1er Dimanche de Carême – Homélie du Père Louis DATTIN

Tentations au désert

Lc 4, 1-13

Avez-vous bien écouté, frères et sœurs, la dernière phrase du passage d’Evangile que nous venons de lire ? « Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentation ». Il semble que le démon manque nettement  d’imagination. Nous  sommes, nous, beaucoup  plus doués  que lui en matière de tentation. Comment peut-il en avoir épuisé “toutes les formes” avec ces trois propositions faites à Jésus ?

 

Regardons de plus près. Tout d’abord, le texte parle de « Diable », Diabolos : “celui qui divise, sépare, désunit”. Attention, cette « puissance du mal » que les évangiles appellent aussi “Démon”, “ Satan” (mot hébreu qui signifie « l’adversaire »), ce ne sont pas des diablotins cornus et fourchus que les images représentent, mais ce mal qui habite notre propre cœur, l’adversaire de notre Dieu.

Le récit d’aujourd’hui est admirablement construit : il nous donne le résumé des choix et des combats que les Hébreux ont rencontré dans le désert et où ils ont échoué là où Jésus a été victorieux. A notre tour, chacun de nous doit se battre sans cesse. La vraie vie spirituelle, la vie évangélique à la suite du Christ, n’est pas une existence de tout repos, et le Carême est un temps privilégié pour ce combat spirituel.

Reprenons ces 3 tentations au désert et vous verrez qu’elles recouvrent toutes les autres, toutes les nôtres, tentations permanentes pour toutes les époques. Traduisons-les avec nos mots d’aujourd’hui.

  • Première tentation : « Que ces pierres deviennent du pain ». Le pain satisfait nos désirs. C’est la tentation la plus banale, facile : ma relation aux choses, posséder, manger, satisfaire mes instincts, consommer. Tout cela est parfaitement légitime, mais doit être maîtrisé. Nos faims corporelles peuvent devenir nos maîtresses et faire de nous des esclaves comme dit maître Jacques  dans « l’Avare » de Molière : « Il  faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger ». Le verbe « être » doit toujours passer avant le verbe « avoir » : l’ »avoir » n’est qu’au service de « l’existence » et pas plus.

Où est la vraie vie de l’homme ? Dans le pain ? Dans le bien acquis ? Ou ailleurs ?

« Que ces pierres deviennent des pains », comme c’est tentant quand on a faim, quand le désir est là, exacerbé par la publicité, de s’engouffrer dans la consommation « non-stop ». Mais la vraie vie de l’homme est-elle là ?

Ce n’est même pas son besoin le plus fondamental. Allons-nous satisfaire tous nos besoins, nos addictions corporelles jusqu’à en « crever spirituellement » et même physiquement ? : Obésité, cholestérol, sida, MST, alcool jeux, drogues, tabac… Nous consommons trop et mal. Une bonne partie de nos maladies vient de nos excès et nous devenons des ruines. Regardez les dernières photos de Serge Gainsbourg, quelques mois avant sa mort : une déchéance, d’autant plus lamentable que c’était un esprit brillant !

Si seulement le Carême pouvait nous inciter, à la suite de Jésus, et avec sa grâce, à nous rassasier un peu plus de l’essentiel : la Parole de Dieu. « L’homme ne vit pas seulement de pain,  mais de la Parole de Dieu ».

Interrogeons-nous clairement : avons-nous un Evangile à la maison ? Où est-il ? L’ouvrons-nous parfois ? Que connaissons-nous  de  la  Bible ? Que  décidons-nous  pendant  les  quarante jours  d’ici-Pâques  pour lire un passage de la Parole de Dieu ?

Rétablir l’universelle coutume du jeûne (les musulmans et les autres religions le font bien) pour maîtriser notre chair et nous adonner davantage à la prière ?

  • Deuxième tentation : le pouvoir, dominer les autres, être au-dessus. Cette tentation-là est beaucoup plus grave : c’est la perversion de notre relation aux personnes. Ne voir les autres que par rapport à soi. Dominer, exercer le pouvoir sur les autres : qui d’entre nous n’a pas rêvé d’exercer une autorité, un pouvoir sur les autres, que ce soit en famille, l’homme ou la femme, les enfants entre eux dans une classe, dans les associations ? Toutes les jalousies et les rivalités dans les bureaux des fonctionnaires ou des entreprises, les peaux de bananes glissées sous les pas des concurrents, la carrière où l’on marche sur les autres pour les dépasser et se trouver devant eux, au-dessus d’eux, « l’homme un loup pour l’homme ». Jésus lui-même a été tenté de devenir un roi des royaumes de la terre, en exerçant le pouvoir selon les habitudes des puissants de ce monde qui font peser leur pouvoir.

Voici donc cette terrible envie de dominer : les élections nous le font bien voir avec sa multitude de listes, sa pléthore de candidats et aussi, ne l’oublions pas, son cortège d’opprimés, de torturés, d’abimés, ceux qui n’ont pas le droit à la parole et que l’on fait taire avec un billet ou quelques tôles ondulées ; les faibles, les petits, les êtres qui ne peuvent pas se défendre, à commencer par le problème tragique des suppressions des fœtus d’enfants vivants, ils n’ont pas droit à la parole ; on ne leur a jamais demandé leur avis, ils sont victimes des forts, des adultes.

Comment traitons-nous les handicapés physiques ou les débiles mentaux dans notre société, dans nos écoles, dans nos relations, dans nos familles et nous-mêmes ?

Comment nous laissons-nous dominer par les puissances des médias, la propagande, la publicité, les idées toutes faites, les courants d’idées à la mode ? Ne faisons-nous pas le jeu des sondages de toutes sortes qui nous indiquent, dans les questions elles-mêmes, ce qu’il nous faut répondre ?

Si seulement le Carême pouvait nous inciter à retrouver la vérité de toutes nos autres relations en retrouvant devant Dieu le « devoir d’Adoration ».

« Tu te prosterneras devant DIEU seul et c’est lui seul que tu adoreras » : se situer humblement devant Dieu, c’est apprendre du même coup à servir humblement les autres, au lieu de dominer.

  • Troisième tentation : la magie : mettre Dieu à notre service au lieu de nous mettre nous-mêmes à son service. C’est la plus grave des tentations : elle est perversion de notre rapport à Dieu, mettre Dieu en demeure de faire ce qui nous plaît.

Dans cette tentation-là, ce sont les rôles qui sont inversés : au lieu de nous mettre au service de Dieu, nous mettons Dieu à notre service. Mettre Dieu à l’épreuve, faire de Dieu l’objet d’un chantage, sommer Dieu de nous faire réussir, de nous éviter des ennuis : « Si Dieu existe, cela n’aurait pas dû arriver », comme si Dieu était mon domestique et qu’il n’était là que pour être à ma disposition.

Suprême tentation : nous ériger en conseiller de Dieu, lui dire ce qu’Il devrait faire. Nos prières ne sont-elles pas parfois des ordres que nous donnons à Dieu :

 « Seigneur, fais ceci, obtiens-moi  cela, accorde-moi  tel  avantage ».

 « Si tu es Dieu, fais ceci. »

 «  J’ai prié et tu ne m’as pas exaucé. »

 « Tu n’as pas fait ma volonté donc tu n’existes pas ».

Qui est Dieu ? Est-ce lui ou moi ?

Tentation de provoquer Dieu, de le faire obéir à mes désirs.

Si seulement ce Carême pouvait nous inciter à nous décentrer de nous-mêmes pour nous tourner résolument vers le « Tout autre » pour dire, comme le Christ au jardin des Oliviers : 

« Que  ce  soit  ta  volonté  qui  se  fasse, Père, et  non  la mienne ! »

Ne croyez-vous pas, maintenant, que ces tentations-là, sont bien les plus fortes auxquelles l’homme soit affronté ? Ces tentations de Jésus sont toujours les nôtres. Plus encore, elles résument tous nos désirs de possession et de puissance.

  • Avec Jésus, vainqueur de ces invitations de Satan, notre Carême pourrait être un temps merveilleux de croissance, d’épanouissement du meilleur de nous-mêmes, un vrai renouvellement de notre vie filiale et fraternelle de baptisés.

Lorsque nous sommes tentés, St-Ignace nous conseille de faire le contraire de la suggestion de Satan :

  –  Je désire avoir : je donne la primauté à l’être.

  – Je veux dominer : je me mets à la disposition de l’autre.

  – Je veux mettre Dieu à mon service : je me mets alors à son service à Lui.

Alors, ayant épuisé, nous aussi, toutes les formes de tentations, notre cœur pourra être prêt à rencontrer le Dieu-amour.  AMEN

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