21ième Dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Père Louis DATTIN

La porte étroite

Lc 13,22-30

            «  Seigneur, n’y aura- t- il que peu de gens à être sauvés ? » Jésus leur dit alors : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite car je vous le dis, beaucoup chercheront à entrer et ne le pourront pas ».

Si un jour, frères, vous allez à Bethléem, dans la basilique construite sur la grotte où Jésus est né, vous aurez une surprise : c’est une basilique sans façade, pas de portail ; seulement à l’entrée, un grand mur, et dans le bas, à gauche, une petite porte, toute petite, seul accès possible dans ce lieu où Dieu s’est dépouillé de tout pour devenir « petit enfant des hommes ». Certes, il y a des explications matérielles et historiques à l’exiguïté et l’étroitesse de cette porte : il était plus facile de contrôler qui entrait ; au temps des invasions, et Dieu sait s’il y en eut, la basilique était plus facile à défendre, mais les chrétiens, en voyant cette porte, se sont toujours rappelés la « Porte étroite » de l’Evangile d’aujourd’hui.

Les cavaliers du Moyen-Age étaient obligés de descendre de leur  monture et même d’enlever tout leur équipement pour pouvoir passer. Le touriste américain avec tous ses appareils de photos sur le ventre était obligé d’en faire autant.

Nous croyons naïvement que de grandes portes sont largement ouvertes pour accueillir tous les hommes dans le Royaume. Nous faisons entrer volontiers dans le paradis toutes les foules « de bonne foi ».

Aujourd’hui, Jésus déçoit notre optimisme. « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite ». Il y aura une foule massée devant cette petite porte, un jour fermée, car un jour elle sera fermée, alors cette foule se mettra à taper sur cette porte, à crier : « Seigneur, ouvre-moi ». Il y a erreur : nous t’avons bien connu, nous sommes des baptisés, nous avons mangé et bu en ta présence : la messe ; tu nous as enseigné sur nos places : les homélies. Rien à faire, pas d’erreur possible ; la réponse arrive, toujours la même : « Je ne sais pas d’où vous êtes. Eloignez-vous de moi, vous tous qui faites le mal ».

Et de l’autre côté du mur, nous entendons les cris de joie de toute une foule de gens venus d’orient, du nord et du midi, ceux dont nous étions persuadés qu’ils étaient loin de Dieu : quelle surprise ! Quelle erreur !

En face d’un tel récit qui a de quoi nous faire peur, nous serions tentés de poser, nous aussi, cette question : « Seigneur, n’y aura- t-il que peu de gens à être sauvés ? », et Jésus refuse de répondre ou plutôt, il répond à côté, il renvoie le questionneur à lui-même :

« Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite ».

 Autrement dit, au lieu de nous demander s’il y aura beaucoup d’élus, nous devons nous efforcer, nous, d’être un de ces élus. Une certaine époque, pas si lointaine, celle du jansénisme, ne faisait entrer que quelques privilégiés dans ce Royaume, tandis que la tendance inverse prévaut aujourd’hui : on y enfourne tout le monde comme si la réponse était du côté de Dieu… ! Au lieu de s’interroger, de façon toute théorique sur le nombre des élus, nous ferions mieux de nous demander : « Et moi, qu’est-ce-que je fais pour en être ? »

La réponse est non pas du côté de Dieu, mais du côté de l’homme. Ce n’est pas « le Seigneur, va-t-il ouvrir ou non, le Royaume à peu ou à beaucoup de gens ? », mais bien plutôt : « les hommes vont- ils, oui ou non, passer  la porte étroite  pour entrer  dans  la maison du Père ? »

Au lieu de nous interroger sur le petit ou le grand nombre des élus, nous devons plutôt nous efforcer d’en faire partie !

Quelle est cette porte étroite ? C’est celle même que Jésus va franchir : il est en effet sur la route de Jérusalem et monte vers sa passion. La porte étroite, c’est la mort à soi-même, la lutte, l’effort, l’épreuve à surmonter, le scandale d’un échec, le Vendredi Saint. Et lorsque le Christ sera entré dans la salle du Royaume, il restera pour tous les croyants à suivre le même itinéraire : accepter réellement la passion pour marcher vers la Résurrection. Voilà la porte étroite, voilà par où nous devons passer : exigences austères, conditions sévères, trajet pas facile.

Dieu n’est pas plus démagogue avec nous qu’il ne l’a été avec son Fils : « Celui qui veut me suivre et qui ne prend pas sa croix, n’est pas digne de moi ». Notre salut ne se trouve nullement assuré d’avance et ce n’est pas Dieu qui est dur, mais l’homme qui résiste à sa bonté.

« Efforcez-vous », nous dit-il aujourd’hui. C’est pour nous l’acceptation « pratique » du Christ dans notre vie à nous, une fidélité rigoureuse à son message, une foi qui se traduit dans le concret, traçant une route sûre, mais dure qui nous mène au salut.

Nous ne pouvons pas évacuer le mystère de la Croix et de la mort du Christ dans son existence. Dans la nôtre non plus, notre religion n’est pas celle de la facilité : il ne suffit pas pour nous d’avoir côtoyé Jésus ou d’avoir entendu sa prédication pour qu’il ouvre la porte de sa maison à ceux qui frapperont.

Il faut, dès maintenant, mettre son enseignement en pratique, y conformer sa vie, sous peine de s’entendre répondre : « Je ne sais pas d’où vous êtes ».

Ce refus dramatique du peuple de la promesse, du peuple élu, qui a renié le message de Dieu, qui a refusé l’Evangile du temps de Luc, alors que  les  païens, en  grand  nombre, entraient  dans l’Eglise, était  déjà  la confirmation des paroles de Jésus : ils ont mangé  et bu en sa présence, ils ont  écouté  son  enseignement sur les places,… ces foules qui entouraient Jésus, qui s’entendent dire :

« Je ne sais pas d’où vous êtes, éloignez-vous de moi ».

Mais ces paroles ne s’adressent pas qu’à eux, elles s’adressent à tous les temps, elles s’adressent aussi au nôtre : c’est curieux, quand Jésus parle, on a toujours l’impression que c’est « pour les autres ».

Ne risquons-nous pas, à notre tour, de nous endormir dans une fausse assurance ? A notre époque où la facilité et le « relaxe », le « cool » et le « zen » sont si souvent vantés, où la publicité nous engage à avoir des muscles en trois semaines, apprendre l’anglais en deux mois, perdre des kilos ou maigrir en mangeant autant qu’avant, où ordinateurs et robots peuvent paraît-il, tout faire à notre place , il est bon que le Seigneur, dans cet Evangile, nous rappelle l’effort indispensable pour franchir la porte étroite.

Remarquons que, même aujourd’hui, rien ne se fait de valable, dans aucun domaine, sans travail, sans effort, sans sacrifice. Il n’y a qu’au loto, où c’est facile, pas cher ? Et rapportant gros ; mais, là aussi, il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus !

Comment voulez-vous qu’il en soit autrement, alors qu’il s’agit de la plus grande affaire de notre vie : celle de notre salut, de notre vie éternelle ? L’Evangile, c’est vrai, est exigeant, et c’est à cause de cela qu’il y a de moins en moins de chrétiens. La porte pour eux est trop étroite  lorsqu’ils voient clair ou bien elle leur paraît très large lorsqu’ils voient mal. Mais ces exigences sont celles de l’amour.

Or, il n’y a pas d’amour, sans oubli de soi, sans don de soi, sans dépouillement de soi, sans pauvreté, sans miséricorde. Etre chrétien, c’est aimer comme le Christ a aimé : jusqu’au don de soi, jusqu’à la Croix : la passion qui mène à la résurrection.

Voilà la porte étroite qu’il s’agit de franchir.

Il s’agit, pour nous chrétiens, d’y mettre le prix, comme Jésus. Il s’agit de le suivre. Or « il s’est anéanti pour moi, il a pris la dernière place ».

Oui ! « Il y a des derniers qui seront premiers et des premiers qui seront derniers ».  AMEN

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