur » : c’est curieux, à partir de ce moment-là, ce sont les voyants qui deviennent aveugles et l’aveugle qui voit de plus en plus clair et il se met à défendre Jésus, son bienfaiteur, qui est attaqué !

 « Nous savons », disent les pharisiens avec assurance, en fait, ils ne savent plus rien. 

« Je n’en sais rien », dit l’aveugle : en fait, il commence à savoir et à deviner et les pharisiens commencent à l’injurier.  Plus ils savent, moins ils croient ; suffisance de celui qui refuse d’évoluer, qui s’accroche à la tradition. 

Admettre la nouveauté serait mettre en péril leur système doctrinal : alors, ils se mettent à nier l’évidence et ils commettent ainsi le seul péché qui existe dans l’Evangile de St-Jean : refuser la foi, être volontairement incroyant, se boucher les yeux sur le mystère de Jésus.

Ils savent et parce qu’ils savent, ils ne veulent pas savoir : blocages de l’incroyant, installé dans son système de pensée et qui ne veut pas en sortir. 

Et nous, frères et sœurs, sommes-nous toujours à la recherche de la vérité ?  Sommes-nous bloqués  sur nos ‘’ savoirs ‘’ ?  Sommes-nous avides de connaitre davantage, d’ouvrir nos yeux aveugles ?

Cet homme guéri est expulsé, seul, rejeté parce qu’il a soutenu sa foi et n’a pas voulu en démordre.  Jésus l’apprend et vient le trouver.  Après ces quatre procès successifs, il vient à son secours et lui permet d’aboutir à une magnifique profession de foi !

« Crois-tu au Fils de l’homme ? »

Il répondit : « Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? »

Jésus lui dit : « Tu le vois : c’est lui qui te parle ».

Il dit : « Je crois, Seigneur », et il se prosterne devant lui.

 

 Alors que les pharisiens se sont enfermés dans leur incroyance, lui, n’a cessé d’avancer dans la foi. Au début, il dit : « Cet homme   qu’on appelle Jésus »   et puis, il découvre   que   c’est   un « prophète« , « quelqu’un qui vient de Dieu » et enfin pour lui, c’est le « Fils de l’homme » : « le Seigneur ».

Il est passé du fait noir à la lumière alors que les pharisiens ont fait le trajet inverse, eux qui affirmaient  » savoir « , qui croyaient  » voir « , n’ont cessé de s’enfoncer dans leur aveuglement. C’est le renversement des situations.  Les vrais aveugles, les vrais pécheurs ne sont justement pas ceux à qui l’on pense : ils ont préféré les ténèbres à la lumière. 

Devant Jésus, il faut choisir, il faut prendre parti : ou bien s’enfermer dans un système qui va l’exclure ou bien aboutir à une rencontre personnelle avec lui.  Cette rencontre, elle est toujours à faire, à refaire : est-ce-que notre foi progresse à l’imitation de cet aveugle qui, peu à peu, s’ouvre, ouvre ses yeux au mystère de Dieu ? La foi ne tombe pas toute faite du ciel… elle nous rejoint dans notre propre histoire. Elle peut être une lente gestation.

Le fait d’avoir été baptisé tout bébé ou d’être arrivé tard à la foi ne change rien fondamentalement.

Pour  » naître à la foi « , il s’agit de s’engager personnellement à la suite du Christ, passer des ténèbres à son admirable lumière.  AMEN

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