27ième Dimanche du Temps Ordinaire (Mt 21, 33-43) – Homélie du D. Alexandre ROGALA

Pauvres grands-prêtres et anciens du peuple ! Après avoir suggéré que malgré leurs fonctions, ils ne faisaient pas la volonté de Dieu dans le texte d’évangile de dimanche dernier, dans celui d’aujourd’hui, Jésus les accuse d’être des meurtriers !

Or, nous qui avons l’habitude de venir à la messe, et d’entendre la proclamation de textes d’évangile accompagnés d’une explication ou d’une réflexion, nous savons bien qu’en général, lorsque Jésus s’adresse à un personnage pour lui faire un reproche, c’est aussi à nous qu’il s’adresse.
Est-ce que cela signifie que Jésus nous accuse d’être des meurtriers ?! Ne tirons pas de conclusions trop vite, et regardons de plus près les textes que nous propose la liturgie ce dimanche.

Dans trois des quatre textes que nous avons entendus il est question d’une vigne, et d’un jugement du Seigneur: dans la première lecture (Is 5, 1-7), dans le Psaume (79), et dans l’évangile (Mt 21, 33-43). Ces textes raisonnent les uns avec les autres.
Par conséquent, il me semble que si nous voulons entendre ce que Jésus veut nous dire aujourd’hui, il est nécessaire de se pencher d’abord sur le texte dont il s’est inspiré pour composer la parabole dite « des vignerons homicides ». Ce texte n’est autre que le « chant de la vigne » d’Isaïe que nous avons entendu en première lecture.

La fin du texte nous donne une information précieuse pour comprendre la parabole de Jésus. Isaïe écrit: « La vigne du Seigneur de l’univers, c’est la maison d’Israël. Le plant qu’il chérissait, ce sont les hommes de Juda. » (v. 7).
L’image de la vigne appliquée au peuple se rencontre assez fréquemment dans la Bible. Il est possible que ce soit parce que la vigne est un symbole de l’amour comme le suggère le début de notre texte: « Je veux chanter pour mon ami le chant du bien-aimé à sa vigne » (v. 1). Ce verset fait d’ailleurs écho à plusieurs passages du Cantique des cantiques dans lesquels il est aussi question de bien-aimé(e) et de vigne. Par exemple:

« Ne regardez pas à ma peau noire : c’est le soleil qui m’a brunie. Les fils de ma mère se sont fâchés contre moi : ils m’ont mise à garder les vignes. Ma vigne, la mienne, je ne l’ai pas gardée…Mon bien-aimé, pour moi, est un rameau de cypre parmi les vignes d’Enn-Guèdi. ». (Ct 1, 6; 14)

Ensuite, le chant de la vigne d’Isaïe nous enseigne que l’amour du Seigneur pour son peuple se vérifie dans ses actions:

« Il en retourna la terre, en retira les pierres, pour y mettre un plant de qualité. Au milieu, il bâtit une tour de garde et creusa aussi un pressoir. » (v. 2).

Le Seigneur prend soin de sa vigne ; Il prend soin de son peuple
Mais alors que Dieu avait tout fait pour que sa vigne produise de beaux raisins, c’est à dire des fruits de justice, la vigne bien-aimée en a donné de mauvais. C’est la raison pour laquelle, Dieu a permis que la vigne soit piétinée par des peuples voisins.

Le psaume 79 que nous avons chanté en réponse à la première lecture fait mémoire de ces événements. Dans un premier temps, Dieu prend soin de sa vigne: « La vigne que tu as prise à l’Égypte, tu la replantes en chassant des nations » (v. 9). Dieu libère son peuple de l’esclavage en Egypte et le conduit jusque’en Terre Promise. Mais dans un deuxième temps, Dieu permet que la vigne soit dévastée: « Pourquoi as-tu percé sa clôture ? Tous les passants y grappillent en chemin ; le sanglier des forêts la ravage et les bêtes des champs la broutent » (v. 13-14).

L’évangile d’aujourd’hui est la suite du débat entre Jésus et les autorités religieuses que nous avons commencé la semaine dernière avec la parabole des « deux fils ». Les grands-prêtres et les anciens du peuple connaissent bien l’Écriture. C’est pourquoi, Jésus leur dit une parabole qui s’inspire du chant de la vigne d’Isaïe qu’ils connaissent bien.

Dans la première lecture nous avons appris que la vigne est une image d’Israel. Si la vigne est une image d’Israel, et que le propriétaire de la vigne est le Seigneur, qui sont les vignerons ? La réponse est évidente ! Les vignerons ne peuvent être que les autorités religieuses d’Israël, c’est à dire les grands prêtres et les anciens avec qui Jésus est en train de discuter.

La parabole de Jésus met l’accent sur le comportement coupable des vignerons. Derrière le sort que ces derniers réservent aux serviteurs que le propriétaire envoie auprès d’eux, nous pouvons reconnaitre le sort qu’Israël a parfois réservé aux prophètes. Prenons par épisode parlant, dans le Deuxième Livre des Chroniques, dans lequel un prophète du nom de Zacharie est tué après un commandement du roi:

« Pour ramener les habitants de Juda à lui, Dieu envoya chez eux des prophètes. Ceux-ci transmirent le message, mais personne ne les écouta. Dieu revêtit de son esprit Zacharie, le fils du prêtre Joad. Zacharie se présenta devant le peuple et lui dit : « Ainsi parle Dieu : Pourquoi transgressez-vous les commandements du Seigneur ? Cela fera votre malheur : puisque vous avez abandonné le Seigneur, le Seigneur vous abandonne. » Ils s’ameutèrent alors contre lui et, par commandement du roi, le lapidèrent sur le parvis de la Maison du Seigneur » (2 Ch 24, 19-21).

Les vignerons traitent de la même façon les trois serviteurs. Malgré cela, le propriétaire de la vigne, Dieu, ne se décide toujours pas à intervenir de façon punitive. Au contraire, il montre sa patience et sa miséricorde en leur envoyant son fils avec l’espoir qu’ils le respectent.

« Mais, voyant le fils, les vignerons se dirent entre eux : ‘Voici l’héritier : venez ! tuons-le, nous aurons son héritage !’ » Le plan des vignerons est irrationnel ! Le propriétaire de la vigne est certes miséricordieux et patient, mais donnerait-il sa vigne en héritage à des vignerons qui ont maltraité et tué trois de ses serviteurs et son fils ? En racontant ce raisonnement absurde, Jésus veut faire comprendre aux grands-prêtres et aux anciens du peuple qui ont le projet de le faire mourir, que leur plan est voué à l’échec ! Et l’ironie de cette situation, c’est que c’est les grand prêtres et les anciens eux-mêmes qui donnent leur propre condamnation:

« Eh bien ! quand le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? » On lui répond : « Ces misérables, il les fera périr misérablement. Il louera la vigne à d’autres vignerons, qui lui en remettront le produit en temps voulu. » (v. 41)

Maintenant que nous comprenons mieux la parabole, laissons nous interroger par elle. Finalement, Jésus nous traite t-il de meurtriers ? Je ne pense pas. Cependant, le Maître veut nous donner deux avertissements. Celui que nous allons recevoir dépend du personnage de la parabole auquel nous nous identifions. Puisque le propriétaire de la vigne, c’est Dieu, et que son fils, c’est le Christ, il ne reste que deux personnages auxquels nous pouvons nous identifier: les vignerons et les serviteurs.

Il me semble que l’image des vignerons interroge particulièrement ceux qui exercent dans l’Église un ministère ordonné, ainsi que ceux qui ont des responsabilités dans la communauté chrétienne. Dans la parabole, si les vignerons battent, et tuent les serviteurs du propriétaire, c’est parce qu’ils ne veulent pas remettre à celui-ci le produit de la vigne. Les vignerons veulent garder les fruits pour eux.
Et moi, pour qui est-ce que je travaille ? Pour le Seigneur ? Ou pour ma propre gloire ? Peut-être que mes intentions ne sont pas pures. Et que je cherche à être bien vu des autres ? Voilà la première mise en garde que Jésus adresse à ceux qui exercent des responsabilités dans l’Église.

Si tout le monde ne peut pas s’identifier aux vignerons, l’image des serviteurs qui sont battus et tués dans la parabole parle à tout chrétien.
En 2017, j’ai fait un temps de volontariat au Vietnam. Et l’un des frères de la communauté avec laquelle je vivais, m’a dit qu’au Vietnam, la religion d’un individu est écrite sur sa carte d’identité, et souvent, quand il est écrit qu’une personne est chrétienne, cela peut lui porter préjudice. Être chrétien est parfois un critère de discrimination. Pour un chrétien, il peut être plus difficile de trouver un emploi ou d’intégrer une université par exemple. En apprenant cela, j’ai été choqué, et j’ai ressenti un fort sentiment d’injustice dans mon cœur. Mais en fait, je n’aurais pas dû être surpris. Qui de nous n’a jamais été méprisé, ou tourné en dérision à cause de sa foi chrétienne ?
Les serviteurs de la parabole nous rappellent que si le disciple du Christ est comme son maître, il doit s’attendre à être maltraité. Jésus nous avertit que vouloir le suivre signifie accepter de porter la croix à sa suite .

À la fin du texte d’évangile, Jésus dit que le royaume de Dieu sera donné à une nation qui lui fera produire ses fruits, c’est à dire une nation qui accomplira la volonté du Père Céleste (cf. Mt 7, 15ss.).

Comment faire pour porter les fruits du Royaume de Dieu ?

Dans la deuxième lecture, saint Paul nous donne la recette:

« En toute circonstance, priez et suppliez, tout en rendant grâce, pour faire connaître à Dieu vos demandes. Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut concevoir, gardera vos cœurs et vos pensées dans le Christ Jésus. » (Ph 4, 6b-7).

La paix de Dieu nous a déjà été donné. Pour porter les fruits du Royaume de Dieu, des fruits « dignes d’être aimés et honorés » (v. 8), nous devons demeurer dans la paix de Dieu. Pour y demeurer, il n’y a qu’un seul moyen: la prière, c’est à dire entretenir une relation d’amour avec Dieu.

Tournons-nous donc vers le Seigneur, et demandons Lui la grâce de Lui être fidèle en lui redisant les paroles du Psaume de tout notre cœur:

« Jamais plus nous n’irons loin de toi: fais-nous vivre et invoquer ton nom ! Seigneur, Dieu de l’univers, fais-nous revenir ; que ton visage s’éclaire, et nous serons sauvés » (Ps 79, 19-20).

                                                        Diacre Alexandre ROGALA (M.E.P.)

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