Dimanche des Rameaux et de la Passion du Seigneur (Mc 14 ,21) par D. Alexandre ROGALA (M.E.P.)

« Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur » (Ph 2, 6-7)

Ce verset de la deuxième lecture résume très bien la logique de ce dimanche des rameaux. Nous avons commencé par entendre le récit de l’entrée de Jésus à Jérusalem qui est accueilli comme l’envoyé de Dieu par les paroles du Psaume 118 (LXX) : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !  Béni soit le Règne qui vient, celui de David, notre père. Hosanna au plus haut des cieux ! » (Mc 11, 9-10).  Mais Jésus « ne retint pas », ou plutôt « ne se considéra pas » d’un rang d’égalité avec Dieu. Il n’a pas cherché la gloire des hommes, mais il a pris la « condition de serviteur » ; ou pour être plus proche du texte grec, Jésus s’est fait « esclave ». Cela se vérifie dans le récit de la Passion que nous venons d’entendre car la crucifixion est précisément le châtiment réservé aux esclaves et aux étrangers. La crucifixion avait pour but d’exclure le condamné de la communauté civique, et de faire comprendre à ses proches que le condamné à mort se situait en dehors de tout espace civilisationnel. Bref, la crucifixion était l’humiliation ultime.

Lorsque j’étais petit et que j’allais à la messe des rameaux, même si je savais pertinemment comment se terminait le récit de la Passion, j’espérais à chaque fois que les choses se passeraient autrement pour Jésus. J’avais envie de dire à Jésus : « défends-toi ! Ne te laisse pas faire ! Pilate est prêt à te relâcher. Tout n’est pas obligé de se terminer comme ça. »  Mais chaque année c’était la même chose : Jésus mourrait sur la Croix.

Jésus devait-il mourir de cette manière ignoble ? N’y avait-il pas d’autres solutions pour nous sauver ? Nous ne pouvons pas le savoir ici-bas. Ce qu’il est possible d’observer, c’est que les quatre évangélistes sont d’accord sur le fait que Jésus a choisi de se laisser condamner à mort.

Il est aussi quasiment certain que Jésus ait eu une meilleure compréhension de sa mission en lisant les Écritures. D’ailleurs au début du récit de la Passion que nous avons entendu, lors de son dernier repas, Jésus dit aux disciples :

« Le Fils de l’homme s’en va, comme il est écrit à son sujet » (Mc 14, 21)

Parmi les textes bibliques que Jésus lisait régulièrement, nous pouvons supposer il y avait le Livre du prophète Isaïe. Dans ce livre, à de nombreux endroits, il est question d’un mystérieux personnage : le « Serviteur du Seigneur », et il semblerait que Jésus ait compris sa mission comme un ministère de service. D’ailleurs, rappelons-nous qu’après avoir annoncé sa Passion pour la troisième fois, Jésus avait déclaré que « le Fils de l’homme n’était pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude » (cf. Mc 10, 45).

Nous ignorons à qui pensait exactement le prophète Isaïe lorsqu’il parlait du « serviteur du Seigneur », mais il semblerait qu’en lisant certains de ces textes d’Isaïe dans lesquels il est question du « serviteur du Seigneur », Jésus ait su que ces textes parlaient de lui.

La première lecture que nous avons entendue (Is 50, 4-7), fait partie d’un ensemble de quatre textes poétiques consacrés à ce fameux serviteur. Et si nous lisons ces quatre poèmes les uns après les autres, nous sommes frappés par la ressemblance de ce serviteur et de notre Seigneur Jésus.

Dans le premier de ces poèmes au chapitre 42, Isaïe annonce que le Seigneur va faire surgir un homme, un « serviteur » sur qui repose « l’esprit du Seigneur », et qui va œuvrer au plan de Dieu. Par la plume d’Isaïe, Dieu parle ainsi de son serviteur : « Moi, le Seigneur, je t’ai appelé selon la justice ; je te saisis par la main, je te façonne, je fais de toi l’alliance du peuple, la lumière des nations » (Is 42, 6).

Le « serviteur du Seigneur » est établi « alliance du peuple et lumière des nations ». Ce n’est donc pas un hasard, si Jésus lors de son dernier repas parle du « sang de l’Alliance versé pour la multitude » quand il prononce la parole sur la coupe (cf. Mc 14, 24). Le serviteur du Seigneur est partenaire et médiateur d’une alliance qui n’est pas limité à Israël, mais qui a une dimension universelle.

Dans ce premier poème (Is 42, 1-9), le serviteur fait preuve de courage et de persévérance dans sa mission : « Il ne brisera pas le roseau qui fléchit, il n’éteindra pas la mèche qui faiblit, il proclamera le droit en vérité.  Il ne faiblira pas, il ne fléchira pas, jusqu’à ce qu’il établisse le droit sur la terre, et que les îles lointaines aspirent à recevoir ses lois » (Is 42, 3-4).

Dans le second poème (Is 40, 1-9a), la prédication du « serviteur » a échoué, et il exprime un certain découragement : « Et moi, je disais : « Je me suis fatigué pour rien, c’est pour le néant, c’est en pure perte que j’ai usé mes forces. » Et pourtant, mon droit subsistait auprès du Seigneur, ma récompense, auprès de mon Dieu » (Is 49, 4).

Nous pouvons ici penser au ministère public de Jésus. Malgré sa prédication accompagnée de signes extraordinaires, ses contemporains l’ont rejeté. Dans le jardin de Gethsémanie, il est possible que Jésus ait pu se décourager et se dire « à quoi bon aller jusqu’au bout ? Les autorités religieuses du pays veulent m’éliminer, mes disciples vont m’abandonner, Pierre va me renier, Judas m’a trahi… ». Pourtant, Jésus, comme le « serviteur » dont parle Isaïe, va aller jusqu’au bout de sa mission.

Le troisième poème (Is 50, 4-9a) est celui que nous avons entendu en première lecture, et il parle des persécutions que subit le « serviteur du Seigneur ». Le rapprochement avec la Passion de Jésus est évident : « je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe » (Is 50, 5-6). Jésus non plus lorsqu’il aurait pu potentiellement s’en sortir lors de son interrogatoire par Pilate par exemple, a choisi librement d’aller jusqu’au bout de sa mission.

Enfin, le dernier chant (Is 52, 13-53, 12) raconte la souffrance extrême du « serviteur du Seigneur » et sa mort : « Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien. En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : par ses blessures, nous sommes guéris » (Is 53, 3-5).

Néanmoins, ce dernier poème ne s’arrête pas à la mort du serviteur, puisqu’à la fin du poème le « serviteur » est exalté : « Par suite de ses tourments, il verra la lumière, la connaissance le comblera. Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs fautes. C’est pourquoi, parmi les grands, je lui donnerai sa part, avec les puissants il partagera le butin » (Is 53, 11-12).

Ces poèmes du serviteur dont nous avons lu quelques extraits, faisaient sans doute partie des passages de la Sainte Écriture que Jésus a lu et médité quand il a commencé à rencontrer de l’opposition dans son ministère public, dans la mesure où ces « chants du serviteurs » donnaient du sens aux épreuves qu’il rencontrait, et à sa mise à mort qui devenait de plus en plus certaine au fil des jours. Ces textes du prophète Isaïe ont aussi donné à Jésus le courage d’aller jusqu’au bout de sa mission, en confirmant que malgré les apparences, sa mort ne signifiait pas l’échec définitif de sa mission.

Nous avons maintenant quelques éléments permettant de comprendre la raison pour laquelle, Jésus a accepté de donner sa vie sur la croix. Le premier poème du serviteur nous rappelle le ministère public de Jésus. Il proclamait que le Règne de Dieu s’était approché, il appelait à la conversion et en pardonnant les péchés, Jésus manifestait que l’Alliance annoncée par les prophètes (Jr 31 ; Ez 36…) avait été conclue par sa personne. Malheureusement, la Parole n’a pas été reçue par ses contemporains. À la lumière des deuxièmes et troisièmes chants du serviteur, Jésus a trouvé le courage de poursuivre sa mission, et le quatrième chant du serviteur lui a donné le sens de sa mort à venir.

En acceptant de mourir, l’alliance définitive entre Dieu et l’humanité que Jésus n’avait cessé d’annoncer pendant son ministère public restait possible…même après sa mort. En mourant sans se rebeller, Jésus permettait que les hommes adhèrent à sa prédication après sa mort.

Au contraire, si comme je l’espérais quand j’étais petit en entendant le récit de la Passion, Jésus n’avait pas accepté la mort, s’il s’était révolté et avait arrêté de prêcher à ses contemporains indignes, il aurait certes, échappé à la mort, mais il aurait en même temps, révoqué l’offre d’alliance que Dieu faisait à l’humanité, puisque comme nous l’avons vu, c’est lui que Dieu avait choisi pour être partenaire et médiateur de cette alliance.

Chers frères et sœurs, rendons grâce à Dieu le Père de nous avoir donné un tel sauveur, et redisons-lui dans notre cœur, notre désir d’entrer dans cette alliance avec lui ; alliance pour laquelle Jésus s’est battu jusqu’à la Croix. Amen !

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