22ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 30 Août 2015

 

Deutéronome 4, 1-2.6-8 (« Vous n’ajouterez rien à ce que je vous ordonne… vous garderez les commandements du Seigneur. »)

 

Par la bouche de Moïse, c’est le prédicateur du Deutéronome qui exprime sa haute conception de la Loi de Dieu. Et, en réalité, il s’adresse à une génération d’Israélites qui sont devenus sédentaires depuis longtemps et dont certains mettent en cause la valeur d’une Loi divine devenue trop peu moderne, venue des temps du désert.

  Contre la tentation de modifier les commandements pour un intérêt égoïste de circonstance, on se gardera de n’y rien ajouter et de *n’y rien retrancher. Certes, les lois ont besoin d’adaptations aux situations nouvelles. C’est même ce que fait le Deutéronome lui-même. Mais on se méfiera d’une facilité qui affadit l’esprit de l’Alliance. En ce sens, Jésus critiquera « la tradition des anciens » qui néglige le commandement de Dieu (évangile).

  Chaque nation se vante d’avoir la constitution la plus sage qu’on puisse forger. Le prédicateur du Deutéronome n’échappe pas ici à cette fierté légitime. Mais il vise des gens tentés de dévaluer leur patrimoine religieux. À l’expérience, leur demande-t-il, ne percevez-vous pas combien ces lois sont « justes », adaptées ? Cette justesse ne prouve-t-elle pas que notre Dieu est proche, qu’il sait si bien ce qui nous convient ?

 

* N’y rien retrancher. La Loi divine, le Pentateuque, fut traduite en grec à Alexandrie, vers 250 avant notre ère. C’est la « Bible des Septante ». De cette traduction, la légende juive dit que rien ne doit être retranché (Lettre d’Aristée). La Loi de Dieu est infrangible, mais elle doit toujours être adaptée en des situations nouvelles.

 

 

Jacques 1, 17-18.21b-22.27 (« Mettez la Parole en pratique. « )

Dans ce manuel de vie chrétienne qu’il compose, l’auteur supposé, Jacques, « le frère du Seigneur » (Galates 1, 19) et premier chef de l’Église de Jérusalem (Actes 12, 17) s’exprime par des maximes dont l’enchaînement n’est pas toujours clair, moins encore quand les ciseaux de la liturgie tronçonnent le texte. Distinguons trois vagues.

  1. La valeur d’un don dépend de la qualité du donateur. Si nos dons viennent « d’en haut », le donateur est « le Père des lumières », des astres. Ceux-ci sont sujets à des variations périodiques. Le Créateur, lui, ne varie pas dans ses bienveillantes intentions.

  2. Le don qu’il nous fait est « sa parole de vérité », c’est-à-dire l’Évangile, « semé » en nous par le baptême, capable de nous sauver. Mais ce salut qui brille pour nous requiert une condition : « Mettez la Parole en *pratique» C’est le résumé de la Lettre. Paul l’avait dit : « Ce ne sont pas les auditeurs de la Loi qui sont justes devant Dieu, mais les observateurs de la Loi » (Romains 2, 13). Il rejoignait là l’orientation du Deutéronome (1ère lecture).

  3. Les expressions synonymes « pur et sans souillure » désignent souvent des dispositions intérieures. L’auteur ne l’entend pas ainsi : la vraie religion est un agir qui secourt les orphelins et les veuves, les deux principales catégories sociales défavorisées de l’époque. Le chrétien agira ainsi parce que Dieu est Père, Père des orphelins et des veuves.

  Les successeurs de Martin Luther avaient supprimé la Lettre de Jacques du canon des Écritures, en raison de son apparente opposition à la théologie de Paul (« la foi sans les œuvres » !). Les successeurs… des successeurs de Luther réhabilitèrent vite cet écrit dans le canon, tant il est vrai que cette épître brille par son souci des relations de justice sociale, un motif fondamental dans les Églises protestantes.

 * La pratique. « La parole est vivante, lorsque ce sont les actions qui parlent. Je vous en prie, que les paroles se taisent, et que les actions parlent. Nous sommes pleins de paroles, mais vides d’actions ; à cause de cela, le Seigneur nous maudit, lui qui a maudit le figuier où il n’a pas trouvé de fruits, mais seulement des feuilles (…) Il perd son temps à répandre la connaissance de la loi, celui qui détruit son enseignement par ses actions » (Saint Antoine de Padoue, 13e siècle).

 

  

Marc 7, 1-8.14-15.21-23 (« Vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes. »)

 

Nous avions laissé Marc au seuil de la multiplication des pains (16e dimanche) pour nous plonger dans l’évangile de Jean, avec son discours sur le Pain de vie. Nous revenons à notre évangéliste de l’année B dans une section où Jésus associe plus étroitement ses disciples à son œuvre. Ces chapitres déboucheront sur la confession de foi de Pierre (24e dimanche).

La tradition des anciens sur la pureté cultuelle

En multipliant les pains, Jésus a ouvert la table de Dieu aux affamés d’Israël. Il a annoncé par là la table de l’eucharistie. Désormais, la question se pose aux chrétiens, sur l’arrière-fond des coutumes juives : quelle est la *pureté requise pour approcher de ce sacrement ? Dans quel but Marc a-t-il conservé cet épisode de la vie de Jésus ? On conçoit bien qu’après la résurrection de Jésus, certains chefs judéo-chrétiens, Jacques de Jérusalem, par exemple, se soient préoccupés de la pureté rituelle des chrétiens juifs de Galilée. Pour ses lecteurs chrétiens de Rome, peu familiers de telles questions, Marc se permet d’expliquer ces rites en une longue parenthèse. L’enjeu est « la tradition des anciens » qui définit ces règles de pureté. Cette tradition, entretenue par les pharisiens et leurs scribes, se donne pour objectif de traduire concrètement, dans les détails, ce que les commandements divins exigent de l’homme. Elle devient une casuistique qu’hélas, les autorités de toutes religions ne manquèrent jamais, au fil de l’histoire, de compliquer, au détriment de la vie toute simple des croyants.

Quel culte ?

Jésus oppose à ses interlocuteurs une citation d’Isaïe (29, 13). La tradition des anciens risque de devenir un ensemble de règles formelles, un jeu de pratiques, un code qui évite à l’homme de se situer personnellement, de cœur, devant Dieu. On dit que les commissions parlementaires noient les problèmes. De même, la casuistique religieuse peut devenir un écran de fumée qui empêche de rendre à Dieu le culte intérieur que celui-ci attend de l’homme. Le danger, en effet, est le suivant, celui de la satisfaction égocentrique du devoir accompli, celui de penser que l’on est en règle avec Dieu, lorsqu’on s’est acquitté des obligations rituelles.

Quelle pureté ?

Jésus joue sur la notion d’extérieur et d’intérieur. Il parle d’abord des aliments qui ne font que traverser le corps et n’affectent en rien la nature humaine. Nulle responsabilité morale en cela. En revanche, l’impureté véritable procède de ce que l’homme sort de lui-même, de son « cœur », de ses intentions profondes qui se traduisent par des actes. Comprenons bien l’argumentation. Ce ne sont pas les douze actes répréhensibles dénoncés, tous nuisibles au prochain, que Jésus condamne, mais l’intention perverse, « le dedans », qui conduit à de tels vices. Notons que cette dernière partie du discours s’adresse aux seuls disciples « à l’écart de la foule », pour leur donner les directives morales dans leur futur rôle de pasteurs des communautés chrétiennes.

  Il est facile de dénoncer les souillures extérieures visibles. Elles nous apitoient sur nous-mêmes, servent d’excuse et conduisent à l’irresponsabilité. Il est plus difficile de nous remettre en cause, dans les motivations profondes qui nous rendent impurs aux yeux de Dieu, mais que personne ne voit. N’oublions pas qu’ici, avec l’épisode suivant de la Syrophénicienne (Marc 7, 24-30) et la seconde multiplication des pains (8, 1-10) l’évangéliste sous-entend les conditions de la participation à l’eucharistie.

* Le mot « pureté » recouvre deux sens, de même que notre mot « saleté » désigne soit une tache morale soit une inconvenance hygiénique ou une souillure matérielle. De même, il y a une pureté « rituelle » qui se préoccupe de la fidélité aux pratiques religieuses, et il y a la pureté « morale » qui cherche à agir avec droiture envers Dieu et envers les hommes. Le risque de la religion, est de polariser le fidèle sur les catégories du permis et du tabou, de lui éviter ainsi un jugement moral responsable. Ce travers est au centre de la critique de Jésus dans cette page d’évangile.

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