24ième Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Alexandre ROGALA
Dans l’extrait du chapitre 14 de la Lettre aux Romains que la liturgie nous propose comme deuxième lecture ce dimanche, saint Paul écrit:
« Dans notre vie comme dans notre mort, nous appartenons au Seigneur. Car, si le Christ a connu la mort, puis la vie, c’est pour devenir le Seigneur et des morts et des vivants » (Rm 14, 8-9)
Celui qui, comme l’Apôtre, vit pleinement son appartenance au Christ Jésus, ne craint pas de mourir. La mort et la résurrection du Christ lui garantissent la présence de Dieu, non seulement dans sa vie, mais aussi dans sa mort. Celui qui appartient au Christ « a la certitude que rien ne pourra le séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur » (cf. Rm 8, 39)
Cette certitude, est-elle aussi la nôtre ? Si nous appartenons au Christ; si nous sommes chrétiens, nos vies ne devraient-elles pas refléter cet amour miséricordieux de Dieu pour nous ? Alors que dimanche dernier, les lectures proposées par la liturgie nous rappelaient la nécessité de la correction fraternelle, celles de ce dimanche, nous invitent à la pratique du pardon fraternel.
La première lecture est tirée du Livre de Ben Sira. Ben Sira était un sage qui vivait à Jérusalem au IIe siècle avant J.C. Il tenait dans la Ville Sainte, une école dans laquelle il enseignait à des jeunes garçons vraisemblablement issus de bonnes familles. Ben Sira préparait ces jeunes aristocrates à la vie adulte, c’est à dire à exercer des responsabilités dans la société et dans la communauté, mais aussi à bien choisir leurs épouses et leurs amis.
Ben Sira était un homme de prière qui avait l’humilité de demander pardon pour ses fautes. Dans le magnifique texte que nous avons entendu aujourd’hui en première lecture, Ben Sira nous enseigne que le pardon du prochain est la condition pour que nous puissions recevoir le pardon divin:
« Pardonne à ton prochain le tort qu’il t’a fait ; alors, à ta prière, tes péchés seront remis. Si un homme nourrit de la colère contre un autre homme, comment peut-il demander à Dieu la guérison ?S’il n’a pas de pitié pour un homme, son semblable, comment peut-il supplier pour ses péchés à lui ? Lui qui est un pauvre mortel, il garde rancune ; qui donc lui pardonnera ses péchés ?Pense à ton sort final et renonce à toute haine » (Si 28, 2-6a)
Dimanche dernier, Jésus nous a exhorté à pratiquer la correction fraternelle dans le but de gagner un frère qui s’égare (Mt 18, 15-20). Pierre a bien compris qu’il devait accorder son pardon au frère qui se repent suite à la réprimande qui lui a été adressée. Dans le texte d’évangile d’aujourd’hui, il pose maintenant la question de la limite du pardon, en la centrant sur le tort subi à titre personnel.
L’offre de Pierre de pardonner à son frère « jusqu’à sept fois » est généreuse comparée à la réponse à cette question la plus courante dans le judaïsme rabbinique qui était « quatre fois ». Toutefois, Jésus va encore plus loin en déclarant qu’au sein de la communauté chrétienne, le pardon ne connait aucune limite.
Pour expliquer à Pierre la raison pour laquelle le chrétien doit toujours pardonner à son frère, Jésus lui propose une parabole.
Dans la première scène de celle-ci, il est question d’un roi auquel un serviteur est incapable de rembourser sa dette de dix-mille talents. Dix-mille talents correspond au salaire de soixante millions de journées de travail pour un ouvrier. Il s’agit donc d’une somme colossale qu’il est impossible de rembourser. Face à cette situation, le maitre décide de vendre son serviteur, avec sa famille et toutes ses possessions. Dans un geste de soumission, le serviteur se jette aux pieds du roi et fait la promesse irréaliste de rembourser sa dette astronomique. À ce moment là, coup de théâtre ! Le roi décide d’annuler la dette de son serviteur.
Dans la deuxième scène de la parabole, le débiteur qui vient d’être gracié, rencontre un compagnon de service qui lui doit une somme modique. Le compagnon de service supplie le premier serviteur de prendre patience en utilisant des termes identiques à ceux auxquels il avait eu lui-même recours devant le roi: « Prends patience envers moi, et je te rembourserai ». Contrairement à la dette initiale de dix-mille talents du premier serviteur, il est tout a fait possible de rembourser une dette de cent deniers. Mais le premier serviteur ne veut rien entendre, et fait emprisonner son compagnon.
Dans la dernière scène, quand le roi est informé de ce qui s’est passé, la sanction ne se fait pas attendre: le maitre livre son serviteur aux bourreaux.
Comment se fait-il qu’à l’instar des compagnons du premier serviteur, nous soyons nous-aussi, « profondément attristés » (v. 31), voire scandalisés, par sa décision de faire jeter en prison le compagnon qui lui devait cent deniers ? N’est-il pas normal d’exiger d’une personne qui nous a emprunté de l’argent, qu’elle nous rembourse ? Aujourd’hui encore, dans certains pays, la peine d’emprisonnement pour dette existe. Alors, comment se fait-il que l’application d’une justice sans-pitié par le premier serviteur soit intolérable pour l’auditeur de la parabole ?
C’est en répondant à ces questions que nous pouvons comprendre la raison pour laquelle, à l’intérieur de l’Église, le pardon est une obligation absolue. N’aurait-il pas été naturel qu’après avoir fait l’expérience d’un acte de miséricorde inouï, le premier serviteur entre lui-même dans le monde de la gratuité et de la miséricorde du roi ?
À la question de Pierre sur le nombre de fois où nous devons pardonner à un frère, Jésus répond qu’il n’y a aucune limite au pardon fraternel, parce que celui qui est prié de pardonner est quelqu’un qui vit lui-même du pardon infiniment plus grand de Dieu.
Enfin, si celui a qui je dois toujours pardonner est mon « frère », cela signifie que si je ne peux pas pardonner à quelqu’un qui m’a fait du mal, cette personne n’est plus mon « frère », mais mon « ennemi ».
Soyons honnêtes ! Nous avons tous des personnes dans notre entourage à qui nous n’arrivons pas à pardonner de tout notre cœur. Parfois même, ces personnes font partie de la même communauté paroissiale que nous.
Il me semble que dans cette situation, nous devons appliquer un autre commandement du Seigneur Jésus: « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent » (Mt 5, 43-44). Il est possible qu’à force de prier pour mon « ennemi », celui-ci redevienne un « frère » à qui je peux pardonner.
Par nos propres forces, il est évidemment impossible de vivre l’exigence évangélique du pardon fraternel. Demandons donc à Dieu notre Père de transformer nos cœurs afin que nous puissions voir tout homme, comme le frère (ou la sœur) à qui nous pouvons toujours accorder notre pardon.