31ième Dimanche du Temps Ordinaire – par le Diacre Jacques FOURNIER (Mc 12, 28b-34)

« Aimer Dieu,

c’est aimer tout homme,

quel qu’il soit, où qu’il soit…»

(Mc 12, 28b-34)

         En ce temps-là, un scribe s’avança pour demander à Jésus : « Quel est le premier de tous les commandements ? »
Jésus lui fit cette réponse : « Voici le premier : ‘Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur.
Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force.’
Et voici le second : ‘Tu aimeras ton prochain comme toi-même.’ Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. »
Le scribe reprit : « Fort bien, Maître, tu as dit vrai : Dieu est l’Unique et il n’y en a pas d’autre que lui.
L’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices. »
Jésus, voyant qu’il avait fait une remarque judicieuse, lui dit : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. » Et personne n’osait plus l’interroger.

            Un scribe s’approche de Jésus… A l’origine, le scribe est celui qui, sachant lire et écrire, fait office de secrétaire dans l’administration royale (2S 8,15-17 ; 1R 4,1-3). Il est donc l’homme de l’écriture, et dans le domaine religieux, il sera l’homme des Ecritures, celui qui sait les lire, et qui peut donc les comprendre, les étudier, les apprendre, pénétrer leur sens pour ensuite les retransmettre à ceux qui, nombreux à l’époque, ne savaient pas lire.

            Ce scribe s’apprête ici à soumettre Jésus à un interrogatoire en règle : il veut vérifier si les principes de sa foi sont bien conformes à la foi d’Israël. S’il savait à qui il parle ! « Au commencement était la Parole, et la Parole était auprès de Dieu, et la Parole était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu… et la Parole s’est faite chair » (Jn 1,1-2.14), et nous les hommes, nous l’avons appelé « Jésus » (Mt 1,21), « le Fils » (Jn 1,18) éternel du Père…

            Mais Jésus se prête volontiers au jeu, simplement, humblement… « Quel est le premier de tous les commandements ? » lui demande le scribe ? Et il répondra en citant le Crédo d’Israël : « Voici le premier : Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force » (Dt 6,4). Dans le texte grec de St Marc, Jésus reprend mot pour mot la traduction grecque du Livre du Deutéronome, réalisée à partir du 3° siècle avant JC par la communauté juive de la ville d’Alexandrie, en Egypte. Il ne fait que rajouter « de tout ton esprit » que l’on pourrait aussi traduire « de toute ton intelligence, en toutes tes pensées »… S’adressant à un scribe qui emploie toute son « intelligence » à scruter les Ecritures dans le but de les « comprendre » le mieux possible, ce rajout est un clin d’œil bienveillant qui valorise résolument tout son travail de recherche…

            Mais Jésus ne s’arrête pas là. Il rajoute aussitôt après une citation du Livre du Lévitique, un des cinq livres de la Loi que devait travailler tout spécialement ce scribe : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19,18). Mais il s’arrête avant la fin du verset, car la suite aurait été « trop forte » pour cet homme : « Je suis le Seigneur. » Et pourtant, telle est bien la vérité… Là encore, Jésus reprend ici mot pour mot la traduction grecque du Livre du Lévitique. Apparemment rien de nouveau donc, il ne fait que redire ce qui était écrit depuis des siècles, des phrases que le scribe connaissait par coeur… Mais discrètement, en douceur, avec toujours une grande simplicité, Jésus va poser les bases de cette révolution humaine et spirituelle qu’il est venu révéler en nous donnant l’exemple de sa mise en œuvre. Et il va rajouter : « Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. » Pour l’amour vis à vis de Dieu, c’était une évidence pour le scribe. Mais donner une telle importance à l’amour du prochain, quel qu’il soit, sans aucune précision, et donc avec une portée là aussi « d’absolu », de « totalité », voilà qui est radicalement nouveau…

            St Matthieu, le publicain, lui qui savait si bien compter et lire, ne s’y est pas trompé. Il va reprendre comme St Marc cette notion de « plus grand », mais il va l’appliquer au commandement de l’amour pour Dieu. Et là encore, c’est une évidence à l’époque : « Voilà le plus grand et le premier commandement ». Mais ce qu’il écrit ensuite est à couper le souffle : « Le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Autrement dit, « aimer son prochain » est « semblable » à « aimer Dieu ». Même si l’amour pour Dieu garde la priorité, même s’il est qualifié de « plus grand » et de « premier commandement », l’amour du prochain est placé au même niveau ! Et pour enfoncer le clou, il conclut par : « A ces deux commandements se rattache toute la Loi et les prophètes » (Mt 22,34-40)…

            St Jean dira également : « Si quelqu’un dit : « J’aime Dieu » et qu’il déteste son frère, c’est un menteur : celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne saurait aimer le Dieu qu’il ne voit pas » (1Jn 4,20). Nous sommes donc invités à vivre très concrètement notre amour pour Dieu au cœur de toutes nos relations avec nos frères les hommes, et cela quels qu’ils soient, fussent-ils nos pires ennemis… « Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs, afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous réservez vos saluts à vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5,43-48), une perfection à interpréter à la lumière du verset parallèle en St Luc : « Montrez-vous compatissants, comme votre Père est compatissant » (Lc 6,36 ; Bible de Jérusalem ; Osty). Les différentes traductions de texte grec de l’Evangile nous permettent de pressentir sa richesse : « Soyez miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux » (La Bible des Peuples ; La Bible de Maredsous ; Traduction officielle anglaise, RSV : « Be ye merciful, even as your Father is merciful »). La TOB (Traduction Oeucuménique de la Bible), elle, propose : « Soyez généreux comme votre Père est généreux », et elle précise en note : « Ou : miséricordieux. Alors que Mt 5,48 dit parfait selon le vocabulaire légaliste juif, Luc définit Dieu comme miséricordieux. C’est une expression traditionnelle de l’Ancien Testament (Ex 34,6 ; Dt 4,31 ; Ps 78,38 ; 86,16…)  et ce pourrait être le mot originel de Jésus. Il rend bien l’idée de toute la section (Lc 6,36-42) ».

            Nous sommes ici au cœur de notre foi : « Dieu Est Amour » (1Jn 4,6.8). En tout ce qu’Il Est, Il Est Amour. Tout doit être compris en Lui à la Lumière de l’Amour. Et cet Amour, constitutif premier de son Être, est totalement gratuit : « Dieu nous aime parce qu’Il Est Amour », déclare le Pape François. C’est pour cela que, pour chacun d’entre nous, comme pour tout homme sur cette terre, quel qu’il soit, où qu’il soit, quoiqu’il fasse, « le premier pas que Dieu accomplit vers nous est celui d’un amour donné à l’avance et inconditionnel » (Audience du mercredi 14 juin 2017). Face à un homme qui fait le mal, l’Amour prend ainsi le visage de la Miséricorde : Il fait rayonner la Lumière de sa Bienveillance sur « les méchants et sur les bons » et tomber la pluie de sa grâce « sur les justes et sur les injustes » (Mt 5,45).

            Ainsi, pour tout homme, Dieu est depuis toujours et pour toujours celui qui a conclu avec lui « une alliance éternelle » (Gn 9,16 ; Jr 32,40), totalement gratuite et irrévocable. « Quand nous sommes infidèles, Dieu, Lui, reste à jamais fidèle, car il ne peut se renier Lui-même » (2Tm 2,13), il ne peut ne pas être ce qu’Il Est, et Il Est Amour ! Alors, il agit pour tout homme comme il le déclare dans le Livre de Jérémie : « Je ne cesserai pas de les suivre pour leur faire du bien… Je trouverai ma joie à leur faire du bien, et je les planterai solidement en ce pays », le Royaume des Cieux, Mystère de Communion avec Lui dans l’unité d’un même Esprit (Rm 14,17 ; Ep 4,3), un seul Amour, « de tout mon cœur et de toute mon âme » (Jr 32,40-41). Nous avons reconnu l’expression : Jérémie, lui aussi, fait allusion ici, comme Jésus, au Crédo d’Israël : Dieu, le premier, met en pratique à notre égard ce qu’il nous invite à vivre avec Lui : Il nous aime de « tout son Cœur, et de toute son âme », mais son Cœur à Lui Est Infini ! Voilà pourquoi, tout péché, si l’on accepte de se repentir, sera pardonné… Quelle que soit la grandeur de notre misère, elle n’arrivera jamais à empêcher Dieu d’être ce qu’Il Est, et Il Est Amour, infiniment…

            Voilà le Mystère qui s’est pleinement révélé en Jésus Christ : « Dieu Est Amour » (1Jn 4,8.16), un Amour gratuit, Inconditionnel, donné à tout homme pour son seul bien… Et si ce dernier fait ce qui est « mal », puisque, comme le dit St Paul, « souffrance et angoisse pour toute âme humaine qui fait le mal » (Rm 2,9), Dieu, en Jésus Christ, ne pourra qu’inviter tout homme à se « convertir », à se « repentir » (Mc 1,15, première Parole de Jésus en cet Evangile !), « à cesser de faire ce mal » qui ne peut que lui faire du mal, pour apprendre, petit à petit, à « faire le bien » (Is 1,16), ce bien qui, de son côté, ne pourra que le rendre heureux : « C’est un exemple que je vous ai donné pour que vous fassiez, vous aussi » nous dit Jésus, « comme moi j’ai fait pour vousSachant cela, heureux êtes-vous si vous le faites » (Jn 13,15-17). Et qu’a-t-il fait ce jour-là ? Il a posé un geste incroyablement concret d’amour fraternel : il a lavé les pieds de chacun de ses disciples, donnant ainsi un exemple d’amour du prochain à étendre à tout homme !

            Aimer son prochain, c’est donc aimer Dieu, et ainsi trouver dans cette relation avec Dieu la Plénitude de la Vie, de la Paix et de la Joie puisque Dieu, dans son Amour, ne cesse de nous proposer cette Plénitude qui est déjà donnée à l’avance à tout homme : « Dieu nous aime parce qu’il est amour, et l’amour tend de nature à se répandre, à se donner » (Pape François) en tout ce qu’il Est… « Ouvrir son cœur à Dieu » ne peut donc qu’être synonyme d’ « ouvrir son cœur au Don de l’Amour », commencer à l’accueillir, et trouver ainsi en Lui une Plénitude de Lumière et de Vie insoupçonnée qui, seule, est la racine du vrai Bonheur… Et si l’accueil de ce Don de Dieu est authentique, il ne pourra que s’incarner dans une attitude d’amour fraternel qui ne pourra à son tour qu’avoir les mêmes caractéristiques que l’amour de Dieu puisque le Don de Dieu est participation à ce qu’Il Est en Lui-même, et il Est Amour gratuit, inconditionnel… « Oui je le sens, lorsque je suis charitable, c’est Jésus seul qui agit en moi ; plus je suis unie à Lui, plus aussi j’aime toutes mes sœurs » (Ste Thérèse de Lisieux)…

Jacques Fournier

 

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