4ième Dimanche de Carême – Homélie du Père Louis DATTIN

L’enfant prodigue

Lc 15, 1-32

On appelle habituellement cet  évangile, celui  de « l’Enfant prodigue « . Mais, en fait, il faudrait l’appeler la parabole du « Père prodige ». Prodige et prodigue d’amour, d’un amour qui pardonne, qui oublie, qui ne retient pas pour lui, amour gratuit, large comme un horizon sans fin. La parabole est construite selon un drame en deux actes : le conflit d’un père avec ses deux enfants, également et follement aimés. C’est lui, le Père, qui est le personnage principal du récit. C’est lui qui prodigue son amour et son pardon.

 

Acte premier : l’attitude du père envers son plus jeune fils : le plus jeune de ses enfants est (cela arrive plus souvent qu’on ne le croit) un profiteur. Il réclame, comme si ça lui était dû, de l’argent, beaucoup d’argent. Il ne pense qu’à lui, lui seul :

« Donne-moi la part du domaine qui me revient ».

Quand on sait, combien dans le milieu rural, la terre, le domaine, le foncier a de l’importance, un bien que l’on n’aliène jamais ! C’est le gagne-pain de toute la famille : et voilà que le père s’exécute !

Il reçoit tout de son père et ne semble même pas le remercier : ça lui est dû ! Il ne sait qu’une chose : exiger, réclamer, forcer la main, jouir pour soi. Et puis, c’est l’aventure où l’on claque cet argent si laborieusement amassé. Aventure où l’on s’éclate mais qui, au bout de quelques semaines, ne laisse que des débris.

Parfois, les commentateurs de ce récit embellissent un peu trop sa conversion : au fond son envie de revenir chez papa n’est-elle pas motivée par son intérêt personnel et égoïste ?

«  Moi, ici, je meurs de faim, je vais aller chez mon père, où les ouvriers eux-mêmes ont tout ce qu’il faut ! »

Il veut tout simplement « se remplir le ventre », retrouver le gîte et le couvert, non pas retrouver « la famille« , mais « la pension de famille« : se mettre les pieds sous la table ! Il a davantage mal au ventre que mal au cœur !

Pauvre gosse, victime de ses instincts, gâté, pourri par l’amour de son père qui ne sait rien lui refuser, qui le croit sans doute un homme alors que ce n’est encore qu’un adolescent mal élevé et revendicatif comme on en rencontre parfois.

Pauvre gosse, au fond, qui a perdu l’habitude d’aimer, qui ne consulte que ses besoins et jamais celui des autres.

Ne lui jetons pas la pierre : comme beaucoup de jeunes mal partis, il est aussi bien malheureux. Il faut l’aimer, malgré lui, malgré tout…Et c’est bien justement ce que ne cesse de faire son père. Lui, le père, on dirait qu’il est vraiment tout le contraire de ce fils dévoyé : il n’est que gratuité, don désintéressé, amour et quand l’enfant revient, c’est encore le père qui fait tout.

Notons-le. Avant même que l’enfant n’ait ouvert la bouche, c’est le père qui fait quatre gestes significatifs : « Il l’aperçoit de loin » ; « Il est ému de compassion » ; « Il court » ; « Il l’embrasse »,  et  c’est  lui, le  père, qui  décide  cette  prodigalité dans  la  fête du  retour, de  la  réconciliation : « Vite, le plus beau vêtement » ; « la bague au doigt » ; « les sandales aux pieds » ; « le veau gras » pour un festin joyeux avec musiques et danses.

Telle est l’image de Dieu, que Jésus vient de nous révéler. Comment se fait-il que, aujourd’hui encore, tant d’hommes aient dans leur esprit l’image d’un Dieu méchant, d’un Dieu qui punit, d’un Dieu vengeur, d’un Dieu qui voudrait le malheur de l’homme ?

Ce Dieu- là, n’est pas le Dieu de Jésus ! Le Dieu de Jésus est amour, il n’est qu’amour et prodige, prodigue d’amour. Il distribue
ses biens, même à ceux qui se moquent de lui… et il attend, il attend avec patience, respectant la liberté de ceux qui se sont éloignés de lui. Et, quand il les voit revenir à la maison, il court à leur rencontre, les embrasse tendrement et c’est lui, encore, une fois de plus, qui fait les frais d’un repas de fête, incroyablement généreux.

+ Acte second : l’attitude du père envers le fils aîné.

Le fils aîné, rentrant du travail, entend ces cris, ces bruits de fête, la musique, les danses : il se fait donner des explications et refuse  d’entrer.  Le  fils  ainé  n’a  rien  compris, lui  non  plus, de l’amour de son père. Lui aussi, comme son cadet, il se situe dans un système de revendication : il calcule, non seulement ce qu’il a fait, mais plus encore : ce que son père aurait dû faire pour lui :

«  Tu ne m’as jamais donné un chevreau ».

Ce fils aîné représente tous ceux qui pratiquent scrupuleusement leur religion par devoir, sans amour, qui croient accumuler des mérites, des indulgences « quarante jours et quatre quarantaines ». Ils croient que Dieu est un caissier patron qui paie mal son salarié : religion sans joie, commerciale, intéressée.

« Si je fais ça pour toi, Seigneur, combien tu me donnes ? »

« Regarde, Seigneur, tout ce que je fais pour toi ! Regarde mes mérites ! Ne suis-je pas un type bien ? Moi, je n’ai pas quitté la maison, je continue à travailler, moi, je ne suis pas comme ce petit cagnard qui ne pense qu’à s’éclater et à tout claquer ».

« Voilà tant d’années que je te sers, moi, je n’ai pas désobéi, et moi, qu’est-ce-que tu m’as donné? Je suis un pratiquant moi 

En outre, il est sans pitié pour les autres : il passe son temps à juger, à condamner, à dénoncer les péchés de son frère. Il se croit en règle avec un Dieu comptable.

Pauvre type qui ne pense qu’à ce qu’il a fait, lui. Il n’a jamais réalisé l’amour de son père. Il n’a jamais pensé qu’il  était attelé avec son père à une œuvre commune : un fils amer, envieux.

Que répond le père ? « Toi, mon  enfant, tu es toujours avec moi et tout ce qui est à moi est à  toi ».

Mieux encore, le père ne lui fait aucun reproche : il lui rappelle tout simplement son amour, un amour de tous les instants qui ne se dément pas ; mais l’aîné ne voit rien, il ne sent rien.

Les deux frères ne sont pas meilleurs l’un que l’autre, et l’un et l’autre  ont  besoin d’entendre, de voir l’amour du père, l’amour de Dieu pour eux et voici que ce pauvre père plein d’amour recommence avec le second les démarches de réconciliation qu’il vient de prodiguer au premier : « Il sort de nouveau au- devant de son fils révolté » et il le supplie.

Là encore, Jésus nous révèle l’amour de Dieu : un Dieu qui ne cesse jamais d’aimer ses enfants, tous ses enfants, car ils sont  pécheurs aussi bien les  uns  que  les  autres… mais ils sont aimés autant les uns que les autres!

+ Pourrions-nous laisser passer cet évangile sans rien  transformer en nous ? Allons-nous nous laisser être aimé par ce Père et l’aimer en retour ? Que  faisons-nous  spécialement  en  ce  temps  de Carême pour aimer Dieu ? Allons-nous, enfin, nous mettre à aimer nos frères ?

La parabole reste tragiquement  inachevée. Que s’est-il passé ensuite ? Dieu  est un Père, c’est sûr, mais les deux frères se sont-ils réconciliés ? L’aîné s’est-il laissé convaincre  et est-il entré dans la joie de son Père ?

C’est à nous de donner la conclusion. Entrons dans la fête de l’amour, cette fête que Dieu a préparée, pas seulement pour moi, mais aussi pour l’autre, pour nous tous.  AMEN

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