L’Auteur
St Marc était d’origine juive ; « l’Evangile de Marc » ne cite pas son nom, mais au moment de l’arrestation de Jésus, en 14,51, on lit :
Mc 14,51 (Jésus est arrêté, tous prennent la fuite) : « Un jeune homme le suivait, n’ayant pour tout vêtement qu’un drap, et on le saisit; (52) mais lui, lâchant le drap, s’enfuit tout nu ».
Et la note de la Bible de Jérusalem précise que « beaucoup de commentateurs ont vu dans ce jeune homme l’évangéliste lui-même ». En effet, ce détail si simple, si pittoresque, si humain n’apparaît que dans l’Evangile de Marc… Et on comprend sans peine qu’il ne l’ait pas oublié !
De leur côté, les Actes des Apôtres, écrits par St Luc, parlent d’un certain Jean, surnommé Marc (12,12.25 ; 15,37) ; parfois un seul de ces noms apparaît, Jean (13,5.13) ou Marc (15,39). Nous sommes certainement face à la même personne, d’origine juive. Sa mère s’appelait Marie, comme la Mère de Jésus, et elle habitait Jérusalem. Sa maison accueillait la première communauté chrétienne pour la prière et c’est là que Pierre se rendra après sa délivrance miraculeuse de prison (Ac 12,12).
Marc aurait ensuite été un temps compagnon de St Paul, puis de St Pierre qu’il connaissait bien. La première Lettre de Pierre se termine d’ailleurs par :
1P 5,13 : « La communauté des élus qui est à Babylone (Rome) vous salue, ainsi que Marc, mon fils. »
Papias, Evêque d’Hiérapolis (dans l’actuelle Turquie) a écrit vers 110 ap JC : « Marc était devenu l’interprète de Pierre ; il a écrit avec exactitude… tout ce dont il se souvenait de ce qui avait été dit ou fait par le Seigneur. Car il n’avait pas entendu ou accompagné le Seigneur ; mais, plus tard, comme je l’ai dit, il a accompagné Pierre. Celui-ci donnait ses enseignements selon les besoins… (et Marc) n’a eu en effet qu’un seul dessein, celui de ne rien laisser de côté de ce qu’il avait entendu et ne tromper en rien dans ce qu’il rapportait ».
Souvenons-nous de deux éléments importants :
1) Marc fut l’interprète de Pierre ; il suivit Pierre et mémorisa ses instructions.
2) Marc fut fidèle en écrivant ; sa fidélité est celle de Pierre lui-même.
Marc est le premier à avoir écrit un Evangile (vers 60-70)… Lorsque Matthieu et Luc s’y mettront eux aussi quelques années plus tard (vers 70-80), ils auront l’Evangile de Marc sous les yeux, et ils y puiseront abondamment. Or, lire Marc, c’est écouter Pierre… Et l’on s’aperçoit que cette Parole de Jésus s’est accomplie jusques dans les textes fondateurs que l’Eglise ne cessera de scruter jusqu’à la fin des temps : « Eh bien ! moi je te dis : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église » (Mt 16,18)…
Marc aurait donc écrit son Evangile à Rome pour des chrétiens d’origine non juive qui ne connaissaient pas la Palestine. Marc est ainsi soucieux d’expliquer les coutumes juives (Mc 7,1-5 ; 14,12 ; 15,42-43), il traduit les mots d’origine juive (3,17 ; 5,41 ; 7,11 ; 7,34 ; 10,46 ; 14,36 ; 15,34)… Il va aussi expliquer que les deux piécettes données par une pauvre veuve en offrande au Temple de Jérusalem correspondent à un quart d’as, la monnaie romaine (Mc 12,42)…
Enfin, Marc aurait écrit son Evangile vers les années 65-70 ap JC. Il utilise la langue grecque qui était, depuis Alexandre le Grand (330 av JC), la langue officielle de tout le Bassin méditerranéen.
II – Le premier verset de l’Evangile: le plan suivi par St Marc
Le premier verset de l’Evangile est spécialement important : « Commencement de l’Evangile de Jésus Christ Fils de Dieu« .
En quelque mot, tout est dit. Nous reprendrons ces éléments plus tard, mais donnons-en tout de suite les grandes lignes :
Commencement… Tout d’abord, Marc emploie le même mot que le tout début du Livre de la Genèse : nous sommes ici à un nouveau commencement, une nouvelle création qui va accomplir la première…
Evangile vient du grec εὐαγγελίον qui à son tour a été composé à partir de deux mots : l’adverbe εὐ qui signifie « bien » et le verbe ἀγγέλω, « porter un message, une nouvelle ; annoncer, faire savoir ». D’où, « annoncer une Bonne Nouvelle ».
Dans le monde profane de l’époque, une Bonne Nouvelle est d’abord ce qui rend heureux : une victoire militaire, la paix, un tyran renversé, un nouveau roi, son mariage, la naissance d’un descendant…
« Annoncer une Bonne Nouvelle » est employé notamment dans le Livre du prophète Isaïe, et beaucoup pensent que Jésus Lui-même aurait puisé dans tous ces textes, qu’il connaissait par cœur, cette notion de « Bonne Nouvelle ». La synagogue de Nazareth possédait en effet un rouleau du prophète Isaïe (les livres étaient rares et chers à l’époque), lu et relu à chaque sabbat (cf. Lc 4,16-22). Or les synagogues avaient aussi des « écoles synagogales » où les enfants du village apprenaient à lire et à écrire… Ce que Jésus a fait avec notamment le rouleau du Livre d’Isaïe… On comprend dès lors qu’Isaïe soit le prophète qu’il cite le plus souvent…
Is 40,9 : « Monte sur une haute montagne, « annonciatrice de bonne nouvelle » à Sion ; élève et force la voix, « annonciatrice de bonne nouvelle » à Jérusalem ; élève la voix, ne crains pas, dis aux villes de Juda : « Voici votre Dieu ! » »
Is 52,7 : « Qu’ils sont beaux, sur les montagnes, les pieds du messager qui annonce la paix, « messager de bonne nouvelle » qui annonce le salut, qui dit à Sion : « Ton Dieu règne. » »
Or la première parole de Jésus dans l’Evangile de Marc est justement :
Mc 1,15 (TOB) : « Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Evangile (la Bonne Nouvelle) ».
La Bonne Nouvelle est donc la proximité du Règne de Dieu : Dieu est là, tout proche, et il désire régner dans ton cœur et dans ta vie pour ton bonheur. Vas-tu l’accueillir ?
En Isaïe, Dieu allait venir en personne pour délivrer son peuple de la main des Assyriens qui les avaient déportés dans leur pays. Jésus Christ est Celui qui est venu nous délivrer du péché qui nous opprime et nous rend esclave, pour nous ramener dans le Royaume de Dieu, c’est à dire nous permettre de retrouver une vie vécue en communion avec Dieu, « dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu » (Rm 8,21), la paix du cœur (Jn 14,27), la joie (Jn 15,11).
Jésus : Ce nom signifie « le Seigneur Sauve »… Toute sa vie, toute sa mission est résumée ici… Avec Lui et par Lui, Dieu nous sauve, et nous délivre du mal, des ténèbres, du Mauvais…
Christ est le mot grec, Χριστός qui correspond à Messie en hébreu ; il vient du verbe Χρίω qui veut dire « oindre ». Les nouveaux rois étaient « oints » par un prophète : il versait un peu d’huile parfumée sur leur tête, symbole de l’Esprit Saint que Dieu donnait au roi pour gouverner son Peuple en son Nom… Plus tard, quand la royauté disparaîtra, ce sera le Grand Prêtre, devenu chef du peuple, qui recevra l’onction. Le rite sera ensuite étendu à tous les prêtres… Enfin, les prophètes étaient appelés eux aussi « les oints du Seigneur » (cf Is 61,1), même s’ils n’étaient pas oints officiellement avec de l’huile ; mais c’était une façon de rappeler que Dieu les avait consacrés à son service et que l’Esprit de Dieu reposait sur eux.
« Christ » intervient sept fois en St Marc (1,1 ; 8,29 ; 9,41 ; 12,35 ; 13,21 ; 14,61 ; 15,32), un chiffre qui, dans la Bible, est habituellement symbole de Plénitude… Dès le cinquième mot de l’Evangile, le lecteur sait donc que Jésus est le Christ, et la première apparition de ce titre a valeur de programme pour l’Evangile tout entier : Marc a pour but de nous conduire à la foi en Jésus, le Christ. Puis, « Christ » disparaît pendant près de 8 chapitres, pour intervenir de nouveau dans la bouche même de Pierre, première confession de foi du « premier » apôtre… Pierre, le premier, semble être arrivé au but : reconnaître que Jésus est le Christ (8,29), mais cette reconnaissance est encore imparfaite, et tout le reste de l’Evangile sera une explicitation et une purification pour bien comprendre comment Jésus est le Christ.
La première partie de l’Evangile de Marc, après l’introduction (1,1-13), va donc de 1,14 à 8,30, une partie jalonnée de questions sur Jésus (1,27; 2,7… 4,41…) qui trouveront un début de réponse avec cette profession de foi de Pierre.
Fils de Dieu. En Israël, le roi était appelé « fils de Dieu », mais il ne l’était pas au sens fort. C’était un homme comme tout le monde, mais Dieu s’était rendu particulièrement proche de lui pour l’aider à bien accomplir la mission particulière à laquelle il l’appelait.
Ici, pour St Marc, Jésus est « Fils de Dieu » au sens fort, et tout l’Evangile sera un cheminement vers la découverte de ce mystère. Au moment du baptême et au moment de la Transfiguration (1,11 et 9,7), une voix viendra du ciel et dira : « Tu es mon Fils Bien-Aimé » ou « Celui-çi est mon Fils bien-Aimé ». Jésus aussi se présentera indirectement comme le Fils Bien Aimé envoyé par le propriétaire de la vigne dans la Parabole des vignerons homicides (Mc 12,6). Et pendant sa Passion, devant le Grand Prêtre, pour la première et seule fois dans tout l’Evangile, il dira publiquement et clairement qu’Il est Fils de Dieu : « Es-tu le Christ, le Fils du Béni?« … « Je le suis » (Mc 14,62). Et en disant, dans le grec des Evangiles, « Egô eimi », il va implicitement bien plus loin puisqu’il reprend le Nom divin autrefois révélé à Moïse dans l’épisode du Buisson ardent (Ex 3,14). Le Mystère de la divinité du Fils apparaît avec encore plus de splendeur lorsqu’il est méprisé, abaissé, insulté, bafoué… Car « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16), Amour Infini, totalement pur et gratuit, un Mystère qui se révèle avec d’autant plus de force lorsqu’il se trouve face à nos ténèbres, nos misères, nos refus, notre violence, notre cruauté… « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent » (Lc 6,27-35). Dieu est le premier à mettre en pratique ce qu’il nous demande… Alors « vous serez les fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5,45). Tout homme n’a-t-il pas été créé « à l’image et ressemblance de Dieu » (Gn 1,26). Telle est donc la direction vers laquelle Jésus nous entraine, la « nouvelle création » qu’il veut mettre en œuvre, le nouveau commencement qu’il ne cesse de nous proposer chaque jour… « Pour les hommes », laissés à leurs seules forces d’homme, « c’est impossible, mais pas pour Dieu, car tout est possible à Dieu » (Mt 19,26). « Vous allez recevoir une force, celle de l’Esprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8).
Enfin, en voyant comment Jésus venait de mourir, un centurion romain dira : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu » (Mc 15,39)…
Toute la deuxième partie de cet évangile, de 8,31 jusqu’à la fin du ch 15, est donc une révélation progressive du « comment Jésus sera effectivement le Christ, le Messie », et aussi que le mystère de sa Personne va bien au delà des apparences : Il est vraiment le Fils Unique de Dieu… et le centurion l’a perçu dans sa façon de souffrir et de mourir…
Les premiers mots de l’Evangile de Marc sont en fait une présentation de l’œuvre toute entière, centrée sur Jésus Christ Fils de Dieu… Elle a pour but de nous conduire à la foi en Jésus, et donc de faire de nous des disciples qui vont accueillir la Bonne Nouvelle du Salut pour ensuite devenir des missionnaires de l’Evangile par notre témoignage…
Dans la première partie, qui se déroule toute entière en Galilée, en découvrant les miracles de Jésus, en écoutant sa Parole, nous sommes conduits à reconnaître que Jésus est le Christ. Dans la seconde partie, nous suivons les disciples depuis Césarée de Philippe, à l’extrême nord de la Galilée jusqu’à Jérusalem, et avec eux nous comprenons que le Messie devait souffrir beaucoup, mourir et ressusciter. Le disciple de Jésus doit aussi prendre sa croix pour marcher à sa suite…
Enfin, la dynamique missionnaire se perçoit dans l’emploi du mot Evangile : trois fois au tout début, où Jésus nous révèle son contenu (1,1.14-15) ; puis en 8,35 et 9,29 où Jésus forme ses disciples : il faut prendre sa croix pour l’Evangile, et quitter maison, frères, sœurs, mère, père… Et puis, ces disciples annonceront à leur tour l’Evangile aux nations (13,10), au monde entier (14,9), à toute la création (16,15)…
D. Jacques Fournier
Plan de l’Evangile selon St Marc
Introduction : 1,1-15. Les personnages principaux sont présentés, les idées fondamentales mises en place ; le destin de Jésus est déjà symboliquement suggéré.
(Les versets 14-15 pourraient former une « section charnière » servant de fin à l’introduction et de début à la première partie.)
Première partie : 1,14-8,33. Jésus, à travers sa mission, révèle qu’il est le Christ, le Messie promis.
- a) 1,14-3,6 : Jésus cherche à manifester sa vraie mission devant les foules.
- b) 3,7-6,6a : Jésus fait des disciples pour étendre sa mission.
- c) 6,6b-8,33 : la reconnaissance de Jésus comme Messie est un sommet, mais le refus d’envisager pour lui la passion relance le mouvement.
(La confession de Pierre, avec la guérison qui précède, constitue comme une charnière, qui appartient à la fin de la première partie et au début de la seconde)
Deuxième partie : 8,22-15,47. Jésus, à travers sa passion et sa mort, révèle qu’il est le Fils de Dieu.
- a) 8,22-10,52 : annonces de la Passion.
- b) 11,1-13,37 : à Jérusalem.
- c) 14,1-15,47 : la passion.
Conclusion : 16,1-20
- a) 16,1-8 : le tombeau vide
- b) 16,9-20 : apparitions et envoi en mission…
Paul LAMARCHE, Evangile de Marc (Ed Gabalda, 1996)