3ième Dimanche de l’Avent – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

 

Lectures : Is 61, 1-2.10-11 ; 1 Th 5, 16-24 ; Jn 1, 6-8.19-28

 

 

« Qui es-tu donc ? » Je suis la voix, la voix qui crie dans le désert : « Préparez les chemins du Seigneur, aplanissez ses sentiers ! » C’est cette parole de l’Écriture que le chemin, le sentier de Dieu, Jean-Baptiste, a choisi pour dire qui il était à ceux qui l’interrogeaient. Peut-être que, pour en comprendre tout le sens, nous devons essayer de restituer cette parole du prophète Isaïe dans le contexte même où elle est née. En effet, je crains qu’en entendant cette parole nous n’ayons ce réflexe de nous dire qu’après tout, ce que le précurseur nous demande, c’est une sorte de préparation. Il faudrait que nous fassions un chemin, il faudrait que nous fassions la place à Dieu, comme si Dieu avait besoin d’une sorte de préparation, de préliminaires de la part de l’homme pour pouvoir intervenir dans sa propre vie.

Or, cet oracle du prophète Isaïe a été prononcé dans des circonstances très précises. C’est au moment où le peuple est en exil à Babylone, et l’exil, ça a été tout d’abord pour le peuple d’Israël un chemin de captivité, de souffrance et de marche très dure. Pour ce peuple qui vivait dans un pays très montagneux, les chemins étaient des sentiers qui reliaient entre elles les villes, les petites bourgades de Judée et de Samarie. Et voici qu’un jour, arraché à son propre pays, ce peuple, conduit par des soldats, par des gardiens, a dû s’avancer sur les routes d’un immense empire ; des routes qui n’étaient plus simplement des pistes caravanières, mais de grands itinéraires militaires de l’empire assyrien qui venait de l’assaillir, de l’envahir.

Tout à coup, Israël a fait l’expérience d’un chemin qui dépassait infiniment ce qu’il pouvait se représenter et imaginer. Et, dans Babylone même, c’étaient ces grandes voies, ces grandes artères dans lesquelles on faisait des processions religieuses d’un très grand éclat, d’une très grande magnificence, au cours desquelles on promenait la statue du dieu. Pour Israël, cette expérience du chemin, de la route, était une expérience beaucoup plus grandiose et en même temps cruelle, car ces routes qui n’en finissaient pas de se dérouler à travers le désert, avaient été pour Israël, les routes de la souffrance, de l’exil, de l’expiation de son propre péché, de sa propre douleur, du fait que le peuple était déraciné, déporté, malheureux, mis à mort.

Voici qu’au milieu de cette souffrance et de ce dénuement d’Israël, une voix s’élève. C’est la voix d’un prophète, d’un frère qui console le peuple. Cette voix crie : « Dans le désert, maintenant, préparez un chemin au Seigneur ! » Ces chemins sont tellement grands que le peuple lui-même ne pense pas à les préparer de ses propres forces. « Préparez un chemin, frayez une voie pour votre Dieu », un chemin qui passera tout droit, par-dessus les montagnes et les aplanira, les nivellera, car maintenant ce ne sont plus les statues des dieux païens qui vont s’y promener, mais c’est Dieu Lui-même, le Dieu d’Israël qui va y passer.

Cette voix crie dans le désert. Il semble que c’est dans le désert que Dieu va passer. C’est dans ce désert et dans cet abandon que Dieu va passer au milieu de son peuple. Et le prophète réveille le cœur de ces hommes abattus, en exil, de ces hommes aux prises avec leur misère et leur dénuement, en leur disant : cette expérience du chemin que vous avez suivi de Jérusalem jusqu’ici à Babylone, dans la souffrance, dans des entraves et des fers, c’est l’expérience du chemin que vous avez vécue ici en voyant les grandes processions de ces dieux païens, de ces idoles. Maintenant, voici que, sur ce même chemin de péché, de misère et de détresse de ce peuple, c’est Dieu qui va passer et ouvrir la route. Pour dire cela, il n’y a pas de mots, pas de parole compréhensible, il n’y a qu’une voix, celle du prophète Isaïe, qui crie simplement, parce que ce qui se passe est indicible : avoir vécu un chemin, avoir marché sur le chemin dans la détresse, dans le désespoir, en pensant que tout était fini, et refaire le même chemin en sens inverse, dès maintenant, à la suite d’un Dieu qui ouvre le chemin Lui-même, à la suite d’un Dieu qui marche au devant de son peuple et qui l’entraîne, qui le reprend et qui le console, qui le reconduit dans Jérusalem là où tout avait été pillé, dévasté.

Il n’y a qu’une voix pour dire cela et c’est la voix du prophète. C’est cela qu’il veut dire : Dieu agit et Il veut que ce soit un « veilleur », un crieur public qui proclame, qui attire l’attention des hommes, qui leur dise : attention, voici quelque chose d’extraordinaire qui se passe, le chemin de votre détresse, le chemin de votre misère, ce chemin, c’est Dieu Lui-même, en personne, qui l’emprunte et qui vient parmi vous pour vous sauver.

Nous sommes dans un temps d’Avent, de conversion et le précurseur, Jean-Baptiste est la figure de cet homme, de cette voix qui crie simplement les merveilles de Dieu. Je voudrais faire appel à une expérience que vous avez tous plus ou moins faite. C’est l’expérience de cet abandon, de ce silence que nous sentons de temps à autre, régulièrement dans notre cœur, lorsque nous revenons en nous-mêmes, sur nos propres péchés. Au fond, lorsque nous nous regardons, lorsque nous regardons ce chemin de notre vie, nous sommes souvent extrêmement déçus et très désemparés, et nous avons toujours une tentation, celle de nous dire que sur ce chemin, nous n’avançons jamais, nous piétinons. Nous avons beau faire des efforts, nous avons beau nous dire que sur tel et tel point il faut faire un pas, nous sentons fort bien que sur ce chemin de notre vie, nous sommes comme le peuple en exil ; nous marchons, mais nous marchons courbés, écrasés de peine et de chaleur, et au fond, nous ne marchons qu’à coups de trique, qui sont les événements de la vie et qui nous forcent à faire un pas et encore un autre. C’est le chemin de notre péché, de notre solitude. Il n’est pas étonnant que livrés seuls, abandonnés sur ce chemin, nous ayons l’impression de piétiner et de faire du sur place.

Pourtant, ce que Dieu vient nous dire par la voix de Jean-Baptiste et par celle de son prophète Isaïe, c’est que tant que nous ne considérons que ce chemin et nul autre, tant que nous pensons que c’est à nous d’avancer et de faire un pas puis encore un pas, nous serons toujours livrés à une très grande solitude et à notre grand abandon. Tant que nous n’aurons pas compris que ce chemin de péché, de détresse et d’abandon, est précisément ce chemin-là que Dieu vient emprunter et découvrir en nous, ce chemin par lequel Il veut se frayer un nouveau passage jusqu’à nous, tant que nous n’aurons pas saisi cela, nous serons toujours en proie à cette tentation de désespoir, d’abandon et de solitude. Ce qui est extraordinaire, c’est que Dieu ait choisi de venir marcher sur ces chemins qu’Il se fraye Lui-même dans notre cœur, ces chemins par lesquels Il marche dans le désert de nos solitudes et de nos abandons. La plus grande tentation de notre vie chrétienne est de ne pas voir que c’est Dieu qui nous fait avancer et qu’Il marche sur un très grand chemin, une voie qui a aplani toutes les montagnes. Et lorsque nous comparons nos modestes pas à ses grandes enjambées, nous ne sommes pas dignes ni capables de dénouer la courroie de ses sandales, nous ne pouvons pas marcher au rythme de Dieu et nous avons tendance à nous désespérer et à nous dire que nous n’y arriverons jamais. C’est là, peut-être, la tentation la plus subtile de notre vie de conversion : croire que nous ne ferons jamais vraiment ce pas qui nous donnerait la satisfaction de nous dire que nous avons avancé.

Si nous constations que nous avançons, ce serait le fruit de notre péché, car, à ce moment-là, cela voudrait dire que nous avons pris comme mesure, non le pas de Dieu qui avance à nos côtés, mais nos propres actions et nos propres désirs : ce serait d’une certaine manière le commencement de la fin. Si nous avions l’impression que nous avançons, que nous progressons, et que, peu à peu, nous acquérons ce progrès spirituel dont nous pourrions être très fier, c’est alors que nous nous ferions une illusion terrible et qu’au lieu de nous convertir en nous tournant vers Dieu, nous ne ferions que nous retourner sur nous-mêmes et nous enfermer un peu plus dans notre péché. Marcher à la suite de Dieu n’est pas facile. Mais, au moins, qu’en marchant à la suite de Dieu, nous ne nous laissions pas ronger par cette illusion que nous n’avançons pas, que nous ne pouvons jamais faire de progrès. En réalité, c’est la vérité de la mise en route. C’est parce que Dieu est là sur notre chemin, qu’Il marche à nos côtés, que nous éprouvons effectivement cette difficulté à avancer. Mais c’est là une épreuve de vérité, car si Dieu nous fait marcher à son propre pas, si Dieu nous fait marcher dans cet infini et cet absolu de son amour, il n’est pas étonnant que nous ne soyons pas pleinement convertis. Amen.

 

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