25ième Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Alexandre ROGALA

« Allez à ma vigne, vous aussi,

et je vous donnerai ce qui est juste. »

Et qu’est-ce qui est juste ?

Il me semble que les textes proposés par la liturgie nous invitent à une conversion, c’est à dire à un changement de pensée. Ce dimanche nous sommes invités à dépasser notre conception humaine de la justice, qui est fondée sur le mérite. Les lectures que nous avons entendues nous font entrer dans la logique de la justice du Royaume des cieux, qui est une logique de gratuité et de miséricorde.

La première lecture est un extrait du chapitre 55 du Livre du prophète Isaïe. L’auteur écrit vers la fin de l’exil à Babylone aux alentours de 550-540 avant J.C. À cette époque, Cyrus le roi de Perse monte en puissance, et le prophète devine que le peuple d’Israël exilé va bientôt pouvoir rentrer en Terre Promise, quand l’empire babylonien sera défait par les armées de Cyrus. De fait, Cyrus permettra aux israélites exilés de rentrer chez eux en 538 av. J.C.

Dans le texte que nous avons entendu, le prophète s’adresse aux fidèles qui se préparent à repeupler Jérusalem pour leur préciser les conditions de leur bonheur. Il les exhorte à se convertir, et à faire confiance à la miséricorde de Dieu:

« Que le méchant abandonne son chemin, et lhomme perfide, ses pensées ! Quil revienne vers le Seigneur qui lui montrera sa miséricorde, vers notre Dieu qui est riche en pardon. »

Le Seigneur pardonne toujours aux hommes gratuitement, sans aucun mérite de leur part, si ce n’est celui de Le chercher et de revenir à Lui. Cette gratuité totale est déconcertante. Elle peut même nous paraitre injuste. Isaïe en donne plus loin la raison :

« Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées. »

Dans le texte d’évangile de ce dimanche, Jésus veut parler à ses disciples de la justice du Royaume des cieux qui est bien différente de la justice humaine, pour ne pas dire contraire à celle-ci. Pour cela, Jésus leur propose d’écouter une parabole. Il s’agit de la parabole que nous avons l’habitude de désigner comme « la parabole des ouvriers de la dernière heure ».

Comme à son habitude, Jésus prend une image de la vie quotidienne de son temps. Au Ier siècle, dans la viticulture, il était assez courant d’embaucher des ouvriers journaliers quand on avait besoin de main-d’œuvre, notamment lors des vendanges.

Dans notre parabole, un accord sur le montant du salaire n’est conclu qu’avec le premier groupe de travailleurs. Il s’agit d’un denier, ce qui correspond au salaire habituel pour une journée de travail. Un denier (une pièce d’argent) n’est pas un salaire élevé, mais il assure ce qui est nécessaire pour vivre. On pourrait dire qu’un denier est le SMIC de l’époque de Jésus. Le maitre de la maison promet aux deux groupes de travailleurs suivants, de leur donner « ce qui est juste ». Au dernier groupe, le propriétaire de la vigne ne promet rien.

Au moment du versement de salaire, l’intendant a pour consigne de payer les ouvriers en commençant par les derniers à qui rien n’avait été promis. Les premiers travailleurs se scandalisent quand ils constatent que les ouvriers arrivés en dernier à la vigne reçoivent exactement le même salaire qu’eux. Il est possible que nous trouvions nous-aussi, la situation décrite dans la parabole injuste. Ce sentiment d’injustice que nous ressentons indique que nous avons encore besoin de conversion pour entrer dans la logique du Royaume.

Le personnage du maître de la vigne évoque le Christ à la fin des temps au jour du jugement, car le versement du salaire a lieu « le soir venu » (v. 8). Et puisque, nous sommes dans une parabole sur le Royaume des cieux, il est vraisemblable que la vigne dans laquelle le maître envoie des ouvriers, représente le Royaume.

Le maître de la vigne aurait pu avoir la paix s’il avait commencé par payer les premiers ouvriers, qui seraient partis avec leur salaire, sans savoir que les derniers recevraient la même somme d’argent. Mais si le maitre choisit de commencer par les derniers, c’est précisément parce qu’il veut leur enseigner quelque chose.

Apprenons donc du maître de la vigne en même temps que les premiers ouvriers.

Le premier enseignement de la parabole porte sur la façon dont Dieu, exerce sa justice. Le fait que les quatre groupes de travailleurs reçoivent le même salaire, signifie que ce salaire d’un denier est « ce qui est juste ». Comme nous l’avons dit plus haut, à l’époque de Jésus, le salaire d’un denier assurait ce qui était nécessaire pour vivre ; un denier permettait de subvenir à ses besoins quotidiens.                                                                                            Nous comprenons que la justice du propriétaire de la vigne, c’est à dire la justice de Dieu, est que chacun obtienne ce dont il a besoin pour vivre. C’est pourquoi, ce qui détermine la façon dont Dieu exerce sa justice, ce n’est pas la quantité de travail, ce n’est pas le mérite. Ce qui détermine la façon dont Dieu exerce sa justice, c’est la miséricorde.

Deuxièmement, si au jour du jugement, tous ceux qui ont travaillé à l’avènement du Royaume recevront exactement le même salaire, il est inutile de chercher à détenir une position ou un statut privilégié au sein de la communauté chrétienne.

Enfin, la fin de la parabole semble nous interroger personnellement: «  ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? » (v. 15). Ne m’arrive t-il pas de me comparer aux autres ? Ne m’arrive t-il pas de me scandaliser de la bonté que Dieu manifeste à quelqu’un pour qui j’ai peu d’estime ? Ne m’arrive t-il pas de me demander pourquoi mon supérieur hiérarchique a choisi de donner telle opportunité à quelqu’un d’autre que moi, alors que j’étais plus méritant ? Toutes les questions de ce type sont inutiles. Elles ne sont que des reflets de notre méchanceté.

L’autre jour, je discutais avec une jeune fille qui est salariée dans la maison mère d’une congrégation religieuse. Cette jeune fille me disait qu’elle aimait tellement son travail, qu’elle se donnait à fond, et faisait des heures supplémentaires même si celles-ci n’étaient pas payées. Cette jeune fille est en CDD, et son contrat de travail se terminera en décembre. Je connais une autre fille qui travaille dans le même service et qui elle, est en CDI. Cependant pour celle-ci, ce travail n’est qu’un boulot alimentaire. Elle ne l’aime pas spécialement. C’est pourquoi, au travail elle ne fait que le strict minimum. Il y aurait de quoi crier à l’injustice ! Comment se fait-il que quelqu’un qui n’est pas motivé et qui ne fait pas grand chose au travail, ait un meilleur contrat de travail que quelqu’un de plus motivé et de plus méritant !? Et pourtant, quand j’ai discuté avec la première jeune fille, celle qui en CDD, à aucun moment, elle ne s’est comparée avec l’autre salariée. À aucun moment, elle ne l’a critiqué. Cette jeune fille se réjouissait simplement de pouvoir faire un travail qui lui plaisait.

C’est un bel exemple d’attitude évangélique : elle ne se compare pas inutilement aux autres, mais elle vit dans l’action de grâce.

À l’exemple de cette jeune fille, ayons nous aussi une vie digne de l’évangile. Nous avons entendu l’exhortation de saint Paul dans la deuxième lecture: « Quant à vous, ayez un comportement digne de l’Évangile du Christ » (Ph 1, 27).

Quand il écrit aux Philippiens, saint Paul est en prison. L’Apôtre est seul et sent sa mort prochaine. De plus, certains missionnaires chrétiens dénigrent Paul, ce qui rend vraisemblablement sa captivité encore plus pénible.

Saint Paul est dans l’incertitude, et se prépare au pire. Toutefois, il sait que depuis le jour où il a reçu sa vocation d’apôtre, il a tout donné pour l’Évangile du Christ. Il ne craint donc pas la mort. S’il sort vivant de sa captivité, il reprendra sa mission d’évangélisation, et s’il meurt, il a la certitude qu’il sera récompensé.

L’attitude de saint Paul est différente de celle des premiers ouvriers de la parabole qui récriminent contre le maître quand ils voient que les derniers arrivés reçoivent le même salaire alors qu’il n’ont presque pas travaillé. L’Apôtre ne compare son travail apostolique à celui des autres missionnaires chrétiens qui par jalousie, le discréditent. Saint Paul est simplement heureux du salaire qu’il est certain de recevoir le jour de sa mort. Que celle-ci soit lointaine, ou proche, l’Apôtre sait qu’il est sauvé et qu’il sera éternellement avec le Christ.

Que le Seigneur nous accorde de réaliser la grâce que nous avons d’être sauvés alors que nous n’avons pas plus de mérite que les ouvriers de la dernière heure, et qu’ainsi nous puissions toujours lui rendre grâce. Amen !

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