Commentaires des Lectures du dimanche 8 février 2015
Job 7, 1-4.6-7 (Détresse de l’homme qui souffre)
Pauvre Job ! Sur 963 versets que compte son livre, le lectionnaire des dimanches n’en retient que 12 (7 aujourd’hui et 5 au 12e dimanche ordinaire B). Le livre dérange la pensée religieuse conventionnelle. En effet, si le conte arrondit les angles (Job 1–2 ; 42, 7-17), les discours du héros sont un cri de révolte devant le mystère du mal : pourquoi l’innocent souffre-t-il ? Les rabbins ont admis ce livre dans les Écritures, pensant qu’il avait Moïse pour auteur. Ils appréciaient le récit qui ouvre et conclut le livre, mais ils comparaient défavorablement les plaintes de Job, le révolté, à Abraham, irréprochable dans l’épreuve (Genèse 15, 8 ; 1 Maccabée 2, 52)..
Job résume la condition humaine quotidienne en un triple symbole : la *corvée du conscrit de l’armée, le salaire dérisoire du manœuvre payé à la journée (cf. Deutéronome 24, 15), le sort de l’esclave qui ne gagnera qu’un peu d’ombre pour ses efforts au terme de son labeur de chaque jour. Bref, un quotidien insensé, sans débouché. Comme tout malheureux, Job se contredit quand il passe du quotidien à la trame de l’existence : la vie est trop longue quand on souffre ; mais les jours sont trop rapides, parce qu’on espère toujours un répit. L’image du tisserand (comparer Isaïe 38, 12) rejoint le mythe des Parques grecques qui dévidaient sur leur fuseau la durée de vie de chaque humain.
Le livre de Job fait partie de la Parole de Dieu. Celle-ci assume, autant que notre foi, la révolte de l’homme devant la souffrance injuste. Jésus n’a pas résolu ce mystère. Il est entré dedans, soulageant les malades et les possédés (cf. évangile), à la mesure des dons que Dieu lui avait conférés, et acceptant pour lui-même la mort violente.la mort violente.
* La corvée. « N’est-ce pas que « la vie de l’homme sur la terre est une corvée » ? Qui peut désirer des peines et des tracas ? Tu ordonnes [,Seigneur,] de les supporter, non de les aimer. Personne n’aime ce qu’il supporte, bien qu’il aime à supporter. On a beau se réjouir de supporter, on préférerait n’avoir rien à supporter. Dans l’adversité, j’aspire au bonheur ; dans le bonheur, je redoute l’adversité (…) N’est-ce pas que « la vie de l’homme sur la terre est une corvée » sans interruption ? Et toute mon espérance n’est que dans ta grande miséricorde » (Saint Augustin, Confessions).
1 Corinthiens 9, 16-19.22-23 (L’Apôtre se fait tout à tous)
Les Corinthiens ont demandé à Paul s’ils pouvaient consommer la viande qui, après avoir été offerte aux dieux païens (peu gourmands !), se consommait dans les temples entre convives ou, surtout, se revendait au marché. L’apôtre a tranché dans le sens de la liberté (1 Corinthien 8), pourvu que celle-ci ne viole pas la conscience des chrétiens fragilisés par leur récente fréquentation des cultes païens. Car, si la liberté chrétienne donne des droits, ceux-ci se subordonnent à l’amour du prochain, le prochain que je ne dois pas choquer par une attitude ostentatoire qui joue les affranchis.
Et Paul de donner son exemple. Comme apôtre, il a des droits, le droit de se faire entretenir par les chrétiens et de ne point travailler, comme le font d’autres apôtres (voir 1 Corinthiens 9, 4-6). Mais il y a renoncé. Le Christ l’a appelé gratuitement à son service. L’Évangile qu’il annonce doit incarner cette gratuité. Aussi refuse-t-il d’être payé par les Églises dans lesquelles il séjourne (cf. 1 Corinthiens 9, 3-15). D’ailleurs, dépendant financièrement de certains chrétiens, de certains partis, il ne pourrait plus se faire « le serviteur de tous », surtout des faibles.
« Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » Le Christ s’est imposé à Paul et a retourné sa vie. On songe à Jérémie (20, 9), tenté de renoncer à sa mission : « Je ne parlerai plus en son nom, disais-je. Mais il y avait en moi comme un feu dévorant… Je m’épuisais à le maîtriser, sans y réussir. » Paul s’est fait « tout à tous », parce que l’Évangile est destiné à tous, Juifs et païens, pauvres et riches, s’adaptant à chacun de ceux qui lui sont confiés. Et quand Dieu appelle quelqu’un à son service, le salut de l’appelé dépend de sa fidélité à la mission confiée.
Cette « politique financière » doit manifester la gratuité de l’Évangile, à travers l’exemple de Paul qui, ancien persécuteur de l’Église, ne se reconnaît aucun mérite dans sa mission . Car, dans tout ministère, l’Appelé doit faire corps, de manière concrète, avec sa vocation personnelle, souvent unique.
Marc 1, 29-39 (Une journée de Jésus au milieu des malades)
Ce sabbat passé par à Capharnaüm est une journée bien remplie. Telle que le récit de Marc la construit, elle vaut comme une première présentation de Jésus. Celui-ci a conduit ses quatre premiers disciples (cf. 3e dimanche) à Capharnaüm, où habitent Simon (Pierre) et André. Le matin, ils se sont rendus à la synagogue pour l’office du sabbat. Là, Jésus a pris la parole et guéri un possédé, montrant ainsi la puissance de sa parole (4e dimanche). Marc accumule ensuite trois épisodes : la guérison de la belle-mère de Simon, des guérisons multiples au soir de ce sabbat, et l’échappée nocturne de Jésus.
L’évangéliste ramasse donc en cette journée les diverses faces de l’activité de Jésus : enseignement, guérisons, victoire sur l’esprit du mal. Mieux encore, sous l’œil de ses premiers compagnons qui iront le tirer de son escapade nocturne, Jésus esquisse ce que sera la mission de l’Église.
« Il la fit lever. »
À la prière de ses quatre compagnons et par un simple geste, Jésus guérit la belle-mère de Simon. En la prenant * par la main, « il la fit lever », ce qui peut se traduire aussi par « il la ressuscita ». C’est le verbe grec employé par Marc 16, 6 à propos du Seigneur ressuscité. Car, pour l’évangéliste, c’est par avance la puissance de la résurrection qui s’exerce dans les guérisons qu’il opère. Cela se comprend d’autant plus que dans la culture du monde juif ancien, la maladie, la fièvre se conçoit comme déjà une atteinte de la mort. Cette même puissance de Jésus agit quand les croyants interviennent auprès du Seigneur pour un malade qui leur est cher : « on parla à Jésus de la malade ; »
« Et elle les servait », ajoute Marc. Rendue à la vie normale, la belle-mère de Simon redevient la maîtresse de maison qui prépare le repas du sabbat.
Un sommaire.
Les évangiles aiment compléter leurs récits par des généralisations qu’on appelle « sommaires ». Le matin, à la synagogue, Jésus a exorcisé « un homme tourmenté par un esprit mauvais » (Marc 1, 23), puis il a opéré la guérison de la belle-mère de Pierre. À présent, l’évangéliste généralise l’activité du Maître en une série d’exorcismes et de guérisons. La scène se situe « après le coucher du soleil », puisque, avant ce moment, le repos du sabbat interdisait le transport des malades. Jésus impose le silence aux esprits mauvais « qui savaient, eux, qui il était » (comparer 1, 24). Cette imposition de silence est le premier cas de ce qu’on appelle, chez Marc, « le secret messianique », le fait que Jésus refuse une publicité qui ferait de lui une star messianique. Ordinairement, d’ailleurs, dans les récits évangéliques, le secret ne tient pas, et la renommée de Jésus se répand.
Une transition, lourde de sous-entendus.
Une nuit bien courte ! Jésus fuit la popularité qui enfermerait son activité parmi les gens de Capharnaüm. Il lui faudra sans cesse « partir ailleurs ». À l’écart, dans la prière, au contact de son Père, il redéfinit sans doute sa mission. Simon, le futur Pierre, est déjà le porte-parole des disciples. Déjà Jésus apparaît comme la Sagesse que tous les humains « cherchent » et veulent « trouver » (cf. Proverbes 8, 17 ; Sagesse 6, 12). Jésus est « sorti » de Capharnaüm, mais « sorti » aussi, envoyé pour une mission destinée à tous. Et la Sagesse désirée des hommes qui parle ici en Jésus est celui qui, « bien avant l’aube » (cf. Marc 16, 2), « s’est levé » (ou « est ressuscité » ?). Notre mission universelle, à la suite du Christ ressuscité, se profile ici : elle est enseignement de la Bonne Nouvelle et lutte contre la maladie et contre les forces du mal qui révoltaient Job (1ère lecture).
Le dernier verset est de nouveau un sommaire, un résumé résumant par avance la mission de Jésus, en paroles et en actes, dans « toute la Galilée ».
* Par la main. Plus que les autres évangélistes, Marc, qui est leur source, insiste sur le contact physique de Jésus avec ses « patients » : le contact du vêtement, comme celui de certains empereurs romains censés guérir les gens (Marc 5, 25-34 ; 6, 36) ; le contact de la salive, en usage chez les exorcistes anciens, tant juifs que païens (Marc 7, 33 ; 8, 23). Ce « corps à corps » tactile joue sur deux tableaux. D’une part, il signifie une intimité « basique », quand la parole s’avère impuissante, comme on touche la main de quelqu’un, faute de pouvoir traduire par des mots une émotion profonde. D’autre part et de manière paradoxale, le toucher de Jésus annonce la foi chrétienne, c’est-à-dire une intimité avec le Christ plus étroite que celle expérimentée par les témoins de sa mission terrestre. Comparer, dans un autre évangile, la rencontre du Ressuscité avec Thomas (Jean 20, 27-29).